INTRODUCTION GÉNÉRALE
Les incendies de forêts représentent des facteurs
de perturbation majeurs pour les différentes composantes des
écosystèmes terrestres y compris le sol. Les diverses
évolutions survenant sur les propriétés du sol
après le passage des incendies peuvent avoir des implications
importantes sur plusieurs processus critiques tels que les cycles hydrologiques
et biogéochimiques, et par conséquent la dynamique à long
terme des écosystèmes forestiers (DeBano et al., 1998 ;
Neary et al., 1999 ; Certini, 2005). L'on distingue deux
catégories de base pour les feux de forêts : les feux
contrôlés et les incendies proprement dits. Les feux
contrôlés constituent des pratiques courantes d'aménagement
effectuées souvent pour réduire les niveaux de combustibles afin
d'éviter le déclenchement des incendies de forêts. Quant
aux incendies, ils sont des feux non maitrisés en forêts qui sont
dus à l'origine soit naturelle soit anthropique, et qui se distinguent
généralement des feux contrôlés par leurs
températures très élevées de combustion (DeBano
et al., 1998).
Les feux de forêts résultent, à tout le
moins, à une redistribution majeure de nutriments parmi les
différentes composantes des écosystèmes et dans le cas de
certains éléments, des pertes et/ou transferts importants des
sites incendiés peuvent avoir lieu lors de (ou après) la
combustion (Grier, 1975; DeBano et al., 1979; Chandler et al.,
1983; entre autres). Leur rôle dans la dégradation des
écosystèmes forestiers est bien attesté et se
caractérise par la destruction de la végétation conduisant
de plus en plus aux pertes des sols et d'éléments nutritifs par
lessivage et érosion (Chandler et al., 1983). Les effets des
feux sur les propriétés (chimiques, physiques, biologiques) des
sols forestiers varient selon de nombreux facteurs tels que l'intensité
et la durée de l'incendie, le type de sol, l'humidité du sol au
moment de l'incendie, et la durée et l'intensité des
événements après le feu comme les
précipitations.
Une attention particulière a été
accordée aux pools de N ainsi que sa dynamique à l'égard
des feux car le N limite souvent la productivité primaire dans les
écosystèmes naturels. Grâce à sa basse
température de volatilisation (~200 °C), le N est perdu facilement
dans l'atmosphère même dans les cas des feux peu fréquents
et d'intensité faible à modérée. Cela peut avoir
des répercussions importantes sur les pools de N à long terme
dans les écosystèmes forestiers. Un phénomène
souvent remarqué, après un incendie, est l'augmentation de N
inorganique dans les sols (DeBano et al., 1979; Covington et Sacket
1992; Koyama et al., 2010; Caon et al., 2014). La
libération de NH4+
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ainsi que la création des conditions favorables dans le
sol, conduisant à l'accélération du processus de
nitrification, peuvent conduire à la libération et donc la
disponibilité des NO3- pour les plantes. Cependant, ce
phénomène peut avoir des implications négatives sur les
écosystèmes car le surplus de NO3- peut se perdre
facilement par lessivage ou érosion du sol qui est accentuée
suite aux incendies. Aussi, la minéralisation
accélérée n'a pas toujours lieu puisque les incendies qui
se déclenchent fréquemment sur les mêmes sites ont tendance
à éliminer des quantités importantes de MO, et donc la
source de N. Ainsi, le sol devient stérile, un scenario pouvant influer
grandement sur la productivité des écosystèmes
forestiers.
À côté de N, l'incendie a un impact sur
les stocks de C dans les écosystèmes forestiers. En effet, tout
feu modifie la quantité et la répartition des pools de C dans le
sol forestier (Wells et al., 1979). Ce sont des pools comprenant
environ 70 % de stock global de C dans le sol, soit encore 2 - 3 fois le
stockage de C par la biomasse forestière (IPCC, 2001). Ainsi,
l'étude de l'évolution de la réserve de C dans le sol
forestier, y compris les changements dus à des perturbations
liées aux feux, revêt une importance particulière pour
mieux comprendre le bilan de C dans les écosystèmes
forestiers.
Dans le bassin méditerranéen les incendies, qui
sont considérés comme étant les facteurs principaux de
perturbation des écosystèmes forestiers (Trabaud, 1984; Naveh,
1990, Meddour et al., 2009), sont généralement
liés aux facteurs du climat et de la végétation. En effet,
le climat méditerranéen, sauf aux dernières semaines
d'automne, en hiver et aux premières semaines de printemps, est
généralement chaud et sec, ce qui rend le sol et la
végétation secs (Naveh, 1990). Lorsque ceci est couplé
avec la végétation présentant des caractéristiques
d'adaptation à la sécheresse telles que la sclérophyllie
(chêne vert), la production des résines (pins), les conditions de
déclenchement des feux sont favorisées.
Au Maroc, et plus précisément dans la Province
de Chefchaouen, les constats ont été faits sur la forte
dégradation des écosystèmes par les activités
humaines (déforestation pour la cannabiculture, défrichement,
surpâturage etc.). À ces dernières s'ajoutent les feux de
forêts qui jouent un rôle aggravant de dégradation de ces
écosystèmes forestiers. Ceci accentue les processus
d'érosion du sol (un problème déjà troublant),
pouvant ainsi contribuer à la perte de sa fertilité dans cette
région. La revue de littérature a montré qu'il n'y a pas
eu assez d'études orientées dans ce sens d'où la
nécessité du présent travail.
Les effets des feux de forêts sur les diverses
propriétés du sol sont complexes et varient en fonction de
plusieurs facteurs y compris l'intensité, la durée et la
fréquence des
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feux, les caractéristiques du site, l'instant
d'échantillonnage du sol. Il est donc difficile de prédire
l'évolution de ces propriétés après le (les)
passage (s) des feux. Ainsi, pour ce travail, les hypothèses
formulées, et donc à vérifier, sont que les stocks de C
sous les sites brûlés seront inférieurs à ceux des
sites témoins (non incendiés) et les concentrations de N
inorganique sous les sites incendiés seront supérieures,
impliquant ainsi des taux plus élevé de minéralisation de
N, à celles des sites témoins.
L'objectif principal de ce travail de recherche est
d'améliorer la connaissance sur l'effet des perturbations sur le
fonctionnement des cycles biogéochimiques au niveau du sol en tant
qu'éléments importants contribuant au maintien de la
fertilité du sol forestier. L'étude vise à
déterminer les impacts potentiels des incendies sur les
propriétés physiques et chimiques des sols dans les
écosystèmes forestiers de la région Marocaine du Rif
occidental. Il s'agit d'évaluer les effets du feu sur le stockage du C
et sur la dynamique de N en tant qu'éléments nutritifs
nécessaires pour le bon fonctionnement des écosystèmes
forestiers. En effet, ce travail vise à fournir les informations des
effets des incendies sur le sol forestier, pour faire face à ce
problème en faisant appel aux politiques plus efficaces de gestion des
incendies dans les forêts marocaines. Pour ce fait, quelques objectifs
spécifiques ont été fixés à savoir :
y' Déterminer les propriétés
physicochimiques des échantillons du sol provenant des divers sites
échantillonnés ;
y' Classifier les sols des différents sites
échantillonnés ;
y' Déterminer les stocks de C contenus dans les
échantillons du sol provenant des divers sites
échantillonnés ;
y' Déterminer le Nmin (par incubation anaérobie
et aérobie), paramètre (cas d'incubation aérobie) qui
servira à la modélisation de minéralisation d'azote pour
les échantillons du sol provenant des divers sites
échantillonnés ;
y' Déterminer et comparer les paramètres de la
cinétique de minéralisation de l'azote : azote potentiellement
minéralisable (N0), constante de vitesse de minéralisation (k) et
temps de demi-vie (t1/2) pour les échantillons du sol provenant des
divers sites échantillonnés.
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PREMIERE PARTIE : REVUE BIBLIOGRAPHIQUE Chapitre
1. Carbone dans les écosystèmes forestiers
1.1. Cycle globale du carbone
Il y a cinq pools globaux de C dont le plus grand est le pool
océanique qui est estimé à 38000 GtC et qui augmente
à un taux de 2,3 GtC/an. Le pool géologique, comprenant les
combustibles fossiles, est estimé à 4130 GtC, dont 85 % est le
charbon, 5,5 % du pétrole et 3,3 % du gaz. Le troisième plus
grand est le pool pédologique qui est estimé à 2500 GtC
à 1 m de profondeur. Ce pool comporte deux volets distincts, le C
organique et le C inorganique dont les pools sont estimés respectivement
à 1550 GtC et à 950 GtC (Batjes, 1996). Le pool organique
comprend l'humus actif et le charbon qui est relativement inerte. Ainsi, il est
constitué d'un mélange de résidus de plantes et d'animaux
à divers stades de décomposition, des substances
synthétisées microbiologiques et/ou chimiques et des
microorganismes, des petits animaux et de leurs produits de
décomposition (Schnitzer, 1991). Le pool inorganique, quant à
lui, est constitué de C élémentaire et des minéraux
carbonatés (calcites, dolomites), et il est un constituant important du
sol des zones semi-arides et arides. Le quatrième plus grand pool est le
pool atmosphérique comprenant environ 800 GtC sous forme oxydée
gazeuse et qui augmente à un taux de 4,2 GtC/an alors que le plus petit
parmi les pools globaux est le pool biotique, qui est estimé à
620 GtC (560 GtC = biomasse vivante et 60 GtC = détritus). Les pools
pédologique et biotique constituent le pool de C terrestre qui est
estimé à environ 3120 GtC.
Les pools terrestres et atmosphériques interagissent
grâce aux processus de photosynthèse et de respiration où
le taux annuel de la photosynthèse est de 120 GtC et dont une grande
partie est restituée à l'atmosphère par les plantes et le
sol en respirant. La conversion des écosystèmes naturels et
d'autres pratiques telles que l'agriculture extractive basée sur un
faible apport externe ont tendance de dégrader le sol, ce qui aboutit
à la diminution des pools terrestres. Le pool pédologique perd
environ 1,1 GtC/an à l'atmosphère et environ 0,3 - 0,8 GtC/an
vers les océans comme conséquence de l'érosion et par le
transport induit par l'érosion vers les écosystèmes
aquatiques. Cependant, le puits terrestre augmente actuellement à un
taux net de 1,4 #177; 0,7 GtC/an. Ainsi, il absorbe environ 2 - 4 GtC/an, ce
qui peut augmenter jusqu'à 5 GtC/an en 2050 (Cramer et al.,
2001). Ceci peut être dû aux activités d'aménagement
des territoires et surtout les forêts
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en faisant appel aux politiques de reboisement, de gestion des
terres et aussi par la fertilisation à base de CO2, Ainsi, les
interactions importantes entre les pools de C atmosphérique,
pédologique et biotique comprennent des composantes importantes du cycle
global du C. La compréhension et la gestion de ces interactions
constituent la base de toute stratégie visant à séquestrer
le C dans les pools biotique et pédologique.
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