Conclusion
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« Il y a un préjugé naturel qui porte
l'homme à mépriser celui qui a été son
inférieur, longtemps encore après qu'il est devenu son
égal ; à l'inégalité réelle que produit la
fortune ou la loi, succède toujours une inégalité
imaginaire qui a sa racine dans les moeurs ; mais, chez les anciens, cet effet
secondaire de l'esclavage avait un terme. L'affranchi ressemblait si fort aux
hommes d'origine libre, qu'il devenait bientôt impossible de le
distinguer au milieu d'eux. Cela vient de ce que chez les modernes le fait
immatériel et fugitif de l'esclavage se combine de la manière la
plus funeste avec le fait matériel et permanent de la différence
de race. Le souvenir de l'esclavage déshonore la race, et
perpétue le souvenir de l'esclavage. »
Alexis de Tocqueville, De la démocratie en
Amérique
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Introduction
En cette période de crise économique mondiale,
le budget alloué à la culture en France est de plus en plus
diminué. Pourtant, l'Etat lance régulièrement des appels
à projets, notamment dans le domaine théâtral, poussant les
compagnies à mettre en place des projets culturels à destination
des pays les plus pauvres. La solidarité internationale et la culture se
retrouvent ainsi liées l'une à l'autre et doivent répondre
à un enjeu commun, qui revient souvent à une volonté
d'émanciper les populations dites « fragiles ». Quelles sont
les motivations qui poussent les acteurs politiques à mettre en place
des projets internationaux ? Pourquoi un pays mettrait il des actions en place
afin d'en aider d'autres, au lieu de régler les problèmes qu'il
rencontre sur son territoire ? D'où vient cet attrait pour l'ailleurs ?
Ces questions sont régulièrement mises en avant par
l'actualité culturelle. Dans le domaine théâtral, de
nombreux appels à projets sont lancés pour mettre en place des
projets culturels transnationaux, les compagnies théâtrales
implantées dans des Zones Urbaines Sensibles reçoivent des
subventions qui se voient presque doublées si des actions sont
menées à l'étranger. Il semble intéressant de
s'interroger sur les enjeux et attentes des commanditaires, des
exécuteurs (compagnies théâtrales) et des récepteurs
(publics) afin de tenter de comprendre cet engouement pour la culture
utilisée comme outil d'émancipation.
Le stage obligatoire réalisé au cours du Master
1 DCVP a été l'occasion de se confronter à ces questions
puisqu'il a eu lieu au sein d'une compagnie théâtrale de
Montreuil. Celle-ci, en pleine préparation d'une action culturelle
franco-marocaine censée développer le pays maghrébin en
termes d'outils de communication, s'est vue être
réinterprétée par la compagnie qui a décidé
d'ajouter l'objectif de l'émancipation féminine au projet. Ce
terrain d'étude semblait donc être particulièrement
prolifique en cela qu'il recelait de problématiques complexes. En quoi
un projet transnational entre le Maroc et la France peut-il concerner la place
de la femme dans le Royaume ? Quels sont les enjeux
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français au coeur de ce type d'action ? En quoi les
rapports entre ces deux pays nécessitent ils une entraide ? Finalement,
en quoi un projet culturel pensé comme un outil d'émancipation
féminine peut-il être le reflet d'une vision occidentale des
politiques culturelles ?
Cette dernière question semble particulièrement
intéressante en cela qu'elle nécessite d'aborder des
thèmes ancrés dans l'actualité comme les relations
Nord-Sud, la mondialisation ou encore la culture comme outil. La bibliographie
consacrée à la matière, notamment les conclusions de
Pascal Blanchard1, orientait la méthodologie vers
l'exploitation de sources directes. Cependant, l'étendue du sujet a
également nécessité la réalisation d'entretiens
semi-directifs ainsi qu'une enquête de terrain.
Intitulé "Projet culturel transnational : enjeux et
perspectives", ce mémoire tend à démontrer que dans
un projet culturel transnational, le rapport de coopération classique
est souvent réinterprétée par les acteurs culturels. La
vision que les acteurs de la coopération construisent du Maroc renvoie
à deux registres distincts de l'« Autre ». Ce terme, plusieurs
fois utilisé dans le mémoire, gagnerait à être
définit dès maintenant. Tout d'abord, l'Autre est celui
vis-à-vis duquel on se singularise, par opposition auquel on se
construit soi et son identité. L'Autre renvoie également à
celui qui n'appartient pas au même rivage de la
Méditerranée, il est celui auquel l'action de coopération
est destinée et à partir duquel elle se construit. C'est la
vision de cet Autre là que nous allons évoquer.
Après une première partie relativement
théorique consacrée à l'étude de la mondialisation
et à ses conséquences potentielles dans la redéfinition
des politiques culturelles, la deuxième partie s'axera sur
l'étude d'un projet culturel transnational spécifique. Il s'agira
d'analyser les enjeux au coeur du projet en adoptant un point de vue
transnational (celui des acteurs). Enfin, on s'interrogera dans une
dernière partie sur l'impact généré par la
réception des publics sur le projet au coeur de notre étude.
1 Pascal Blanchard, La fracture coloniale, la
société française au prisme de l'héritage
colonial, La Découverte, 2005
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I) L'unification du monde et sa redéfinition des
politiques culturelles
A. La mondialisation, agent de la transformation des
relations internationales
Au cours des dernières décennies, les
frontières marquant la société internationale ont subi des
transformations importantes. La disparition de l'empire soviétique et la
fin de la Guerre froide ont entrainé des reconfigurations territoriales,
politiques et idéologiques à vaste ampleur, affectant tous les
États. La mondialisation - définie dans le Petit Robert 2013
comme étant un phénomène d'ouverture des économies
nationales sur un marché mondial libéral, lié aux
progrès des communications et à la libéralisation des
échanges - entraine une interdépendance croissante des pays.
Les années 1980, voyant les repères de l'ancien
ordre mondial bouleversé, ont été synonymes de profondes
ruptures. La mondialisation et la montée en puissance du
libéralisme ont transformé radicalement les relations
économiques internationales et ont eu d'importantes conséquences
sur la vie économique et sociale de tous les pays du monde. Le
développement des échanges internationaux de biens et de services
a provoqué un développement de l'économie de marché
au niveau mondial. Aucun pays ne peut vivre en autarcie, l'ouverture vers
l'extérieur, même minimale, impose un certain degré
d'acceptation des principes de l'économie de marché. La crise,
douloureuse pour les pays riches, est encore plus violemment ressentie par les
pays les plus pauvres.
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