Finitude et destinée humaines chez Maurice Blondel( Télécharger le fichier original )par Christophe MABOUNGOU Université Pierre Mendès-France - Master II 2011 |
2.4. L'expansion de la volonté : famille, patrie, humanitéDans la cinquième et dernière étape de la troisième partie de l'Action, Blondel traite, à propos de l'expansion de la volonté, de la problématique cruciale de l'union féconde des volontés et l'extension universelle de l'action.158(*) Et le chapitre qui nous intéresse et nous interpelle ici, est évidemment celui portant sur l'unité de l'action volontaire et l'action féconde de la vie commune. Comme quoi, l'auteur, par une approche qu'on qualifierait de psycho-sociologique, s'attache à explorer les déploiements de la volonté dans la famille, la patrie et l'humanité. De fait, Blondel est convaincu que l'action n'est pas au terme de son expansion naturelle, tant qu'elle se limite à l'individu. « La vie individuelle est forcément amenée à s'ouvrir et à se répandre ; elle fait concourir d'autres forces à ses fins ; elle cherche au dehors un complément ; elle espère une confirmation et comme un redoublement de sa propre énergie. Puisque l'individu ne peut se fermer ni ne veut se garder seul et tout en soi, il aspire à revivre en autrui »159(*). C'est que le point de départ de cette affirmation est la conscience. La conscience est selon Blondel doublement ouverte, en deçà et au delà : elle puise ses aliments dans l'immense milieu qu'elle résume en soi et s'élargit aux dimensions de l'univers. l'action devient alors l'intention en acte. Elle est d'abord «l'intention vivant dans l'organisme et modelant les énergies obscures dont elle avait émergé »160(*). Toutefois, elle ne saurait se restreindre à la seule enceinte de la vie individuelle. Nulle résolution ne peut se réaliser dans l'intimité de l'intimité de la personne sans intéresser le monde environnant, sans y chercher un concours, sans y provoquer une action correspondante. Dès lors agir, c'est se confier à l'univers, c'est organiser un monde conforme à son voeu. Et cela ne peut se faire que dans le passage de l'action individuelle à l'action sociale. De ce point de vue, toute la dialectique blondélienne désormais suivra le progrès de l'action depuis l'enceinte de l'individu jusqu'au point où la volonté qui anime toujours ce mouvement d'expansion attend et réclame l'intime concours avec autrui. D'autant plus que la coopération avec les autre ne suffit pas. Le vouloir éprouve le besoin de l'union réelle et totale : l'amour, tel est l'objet auquel il tend incoerciblement. C'est ainsi que la volonté de l'homme engendre la famille où l'unité de deux êtres à la fois désirée et impossible s'objective et se réalise dans l'enfant, la patrie qui dépasse les affections familiales et précède le sentiment de l'humanité comme synthèse originale et définie entre eux, l'humanité enfin qui apprend à voir dans l'esclave, dans le sauvage, dans le pauvre, dans le malade ou l'infirme un autre soi-même161(*) : « La loi de l'égoïsme actif et conquérant, c'est de se contredire et de se raviser en quelque sorte pour s'étendre à ce qu'il semblait d'abord repousser. Ce n'est plus assez de porter en soi comme une nation entière et de ne faire qu'une âme avec elle : l'homme aspire, pour ainsi parler, à épouser l'humanité même et à ne former avec elle qu'une et une seule volonté »162(*). Aussi va-t-il constituer les différentes sociétés dont l'homme devient le membre, mais qu'au fond il soutient et enveloppe de son vouloir personnel. Ce que l'auteur appellera «une coenergie»163(*) . Elle réalise une union féconde des volontés particulières pour les fédérer dans une patrie, car l'homme est toujours mû par ce désir de solidarité. La volonté épuise tout, invente tout, admet tout, même l'impossible, pour se suffire et se contenter : elle n'y réussit pas ; et cette prétention même est contraire à son voeu le plus intime. Comment ce mouvement qui nous porte vers d'autres volontés réussit-il à franchir le seuil fermé des consciences ? Blondel montre que tout en formant un système fermé et exclusif, chaque société aspire à s'étendre, et s'ouvre pour avoir accès à une synthèse plus large : « Là dans ce besoin et cette volonté, réside le secret mystère de l'amitié...S'aimer soi-même en aimant sincèrement un autre ; se donner et se redoubler par ce don ; se voir autre en soi-même, et se voir soi-même en autrui... »164(*). Il faut donc suivre le mouvement de la volonté depuis la plus simple et la plus intime union du seul à seul, jusqu'au point où cette coenergie tend à dépasser les limites de la vie sociale elle-même. Analysant la dimension familiale, en passant par la vie de la cité, il découvre que même la vie sociale constitue bien un besoin spontané et une construction naturelle de la volonté. Il aboutit au fait que c'est toujours l'action volontaire dont le progrès engendre et justifie ces formes successives de la vie humaine ; que ces formes se superposent et se complètent mutuellement ; que chacune ajoute à celle qui la prépare une perfection nouvelle, mais sans supprimer pour cela l'indépendance relative et la perpétuité des formes antécédentes. En outre, l'expansion de la volonté dans la famille et l'humanité avec la patrie comme point focal devient le lieu de l'expression même de l'action collective qui devient volonté dans la solidarité de ses membres. Car si l'action trouve nécessairement sa source dans la subjectivité humaine ; et que la constitution intrinsèque qui caractérise le sujet implique mieux inclut la nécessité des relations sociales que Blondel plaide pour ce qu'il nomme coenergie qui n'est pas coaction. Car l'action a une nature expansive. Elle procède par étapes successives pour se voir réaliser la volonté qui préside à son déploiement. Dans cette expansion donc, l'action va de l'intériorité des actes à l'action extérieure dans sa rencontre avec d'autres volontés telles qu'elles émanent de la famille, de la patrie et de l'humanité tout entière. En définitive, la vie en société constitue une conséquente où volonté voulante et volonté voulue cohabitent au delà de la dialectique ou du dilemme qui les caractérisent. La volonté, en société, est toujours en quête de son accomplissement ou de son achèvement donc de sa réalisation effective. La recherche et la quête de l'autre n'en demeure pas moins ce salut, ce désir, ce besoin de posséder l'autre. Car, par exemple, si d'un coté l'exercice de la liberté individuelle semble conditionner, socialement par un degré d'organisation ou de concours psychologique et physiologique, ceci concourt tout simplement à créer des mécanismes susceptibles de participer à la conservation de l'être dans ce vivre-ensemble. D'autre part, ceci est bénéfique dès qu'une action volontaire, qui puise sa force dans l'univers matériel tente de réagir sur lui, dès que la décision commence à se traduire en mouvement, il est clair qu'elle rencontre des résistances des corps propres, puis celle des objets extérieurs, et enfin celles d'autres individus comme des volontés rivales. Néanmoins, dans cette expansion la volonté finit par se réconcilier avec toutes celles éparses qui lui résistaient grâce au concours d'une gestion ordonnée de la liberté. Ainsi, par exemple, en se pliant en toute liberté aux lois civiles, aux règles d'association, la volonté de l'individu en vient à se réconcilier avec celle des autres ; la concurrence fait place à la coopération, et par l'institution de la famille, de l'État, la volonté humaine trouve dans la vie sociale les moyens d'accroître, de régler et de maîtriser efficacement son vouloir et ses penchants ou désirs. Ainsi, entre le coeur à coeur de l'intimité familiale et le tous à tous du partage de l'humanité, la patrie constitue ce relais irréductible de la volonté qui se déploie vers sa fin. L'ouverture du sujet au-delà du soi et du premier cercle familial fait halte en quelque sorte dans la particularité nationale pour que la liberté jouisse du bien qu'elle a contribué à créer avec les autres. Mais si la patrie constitue ce vouloir , cette synthèse des vouloirs individuels et privés et ceux éparpillés dans l'humanité, le problème est-il résolu ? Assurément pas. Car Blondel pense que l'élan de la volonté, au delà de la patrie exige, mieux s'élargit à la quête d'un Autre, d'un Infini, d'un Absolu en qui se réconcilient définitivement tous ces vouloirs. * 158 En fait, la IIIè partie de L'Action repose sur une taxinomie présentant le phénomène de l'action en étapes. Chaque étape examine ce phénomène en un triptyque de chapitre : Première étape (3chap.): de l'intuition sensible à la science subjective ; Deuxième étape : Du seuil de la conscience à l'opération volontaire ; Troisième étape (3 chap.) : De l'effort intentionnel à la première expansion extérieure de l'action ; Quatrième étape (3 chap.) : De l'action individuelle à l'action sociale ; Cinquième étape (3e chap.) : De l'action sociale à l'action superstitieuse (3 chap.) ; Et c'est justement, dans cette partie que se trouve le chapitre I traitant de la famille, patrie, humanité. Cf, L'Action, p. 253- * 159 Ibid., p.245. * 160 Ibid., p.146. * 161 Cf. Jean LACROIX, Maurice Blondel. Sa vie, son oeuvre avec un exposé de sa philosophie, Paris, PUF, 1963. * 162 Maurice Blondel, L'Action, p. 274-275. * 163 Ibid. * 164 ibid, p.254. |
|