Section 5 :
Construction et test des outils de collectes des
données
§1 : Construction et test des outils de collecte
des données quantitatives
Nous avons conçu deux outils de collecte de
données : les outils quantitatifs et les outils qualitatifs. Ces
différents outils ont tous leurs avantages et leurs
inconvénients, mais combinés, ils forment un système
d'information très utile à l'élaboration d'un programme de
lutte contre la pauvreté. La combinaison de l'outil statistique
(questionnaire) et des outils participatifs (Focus Group, récits de vie,
observation participante) s'inscrit donc dans une double perspective cognitive
et opérationnelle. Elle permet incontestablement d'améliorer
notre connaissance de la pauvreté en nous renseignant sur les
perceptions des populations, mais elle constitue aussi un outil important qui
peut contribuer de façon significative à la formulation des
programmes de lutte contre la pauvreté basés sur les besoins, les
problèmes ressentis et les priorités réelles des
bénéficiaires. Ce qui conduit à une démarche
méthodologique permettant de mieux opérationnaliser les
programmes de lutte contre la pauvreté à travers une meilleure
définition des problèmes et des solutions, une meilleure
appréciation de la pertinence des actions et l'identification des
mécanismes de mise en oeuvre les plus efficaces.
A. Construction des outils
1. Le questionnaire
La Côte-d'Ivoire a mis en place un système
d'information sur la pauvreté. Ce système a constitué un
instrument d'appui essentiel pour identifier les cibles et les
stratégies, suivre sa mise en oeuvre et en évaluer l'impact. Les
vastes enquêtes nationales qui ont été
réalisées récemment et relative à la revue
documentaire, fournissent une masse de données quantitatives
extrêmement utiles pour apprécier le niveau et les conditions de
vie de la population. En particulier, l'établissement du profil de
pauvreté, la réalisation d'un schéma directeur de
l'information géoréférencée et
l'établissement d'une carte de la pauvreté vont
considérablement renforcer la connaissance de la pauvreté et
permettre de mieux cibler les programmes. Toutes ces données nous ont
permis d'élaborer un questionnaire pour collecter les données
quantitatives.
L'objectif de ce questionnaire sera d'identifier des
informations de base sur les caractéristiques de chaque personne, y
compris le lien avec le chef de ménage, l'âge, le sexe, le niveau
d'instruction. Ce questionnaire permettra également de collecter, au
niveau des ménages, des informations sur leurs capacités, leurs
accès aux ressources, leurs perceptions ainsi que leurs
représentations sur la pauvreté et leurs caractéristiques,
comme la provenance principale de l'eau de boisson, le type de toilettes, le
type de matériaux du sol et du toit du logement, la possession de
certains biens durables, le statut d'occupation du logement, mode et voie
d'acquisition du logement, le statut d'occupation de l'espace foncier, mode et
voie d'acquisition de l'espace foncier, type d'investissement sur l'espace
foncier, la situation d'emploi du chef de ménage, la principale source
de revenu du chef de ménage, les investissements productifs du
ménage, etc. Ce questionnaire sera administré au chef de
ménage ou toute personne âgée de plus de 15 ans susceptible
de fournir toutes les informations concernant le ménage.
Au niveau de la pauvreté monétaire, nous avons
utilisé un seuil de pauvreté. Le seuil de pauvreté est
défini à 1 dollar US par tête et par jour en parité
du pouvoir d'achat de 1985.
Au niveau de la pauvreté liée aux conditions
d'existence, le questionnaire a été construit autour de
différents indicateurs de conditions de vies auxquelles nous avons
associé des scores. Ces indicateurs sont fondés sur des
éléments objectifs et structurels en référence
à la conception de la pauvreté comme pénurie de
capacité ou de vulnérabilité. Pourtant, certains sont
dépendants des niveaux de revenus. Pour chaque composante, le score
maximum correspond à un niveau de privation élevé tandis
qu'un score nul signifie, au contraire, une absence de carence. Ces scores ont
été ensuite abrégés afin de former un indicateur
synthétique de condition d'existence. Les différents
éléments pris en compte sont : (i) des indicateurs de condition
matérielle d'existence des ménages à partir des
caractéristiques de leur logement, de leur mode d'accès à
diverses commodités (eau, électricité, toilette, type de
combustible,..) ; il s'agit d'éléments objectifs qui sont moins
soumis aux fluctuations conjoncturelles que les niveaux de dépenses ;
(ii) un indicateur du niveau de capital humain appréhendé par le
rapport entre le nombre d'année d'études effectivement accomplies
par l'ensemble des membres du ménage sur le nombre d'années
d'études possible maximum étant donnée l'âge de
chacun ; (iii) un indicateur de vulnérabilité qui comptabilise
le nombre de biens durables ( vélo, radio, télévision,...)
possédés par ménage ; cela, peut rendre compte à la
fois des possibilités de chacun de dégager un revenu (dans le cas
où les biens durables sont productifs ) et de la possibilité de
faire face à des difficulté financières temporaires par le
biais de la vente ces biens. Notons que cet indicateur est relativement
dépendant des niveaux de revenus.
Ainsi donc, un questionnaire léger a été
administré 59ménages représentatives de la population du
site de l'étude. Le questionnaire comporte cinq grandes composantes :
les perceptions de la pauvreté, les manifestations de la
pauvreté, priorités et solutions, le tissu associatif et
l'accessibilité aux services sociaux de base. Ces grandes composantes
couvrent les questions essentielles liées aux causes de la
pauvreté, à ses manifestations, à la perception de
l'évolution de la situation de la pauvreté, à la
perception des niveaux de vie, aux mécanismes de lutte contre la
pauvreté, à la priorité des interventions et, finalement,
à leur propre situation. De plus, une des sections du questionnaire
collecte de l'information sur le niveau de capital humain et physique du
ménage. Cette information a permis d'imputer un niveau de vie aux
ménages enquêtés et ainsi de faire la relation entre leurs
perceptions et l'état réel de leurs niveaux de vie.
§2 : Construction et test des outils de collecte des
données qualitatives
Jusqu'à maintenant, la principale source d'information
utilisée pour la formulation des politiques de lutte contre la
pauvreté demeure le profil de pauvreté. Le dernier profil
ivoirien, basé sur l'ENV de 2008, est, même s'il intègre
une partie plus quantitative, avant tout un portrait statistique de la
pauvreté ivoirienne. Basé sur des agrégats de
dépenses calculés à partir de cette enquête, ce
profil permet à la fois d'estimer le niveau de pauvreté et sa
distribution entre les différents groupes de la société.
Ces groupes peuvent être définis selon la région de
résidence, le type d'activité économique du ménage
ou le genre du chef de ménage. Cette mesure de bien-être au niveau
des ménages est aussi utilisée pour définir des quintiles
de dépenses qui serviront de variable de classification. Ainsi, un
profil de pauvreté permet d'analyser, par exemple, les taux de
fréquentation scolaire ou l'état de malnutrition de la population
selon le niveau de vie des différents ménages
enquêtés.
Ce type d'analyse est excellent pour définir et
décrire les différents groupes à être ciblés
dans le cadre d'un programme de lutte contre la pauvreté. Par contre,
cette approche possède deux déficiences majeures.
Premièrement, elle ne nous renseigne aucunement sur les perceptions et
opinions de la population quant à la définition de la
pauvreté. Un profil définit la pauvreté uniquement sur la
base de la consommation durant la dernière année. Par exemple,
cette définition de la pauvreté ne tient pas compte de la
capacité des ménages à surmonter différentes crises
(vulnérabilité) ou à accroître leur consommation
future. Bien qu'une définition tenant compte de la vision des individus
riches ou pauvres puisse être difficile à opérationnaliser,
elle aurait le mérite d'être plus près des
préoccupations des gens. Une deuxième lacune majeure des analyses
purement quantitatives est qu'elle ne donne aucune indication sur les
façons de lutter contre la pauvreté. Elles donnent les groupes
cibles à rejoindre, mais n'indique pas comment le faire. C'est
précisément pour combler en partie ces lacunes qu'il est apparu
nécessaire de mener une étude qualitative pour comprendre la
perception et l'opinion que les populations ont de la pauvreté, de ses
causes et manifestations, de ses processus, et comment elles la vivent.
Il est donc maintenant important de compléter les
informations statistiques objectives par des données plus qualitatives
permettant d'appréhender comment la population perçoit les
situations de pauvreté. En effet, la lutte contre la pauvreté ne
peut être conçue seulement à partir d'une évaluation
objective des revenus et des autres indicateurs quantifiables retenus pour
mesurer la pauvreté, elle doit aussi s'inspirer d'une
compréhension des causes de la pauvreté des ménages et de
sa dynamique dans le but de réduire la vulnérabilité des
ménages. Les choix de la lutte contre la pauvreté doivent aussi
tenir compte des différentes facettes du sentiment d'insatisfaction de
la population face à sa pauvreté ou à celle des autres,
même quand cette perception ne coïncide pas avec l'analyse
objective, afin de garantir une efficacité politique à la lutte
contre la pauvreté; efficacité sans laquelle la lutte ne serait
pas durable.
Dans cette approche qualitative, fondée sur la
perception des ménages, la plus grande rigueur méthodologique a
été observée afin d'assurer la fiabilité des
résultats. Cette approche qualitative a été
réalisée à travers des techniques socio-anthropologiques,
notamment les focus groups, l'observation et le suivi des ménages et les
récits de vie. Cette approche, plus sociologique que celle de
l'enquête statistique, permet d'étudier en profondeur les
thèmes abordés dans l'enquête statistique, mais sur un
très petit échantillon.
Nous avons adopté une démarche
méthodologique basée sur une approche socio-anthropologique
participative dont la caractéristique essentielle est de faire des
populations les acteurs de l'analyse de leur propre situation. Il s'agit d'une
forme de participation interactive, d'échange d'information et de
dynamique valorisante de l'expertise et du savoir local qui doit permettre aux
pauvres de donner leur perspective du phénomène de la
pauvreté. Pour bien cerner la problématique en question, la
conception et la conduite de l'enquête s'axeront en priorité sur
les éléments suivants :
Ø Les conceptions endogènes de la
pauvreté en essayant de répondre à trois questions
fondamentales :
o comment les populations définissent-elles la
pauvreté ?
o selon elles, quelles sont les principales causes et les
déterminants ?
o comment se manifeste la pauvreté et quelles sont ses
conséquences ?
Ø l'analyse des processus d'appauvrissement selon les
expériences vécues des communautés ;
Ø les attitudes, les rapports et perceptions
socioculturels de la pauvreté ;
Ø les stratégies réponses
développées par les populations pour faire face à la
pauvreté en termes de mobilité spatiale, d'innovation,
d'adaptation et d'adoption, de changement des comportements et des pratiques,
d'activités et d'organisation ;;
Ø les études de cas illustratrices de la
pauvreté et ses processus à travers le suivi et la documentation
de la situation de dix familles pauvres représentatives de la
distribution spatiale et socioéconomique de la pauvreté dans la
zone ;
Ø la valorisation du capital socio-institutionnel
communautaire. En d'autres termes, comment faire des pauvres les acteurs et non
les cibles de leur propre développement et prendre en compte le point de
vue des groupes défavorisés dans la conception et
l'exécution des programmes de lutte contre la pauvreté ;
Ø la mise à contribution du savoir local en tant
que concept inclusif des pratiques, techniques et représentations
sociales ;
Ø l'identification des pistes d'action et des
meilleures pratiques de développement communautaire et les
modalités de leur diffusion
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