Finitude et destinée humaines chez Maurice Blondel( Télécharger le fichier original )par Christophe MABOUNGOU Université Pierre Mendès-France - Master II 2011 |
3.3.2.2. L'argument téléologiqueAprès le premier argument qui reposait sur le monde des phénomènes, Blondel nous conduit à l'argument téléologique. Il représente comme pour ainsi dire le moment de la réflexion de l'action sur elle-même. Le moment où on l' on prend nécessairement conscience des limites de l'esprit humain par la perception de la disproportion continuelle de l'action et de la pensée. Donc c'est autant dire que celui-ci porte sur l'expérience : « Il ne suffit donc pas d'établir, par un syllogisme, l'harmonie des moyens, la grandeur des fins, et la nécessité d'une cause sage et intelligente pour ordonner l'univers et la pensée»246(*). En fait, dans L'Action il s'agit principalement d'exploiter le rapport et la disproportion qui existent entre le réel et l'idéal . Il s'agit précisément de s'appuyer sur l'expérience en tant qu'elle recèle à la fois le monde des phénomènes et l'histoire subjective de sa découverte : « Que l'on comprenne bien l'étendue de cette épreuve. Elle rassemble tout ce que nous avons trouvé hors de nous ou en nous-même d'intelligibilité et d'intelligence, de mouvement et de force, de vérité et de pensée »247(*). C'est autant dire que cette preuve porte sur l'examen de la totalité du monde extérieur, mais en tant qu'elle est intériorisée dans l'expérience totalisante de la pensée et de l'action. Plus le dire autrement, Blondel écrit : La force de cette preuve, c'est de prendre son point d'appui dans notre expérience la plus intime. Ce n'est pas en faisant la somme de nos petites qualités, ce n'est pas en extrayant des choses la beauté et la puissance qu'elles manifestent, ce n'est ni par abstraction ni par contraste, que nous découvrons l'unique nécessaire, comme s'il était un idéal extérieur à nous et sans racine dans notre vie. Loin d'être une projection et comme un prolongement fictif de ma pensée et de mon activité, il est au centre de ce que je pense et de ce que je fais ; je l'environne ; et pour passer de la pensée à l'action ou de l'action à la pensée, pour aller de moi à moi, je le traverse sans cesse [...] Et quoi que je trouve en moi cette présence et cette action, je ne puis dire qu'elles soient. Cet unique nécessaire n'a de raison d'être que parce que nous ne nous égalons pas nous-mêmes. Pour donner l'équation de notre action volontaire, il faut regarder en nous jusqu'où cesse ce qui est de nous [...]. Il y a au fond de ma conscience un moi qui n'est plus moi.248(*) Nous observons donc que loin d'être un idéal fictif que l'homme projette toujours en avant de lui-même et auquel il s'aliène, l'unique nécessaire est essentiellement le principe constitutif qui fonde la condition humaine dans ce qu'elle a de nécessaire. Ainsi, à la différence de l'argument cosmologique qui mettait en relief la contingence, la nécessité relative des phénomènes afin de ressortir la nécessité absolue, la preuve téléologique détermine cette nécessité en montrant qu'elle ne peut pas relever seulement des phénomènes , mais qu'elle englobe la totalité de l'existence et de l'expansion de la volonté. L'argument téléologique détermine donc, sur ce plan, cette nécessité en montrant qu'elle ne peut pas relever des phénomènes, moins encore davantage de nous bien que nous le découvrons en nous. une telle nécessité n'est pas une simple abstraction. Elle est la perfection nécessaire pour penser et agir ; c'est une lumière de notre pensée, une efficacité de notre action, en tant que sagesse et puissance. À n'en point douter cette perfection existe bel et bien. c'est l'expérience intime, celle de la disproportion constante en nous. En tant que "acte pur de la pensée parfaite", cette condition de possibilité de notre agir ne peut être de nous bien que nous la trouvions en nous. De cet acte pur de la pensée : « La vraie preuve téléologique montre que la sagesse de l'homme n'est pas dans l'homme. Elle cherche comment la pensée et l'action coïncident et par où s'unissent la sagesse et la puissance »249(*). Le témoignage de l'expérience révèle qu'une union si parfaite ne se réalise pas en nous, de sorte que pensée et action ne parviennent pas à coïncider durablement. Nous tournant donc au plus profond de nous, cet argument nous fait découvrir quelqu'un qui est plus que nous-même, comme il y a, note Blondel, « au fond de ma conscience un moi qui n'est plus moi, j'y reflète ma propre image. je ne vois qu'en lui : son mystère impénétrable est comme la tain qui réfléchit en moi la lumière. Mais s'il est en moi plus que moi, il n'est pas plus que moi je ne suis lui.250(*)» La récurrence des concepts tels que mystique, miroir, lumière suggère donc une perfection, une sorte d'illumination qui n'est pas dans l'homme, mais qui lui vient d'un Être autre que lui-même. C'est cet Autre, en tant qu'il est plus et différent mais proche de moi que révèle cet argument. Ainsi pour donner l'équation de notre action volontaire, il faut regarder en nous jusqu'où cesse ce qui est de nous. C'est ce que Saint Augustin appelle l'intimior intimio meo, le lieu où l'immanence de la transcendance détermine l'inévitable transcendance de l'action humaine. L'Unique nécessaire n'est pas seulement postulé, puisque c'est à partir de notre expérience la plus intime (de moi à moi) qu'elle prend appui. Il n'est donc pas réductible à un besoin de ma pensée ou de mon action, ce qui reviendrait à le relativiser, ou à le compromettre dans sa réalité; il est réel pour moi, non par moi, parce qu'il est en soi. C'est autant dire que ce sentiment de perfection en moi n'est pas de moi puisque c'est à travers l'expérience de mon impuissance et avec le sentiment d'une disproportion que je découvre l'Unique nécessaire. De ce point de vue, l'argument téléologique appelle l'argument ontologique. * 246 Ibid., p. 346. * 247 Ibidem * 248 Ibid., p. 346-347. * 249 Ibid., p. 346. * 250 Ibid., p.347. |
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