2.4. Tonnage journalier
La norme française (NF X35-109), relative à
l'ergonomie dans la manutention manuelle de charges, définit des valeurs
seuils de référence, applicables aux hommes et aux femmes
âgées de 18 à 65 ans sans distinction (Tableau 4). Les
détails des calculs effectués se situent en annexe 10.
Tableau 4 : Norme française (NF X35 -109),
présentant la valeur des seuils ergonomiques pour la manutention
manuelle de charges
Valeurs seuils ergonomiques pour la manutention manuelle de
charges
Activité Valeur maximale acceptable Valeur maximale sous
condition
15 kg de charge par opération
Soulever/Porter 7,5 tonnes/jour/personne
|
25 kg de charge par opération 12 tonnes/jour/personne
|
Pousser/Tirer 200 kg de poids déplacé 400 kg de
poids déplacé
Après calcul du tonnage journalier, à raison de
8 chevaux par jour (chevaux de selles) en moyenne pour un maréchal seul,
le tonnage est en dessous de la moyenne maximale acceptable : 4T 099Kg 640g.
Discussion
L'objet de l'intervention était de déterminer
les facteurs de risques de pénibilité auxquels sont
exposés les maréchaux ferrants. En respectant les principes
fondamentaux en Ergonomie, une analyse de l'activité pour comprendre la
situation de travail et en conséquence la modifier (Guérin et al,
2007) a été réalisée en utilisant diverses
méthodes de recueil de données (entretiens, questionnaires
...).
Les résultats présentés
préalablement permettent d'avoir des premiers éléments sur
les facteurs de pénibilité associés à ce
métier et surtout de collecter ces éléments, ainsi que le
vécu qui y est associé, à des moments différents de
la vie professionnelle (au début lorsque le maréchal ferrant est
encore en formation et après plusieurs années
d'expérience). L'étude de la pénibilité n'est pas
une fin en soi ici car notre étude en cherchant à
déterminer pourquoi la durée de vie professionnelle des
maréchaux ferrants est si courte est une première étape
vers l'identification des conditions de travail à améliorer.
L'analyse des questionnaires montre que les maréchaux
en formation ont connaissance et même expérimentés les
principaux risques liés à leur activité. Les EPI, bien que
jugés efficaces, ne sont pas utilisés systématiquement.
Concernant l'environnement de travail, les élèves ne se plaignent
pas des nuisances sonores pourtant les résultats de la cartographie du
bruit montrent que le niveau sonore avoisine les 97 dB. L'activité
à la forge au sein de la formation n'est pas ressentie comme
pénible pourtant des douleurs aux dos et aux poignets sont
évoquées de manière prédominante en fin de
journée. L'activité de ferrage révèle que c'est le
ferrage présenté comme le plus pénible, celui à
l'anglaise, qui est le plus utilisé. Ce type de ferrage entraine des
douleurs au niveau du dos, des genoux et des poignets mais permet un gain de
temps. De plus, les contraintes physiques ressenties sont en grande partie
liées aux postures pénibles, aux efforts importants, à la
répétitivité, et aux intempéries, et ensuite
à la température et aux gestes contraignants. Il est par
conséquent très étonnant que l'activité soit
qualifiée de peu pénible alors que les réponses laissent
penser le contraire. On peut supposer qu'ils ne savent pas ce qu'est vraiment
la pénibilité ou alors que malgré les différents
facteurs de risque et les sollicitations importantes de l'organisme qu'ils
évoquent très bien, cette activité ne soit pas
vécue comme pénible. La passion pour le métier et la
motivation sont probablement des facteurs explicatifs qui entrent en jeu. A
contrario, un questionnaire rempli par un formateur démontre
parfaitement que l'activité de maréchal
ferrant est pénible. En effet, la personne
questionnée ne se sent pas à l'aise dans son environnement de
travail et estime le degré de pénibilité au sein de la
forge à 7 (proche du très pénible) et lors du ferrage
à 5 (pénibilité neutre). Un autre questionnaire
révèle que le maréchal ne peut plus exercer à titre
personnel car il s'est fait opéré du dos à plusieurs
reprises. Ce constat conforte l'idée (exposée en introduction)
que la pénibilité s'évalue dans le temps, en fonction de
l'histoire et du parcours professionnel et qu'une vigilance accrue sur les
facteurs de pénibilité est nécessaire pour empêcher
les effets irréversibles.
Plus de la moitié des élèves souhaiterait
être informée sur les risques professionnels. Cette information
est intéressante en vue de proposer des modules de formation
supplémentaire qui nécessiteraient d'être bien
pensés en amont. En effet, certains élèves ont
déclaré que connaitre les risques auxquels ils seront
exposés à l'avenir les aurait probablement
démotivés. L'objectif n'est pas créer une fuite au niveau
de la formation mais bien de préserver au maximum la santé des
maréchaux-ferrants. La formation est une étape très
importante et d'après certains élèves des enseignements
pourraient être très instructifs comme des cours de psychologie
équine et une formation aux premiers secours. L'importance de
l'apprentissage se retrouve dans les entretiens réalisés
auprès des maréchaux ferrants itinérants. En effet, le
choix du maître d'apprentissage est très important car il
sensibilise l'apprenti, fait notamment de la prévention, renseigne sur
les bonnes pratiques ou habitudes à adopter. L'élève en
formation reproduira les faits et gestes de son employeur, une attention
particulière est donc à porter aux méthodes et contenus
d'apprentissage en vue de soulager ou même d'éviter bien des
maux.
Enfin, il est important de noter que, dés la formation,
près de 70 % des élèves pensent à une reconversion
future et estiment d'ailleurs à 23.15 ans la durée moyenne de
leur carrière professionnelle. Cette information devrait
incontestablement susciter des études plus approfondies sur la
santé des maréchaux ferrants, leurs conditions de travail et la
question de la pénibilité de leur activité.
L'ensemble de résultats collectés via
différents outils ou méthode montre que les maréchaux sont
fortement exposés aux facteurs organisationnels comprenant les horaires
atypiques et le rythme de travail tels que le travail répétitif,
les cadences imposées, longs déplacements fréquents, aux
facteurs d'environnements agressifs, matériels et humains
(température, intempéries, bruit, poussières, produits
toxiques) et aux efforts physiques lourds (manutentions, port de charges,
vibrations, contraintes posturales et articulaires). Ces facteurs,
déjà évoqués plus haut, sont
sources d'accidents que ce soit pour les maréchaux en formation ou ceux
en activité. Si initialement on pensait que les accidents étaient
plus fréquents chez les novices, ils s'avèrent encore très
présents même après 30 ans d'expérience. Si
l'expérience et des stratégies de compensation permettent
probablement de limiter accidents et risques pour la santé, ils ne sont
pas suffisants. Une politique d'amélioration des conditions de travail
semble particulièrement importante pour cette profession.
En termes de pénibilité psychologique, les
entretiens laissent apparaitre que l'activité des maréchaux
ferrants peut générer du stress qui a des conséquences
négatives sur la santé psychique de l'individu. Ce stress
provient de la situation (dangers et menaces provenant du comportement du
cheval, mauvaises conditions d'exercice) ou par la fatigue, des
problèmes de relations avec la clientèle, des emplois du temps
chargés. Tous ces facteurs réunis peuvent provoquer une usure
psychologique professionnelle pouvant accentuer le risque d'apparition de TMS
ou les troubles du sommeil. Les maréchaux itinérants apparaissent
plus exposés aux risques psychosociaux que les élèves
notamment parce qu'ils sont en lien direct avec la clientèle et doivent
gérer plus d'incertitudes ou de situations potentiellement de
désaccord, comme par exemple, les mauvais payeurs ou les remarques sur
les prix excessifs, les aléas de la météo, les horaires de
travail « normalement » plus denses...
Pour palier à tous ces risques et tenter de limiter
l'usure professionnelle, des mesures de prévention sont à mettre
en place dès l'entrée en formation. Une bonne hygiène de
vie, adopter une bonne posture pour soulever une charge, acquérir les
techniques d'éveil, d'échauffement et d'étirement
musculaires, utiliser les mesures de prévention existants comme la
servante et le trépied, utiliser les équipements de protections
individuels, majorer et adapter les apports hydriques, choisir des
vêtement adéquats selon les saisons...
D'autre part, un travail conséquent est à mener
en matière de «confort professionnel». Par exemple, concernant
la tâche du rivetage, nous avons vu précédemment qu'elle
représente 25% du temps passé à la ferrure. Des recherches
montrent que cette tâche peut être supprimée, son
utilité n'est pas prouvée et elle ne serait donc pas
indispensable au bon maintient du fer. Par contre, utiliser des clous plus
petits pour ne pas avoir à les couper puis à les riveter en fin
de ferrage pourrait être une solution intéressante. Cette solution
est pourtant controversée par le fait que les maréchaux
itinérants n'auraient plus l'utilité de prendre des apprentis,
cette tâche laborieuse et longue étant particulièrement
promise à ceux-ci. De plus, cette solution aurait un impact sur le prix
de la main d'oeuvre : au lieu de consacrer 20 minutes à un cheval, le
maréchal n'y consacrerait plus que 5 minutes. Le coup de la main
d'oeuvre chuterait et la
plus value sur le fer augmenterait. Cet exemple illustre
parfaitement que, même si des solutions existent, une prise en compte
globale des facteurs qui conditionnent l'activité des
maréchaux-ferrants est à étudier de manière
très approfondie.
Enfin, comme annoncé dans l'introduction de ce travail,
la problématique de la pénibilité au travail est complexe,
voire floue. Elle semble particulièrement intéressante à
approfondir chez les maréchaux-ferrants, une population qui semble
rapidement « s'user professionnellement » et qui est
particulièrement importante à préserver au vu de son
rôle central pour l'ensemble du monde équin. Réaliser des
analyses de l'activité à plus grande échelle et assurer un
suivi des conditions de travail des maréchaux-ferrants (bien que moins
facile que pour d'autres professions) permettraient de préciser les
données recueillies dans le cadre de ce travail mais également de
déterminer quelles améliorations au niveau organisationnel,
humain et technique sont à rendre prioritaires pour préserver
leur santé.
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