Année Universitaire 2011-2012
UNIVERSITE DE BRETAGNE OCCIDENTALE CARRIERES DU DROIT
PUBLIC
JUSTICE CONSTITUTIONNELLE EN FRANCE
ET DEMOCRATIE
Mémoire de Recherche sous la direction de Madame
Marthe LE MOIGNE Maître de Conférences (Droit
Public)
En vue de l'obtention du Master II Recherche «
Carrières du droit public »
Présenté par :
Kléberson JEAN BAPTISTE
REMERCIEMENTS
Mes remerciements s'adressent à Madame Marthe LE
MOIGNE pour ses précieux conseils et sa grande
disponibilité Et à tous ceux qui m'ont aidé jusqu'ici
dans ma formation spécialement à mon
père Clébert JEAN BAPTISTE
Liste des principales abréviations
ACCPUF Association des Cours Constitutionnelles des Pays ayant
en
Partage le Français
AJDA Actualité Juridique du Droit Administratif
ALD Actualité Législative Dalloz
BJCP Bulletin Juridique des Contrats Publics
CAA Cour Administrative d'Appel
CE Conseil d'Etat
CJA Code de Justice Administrative
DA Droit Administratif
EDCE Etudes et Documents du Conseil d'Etat
Gaz.Pal. La Gazette du Palais
IVG Interruption Volontaire de Grossesse
JCPA Juris-Classeur Périodique-Administrations et
collectivités
territoriales
JORF Journal Officiel de la République
française
LOUE Journal Officiel de l'Union Européenne
LPA Les Petites Affiches
Rec Recueil du Conseil d'Etat
RFDA Revue Française de Droit Administratif
RIDC Revue Internationale de Droit Comparé
RRJ Revue de la Recherche Juridique, droit prospectif
RTDciv Revue Trimestrielle de Droit civil
RTDE Revue Trimestrielle de Droit Européen
TA Tribunal Administratif
Tables des matières
Introduction 1
Chapitre I. L'apparente antinomie entre la justice
constitutionnelle et la démocratie .. 13
Section I. les principes fondateurs de la démocratie
parlementaire 14
§ 1. La sacralisation ou le culte de la loi 14
§ 2. La légitimité électorale
21 Section II. La remise en cause des fondements de la démocratie
parlementaire par la justice
constitutionnelle 27
§ 1. Le contrôle de la loi par des non-élus
27
§ 2. L'affaiblissement du Parlement 35 Chapitre
II. La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice
constitutionnelle 41
Section I. Le Conseil constitutionnel et la lutte en faveur des
droits et libertés fondamentaux 42
§ 1. Le Conseil constitutionnel : outil de protection des
gouvernés face aux gouvernants 42
§ 2. Le Conseil constitutionnel : instrument de
consolidation et d'avancement de l'état de droit 49 Section II. Le
changement de « paradigme » démocratique sous l'effet du
Conseil constitutionnel 58
§ 1. La crise de la démocratie parlementaire
à l'échelle européenne 58
§ 2. De la démocratie parlementaire à la
démocratie constitutionnelle 64
Conclusion 73
Bibliographie 75
Kléberson JEAN BAPTISTE 1
Introduction
Introduction
« Dans notre plan, les citoyens font plus ou moins
immédiatement le choix de leur députés à
l'assemblée législative, la législation cesse d'être
démocratique et devient représentative »1
écrivit Sieyès, figure de proue de la révolution
française. Son confrère Brissot poursuivit dans la même
lignée en écrivant :
« Les républicains de France ne veulent point de la
démocratie pure d'Athènes »2
Ces passages dénotent deux faits historiques de grande
valeur. D'abord, à cette époque de l'histoire, le concept
démocratie était confondu par la classe politique
française particulièrement avec celui de démocratie
directe. Le 2ème aspect et non le moindre est cette forme
d'antipathie des révolutionnaires pour l'expérience
athénienne de vie démocratique. En effet, fidèle à
Voltaire qui considérait « le peuple comme la canaille
»3, l'élite politique française qui se parait des
habits de démocrates répugnaient toute forme de gouvernement ou
le peuple prendrait directement ou effectivement les décisions
concernant « la res publica ».Les raisons justificatives
avancées par les acteurs politiques et les penseurs pour dénigrer
« la pure démocratie »sont multidimensionnelles et de divers
ordres. Cependant, toutes sont conformes à l'idée voltairienne
exprimée ci-dessus4.En premier lieu, ils
estimaient le peuple pas assez vertueux pour proposer, débattre, adopter
des lois en un mot pour assurer sans intermédiaires la gouvernance
nationale comme cela était pratiqué dans « l'agora
athénienne ». Le peuple est facilement manipulable et se laisse
entraîner par ses passions, avançaient certains, pour
prévenir la faiblesse « du gouvernement du peuple, par le peuple et
pour le peuple »5. D'où
l'émergence des idées « d'aristocratie naturelle » ou
d'aristocratie « représentative » présentes chez les
penseurs politiques américains et français6. Selon,
les membres de l'élite politique des deux côtés de
l'Atlantique, « eux seuls détiendraient la compétence et le
savoir pour penser, identifier, défendre et promouvoir le bien commun
alors que les gens (du petit) peuple ne sont motivés que par leur
intérêt immédiat et personnel »7. Ils
dénoncent la démocratie directe avec la même vigueur qu'ils
répudient les régimes monarchiques et oligarchiques. A l'argument
d'incapacité politique du peuple, ces derniers ajoutaient le manque
d'autonomie d'esprit de la classe populaire lié à ces
conditions
1Voir Yves DURAND, « les républiques
au temps des monarchies », PUF, 1973
2Cité in J. MADIOSON et A. HAMILTON §
J.JAY «The federalist Papers», Penguin books,
1990,p.78-79
3Voir la lettre de Voltaire à Damilaville du 19
novembre 1765
4Ibid.
5Définition attribuée au concept
démocratie par l'ancien président Abraham LINCLON
6DUPUIS-DERI F « l'esprit
antidémocratique des fondateurs de la « démocratie
»moderne »,Agone, n°22, septembre 1999,
p.99
7Ibid., p.10
Kléberson JEAN BAPTISTE 2
Introduction
matérielles d'existence. En effet l'idée
était véhiculée que seuls les gens jouissant d'une
autonomie financière peuvent avoir une pensée rationnelle et un
libre arbitre donc étaient à la hauteur de participer au
processus décisionnel relatif aux affaires étatiques. John Adams
écrivit péremptoirement :
« Telle est la fragilité du coeur humain que
seulement quelques hommes qui n'ont pas de propriété
possèdent un jugement qui leur soit propre ».
Rejetant d'un revers de main la démocratie sous sa
forme directe, les révolutionnaires n'ont jamais dénié, en
revanche, que tout pouvoir vient du peuple. La nation est unanimement
acceptée comme détenteur authentique de la souveraineté
sans qu'on accepte qu'elle exerce elle-même les attributions qui en
découlent. Rappelons que la souveraineté implique une
autorité qui est au-dessus de tous les pouvoirs, qui les contrôle
tous sans pouvoir lui-même être contrôlée car elle est
la source de tout pouvoir. Personne, hormis les monarchistes et les oligarques,
n'a contesté cette souveraineté populaire. Le problème,
comme on vient de l'expliciter plus haut, est qu'on estime que le
détenteur de cette omnipotence, en l'occurrence le peuple, ne saurait
l'exercer sans conduire à des méfaits inimaginables. L'inculture
de la masse populaire, sa pauvreté d'esprit, entre autres l'auraient
empêché d'être à la hauteur de cette mission de
gouvernance. Les hommes politiques doivent essayer de trouver un palliatif
à ce dilemme« pour que la cité ne soit pas ingouvernable ou
mal gouvernée ». Cette réflexion a été
déjà entamée par les philosophes anglais John Locke
(1632-1704) et Thomas Hobbes (1588-1679). Ces deux auteurs,
réfléchissant sur l'origine de l'état, ont
élaboré la théorie du contrat social qui dénie tout
fondement théocratique au pouvoir politique. En effet selon ces derniers
l'état est né à la suite d'un contrat conclu entre les
individus acceptant de limiter leurs droits individuels et leur pouvoir
originaire pour les « transférer à une instance neutre et
unique chargée de les gouverner ». Nous voyons déjà
poindre l'idée du système représentatif qui
connaîtra sa confirmation ou ses lettres de noblesse au
18ème siècle français dénommé
« Siècle des Lumières ». Les écrivains de ce
siècle dont les idées seront traduites dans la révolution
française et sa congénère, en l'occurrence la
révolution américaine, ont quasiment tous abondé dans le
sens de la démocratie représentative qui sera effectivement
adoptée par préférence à la démocratie
directe considérée par les pères de ces deux glorieuses
révolutions comme le « règne de la populace
»susceptible d'entraîner l'anarchie ou le chaos. James Madison, un
des pères de la constitution américaine, à l'image de ses
homologues français s'exprime ainsi à propos de la vie
démocratique de la Grèce antique
« Si chaque citoyen d'Athènes avait
été un Socrate, chaque assemblée athénienne aurait
été malgré tout une cohue »
En France, dans cette même lignée, on lisait sous
la plume du girondin Brissot, l'un des meneurs de la lutte
révolutionnaire de 1789 :
Kléberson JEAN BAPTISTE 3
Introduction
« La plupart des désordres » qu'ont connus
les cités démocratiques antiques peuvent être
attribués à leur manière de délibérer. Le
peuple délibérait sur place » 8
Les révolutionnaires de 1789 ont joué sur deux
tableaux simultanément : celui de discréditer et de combattre la
légitimité du pouvoir monarchique et aristocratique, au sens
premier du terme, et celui de dénoncer vertement l'incapacité et
l'inintelligence politique du peuple à se gouverner lui-même afin
de tenir à l'écart toute éventuelle velléité
de démocratie directe. La conséquence logique de cette
stratégie discursive est que le titulaire du pouvoir, inapte à
l'exercer, doit choisir d'une manière ou d'une autre des
délégués ou des représentants pour le faire
à sa place. Les penseurs politiques du 18ème
siècle, avec la même intelligence, se sont servis de leur aura et
de leur plume pour légitimer et remplir d'éloges ces derniers.
Les propos les plus appropriés à cet état de fait sont
attribués à un pasteur américain nommé James
Belknap dans le livre de Bertlin de Laniel9. Le
ministre des cultes eut à dire :
« Tenons comme principe que le gouvernement tire son
origine du peuple, mais qu'on enseigne au peuple qu'il n'est pas apte à
se gouverner lui-même »
Il va sans dire que ce travail de promotion du système
représentatif a été aussi lucidement et merveilleusement
orchestré dans l'hexagone. Montesquieu prétendait dans son
maitre-ouvrage (L'Esprit des lois) que « le grand avantage des
représentants, c'est qu'ils sont capables de discuter des affaires. Le
peuple n'y est point du tout propre : ce qui forma un des grands
inconvénients de la démocratie », confondant à
l'image des hommes de sa génération le système
démocratique à la forme de démocratie directe.
L'imaginaire collectif ou la société tout entière
finissaient par s'imprégner de cette façon de concevoir la bonne
gouvernance défendue par ses élites. En dépit de cette
dite imprégnation sociale, la démocratie « sous sa forme
pure » ou sans intermédiaires a eu ses défenseurs. Jean
Jacques Rousseau, contrairement à une idée reçue,
n'était pas l'un des chantres de la démocratie
représentative malgré le fait qu'il acquiesça à
l'idée identifiant la loi à la volonté
générale. En plus de contester l'argument démographique
avancé par les promoteurs du régime représentatif,
l'auteur « Du contrat Social », réfuta catégoriquement
la délégation du pouvoir souverain par le peuple à ses
représentants. Lui comme certains d'autres marginaux, en termes de
proportion, voyaient comme un mythe la souveraineté nationale et son
principal corollaire, l'identification absolue du peuple à ceux qui
siègent dans les assemblées parlementaires. Il écrivit
dans le contrat social10 que « la souveraineté ne peut
être représentée, par la même raison qu'elle ne peut
être aliénée ». En d'autres termes, le concept
souveraineté populaire n'est qu'un leurre si le peuple est privé
de son pouvoir au détriment du mandataire, fût-ce il
auréolé de l'onction électorale. Le parallélisme de
la révolution française avec celle de la
8Cité par L. Cornu, « l'idée
moderne de la république : émergence du mot,
élaboré de l'idée en 1791 », La Révolution
française et la philosophie : échanges et conflits, CRDP, 1990,
p.7879
9 B.LANIEL « Le mot « democracy » aux Etats-Unis
de 1780à 1856 », Publications de l'Université de
Saint-Etienne, 1995LANIEL, « le mot «
10 ROUSSEAU, « Du contrat social », Livre III, chap.
XII
Kléberson JEAN BAPTISTE 4
Introduction
république étoilée est bien probant en ce
sens. En effet face à l'effort sans ménagement fourni par les
tenants de la démocratie représentative ou plus
précisément de la démocratie parlementaire aux USA, des
auteurs et acteurs politiques ont manifesté une certaine
résistance. L'un des précurseurs de la révolution
américaine, John Cotton, démocrate convaincu, pasteur, signifia
son désaccord à la position et l'opinion dominantes en
déclarant que « le gouvernement n'est pas démocratique s'il
est administré non par le peuple mais par des gouverneurs ». En
novembre 1776, les radicaux de Caroline du Nord donnèrent l'instruction
à leurs délégués élus pour rédiger la
constitution que celle-ci devait être « une simple démocratie
» et qu'ils devaient « s'opposer à tout ce qui tendrait vers
l'aristocratie ou le pouvoir entre les mains des riches et des personnes en
situation d'autorité habitués à opprimer les pauvres
».11 Sans surprise aucune, le discours de la
souveraineté populaire mué en « souveraineté
parlementaire » l'emporta conformément aux vues des acteurs
politiques comme Sieyès et Brissot des auteurs comme Montesquieu au
grand dam des penseurs politiques comme Jean Jacques Rousseau. L'agora, place
publique servant de lieu ou les citoyens athéniens se
réunissaient pour prendre les décisions relatives à la
cité, n'est pas choisi comme le siège du pouvoir par les
pères de la révolution française. Commence dès lors
le règne presque sans partage, hormis pendant les tentatives de
rétablissement de la monarchie, de la démocratie parlementaire
dont le fondement est une osmose entre la nation et ses représentants
élus. Ce régime a prévalu pendant les différentes
républiques sauf celle qui est en cours, en l'occurrence la
5ème république. Le parlement s'est trouvé
investi d'une puissance illimitée se fondant sur le fait qu'il
équivaut au titulaire de la souveraineté ou encore qu'il est
devenu lui-même, grâce à la légitimité
électorale dépositaire de celle-ci. Ce pouvoir sans borne du
corps législatif est ainsi exprimé par Carré de Malberg
dans son livre intitulé, la loi l'expression de la volonté
générale :
« Le parlement est capable d'étendre son pouvoir
législatif à tout objet quelconque sur lequel il entend
s'attribuer et se réserver la faculté de statuer à
l'exclusion de toute autorité »12
Contrairement à la thèse rousseauiste
d'inaliénabilité et d'indivisibilité de la
souveraineté, le peuple français a dû admettre la «
réflexion » de la sienne sur la personne de ses
délégués.
Le système politico-administratif, érigé
suite à la révolution française par la constitution
de1791, en outre d'assimiler les délibérations des
députés à la volonté populaire, laissait entrevoir
avec clarté le parti pris pour une organisation verticale des pouvoirs.
Les constituants postrévolutionnaires affichaient avec condescendance la
prévalence du pouvoir législatif sur toutes les autres
sphères de pouvoir y compris l'exécutif. La voix de la
Législature prédominait ou devrait l'être aux dépens
de toutes les autres structures institutionnelles. L'article 2 de la charte
fondamentale, nous rappelle le maitre de Strasbourg prescrivait :
11 DUPUIS-DERI, op.cit.,
12 CARRE DE MALBERG R, « La Loi, expression de la
volonté générale », 1ère édition,
Paris, Economica, 1984, p. 14
Kléberson JEAN BAPTISTE 5
Introduction
« La Constitution française est
représentative : Les représentants sont le Corps
législatif et le roi »13
Le fait que la disposition constitutionnelle cite d'abord le
Corps législatif, (organe proclamé comme représentant de
la totalité des citoyens) n'est pas anodin et encore moins fortuit. Ceci
peut être confirmé par le fait que les prérogatives du chef
de l'exécutif, dans leur mise en application, ne se sont
révélées que des fonctions purement symboliques. Les deux
principales attributions royales étaient le veto suspensif à
l'encontre des lois adoptées par le souverain et la mise en oeuvre de la
coopération internationale. S'agissant du droit de veto, son effet
n'était que de renvoyer la loi litigieuse « aux législatures
subséquentes »14 en vue que celles-ci
prononcèrent le verdict final auquel le roi devait s'accommoder car il
était irrévocable. Comme à l'accoutumée ou encore
vieille survivance en ce qui a trait à la conduite de la politique
étrangère, les conventions et autres actes internationaux conclus
par le roi devaient être ratifiés par le parlement pour
intégrer l'ordre juridique. Le début de l'article 3 de la
Constitution relatif au pouvoir judicaire prohibe toute intrusion de celle-ci
dans les prérogatives du seul « vrai bénéficiaire du
système représentatif », en l'occurrence le corps des
députés, en annonçant de manière grandiloquente.
« Les tribunaux ne peuvent ni s'immiscer dans l'exercice
du Pouvoir législatif, ou suspendre l'exécution des lois sous
peine de forfaiture ».
Les juges, quels qu'ils soient, n'avaient d'autre fonction que
de mettre en application les lois adoptées par le pouvoir
législatif sans même prétendre à aucune forme de
contrôle sur l'oeuvre du détenteur fictif mais puissant de la
souveraineté populaire. Quant à l'appareil administratif, quoique
élu, la constitution le campait au rôle de subalterne du roi tout
en prenant le soin de l'interdire aussi de « s'immiscer dans l'exercice du
pouvoir législatif »15
En effet, en faisant l'exégèse de la
constitution de 1791 et de la déclaration des droits de l'homme et des
citoyens qui l'a précédée de 2 ans, l'on peut conclure que
l'exclusivité de la représentation nationale était
réservée à l'assemblée nationale. Si l'on ne peut
contester la légitimité des députés
postrévolutionnaires dont certains faisaient d'ailleurs partie de
l'Assemblée nationale de 1789 et de l'Assemblée constituante de
1791, en revanche il est loisible de se questionner sur les justifications du
« caractère exclusif de leur représentativité ».
Les titulaires de fonctions diverses autres que le législateur «
n'atteignaient pas la vertu représentative », ils étaient
considérés comme de simples agents ou fonctionnaires donc
dénués du pouvoir de « parler et de vouloir pour la nation
». Nous répétons, après Carré De Malberg, qui
eut à préciser, à juste titre que :
« Le système représentatif que la
révolution a érigé en partant du principe de la
souveraineté nationale, s'analyse, en définitive, en un
système de souveraineté parlementaire ».
13 Ibid. p.18
14 CARRE DE MALBERG, op.cit., p.19
15 Ibid.
Kléberson JEAN BAPTISTE 6
Introduction
Allant au bout de notre réflexion, nous pouvons
confirmer qu'en plus d'être « supérieur aux autres pouvoirs
», l'Assemblée des parlementaires jouissait même d'une forme
d'autonomie par rapport au peuple ou vis-à-vis du corps des citoyens
qui, après tout, constitue le souverain originaire. En effet, par haine
de toute forme de mécanismes de démocratie directe ou même
semi-directe, il était prévu l'indépendance des
députés par rapport à leurs mandants, une fois les joutes
électorales terminées. Sieyès affirmait que le seul devoir
du représentant « c'est d'être libre ». En ce sens, les
publicistes français confirmaient une fois de plus la clairvoyance de
Jean Jacques Rousseau qui écrivit au grand dam des admirateurs de
l'Angleterre considéré comme le berceau du parlementarisme.
« Le peuple anglais pense être
libre, il se trompe fort ; il ne l'est que durant l'élection des membres
du parlement, sitôt qu'ils sont élus, il est esclave, il n'est
rien »16
Comme rappelé ci-dessus, cette idéologie,
faisant la part belle aux mandataires du peuple, domine l'histoire
constitutionnelle française pendant très longtemps si on excepte
les régimes non-républicains. Les régimes
républicains ont toujours mis en exergue la toute-puissance du parlement
face aux autres pouvoirs plus ou moins relégués au second plan.
Il s'agissait de la perpétuation de ce que Roger Priouret appelle «
la république des députés ». Carré de Malberg,
dans son livre précité unanimement reconnu par les publicistes
française, note cette dite perpétuation mise en oeuvre par
l'organisation politique issue de la logique révolutionnaire. Expliquant
le système politique de la longue troisième république
française sous l'égide de la loi fondamentale de 1875, le maitre
de Strasbourg écrivit :
« La constitution de 1875 a obéi, sur ce point,
à la tradition venue de la Révolution : elle a traité le
pouvoir législatif des Chambres comme un pouvoir identique à la
souveraineté »
La 3ème république, à l'instar
de la 1ère et de la 4ème n'a pas
dérogé à l'omnipotence du parlement découlant du
seul fait que ses membres exclusivement portent en eux l'intérêt
général car ses décisions sont assimilées aux
désirs de la nation française. Le parlementarisme absolu ainsi
mis en oeuvre exclut toute forme de restriction à la puissance
législative indépendamment de l'origine et de la forme de
celle-ci. Ce fait explique, entre autres, l'insuccès du projet de
l'abbé Sieyès d'instaurer une « jurie constitutionnaire
», conçue comme une assemblée collégiale regroupant
surtout des personnalités politiques. La supériorité
hiérarchique parlementaire a toujours manifesté sa
révulsion pour des limitations de ce genre à travers l'histoire
constitutionnelle française. La doctrine constitutionnaliste
française n'a pas passé sous silence le poids « des
remontrances des parlements de l'ancien régime » contre les
ordonnances royales comme justification de l'échec de tous les projets
ayant pour visée d'astreindre à un quelconque contrôle
l'activité du parlement « souverain ». Cependant là
n'est pas la raison principale du refus renouvelé des acteurs et
penseurs politiques face à l'encadrement juridictionnel ou
institutionnel de l'oeuvre de l'assemblée souveraine. Les causes de cet
entêtement dans le refus doivent être cherchées dans les
16 ROUSSEAU op.cit., livre III, chap.15
Kléberson JEAN BAPTISTE 7
Introduction
finalités d'un tel projet. Sieyès exposait
clairement les fonctions qu'il entend attribuer à cette dite «
jurie constitutionnaire » dans un discours de circonstance. Il y
déclara :
« C'est un véritable corps de représentants
que je demande, avec mission spéciale de juger les réclamations
contre toute atteinte qui serait portée à la constitution
»
En effet, il était inconcevable, vu les implications de
la théorie représentative, d'exercer la moindre surveillance sur
les délibérations législatives. Le propre du souverain
c'est de n'avoir aucune volonté au-dessus de la sienne. Ses
décisions sont irrévocables en soi indépendamment de leur
contenu ou de la forme par laquelle elles sont exprimées. Compte tenu de
cet ordre d'idées, il était manifeste que le projet de
Sieyès était « a priori » condamné au rejet
qu'il a essuyé auprès de l'assemblée législative.
Les arguments des parlementaires face à cette proposition
reflètent évidemment l'idée de ne céder la moindre
portion de terrain à toute instance de quelque nature qu'elle soit dans
leur hégémonie. L'obstination de l'élite politique issue
de la lutte révolutionnaire à maintenir ou renforcer la mainmise
du pouvoir législatif ne laissait aucune chance à l'ambitieux
projet de l'abbé. Les parlementaires de l'époque ont
exprimé plus précisément que seul le souverain a le
pouvoir de s'autolimiter. Antoine Claire Thibaudeau, l'un des
députés les plus influents de l'époque, l'adversaire la
plus farouche du contrôle de constitutionnalité, prononça
à la tribune de l'assemblée nationale que « les gardiens les
plus sûrs et les plus naturels de toute constitution sont les corps
dépositaires des pouvoirs, ensuite tous les citoyens ». En d'autres
termes, le projet de l'abbé a été jugé nul et non
avenu par ses pairs à cause de son manque d'irrévérence
à l'égard du pouvoir législatif. L'assemblée
nationale, incarnation de la souveraineté populaire, ne saurait souffrir
de limitations dans l'exercice de ses prérogatives d'où qu'elles
viennent. Cette « exception de non-recevoir » de l'instauration d'un
« juge de l'activité » législative autre que le
législateur lui-même a été respectée par les
acteurs politiques pendant les deux empires. La lourde tâche de veiller
au respect de la constitution de l'an 8 et celle de 1852 a été
conférée au sénat. Il en est résulté nul
progrès en ce sens car les « pères conscrits » ne se
sont jamais émancipés du pouvoir exécutif
représenté en la personne de l'empereur. Quant au pouvoir
judiciaire, il lui était toujours défendu par les lois des 16 et
24 aout 1790 de faire écran au déploiement et à la mise en
oeuvre du pouvoir législatif ou, pour reprendre les termes
consacrés, de s'immiscer dans le travail du législateur sous
peine de « forfaiture ».
Aucune institution, aucun pouvoir et encore moins le pouvoir
judiciaire n'ont réussi à tenir tête réellement
à l'idéologie prépondérant faisant de
l'assemblée législative l'autorité suprême et
incontestable jusqu'à l'avènement de la 5ème
république. Le comité constitutionnel de 1946, malgré son
apport symbolique en ce sens, n'a joué qu'un rôle de figurant.
Composé à l'origine par des membres déterminés par
les assemblées parlementaires, son attribution ne consistait, selon les
termes de la constitution du 26 octobre 1946, qu'à examiner « si
les lois votées par l'assemblée nationale supposent une
révision constitutionnelle ». Dépourvu de tout pouvoir
effectif de faire ombrage à la souveraineté parlementaire, ce dit
comité ne pouvait que signaler, à l'intention des
assemblées parlementaires, l'opportunité d'une éventuelle
révision constitutionnelle précédant l'adoption d'une loi.
En outre, il n'a eu à intervenir qu'une unique
Kléberson JEAN BAPTISTE 8
Introduction
fois pour « canaliser la résolution d'un
contentieux procédural » entre les deux assemblées
législatives. Son rôle pratique dans l'histoire politique
française s'est réduit à discipliner le
bicaméralisme adopté par le constituant de 1946 pendant une
occasion.
Les juristes soulignent avec insistance l'échec du jury
constitutionnaire, l'inefficacité du comité constitutionnel de
1946 et des sénats impériaux traîtant de l'histoire ou de
la « préhistoire » de la justice constitutionnelle
française. Le dénominateur commun de ces tentatives
manquées ou avortées dans l'oeuf, en plus d'être d'ordre
matériel, est de caractère organique. Le projet
de Sieyès fut de nature politico-juridictionnel en ce sens que son
concepteur n'avait jamais prévu un organe relevant strictement du
pouvoir judiciaire pour imposer au pouvoir législatif le respect de la
norme constitutionnelle. Il était prévu que le jury
constitutionnaire serait composé de 108 membres, tous des
personnalités politiques et non des jurisconsultes.17 Quant
au comité constitutionnel de 1946, presque inexistant, il était
composé des personnalités relevant de l'assemblée
législative et désignées par cette institution. Les
sénats impériaux qui se sont convertis en serviteur docile de
l'empereur n'ont évidemment pas dérogé à cette
pratique qui tend à ce que l'assemblée législative
s'autolimite elle-même. Il va sans dire que cet état de fait fut
conforme à la culture léguée par la lutte
révolutionnaire de 1789. En revanche, la place marginale faite par les
historiens constitutionnels au projet de Tribunal soutenu par certains
constituants de 1791 dont le député Guy Kersaint définit
comme « une instance extérieure à la représentation
nationale, appelée Tribunal des censeurs, qui devait être dans
l'ordre politique des autorités constituées ce que le tribunal de
cassation est dans l'ordre civil judiciaire afin de se prononcer entre autres,
sur la procédure législative » ne permet pas de cerner
totalement le sujet.18 La non-allusion à des
procédés purement judiciaires pour contrôler le parlement
témoigne d'un conflit latent ou d'un antagonisme entre une
éventuelle juridiction constitutionnelle et « l'ordre
démocratique » voulu, installé et perpétué par
les hommes de 1789 et leurs successeurs. Face à la souveraineté
parlementaire, aucun corps extérieur, encore moins le corps judicaire,
n'est légitime de se dresser. Jean Joseph Mounier, avocat de formation,
député de la nation écrivit dans « ses Nouvelles
observations sur les états généraux de France » :
« Le pouvoir judiciaire (...) est le plus dangereux de
tous les genres de pouvoirs ; c'est celui qu'il importe le plus d'assujettir
à la loi »
De là nait la thèse d'incompatibilité du
contrôle judiciaire de constitutionnalité avec la
démocratie entretenue jusqu'au 20ème siècle par
la classe politique française. Confier le contrôle du
législateur à des juges judicaire ou administratif a
été vu pendant longtemps comme une grave anomalie remettant en
question la souveraineté du peuple et la logique représentative
héritée de la période révolutionnaire. Ce qui
relève d'une banalité outre-
17 F. SAINT -BONNET, « La double genèse de la justice
constitutionnelle en France », R.D.P., 2001, n°3, p.753
18 Voir M. FIORAVANTI, « Sieyès et le jury
constitutionnaire : perspectives historico-juridiques », Annales
Historiques, n°349, 2007
Kléberson JEAN BAPTISTE 9
Introduction
Atlantique depuis l'arrêt Marbury vs Madison de 1803
rédigé par le Chief Justice, Marshall, a été vu
jusqu'en 1958 comme un sacrilège démocratique dans l'hexagone.
Alexis de Tocqueville n'a pas manqué de souligner ce fait dans son
ouvrage publié en deux tomes « De la démocratie en
Amérique. ». Surpris « par l'importance » du pouvoir
judicaire américain par rapport à celui des autres pays y compris
la France, l'auteur s'est donné pour tâche de trouver la cause qui
explique ce décalage. N'ayant relevé aucune particularité
dans le fonctionnement des tribunaux ou, pour le paraphraser, « dans les
caractères auxquels on a coutume de reconnaitre à tout pouvoir
judiciaire », il conclut en ce sens :
« La cause en est dans ce seul fait : les
Américains ont reconnu aux juges le droit de fonder leurs arrêts
sur la constitution plutôt que sur les lois. En d'autres termes, ils leur
ont permis de ne point appliquer les lois qui leur paraîtraient
inconstitutionnelles »
On ne saurait mieux infirmer la thèse régnante
en France depuis 1789 voyant un déni de démocratie dans toute
forme juridictionnelle de sauvegarde de la norme fondamentale contre les
éventuels excès des différentes assemblées
législatives. Ceci démontre que la trajectoire finale
empruntée par la révolution française diffère de
celle de sa consoeur américaine en ce sens. Ce qui est de
génération en génération combattu comme une entrave
à la démocratie ici a été glorifié comme un
outil de stabilité démocratique Outre-Atlantique.
Comme on a pu le voir, quasiment toutes les structures
imaginées par la France pour contrôler le pouvoir
législatif n'étaient jamais extérieur à celui-ci
conformément aux postulats de départ identifiant le peuple
souverain et la chambre des représentants. Par conséquent, il est
faux d'affirmer, qu'avant 1958 aucun essai d'encadrer le travail
législatif n'a été entrepris. En revanche, la
vérité historique est que ces soi-disant organes de
contrôle étaient composés des membres du parlement (les 2
sénats impériaux) ou relevaient presqu'exclusivement de celui-ci
à l'image du comité constitutionnel de 1946. En effet, ce dit
comité, organe précurseur du « révolutionnaire
Conseil constitutionnel », confirme cette illusion19
d'autocontrôle qu'on essayait de mettre en oeuvre. De ces treize (13)
membres, sept (7) ont été élus annuellement à la
représentation proportionnelle des groupes politiques par
l'Assemblée nationale et le président de cette dite
assemblée était membre de droit. L'idée d'assurer la
conformité du travail législatif à la loi-mère
n'était pas absente mais l'idéologie de la «
souveraineté représentée » était hostile
à ce que cette limitation soit de la compétence d'un organe
judiciaire. Fort de cette réalité, nous privilégierons le
concept plus restreint de justice constitutionnelle renvoyant davantage
à l'oeuvre juridictionnelle à celui de contrôle de
constitutionnalité qui est également utilisé par le monde
du droit en général et la doctrine constitutionnaliste en
particulier à la suite de nos développements.
Le dictionnaire de la culture juridique fournit une
définition finaliste de cette notion qui a le mérite d'être
très englobant : « la justice constitutionnelle a pour objet
d'assurer la suprématie de la constitution sur les autres normes
juridiques, selon une procédure de type
19Voir H KELSEN, « La garantie juridictionnelle
de la Constitution », R.D.P., 1928, n°2, p.223
Kléberson JEAN BAPTISTE 10
Introduction
juridictionnel ». Sans nier l'interdépendance de
tous les étages de la structure pyramidale qu'est tout ordre juridique
national selon la formule kelsénienne, nous ne nous appesantirons pas
sur l'indispensable régularité des normes
infra-législatives entre eux et par rapport à celles qui leur
sont supérieures. Il sera uniquement question de cerner les implications
juridico-politiques de la confrontation entre les deux normes les mieux
placées hiérarchiquement au regard de la théorie «
représentative déformée » en un parlementarisme
absolu par l'élite politique française dès la grande
révolution de 1789.
Autrement dit, notre étude se porte sous la
déduction logique de la confusion de la souveraineté
parlementaire avec la souveraineté populaire française admise
pendant près de deux siècles d'histoire, à savoir,
l'incompatibilité de l'ordre démocratique avec la justice
constitutionnelle ainsi définie précédemment. Nous voulons
comme justification, si besoin est, le passage suivant du juriste Michel
Pertué extrait de son livre « La Notion De Constitution à La
Fin Du 18ème Siècle » :
« La révolution refusera toujours de confier
à une instance extérieure au Corps législatif le soin de
vérifier et de garantir le processus démocratique de la
législation et la conformité des lois avec les principes
posés dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et
dans la constitution »
Ce présupposé idéologique longtemps
distillé dans la vie juridico-politique française constitue le
socle sur lequel notre étude sera articulée. Faut-il rappeler une
fois de plus que la démocratie postrévolutionnaire qui nous
servira de tremplin au début de nos développements est
unidimensionnelle en ce sens que l'organe parlementaire détient
exclusivement et jalousement l'omnipotence au détriment de toute autre
structure institutionnelle et l'emporte sur toute autre considération.
Roger Priouret, non sans caricaturer, nomme ce système politique «
le gouvernement des députés »20 tandis qu'Edouard
d'Alembert avait dénoncé vigoureusement le
phénomène inverse concernant les Etats-Unis près de 40 ans
avant. En effet, ce dernier a écrit en 1921 un véritable
réquisitoire à l'encontre du développement de la justice
constitutionnelle Outre-Atlantique l'assimilant à « un gouvernement
des juges »21.
Il s'agit d'étudier la justice constitutionnelle au
regard de la démocratie dans toutes les facettes de ce concept. Si les
« immortels principes de 1789 » laissent penser que la justice
constitutionnelle est nettement inconciliable à la pratique
démocratique, il n'en demeure pas moins vrai que beaucoup de pays ayant
délaissé des régimes totalitaires ont adopté soit
l'une des deux formes traditionnelles de justice constitutionnelle22
ou une méthode combinatoire soit un nouveau procédé
juridictionnel permettant d'assurer la prééminence de l'acte
constitutionnel fondateur. Nous voulons pour preuve l'adoption du «
modèle européen »
20 R.PRIOURET, « La république des
députés », 1ère édition, Paris, Grasset, 1959,
p.2
21 Voir Préface, E.LAMBERT, « Le gouvernement des
juges et la lutte contre la législation sociale aux Etats-Unis »,
1ère édition, Paris, Dalloz, 2005
22 Voir M.FROMONT, « La justice constitutionnelle dans le
monde », 1ère édition, Paris, Dalloz, 2006
Kléberson JEAN BAPTISTE 11
Introduction
de justice constitutionnelle par les pays de l'Europe de l'est
suite à l'effondrement du bloc communiste et le recours rapide à
ce mécanisme par l'Allemagne (1949) et l'Italie (1947) après
s'être respectivement libérés des régimes nazis et
fascistes. Nombreux pays africains, suite à la chute des régimes
dictatoriaux, ont fait le même choix au point que le Pr. Louis Favoreu
était tenté de théoriser un modèle africain de
justice constitutionnelle.
De deux choses l'une : ou bien la longévité du
discours démocratique de 1789 est dûe à sa
véracité, ou bien les constituants de 1789 et leurs successeurs
ont péché par excès de « républicanisme
»23 20 ou « d'agoraphobie »24 et, de ce
fait, n'ont pas eu ni le temps ni l'intérêt politique de
connaître la richesse théorique du concept de démocratie.
Ainsi, nous nous posons la question récurrente mais jamais totalement
épuisée de savoir si un contrôle judiciaire de la loi est
réellement l'antithèse absolue de la démocratie, le terme
pris cette fois-ci dans toutes ses capacités définitionnelles. A
cette interrogation, aucune réponse hâtive, pétrie de
préjugés et nul jugement de valeur s'appuyant sur le «
militantisme intellectuel » en faveur ou en défaveur du Conseil
constitutionnel ne sauraient être acceptés. Il faut
défricher un à un les concepts et leur fondement ou comme disait
Kelsen de son disciple il est impératif « de chercher à se
frayer une voie à travers la broussaille des problèmes
»25.
En effet, jamais un mot n'a été diversement
défini et étudié comme la démocratie. Des auteurs
antiques de la cité grecque à notre époque, le concept a
été trituré ou même banalisé pour ainsi dire.
De Aristote à la génération contemporaine en passant par
celui que plus d'un considèrent comme l'un des meilleurs
théoriciens de la démocratie en l'occurrence Jean Jacques
Rousseau, les études, les écrits et les publications pullulent
dans les bibliothèques sous ce concept. Les dirigeants politiques du
monde entier n'hésitent jamais à dire que leur pays vit sous un
régime démocratique ou pour le moins est en plein apprentissage
démocratique. Cependant cette appropriation théorique traduite
tant bien que mal dans la réalité quotidienne ne nous
empêche pas de souscrire volontiers à l'idée suivante
émise par le professeur Jean-Marie Denquin :
« Loin de se développer comme un organisme, la
démocratie est un édifice conceptuel toujours inachevé
»26
Quant à la notion de justice constitutionnelle au sens
étudié ici, l'on peut concéder que la chose a
précédé le concept aux rares auteurs « perspicaces
» qui décèlent un embryon de justice constitutionnelle
pendant l'Ancien Régime en France. Mais les historiens du droit sont
quasi-unanimes à relever que celle-ci est née brillamment aux
Etats-Unis sous la plume du
23 Concept développé dans F. DUPUIS-DERIS
op.cit.
24 Ibid.
25 Voir la préface de H.KELSEN de la thèse de
C.EISENMANN, « La justice constitutionnelle et la Haute Cour
constitutionnelle d'Autriche », 2ème édition, Paris,
Economica, Presses Universitaires d'Aix-Marseille, p.11
26 J .M DENQUIN, « Que veut-on dire par «
démocratie » ?, L'essence, la démocratie et la justice
constitutionnelle », Revue internationale de droit internationale, 2009,
n°2, p.25
Kléberson JEAN BAPTISTE 12
Introduction
Chief Justice Marshall en 1803 et initiée en Europe
continentale au début du 20ème siècle soit en
1920 par la Haute Cour constitutionnelle d'Autriche grâce aux
idées du maître de Vienne, Hans Kelsen. Nous pouvons conclure
l'antériorité chronologique de la démocratie par rapport
à la justice constitutionnelle. Fort de ce fait, nous pouvons
considérer que les deux « phénomènes » faisant
objet de notre étude n'ont pas toujours cheminé ensemble et ne
sont pas congénères. Il peut encore être souligné
à l'encre forte que l'Angleterre considéré comme l'une des
plus anciennes démocraties européennes n'a jamais connu la
justice constitutionnelle formellement parlant. Donc, il serait totalement
inexacte d'affirmer péremptoirement que la justice constitutionnelle est
une condition sine qua non de la démocratie. En revanche, les opposer
radicalement et irréversiblement sans aucune fenêtre de
conciliation ou de cohabitation à l'instar de la longue tradition
française n'est-ce pas faire preuve de la même inexactitude ?
Cette problématique juridico-politique ne peut trouver réponse,
à notre humble avis, que dans une analyse certes positiviste de la
justice constitutionnelle mais constamment appuyée par une vision
historique. L'intérêt d'une telle étude et même son
actualité sont évidents au moment où la justice
constitutionnelle française née dans la douleur avec la
5ème république connaît son paroxysme avec
l'introduction de la question prioritaire de constitutionnalité. En
effet depuis 2008, le contentieux constitutionnel est susceptible d'être
né dans toutes les instances judiciaires devant tout juge à
charge pour celui-ci de le faire prospérer ou non au regard du droit
positif .La communauté juridique dont la plupart de ses membres a
longtemps appelé de ses voeux un tel mécanisme y voit la «
constitutionnalisation de toutes les branches du droit » ou la
banalisation de la justice constitutionnelle.
Revoir les barrières idéologiques
séculaires dressées contre l'émergence de la justice
constitutionnelle en France au nom de la démocratie à l'heure ou
le plus modeste justiciable peut y avoir accès est d'un
intérêt incommensurable surtout quand il a lieu dans le cadre d'un
travail désintéressé dont le seul objectif est de mettre
en exergue la justice constitutionnelle au service de la démocratie ou
de la confronter avec les principes démocratiques.
Un tel sujet d'étude nous paraît impliquer une
double démarche tout en sachant, avec le docteur, Etienne Kenfack «
qu'aucune méthode juridique ne peut échapper à un certain
élément de subjectivité et à un certain taux
d'arbitraire ». Dans un premier temps, il sera question d'analyser les
facteurs qui ont expliqué sans justifier la thèse de l'antinomie
entre la justice constitutionnelle et la démocratie au sens que les
républicains de 1789 et leurs successeurs ont attribué à
ce terme. (CHAPITRE I). Il conviendra, en second lieu, de
réfuter cette opinion apparemment authentique en expliquant comment la
justice constitutionnelle peut garantir l'épanouissement de la «
démocratie moderne » ou assurer son renouvellement (CHAPITRE
II).
Kléberson JEAN BAPTISTE 13
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
Chapitre I. L'apparente antinomie entre la justice
constitutionnelle et la démocratie
Les hommes de 1789 ayant laissé à la
postérité l'idée d'impossibilité de coexistence de
la démocratie et de la justice constitutionnelle ont expliqué
cette thèse en fonction de leur conception de la notion de
démocratie. En effet, sous l'influence de ces derniers, cette dite
notion a subi un glissement sémantique. Définie originellement en
Grèce comme gouvernement du peuple par le peuple, la démocratie
est devenue gouvernement du peuple en la personne de ses représentants.
D'où vient la création du concept « démocratie
parlementaire » par les théoriciens et les analystes politiques.
Cette variation définitionnelle a impliqué l'adjonction de
nouveaux principes dans une société qui se voulait
démocratique. Plus d'un adhérent à l'idée disant
que ces nouveaux principes démocratiques sont inconciliables à
tout contrôle juridictionnel de constitutionnalité encore
appelé justice constitutionnelle. Alors que, d'autres estiment que tout
raisonnement concluant à la contradiction des postulats
démocratiques et ceux de la justice constitutionnelle est superficiel et
dénué de lucidité. Afin de découvrir les tenants et
aboutissements de cette divergence de vue, nous étudierons
respectivement les implications de la démocratie parlementaire (Section
I) et les fondements de la justice constitutionnelle (Section II).
Kléberson JEAN BAPTISTE 14
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
Section I. les principes fondateurs de la
démocratie parlementaire
La démocratie telle que conçue par les
révolutionnaires de 1789 est, par définition,
représentative. On pourrait objecter à nos développements
précédents que ceci n'est pas particulier puisque quasiment
toutes les nations connaissent ce régime à notre époque.
Mais la démocratie représentative contemporaine implique
l'existence d'institutions représentatives à tous les niveaux.
Celle conçue par les révolutionnaires de 1789 pare exclusivement
le parlement de toute la représentativité nationale et
reléguait tous les autres au rang d'autorités ou « de
pouvoirs commis.» Contrairement à la théorie
dénommée « check and balances » par les anglo-saxons,
le pouvoir législatif qui prédominait ne pouvait être
contré par nul autre. L'aboutissement logique est l'immunité la
plus absolue pour tout ce qui émanait du parlement d'où la
sacralisation de la loi (§ 1). Si la monarchie a eu recours à la
divinité pour asseoir sa légitimité, la démocratie
parlementaire instaurée au 18ème siècle a
justifié la sienne par le suffrage électoral (§ 2) et
l'identification des représentants élus au peuple souverain.
§ 1. La sacralisation ou le culte de la loi
L'appartenance française à la famille de droit
romano-germanique est pour quelque chose évidemment dans la place de
choix que le droit écrit et particulièrement la loi occupe dans
l'imaginaire collectif et dans l'ordre juridique parmi les autres sources de
droit. En effet, cette position est sans commune mesure avec la modeste
situation que l'oeuvre législative connait dans les pays de droit
anglo-saxon ou de Common Law. Cette thèse est corroborée par la
longévité à nulle autre pareille du code civil
malgré les réformes qu'il a subies depuis son élaboration
par l'équipe dirigée par Portalis. Cependant, ces
paramètres socio-historiques ne doivent aucunement masquer les raisons
politiques qui ont rendu la loi intouchable jusque très récemment
à un point tel qu'il était courant de parler de « culte de
la loi ». Répétons avec Mr. Theodore Zeldin, professeur
à l'université d'Oxford, « D'où vient la majuscule
dont est affublée le terme de Loi en France ? ». Qui veut apporter
des éléments de réponse à cette interrogation doit
entreprendre une recherche le conduisant à la source du long
légicentrisme français (A). Une fois cette quête
arrivée à terme, il sera loisible de soulever et de
pénétrer les vertus intrinsèques de la loi (B).
A. La source du légicentrisme
français
Le légicentrisme est une doctrine préconisant
que la loi constitue l'exclusive expression de la souveraineté de la
nation. Là où règne cette théorie s'institue
l'état légal. Jusqu'à la fin de la
Kléberson JEAN BAPTISTE 15
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
très meurtrière seconde guerre mondiale, il fut
prépondérant sous le continent européen en
général et en France de manière particulière. En
effet, la France fut le théâtre de la domination la plus
prononcée de cette théorie jusqu'à l'avènement de
la 5ème république si l'on excepte la tentative
infructueuse de du Comité Constitutionnel de 1946. L'adage, pour ainsi
dire, (la loi est l'expression de la volonté générale),
hérité de Rousseau et incorporé dans la mémorable
déclaration des droits de l'homme et du citoyen en son article 6 est le
tremplin de cette longue suprématie. (1) Les acteurs politiques de la
révolution de 1789 l'ont récupéré et l'ont
instrumentalisé à des fins hautement politiciennes (2).
1. La loi l'expression de la volonté
générale : tremplin du légicentrisme
La formule est, comme dit plus haut, du philosophe «
contractualiste », Jean Jacques Rousseau, figure de proue des
Lumières. Guillaume Drago27 relève trois (3) textes de
l'époque révolutionnaire qui prolongent l'article 6 de la DDHC
précité en prohibant sans réserve tout contrôle
judiciaire de constitutionnalité. Il cite d'abord les très
connues lois des 16 et 24 aout 1790 prescrivant formellement :
« Les tribunaux ne pourront prendre directement ou
indirectement aucune part à l'exercice du pouvoir législatif, ni
empêcher, ou suspendre l'exécution des décrets du Corps
législatif sanctionnés par le roi, à peine de forfaiture
»
Dans le même ordre d'idées, la Constitution de
1791, prend le relai de l'article 6 de la déclaration
révolutionnaire d'inspiration rousseauiste en son titre 3 chapitre 5
art.3 en réitérant :
« Les tribunaux ne peuvent s'immiscer dans l'exercice du
pouvoir législatif ou suspendre l'exécution des lois »
De surcroît, le législateur pénal, pour
amplifier la force dissuasive de cette prohibition, menaçait tout membre
du pouvoir judiciaire de « condamnation pour forfaiture et punition de
dégradation civique » en les citant nommément (Procureurs
Généraux ou substituts, officiers de police judiciaire, juges) au
cas où ils se seraient immiscés dans l'exercice du pouvoir
législatif sous une forme ou sous une autre.
Nous sommes en présence d'un arsenal ou d'un bouclier
législatif servant à nulle autre chose que de tuer dans l'oeuf
toute velléité d'installation d'une justice constitutionnelle ou
toute volonté de contrôler judiciairement « l'expression de
la volonté générale ».
Cette petite « inflation normative » à
l'encontre de la justice constitutionnelle débutée par l'article
6 de la DDHC (Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen) ne va
pas
27 G.DRAGO, « Contentieux constitutionnel français
», 3ème édition, Paris, PUF, 2011, p.48
Kléberson JEAN BAPTISTE 16
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
s'estomper sous le poids du temps. Près d'un
siècle après, soit en 1875, le juriste Carré de Malberg,
après avoir passé en revue l'esprit et la lettre de la
Constitution d'alors, conclut magistralement comme suit :
« Une fois écartée l'identification de la
loi avec la volonté générale, il n'existe plus de raison
qui mette obstacle à l'établissement d'un contrôle
juridictionnel s'exerçant sur les lois en vue de vérifier leur
conformité à la Constitution »28
Ce survol historique de la législation ordinaire et
constitutionnelle de la France nous délivre sans réserve la
conviction transformée en obsession de ne pas conférer à
un organe extérieur à l'assemblée législative
surtout s'il s'agit d'une instance judiciaire le pouvoir d'examiner la
constitutionnalité des lois dûment votées par le
législateur. Cet état de fait a perduré jusqu'en 1958
comme nous l'avons rappelé à maintes fois en dépit de
l'audace du constituant de 1946 qui n'a été guère payant.
En revanche depuis l'abrogation du système de garantie des
fonctionnaires par une loi de 1870, les agents administratifs et les actes
administratifs ne jouissent d'aucune immunité judiciaire. Certains
historiens du droit affirment même les tentatives et « la
prétention des juges judiciaires à s'ériger en juge
universel de la responsabilité civile et administrative » depuis le
règne de Charles 10 (1824-1830) sur le fondement des articles 1382 et
suivants du code civil.29
Il convient de vérifier d'où est ce que la loi
a-t-elle tiré cette supériorité qui l'a mise à
l'abri de toutes sanctions judiciaires pendant si longtemps en France tandis
qu'elle est susceptible d'être laissée inappliquée par le
juge le plus ordinaire qui soit Outre Atlantique. Nul ne doute que l'article 6
de la DDHC pourrait être d'une vertu protectrice à l'égard
de loi car il l'a érigée en « expression de la
volonté générale ». Cependant seule une habile
manipulation ou une instrumentalisation de ce dit article pouvait ancrer une
tradition aussi solide de révérence envers l'oeuvre du
législateur ordinaire.
2- L'instrumentalisation politicienne de l'article 6 de
la DDH
Le théoricien Jean Jacques Rousseau est d'une
opposition farouche à l'égard de la démocratie
représentative encore appelée démocratie indirecte. Pour
celui-ci, la seule vraie démocratie est la démocratie directe. Il
réfute toutes les qualités que la révolution
française a attribuées à la démocratie
représentative. Même l'argument le plus plausible en faveur du
système représentatif relatif à des contraintes d'ordre
numérique ou démographique n'est pas parvenu
28 CARRE DE MALBERG, op.cit., p.221
29 Voir, Cours de Mme V.LABROT, Responsabilité
administrative, thème 1, p.5, 2011-2012, CDP
Kléberson JEAN BAPTISTE 17
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
à convaincre l'auteur du Contrat Social.30
Dans cette publication, il manifeste de manière incisive son
désaccord ou même son aversion à l'égard de cette
dite doctrine en ces termes :
« Il n'a jamais existé et il ne pourrait
d'ailleurs pas exister de démocratie au vrai sens du mot, parce qu'il va
contre l'ordre des choses que le plus grand nombre gouverne et que le plus
petit soit gouverné ».
Cette remontrance à l'égard de la théorie
représentative et de ses promoteurs nous permet d'extraire le sens que
Rousseau avait accordé à la phrase « la loi est l'expression
de la volonté générale » dans son oeuvre. Pour
Rousseau, légiférer, comme tous les autres attributs de la
souveraineté, ne devait être exercé que par le peuple
souverain. Il est donc hors question qu'une infime partie de la nation
appelée députés ait le pouvoir d'exprimer la
volonté du peuple à sa place. Chez Rousseau, la loi doit son
infaillibilité et sa rationalité au fait qu'il exprime la «
volonté générale ». Mais le concept «
volonté générale », sous la plume de Rousseau, est
totalement incompatible à la délégation ou à la
représentation. Pour le fils de Genève, si la volonté
générale « ne peut errer », c'est à condition de
ne pas l'assimiler à la volonté parlementaire qu'elle soit
majoritaire ou non. La délibération de la totalité des
citoyens sans intermédiaire, non soumise au filtre représentatif
est l'unique façon « d'exprimer la volonté
générale » telle qu'enseignée par Rousseau. C'est
à cette unique condition que le texte voté acquiert force de loi
et mérite par conséquent l'inclination de tous et de toutes.
Prenant acte de l'inaliénabilité de la
volonté générale, les porte-étendards de la
révolution de 1789 s'approprièrent du discours rousseauiste afin
de justifier la place qu'ils comptaient occuper au sommet du nouvel ordre
socio-politique. Ces derniers ont reporté les qualités
attribuées par Rousseau au seul peuple et à ses oeuvres sur les
députés et leur travail législatif. Ceci veut dire que le
peuple détient toujours le pouvoir mais qu'il le projette
momentanément sur ses délégués ou qu'il l'exerce
à travers eux. De prime abord, il faut affirmer que cette théorie
dont plus d'un qualifient de « mythe », de « leurre »,
« d'affabulation » a eu comme premier mérite de berner la
masse populaire. C'était au même titre que la religion « un
opium » pour le peuple. Dépossédant la masse populaire de
son pouvoir fraîchement reconquis, l'ingénierie politique
révolutionnaire a instrumentalisé l'article 6 de la DDHC et le
discours de Rousseau pour conforter sa position. Analysant l'histoire politique
française à partir de la période post
révolutionnaire française, un auteur eut à écrire
de façon très imagée à propos de la classe
politique :
« S'ils refusent que l'agora soit le siège du
pouvoir, c'est aussi, et surtout, qu'ils veulent le pouvoir pour
eux-mêmes »31
A la faveur de la magie représentative, l'oeuvre des
détenteurs « effectifs de la souveraineté », en
l'occurrence la loi, était couverte du sceau hautement et durablement
protecteur « de la
30 ROUSSEAU, op.cit., Livre 3, chapitre 12
31 DUPUIS-DERIS, op.cit., p.10
Kléberson JEAN BAPTISTE 18
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
volonté générale ». Edouard
Laferrière, l'un des fondateurs du droit administratif moderne, nous a
appris que « le propre du souverain c'est de s'imposer sans compensation
». On peut déduire sans risque de se tromper l'étendue du
prestige qu'a conféré à loi et à ses concepteurs
(Assemblé parlementaire) son origine fictive « dans la
volonté populaire souveraine ». Ainsi la loi, émanation du
« souverain-représentant » français, s'est
imposée jusqu'à la deuxième moitié du
vingtième siècle aux dépens de toutes les composantes de
l'appareil normatif y compris la Constitution sans ménagement.
La transposition de l'idée de Rousseau sur le terrain
de la démocratie représentative constitue « le coup de
maitre » réalisé par les acteurs et théoriciens
politiques du 18ème siècle français. Cette
déviation sémantique a pleinement servi à l'assouvissement
des desseins politiciens de plusieurs générations lesquels une
fois matérialisés sous la forme d'une loi étaient
insusceptibles de questionnement judiciaire jusque fort récemment.
La loi, au sens restrictif du terme, a été ainsi
sanctifiée au détriment de toutes autres considérations.
Jusqu'ici nous nous sommes attardés sur ce concept que du point de vue
formel c'est-à-dire en prenant comme seul paramètre
d'étude l'institution étatique chargée de la produire.
L'enceinte parlementaire, par définition, est le lieu de la lutte
politique. Conséquemment, la loi qui en est le produit subit toujours
l'influence des tractations et négociations politiques à sa phase
d'élaboration. Cependant, l'oeuvre législative n'en sort pas
toujours diminuée et altérée en raison de ses
qualités naturelles et inhérentes.
B. Les vertus intrinsèques de la loi
Le long légicentrisme français, loin s'en faut,
n'a pas été exclusivement dû à des
considérations d'ordre historico-politique. La loi comporte dans son
code génétique des caractéristiques qui l'ont rendu
éligibles à la vénération. Sa place sinon
prééminente du moins privilégiée dans tous les
systèmes juridiques explique, si besoin est, qu'elle pourrait rayonner
en France peut être d'un éclat moindre sans une approche
instrumentale de l'article 6 de la DDHC. Les raisons objectives de la
sacralisation de la règle législative doivent être d'abord
recherchées dans ses caractéristiques traditionnelles (1). Il
faut ensuite puiser dans sa fonction de régulation sociale son
incontestable autorité (2).
1. La généralité et
l'impersonnalité de la loi
La généralité et l`impersonnalité
ne sont pas des exclusivités des dispositions législatives.
L'acte administratif peut également remplir ces critères. Mais,
il existe à côté des actes règlementaires des actes
administratifs individuels qui n'ont pas ces vertus transcendantales
Kléberson JEAN BAPTISTE 19
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
en ce sens qu'ils ont comme vocation de régir
directement et même certaines fois nommément des cas individuels
ou particuliers. Quant à la loi, elle ne se mêle jamais,
pourrait-on dire, des individualités. Elle ne formule que des principes
universellement valables. L'office de la loi, énonçait Portalis,
dans son discours préliminaire au projet de Code civil est
« De fixer par de grandes vues les maximes
générales du droit, d'établir des principes féconds
en conséquence et non de descendre dans le détail des questions
qui peuvent naître sur chaque matière »
Oeuvre de raison selon l'Encyclopédie des
Lumières, la loi n'est pas édictée pour résoudre
des cas particuliers prédéterminés. Elle est
formulée de manière abstraite et en termes généraux
et est au-dessus de la mêlée engendrée par les cas
particuliers. La loi règle ces derniers seulement « a posteriori
» s'ils entrent dans le cadre et les limites tracés par ses termes
généraux. Contrairement à la coutume au sens juridique du
terme, la loi a comme qualité subsidiaire la fixité. Elle ne
prend pas la couleur du temps et des croyances populaires au point d'avoir une
signification dans chaque contrée ou dans chaque province. Elle est une
et indivisible afin de permettre à chacun de régler sa conduite
selon ses termes et pour assurer la sécurité juridique des
citoyens ou justiciables.
L'impersonnalité de la loi comme source du droit la
permet d'assurer l'égalité entre les membres de la
collectivité. Sans être interdit de régler de façon
différente des situations objectivement et raisonnablement
différentes, le législateur n'a pas le droit de transformer son
travail en un catalogue de privilèges pour une fraction de la
société ou en la promotion du favoritisme. L'objectif primordial
de la révolution à laquelle la loi doit partiellement sa
majesté fut d'abolir toutes distinctions n'ayant pas pour fondement le
service rendu à la collectivité. La constitution de 1791 s'y
attarde longuement dès son introduction en ces termes :
« L'Assemblée nationale voulant établir la
Constitution française sur les principes qu'elle vient de
reconnaître et de déclarer, abolit irrévocablement les
institutions qui blessaient la liberté et l'égalité des
droits. Il n'y a plus ni noblesse, ni prairie, ni distinctions
héréditaires, ni distinctions d'ordres, ni régime
féodal, ni justices patrimoniales, ni aucun des titres,
dénominations et prérogatives qui en dérivaient, ni aucun
ordre de chevalerie, ni aucune des corporations ou décorations, pour
lesquelles on exigeait des preuves de noblesse ,ou qui supposaient des
distinctions de naissance ,ni aucune supériorité, que celle des
fonctionnaires publics dans l'exercice de leurs fonctions. Il n'y a plus, pour
aucune partie de la nation, ni pour aucun individu, aucun privilège, ni
exception au droit commun de tous les Français. Il n'y a plus jurande,
ni corporations de professions, arts et métiers. La loi ne
reconnaît plus ni voeux religieux, ni aucun autre engagement qui serait
contraire aux droits naturels ou à la constitution ».
En d'autres termes, l'impersonnalité des destinataires
de la loi est le gage de son statut égalitaire. Elle est la même
pour tous et toutes. Cela renvoie au symbole de la justice qui est
Kléberson JEAN BAPTISTE 20
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
cette femme aux yeux bandés ne sachant pas qui elle
sert à cause de son aveuglement .Par conséquent, la loi parce
qu'elle doit être mise au service de la justice est par définition
impartiale. D'où son caractère impersonnel dépassant ou
même ignorant les clivages se basant sur l'appartenance raciale,
familiale ou sur toutes considérations n'ayant pas pour but la gestion
de la « res publica » ou le progrès de la
collectivité.
Voilà une brochette de caractères
intrinsèques à la loi qui à eux seuls pourraient justifier
la vénération de celle-ci. Là ne s'arrête pas
pourtant l'utilité de la règle législative. A
côté des autres ordres normatifs comme la morale et la religion,
la loi est l'instrument duquel se sert le droit pour contribuer à
l'apaisement ou à la régulation de la société au
sens le plus complet du terme.
2. La loi : outil de régulation
sociale
Si le droit défini comme un ensemble de règles
et d'institutions a pour fonction de pacifier les relations sociales, la loi
est la règle par excellence servant à atteindre cet objectif. En
effet, quasiment aucun type de rapports interindividuels ou sociaux
n'échappe à la régulation de la loi. La loi irrigue tous
les compartiments sociaux pour concilier les différentes
activités des millions d'individus ayant des intérêts sinon
divergents du moins différents. Elle constitue l'un des liens qui unit
cette multitude. De sa naissance à sa mort, l'individu en tant que
membre du corps social doit moduler son comportement en fonction des
différentes normes dont la loi. Emile Durkheim, le précurseur de
la sociologie du droit a enseigné que le « droit est la contrainte
sociale spécialement organisée ».
Les conflits et la déviance semblent
inéluctables. Si l'homme cesse d'être un loup pour l'homme depuis
la conclusion du contrat social de Hobbes, en revanche, le paradis providentiel
où règneraient la paix et l'harmonie les plus totales, n'est pas
terrestre. En d'autres termes, les rapports sociaux finissent souvent par
engendrer des mésententes pour une raison ou une autre. Sous peine de
sombrer dans la violence et la barbarie la plus abjecte, la loi doit
prévoir des moyens et mécanismes de résolution de toutes
ces mésententes. Elle assure ainsi une fonction de pacification sociale
en utilisant dans certains cas le monopole de la violence légitime dont
dispose l'état. Nous avons par conséquent besoin des lois pour
assurer une société pacifique, apaisée et
sécuritaire au sein de laquelle le plus fort ou le plus riche ne peuvent
pas tout se permettre. Ce paramètre est amplement renforcé depuis
l'émancipation de la justice constitutionnelle en France car le Conseil
constitutionnel veille à « ce que le législateur ne prive
pas de garanties légales les exigence constitutionnelles » selon sa
jurisprudence constamment réaffirmée.
La loi ne vise pas uniquement à pacifier et à
concilier les intérêts des individus. Elle est également
l'outil par lequel les dirigeants enchaînent les réformes et
traduisent leur
Kléberson JEAN BAPTISTE 21
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
programme politique ayant reçu la
bénédiction électorale dans les sociétés
démocratiques. Georges Burdeau se demande dans une étude
exhaustive sur le concept « loi » :
« Comment d'ailleurs le Pouvoir pourrait-il
répondre aux pressions qu'exerce sur lui l'opinion dont il émane,
s'il n'utilisait ce prodigieux moyen d'action sur le milieu social qu'est
l'instrument législatif ? »32.
Indépendamment des opinions et de
l'idéologie des détenteurs du pouvoir, ils
doivent recourir à la loi soit pour assurer la continuité la plus
totale de la politique de leur prédécesseur soit pour modifier
l'ordre social ou pour répéter un terme affectionné des
hommes politiques : « assurer le changement ».François
Hollande, le président socialiste récemment élu et sa
majorité parlementaire sont accusés par la droite de «
défaire les unes après les autres les courageuses
décisions prises » par son prédécesseur par les
nouvelles lois adoptées. La nouvelle opposition politique fait allusion,
entre autres mesures, à la défiscalisation des heures
supplémentaires. Notre objectif n'est pas d'opiner sur un débat
idéologique et politicien. Nous tentons de démontrer
l'utilisation que les gouvernements successifs font de la loi pour mettre en
oeuvre leur politique publique sans la moindre intention de nous immiscer dans
un contentieux entre hommes politiques et encore moins de nous prononcer sur
l'authenticité et l'opportunité des positions.
Il faut joindre au légicentrisme le suffrage universel
pour expliquer complètement la perpétuation de l'idée
française opposant « la démocratie » avec la justice
constitutionnelle. En effet, de manière générale, le
système représentatif et particulièrement celui
orchestré en 1789 ne saurait vivre aussi longtemps sans la
légitimité électorale comme autre soubassement.
§ 2. La légitimité électorale
« Aucun homme n'est assez bon pour diriger les autres
sans leur consentement » disait l'ancien président Miterrand. Cette
phrase autour de laquelle un consensus est facile à trouver constitue le
leitmotiv du système politique représentatif. Elle l'est
davantage pour la démocratie parlementaire telle qu'elle fut
instaurée à la fin de la révolution française pour
ensuite inhiber toute la culture politique républicaine. En s'opposant
à la monarchie de droit divin et aux distinctions
héréditaires, les révolutionnaires devaient trouver une
base au pouvoir qu'ils convoitaient. Il imposa l'idée logique que seul
l'assentiment populaire reçu par le triomphe aux élections peut
fonder l'exercice du pouvoir. (A) Encore que le régime électoral
postrévolutionnaire de 1791 ne satisfait pas à tous les
critères du suffrage contemporain (B).
32 G.BURDEAU, « Loi », www.universalis.fr/
encyclopédie
Kléberson JEAN BAPTISTE 22
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
A. L'autorisation populaire, source du pouvoir
politique représentatif
Le peuple, une fois ravi son pouvoir capturé par la
monarchie absolue l'a confié volontairement à des instances
représentatives selon l'esprit révolutionnaire de 1789. D'un
statut très modeste, le peuple est propulsé au rang
élogieux d'électeur. A défaut de pouvoir lui-même
être partie prenante, la collectivité populaire s'est vue offerte
l'opportunité périodique de nommer, de renommer ou de
congédier le personnel politique. Le droit positif a pris acte de cette
évolution dans la DDHC français en son article 3 qui se lit ainsi
:
« Le principe de toute Souveraineté réside
essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer
d'autorité qui n'en émane expressément »
Telle est l'innovation de la classe politique qui a servi
corrélativement à conforter leur pouvoir ou leur carrière
politique à l'assemblée nationale. S'il est vrai que, la doctrine
représentative a trouvé dans ses assises populaires sa
longévité et sa légitimité, l'on peut voir, en
revanche, une véritable avancée démocratique (1) Cette
légitimité populaire de laquelle le législateur se
prévaut a eu comme conséquence l'affaiblissement du pouvoir
exécutif (2).
1. Le suffrage électoral : une grande
avancée démocratique
Les peuples se sont apparemment accommodés de
l'idée qu'ils sont inaptes à s'auto-diriger. Si l'on est libre de
ne pas adhérer à cette idée mais on doit quand même
accepter la réalité suivante. La doctrine de la démocratie
représentative trouve application au-delà des frontières
du monde entier. Inversement du début du 18ème
siècle, le concept démocratie est dorénavant confondu
à sa forme représentative dans l'imaginaire collectif et
même sous la plume de quelques écrivains. Fort de ce constat, il
est loisible d'affirmer que les élections sont unanimement
acceptées comme l'une des preuves de la santé démocratique
de tout pays pourvu qu'elles soient exemptes de fraudes massives et
d'irrégularités non sanctionnées.
En effet, le suffrage électoral, par définition,
permet à tout citoyen indépendamment de son origine sociale ou
familiale, de ses moyens financiers de solliciter le vote populaire. Il faut
quand même rappeler que progressivement les générations
suivantes ont perfectionné le système lacunaire
hérité du 18ème siècle. Cet aspect sera
développé dans les lignes suivantes. En dépit de ses
lacunes, il est indéniable que le recours aux élections en soi
pour renouveler l'équipe dirigeante fut un immense pas sur la longue
route de la démocratie fourni par la révolution française.
Ceci constitue réellement une rupture totale avec l'ordre
socio-politique monarchiste.
En réalité, il ne faut pas occulter les
conditions dans lesquelles se déroulent les élections ici et
là. D'abord, les tractations entre les grands partis politiques se font
souvent sur la base de
Kléberson JEAN BAPTISTE 23
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
marchandage politique. La différence flagrante de
moyens financiers entre les formations politiques rivales est également
susceptible de fausser le jeu électoral. Ces impondérables et
bien d'autres sur lesquelles nous ferons l'impasse s'ajoutent à la
corruption et à la malversation lors de l'organisation des scrutins dans
certains pays. L'aboutissement néfaste à l'avancement de la
démocratie est que bien des fois les résultats des urnes ne
reflètent pas le vote populaire. Nous répétons
après Pasquale Pasquino, directeur de recherche au CNRS :
« Il faut distinguer l'idée d'élection
comme source du pouvoir de gouverner de la pratique des élections
»
Le point à retenir, après toute analyse, est le
lien indéfectible qui est né depuis entre «
élection/autorisation et légitimité à gouverner
». Il en est résulté l'infériorisation du pouvoir
exécutif représenté sous la première
république en la personne du roi.
2. L'affaiblissement du pouvoir
exécutif
L'appellation de la 1ère république
retenue par l'histoire relève d'un abus de langage. En effet, les
premiers moments du parlementarisme français furent une cohabitation
presque antinomique. L'exécutif était encore assuré par le
roi certes très amoindri. Carré de Malberg résume cette
période ainsi :
« La monarchie était limitée, mais restait une
monarchie quand-même »33
En effet, le roi, héritier d'un pouvoir
délégué héréditairement donc sans appui
électoral était considérablement diminué par
rapport au Corps législatif élu. La constitution de 1791 consacra
conséquemment un régime qui « laissât aux mains du roi
un pouvoir singulièrement affaibli au regard de la puissance d'un Corps
législatif rendu hautement prééminent
»34.
Jouissant de la légitimité électorale, le
pouvoir législatif résultant de la Constitution
révolutionnaire surplombait l'exécutif ayant comme chef quelqu'un
qui ne disposant d'aucune base populaire. Ce n'est pas forcer le trait
d'affirmer que le pouvoir exécutif royal ne représentait
personne. Survivance provisoire de l'Ancien régime, le roi donc le
pouvoir exécutif ne saurait concurrencer une assemblée
d'élus. D'où la justification de l'idée d'attribuer
l'exclusivité de la représentation nationale au Parlement.
L'exécutif ne saurait être le codépositaire de la
souveraineté nationale faute de « liens avec le corps
électoral »35. N'étant pas d'origine populaire,
le pouvoir exécutif était relégué à l'instar
d'autres autorités au second plan. Ainsi commençait le long
parlementarisme français.
33CARRE DE MALBERG R, op.cit. , p.178
34 Ibid.
35 CARRE DE MALBERG, op.cit.
Kléberson JEAN BAPTISTE 24
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
La troisième république est le stade de la haute
maturation de ce parlementarisme, peut-on constater. L'exécutif n'est
plus mené par le roi .Toutefois, le président, faisant office
normalement de chef de l'exécutif et les membres du gouvernement,
n'était toujours pas issu du suffrage populaire. Pas moins que
l'exécutif de la 1ère république, les membres
de celui-ci y compris leur chef souffraient d'une absence d'ancrage populaire.
Le parlement continuait sa domination due, entre autres, au fait qu'elle soit
l'émanation électorale. Le juriste de Strasbourg relève
cette constance républicaine en des termes alliant la vigueur à
l'élégance en analysant le régime constitutionnel de 1875
:
« En faisant dépendre la nomination des titulaires
de l'exécutif, non plus d'élections faites dans le pays, mais
d'une élection présidentielle faite en Assemblée nationale
par le personnel parlementaire, la Constitution a frappé
l'Exécutif d'une cause d'infériorité congénitale,
qui devait inéluctablement avoir pour conséquence de le mettre
dans une condition de subordination envers le parlement »36.
La tradition républicaine française, interrompue
très brièvement sous la 2ème république,
fut de ne pas désigner le président de la République au
suffrage universel direct. Cette réalité a favorisé la
supériorité du parlement lui-même désigné par
le corps électoral dès la 1ère république. En
effet, la longue prééminence du parlement est due partiellement
à sa légitimité électorale. Toutefois, il faut
souligner, malgré l'importance historique incontestable du
système électoral institué par la constitution de 1791,
que celui-ci était amplement lacunaire en tenant compte des
critères contemporains.
B. Les lacunes du système électoral de
1791
Le premier acte révolutionnaire en l'occurrence la DDHC
énonce en son article 1er l'égalité absolue
entre les Français. On serait même tenté de dire que cette
disposition législative se veut universelle car elle proclame
l'égalité totale pour l'humanité et non uniquement
à l'égard des fils de l'hexagone. En effet, celle-ci ou
même la totalité de la DDHC a été inscrite dans la
constitution d'autres pays. Paradoxalement l'acte constitutionnel de 1791
fondant l'ordre nouveau a mis en place un système électoral
complètement inégalitaire. Celui-ci organise un suffrage
électoral prenant en compte les critères de fortune et de
capacité puisqu'il était censitaire. (1) Il fut exclusif ou
même clivant en ce sens qu'il prévoit une élection au
second degré (2).
36 CARRE DE MALBERG, op.cit.
Kléberson JEAN BAPTISTE 25
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
1. Un suffrage électoral censitaire
Conformément aux vues élitistes du
député Emmanuel Sieyès, certains Français n'avaient
ni le droit de vote ni celui de présenter leur candidature. Seuls les
citoyens actifs détenaient ces prérogatives. En outre des
conditions habituelles de nationalité, de majorité, de domicile
d'inscription sur le registre électoral et d'aptitude morale, la
constitution prévoyait respectivement en ses alinéas quatre (4)
et cinq (5) deux conditionnalités purement discriminatoires permettant
d'accéder au statut de citoyen actif afin d'être soit
électeur soit éligible :
4° alinéa : « Payer dans un lieu quelconque
du Royaume, une contribution directe au moins égale à la valeur
de trois journées de travail et en représenter la quittance
»
5° alinéa : « N'être pas dans un
état de domesticité, c'est-à-dire de serviteur à
gages »
Il faut ajouter dans la liste des exclus, à
côté des citoyens « non- actifs », les esclaves et
évidemment les femmes. En effet si l'abolition définitive de
l'esclavage en 1848 traduite par le décret du gouvernement provisoire
libérait la masse servile, les femmes ont dû conquérir de
haute lutte jusqu'au 20ème siècle plus
précisément en 1944 le droit de participer à la vie
politique en France. Il va sans dire que cette politique électorale
exclusive et ségrégationniste se trouve aux antipodes de la DDHC
qui dispose en son article premier :
« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux
en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que
sur l'utilité commune ».
Ce système électoral était défendu
par l'influent homme politique Emmanuel Sieyès qui le justifie en
affirmant que seuls les citoyens contribuant à l'économie
nationale ont le droit d'influer la vie politique par le biais du vote. Il a eu
l'assentiment de l'assemblée constituante malgré les
incohérences notoires ainsi dénoncées par le
député Robespierre dans son discours :
« La loi est l'expression de la volonté
générale (...) Cependant, interdire à tous ceux qui ne
payent pas un impôt, le droit même de choisir [leurs
représentants], est-ce autre chose que rendre la majeure partie des
Français absolument étrangers à la formation de la loi ?
(...) »
Cette dénonciation de l'avocat-politicien est d'une
justesse évidente puisque les statistiques démographiques
relevaient que pour la France entière, sur une population de sept (7)
millions habitants, seulement 4 300 000 ont rempli les critères pour
avoir le statut de citoyen actif. Les 2 700 000, à cause de leur faible
faculté contributive, étaient des « citoyens passifs »
et corrélativement ne pouvaient pas prétendre à exercer ce
droit politique.
Kléberson JEAN BAPTISTE 26
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
2. Un suffrage indirect
Le suffrage universel direct est la norme en matière
électorale. Seul ce système impliquant un homme, égal un
vote, pouvait cadrer à la logique révolutionnaire de 1789 qui
proscrivait la discrimination indépendamment de sa forme. Force est de
constater que le principe d'égalité de droits n'était pas
reflété dans le régime électoral enfanté par
la révolution puisqu'il était indirect. Les citoyens actifs ne
votaient directement pas leur représentant. Il était
institué par la Constitution de 1791, en son article premier de la
section 2, une Assemblée primaire au sein de laquelle les villes et les
cantons désignaient les électeurs du second degré. De
surcroît, seuls les citoyens actifs doublés du statut de
propriétaire, fermier, usufruitier, pouvaient être électeur
de second degré. Ces conditions amplement restrictives diminuaient
davantage le nombre de français aptes à choisir directement ou
sans intermédiaire leur représentant à l'Assemblé
nationale.
Les élections indirectes sont considérées
comme inégalitaires en ce sens qu'elles créent un sentiment de
hiérarchisation entre les citoyens. Seuls certains d'entre eux auraient
le discernement et l'aptitude nécessaires pour effectuer le vote final
et définitif. Rien n'autorise à croire que les « grands
électeurs », pour ainsi dire, feront forcément un choix
conforme à la volonté de la grande masse populaire sauf en cas de
mécanismes et de balises contraignants.
Quoiqu'il en soit, les députés issus de ces
élections ainsi organisées jouissaient irrévocablement de
la légitimité populaire. Par conséquent, il était
inconcevable que leur délibération législative ou leur
décision soit remise en cause par un autre organe aussi prestigieux soit
celui-ci. Là réside l'opinion d'incompatibilité entre la
justice constitutionnelle et la démocratie. Celle-ci s'est davantage
renforcée au cours de l'histoire de la France républicaine
à partir du moment où les élections des parlementaires
devenaient totalement égalitaires c'est-à-dire universelles et
directes. Cette tradition bi-séculaire sera ébranlée de
manière non significative en 1946 pour être totalement remise en
cause par le constituant de 1958 avec la création du Conseil
constitutionnel. Le constitutionnaliste Dominique Rousseau, analysant ce
revirement, écrivit :
« Toute l'histoire politique depuis 1789 témoigne
de l'hostilité de la France à l'égard de la
création d'un organe spécial chargé de contrôler la
constitutionnalité des lois au point que certains interprètent
l'entrée en scène du Conseil en 1958 comme la rupture d'une
tradition républicaine fondée sur le souvenir des parlements de
l'ancien régime et le principe de primauté de la loi ».
Kléberson JEAN BAPTISTE 27
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
Section II. La remise en cause des fondements de la
démocratie parlementaire par la justice constitutionnelle
La constitution de 1791 dispose au premier alinéa,
article 3, première section, chapitre 2 « qu'il n'y a point, en
France d'autorité supérieure à celle de la loi ».
Sous une forme tacite ou de manière expresse, l'esprit de cette
disposition législative était réitéré au
cours de deux siècles d'histoire constitutionnelle française. Non
qu'il ait été donné au législateur le droit de tout
faire, de trahir l'idéal et la pensée révolutionnaires en
se versant dans l'arbitraire car la déclaration des droits de l'homme et
du citoyen prévoyait en son article 5 que « la loi n'a le droit de
défendre que les actions nuisibles à la société
». Il y eut même des tentatives d'établir un contrôle
politique de la norme législative repoussées par le
légicentrisme et le parlementarisme ambiants. Ce qui était, par
compte, inenvisageable et impensable jusqu'en 1958 fut un contrôle
juridictionnel de la loi autrement dit la justice constitutionnelle. La raison
doit être recherchée dans les fonctions « apparemment
antidémocratique » de l'institution ayant mis fin à cette
pratique en l'occurrence le Conseil constitutionnel. Celui-ci, composé
des membres dépourvus de légitimité élective,
contrôle la loi qui émane des autorités élues par le
peuple (§ 1). Prétendant être l'arbitre ou le
régulateur des pouvoirs publics,37il oeuvre à
maintenir le Parlement, considéré jadis comme l'égal du
souverain, dans le cadre strict de ses attributions constitutionnelles (§
2).
§ 1. Le contrôle de la loi par des
non-élus
Si la révolution socio- politique de 1789 avait
entraîné la primauté inconditionnelle de la loi, la «
révolution juridique » de 1958 a renversé la tendance. Le
professeur Monterrey a l'habitude de dire « le 18ème
siècle fut le siècle de la loi, le 20ème est
celui de la constitution ». Cette remarque valable à
l'échelle planétaire est encore plus vraie concernant la France
compte tenu de son histoire. La loi, expression de la volonté
générale, exprimée par les représentants du
souverain, est susceptible dorénavant de se heurter au jugement d'un
collège de personnalités sans légitimité aucune
appelé Conseil constitutionnel. La volonté du législateur
élu au suffrage universel direct n'est plus libre et
inconditionnée mais soumise au respect des principes constitutionnels
sous le contrôle d'une instance non élue. Là se situe la
portée révolutionnaire de l'article 61 de la constitution
française de 1958. Ce dit contrôle est loin d'être une
formalité. Il constitue un examen minutieux de la loi au regard du bloc
de constitutionnalité qui est d'une immense portée sur la vie
politique française (A). La mise en oeuvre du contrôle de la
constitutionnalité des lois, soutient une partie de la doctrine, a
impliqué la participation du Conseil constitutionnel au processus
législatif (B).
37 G. DRAGO, op. cit., p.6
Kléberson JEAN BAPTISTE 28
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
A. La portée du contrôle de
constitutionnalité des lois assuré par le Conseil
constitutionnel
Le Conseil constitutionnel, fruit de la rusticité selon
le doyen Vedel38, n'a pas pour unique fonction de juger la loi. En
dénombrant ses compétences contentieuses et ses
prérogatives en matière gracieuse, Pascal Jean arrive à la
conclusion qu'en « l'état actuel du droit positif, le juge
constitutionnel exerce vingt-trois attributions »
juridictionnelles.39Cependant, le contrôle des normes
législatives encore appelé contrôle de
constitutionnalité des lois, soit de manière préventive
conformément à l'article 61, soit par le biais de la question
prioritaire de constitutionnalité (QPC) consacrée par la
révision constitutionnelle de 2008 à l'article 61-1, demeure le
plus visible et le plus important quantitativement. Ceci est dû au moins
partiellement au type de décisions susceptibles d'être
émises dans le cadre de cette attribution (1) et à leur
implication autrement dit leur degré d'autorité (2).
1. Les typologies de décisions du Conseil
constitutionnel
Les considérations formelles et rédactionnelles
ne nous retiennent pas dans l'étude des décisions du Conseil.
Pour reprendre la formule émise par le Conseil même, nous nous
intéresserons aux dispositifs des décisions et aux motivations
qui leur servent de support. « Les petites phrases », selon la
formule d'un ancien président du Conseil, Georges Vedel, n'ayant aucune
incidence sur la décision en soi seront passées sous silence.
La loi est désacralisée depuis
l'avènement de la 5ème république. Dans son
travail, apparemment contraire aux postulats démocratiques, le juge
constitutionnel peut prononcer trois (3) types de sentences à
l'égard de loi.
La première typologie de « verdicts
constitutionnels » ne bouleverse point l'ordonnancement juridique. Il
s'agit des décisions de non-lieu au cours desquelles, le juge de la loi
prononce pour diverses raisons l'absence de motifs sérieux pour juger ou
pour rejuger l'oeuvre législative. Les griefs
d'inconstitutionnalité soulevés par les adversaires de la loi
sont inopérants aux yeux du juge constitutionnel. Dans ce cas le Conseil
constitutionnel peut prononcer aussi la conformité de la loi à la
constitution. En effet, l'objectif du contrôle de
constitutionnalité, a dit le conseil dans l'une de ses décisions,
n'est pas d'empêcher la promulgation de la loi, mais de s'assurer que
celle-ci est conforme à la constitution. Si elle se
38 Voir préface du doyen Vedel dans : D. ROUSSEAU,
« Droit du contentieux constitutionnel »,9ème
édition, Paris, Montchrestien, 2010, p.28
39P. JAN, « Le procès constitutionnel
», 2ème édition, Paris, LGDJ, 2010, p.26
Kléberson JEAN BAPTISTE 29
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
révèle respectueuse des normes
constitutionnelles lors d'un contrôle, la loi jouira d'un brevet de
constitutionnalité « sauf en cas de changement de circonstances de
droit et de fait »40
La décision de non-conformité est celle qui peut
laisser croire beaucoup plus que la justice constitutionnelle est incompatible
aux principes démocratiques explicités dans la première
partie de notre travail. En effet, dans le cas d'une décision
d'inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel s'oppose frontalement
au législateur. Il estime que l'oeuvre législative n'a pas sa
place dans l'ordonnancement juridique en état. Etant que garant de la
cohérence de la pyramide normative française, le Conseil estime
que le texte voté par le parlement ne pourra pas « tirer sa
validité de la norme supérieure »41. En ce sens,
le considérant de principe émis par le Conseil constitutionnel
dans sa décision de 1985 scelle définitivement la rupture avec le
modèle démocratique légué par la révolution
basé sur la toute-puissance de la loi et du législateur. Il se
lit comme suit :
« La loi n'exprime la volonté générale
que dans le respect de la constitution »
La dernière typologie de décisions, et non la
moindre, rendues par le Conseil constitutionnel en faisant office de juge de la
loi constitue les décisions de conformité sous réserves.
La doctrine, avide de modélisation, classifie celles-ci en trois (3)
sous types. Les réserves d'interprétation neutralisante (1),
constructive (2) et directive (3) constituent les 3 sous-catégories des
déclarations de constitutionnalité sous réserves. Sans
épiloguer sur les raisons pédagogiques de cette classification,
il est loisible de souligner que certains interprètent cette forme de
jugement comme une intrusion du juge dans le domaine législatif. En
effet, celui-ci s'accorde ainsi le droit de compléter ou de modifier ou
de préciser la modalité d'application de la loi pour qu'elle soit
considérée comme constitutionnelle. Cette opération de
réinterprétation ou de filtrage constitutionnel, pour ainsi dire,
peut aboutir à dénaturer la loi votée par le parlement.
Autrement dit, les membres du Conseil risquent de substituer leur philosophie
et leur opinion idéologique à celles du Gouvernement et de sa
majorité. Ce qui est préjudiciable à la démocratie,
aux yeux de certains, est que les hommes politiques élus par le peuple
sur la base d'un programme politique sont contrés par une institution
irresponsable politiquement. D'où la merveilleuse réception en
France du concept à connotation péjorative « de gouvernement
des juges » relatif à la justice constitutionnelle
américaine sous la plume d'Edouard Lambert. Les décisions de
constitutionnalité sous réserve semblent nourrir la
polémique sur « le caractère antidémocratique »
de la justice constitutionnelle au même titre que les décisions
d'inconstitutionnalité.
40 Voir Décision n° 2009-595 DC du Conseil
constitutionnel du 3 décembre 2009
41 Voir H. KELSEN, « Théorie du droit pur »,
2ème édition, Paris, Dalloz, 1988. Kelsen y
développe la théorie pyramidale des normes. Voir l'idée de
l'ordre juridique de Kelsen dans lequel chaque norme tire sa validité
d'une norme supérieure et est le fondement d'une norme
inférieure.
Kléberson JEAN BAPTISTE 30
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
Les hommes politiques « gênés dans la
réalisation des réformes » pour lesquelles42 ils
ont le mandat populaire n'hésitent pas à remettre en cause
l'existence du Conseil constitutionnel et même le professionnalisme de
ses membres. Dans cet ordre d'idées, François Mitterrand, ancien
président socialiste, affirmait que « Le Conseil constitutionnel
est une institution dont il faudra se défaire. » dans une interview
accordée au journal Le Monde publié le 21 juin 1986. Edouard
Balladur, premier ministre, homme de droite, semble être convaincu de
l'idée qui oppose la justice constitutionnelle à la
démocratie en prononçant suite à l'inoubliable
décision n°71-44 D.C. du 16 juillet 1971 du
conseil43.
« Depuis que le Conseil a décidé
d'étendre son contrôle au respect du Préambule de la
Constitution, cette institution est conduite à contrôler la
conformité de la loi au regard de principes généraux,
parfois plus philosophiques et politiques que juridiques, quelquefois
contradictoires et de surcroît, conçus à des époques
différentes de la nôtre »
Il va sans dire que le développement de la justice
constitutionnelle en France ne s'est pas fait sans controverses et sans
critiques. Au-delà de ces incompréhensions et désaccords,
le Conseil constitutionnel s'est imposé dans le paysage politique et
juridictionnel français. Comment a-t-il pu inspirer ce respect alors
que, contrairement aux décisions des autres juridictions, les siennes ne
comportent jamais le mandement exécutoire ? Il n'est non plus pas
prévu dans le droit positif hexagonal « une Commission qui serait
chargée de veiller à la bonne exécution des
décisions du Conseil » selon les observations du
constitutionnaliste Dominique Rousseau44. Autrement dit, quel est le
degré d'autorité des décisions du Conseil constitutionnel
dans la vie politico-juridictionnelle française ?
2. L'autorité des décisions du Conseil
constitutionnel
Faisant fi de la thèse traditionnelle et
dépassée des « modèles kelsénien et
américain » de justice constitutionnelle, le constituant
dérivé français a confirmé l'autorité
absolue de chose jugée de toutes les décisions du Conseil
constitutionnel en juillet 2008. Qu'elles soient rendues dans le cadre du
contrôle « a priori » ou du contrôle « a posteriori
» (QPC), les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent «
erga omnes » dès le jour de leur publication selon la constitution
de 1958 sauf recours laissé à la discrétion du conseil de
moduler leurs effets dans le temps. L'alinéa 3 de l'article 62 de ladite
constitution ne laisse pas de doute quant à l'autorité des
décisions émises dans le cadre du contentieux constitutionnel en
disposant :
42 G. Drago, op.cit., p.51
43 C.MAUGUE et J.H STAHL, « La question prioritaire de
constitutionnalité », 1ère édition, Paris,
Dalloz, 2011, p.15
44 D.ROUSSEAU, « Droit du contentieux constitutionnel
», 9ème édition, Paris, Montchrestien, 2010, p.
169
Kléberson JEAN BAPTISTE 31
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
« Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont
susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs administratifs et
juridictionnels »
La clarté ou précision de cette disposition
constitutionnelle ne doit pas escamoter ses relatives difficultés
d'application. En effet, le Conseil constitutionnel contrairement à la
très prestigieuse Cour Suprême américaine ne chapeaute pas
l'organisation juridictionnelle française. Les cours suprêmes des
juridictions administratives et judiciaires sont respectivement le Conseil
d'état et la Cour de cassation. Sans vouloir affirmer que ces dites
cours suprêmes sont insensibles au dialogue des juges, nous pouvons quand
même déceler dans leur jurisprudence des réticences face
à l'article 62 précité. Ce paramètre appelé
de manière générale « dialogue des juges » par
la doctrine n'est ni un effet de mode ni un facteur anodin. La
compatibilité des décisions juridictionnelles des cours
suprêmes des deux ordres juridictionnels avec celles du Conseil
constitutionnel évite la contrariété de jugement et
constitue le gage de l'unité d'interprétation de la
loi-mère.
Le premier tempérament subi par le dit alinéa 3
de l'article 62 de la constitution en vigueur vient du Conseil constitutionnel
lui-même. Dans le considérant 18 de sa décision portant sur
la loi d'amnistie, 45les Sages de le rue Montpensier ont
décidé que :
« L'autorité de chose jugée attachée
à la décision du Conseil constitutionnel (...) est limitée
à la déclaration d'inconstitutionnalité visant certaines
dispositions de la loi qui lui était soumise ; qu'elle ne peut
être utilement invoquée à l'encontre d'une autre loi
conçue d'ailleurs, en termes différents »
Cela signifie que la force absolue de chose jugée
prévue à l'article 62, alinéa 3, n'est valable que pour
les décisions du Conseil constitutionnel relatives à chaque loi
de manière particulière et non à la totalité de sa
jurisprudence.
Cette conception restrictive de la chose jugée par le
Conseil s'ajoute à des divergences de vue plutôt rares entre les
cours suprêmes et le Conseil constitutionnel. L'exemple le plus connu est
la confrontation à distance de la cour de cassation et du Conseil
constitutionnel relative à la compatibilité de la
procédure de question prioritaire de constitutionnalité avec le
principe de primauté du droit de l'union européenne. Il faut
également noter les différences de position de la Cour
suprême de l'ordre judiciaire et du Conseil constitutionnel sur
l'étendue de la protection pénale du chef de l'état
à deux ans d'intervalle46.
45 Conseil constitutionnel, 20 juillet 1998, n°88, 244-DC
46 Voir Conseil constitutionnel, 22 janvier 1999,
n°98-408 DC et COUR de cassation 10 octobre 2001 arrêt Breisacher
dans lequel la Cour de Cassation rejette l'interprétation de l'article
68 de la Constitution du Conseil constitutionnel relatif au statut pénal
du chef de l'état
Kléberson JEAN BAPTISTE 32
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
Une voix autorisée et avisée remarque que le
Conseil d'état et le Conseil constitutionnel n'est pas tout à
fait sur la même longueur d'onde concernant « les actes de
gouvernement. »47. La plus haute juridiction de l'ordre
administratif refuse sans concession de vérifier la
légalité des actes de gouvernement. Quant au Conseil
constitutionnel, il s'estime compétent moyennant quelques conditions
préalables, pour contrôler la légalité de ces
actes.
Ces marginaux cas d'espèces n'autorisent nullement
à affirmer que les deux (2) Cours suprêmes méconnaissent
délibérément l'autorité de la chose jugée
par le Conseil constitutionnel. Au contraire, il s'est installé un
harmonieux « dialogue » entre ces trois (3) instances
juridictionnelles françaises où les décisions de l'une
influent la jurisprudence de l'autre. La résultante est une
interprétation totalement uniforme ou presque de la Constitution de la
République de France.
Les autorités politiques finissent toujours par
s'incliner devant la jurisprudence du Conseil en dépit des critiques
acerbes qu'elles émettent en des moments. Les différents
ministères et l'administration française conjuguent toujours leur
effort dans le sens de l'exécution des décisions du Conseil. Les
gouvernements successifs et leur majorité parlementaire prennent
toujours le soin de corriger les nouveaux projets ou propositions de loi en
fonction des censures du juge constitutionnel français. Le gouvernement,
note le Pr. Dominique Rousseau, favorise l'exécution des
décisions du Conseil en édictant de plus en plus souvent des
circulaires exposant la jurisprudence constitutionnelle et invitant les
responsables administratifs à appliquer la loi dans le respect des
interprétations contenues dans les décisions du Conseil.
B. La « participation » du Conseil
constitutionnel au processus législatif
Le concept « participation » ne doit pas être
pris au sens où le Conseil serait partie prenante dans la fonction de
légiférer au sens premier du terme. Cela serait totalement
contraire aux principes basiques de la théorie séparatiste des
pouvoirs dont la paternité est attribuée à Charles Louis
de Secondat plus connu sous le nom de Montesquieu. D'ailleurs le Conseil
constitutionnel se prémunit contre toute forme d'intrusion en ce sens en
déclarant constamment « qu'il ne dispose pas d'un pouvoir
général d'appréciation et de décision au même
titre que le parlement ». La « participation » du Conseil
constitutionnel à l'activité législative est une
construction métaphorique de la doctrine juridique exprimant deux
réalités. D'abord elle explicite l'implication des
décisions du juge constitutionnel sur la loi litigieuse qui fait d'elle
un « législateur-négatif » ou un «
colégislateur ». (1) Elle exprime ensuite de
47 Voir Communication de M. Régis de GOUTTES , premier
avocat générale de la Cour de cassation, à l'occasion du
Colloque du cinquantenaire du Conseil constitutionnel intitulé « Le
dialogue des juges » le 3 nov.2008
Kléberson JEAN BAPTISTE 33
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
manière imagée les influences de la
jurisprudence du Conseil sur la politique législative du gouvernement et
de sa majorité parlementaire (2).
1. Le Conseil constitutionnel : «
colégislateur » et « législateur »
négatif
Le Conseil constitutionnel doit sa qualité de «
colégislateur » à une démarche définitionnelle
de Charles Eisenmann empruntée et étayée par Michel
Troper. Selon l'auteur de « La Justice Constitutionnelle et la Haute Cour
Constitutionnelle d'Autriche « est auteur ou coauteur d'un acte, toute
autorité qui participe de manière décisionnelle au
processus d'édiction de l'acte, autrement dit toute autorité dont
le consentement est indispensable à la formation de l'acte ». Il
faut très vite préciser, à l'instar de Michel Troper,
qu'une commission d'experts chargé par l'état de rédiger
une proposition de texte législatif ne répond pas à ce
critère. Aussi qualifiés que soient les experts, leur avis n'est
qu'un simple conseil et n'a aucune force décisionnelle. Les
autorités peuvent toujours passer outre de leurs recommandations. En
revanche, la décision du Conseil constitutionnel s'impose aux
autorités gouvernementales et juridictionnelles au terme de l'article 62
précité. Le Conseil, grâce à la force obligatoire de
ces décisions, fait partie de l'ensemble des acteurs édictant la
loi. Selon cette grille de lecture doctrinale, le législateur est ainsi
concurrencé par le juge constitutionnel dans son travail «
d'énonciation de la volonté générale ».
Conséquemment la fonction législative est partagée par le
gouvernement, le législateur et le juge constitutionnel dans le cadre
d'un projet de loi. Elle se réduit aux parlementaires et au Conseil
constitutionnel s'il s'agit d'une proposition de loi.
Quant à la dénomination encore
métaphorique de « législateur négatif », elle
est issue des réflexions de Hans Kelsen sur la justice constitutionnelle
en particulier et sur la science juridique de manière
particulière. Selon le maître de Viennes, la différence
plausible entre « la fonction juridictionnelle et la fonction
législative consiste avant tout en ce que celle-ci crée des
normes générales, tandis que celle-là crée des
normes individuelles ». Kelsen déduit de cette différence
fonctionnelle que le juge constitutionnel fait exceptionnellement office de
législateur en prononçant une décision de censure car,
dit-il :
« Annuler une loi, c'est poser une norme
générale ; car l'annulation d'une loi a le même
caractère de généralité que sa confection,
n'étant pour ainsi dire que la confection avec un signe négatif,
donc elle-même une fonction législative. Et le tribunal qui a le
pouvoir d'annuler les lois est par conséquent un organe du pouvoir
législatif »
Ces deux constructions doctrinales peuvent renforcer la
conviction de l'incompatibilité de la justice constitutionnelle avec la
démocratie. Il n'en est rien car elles n'ont pas pour but de cautionner
un empiètement du juge constitutionnel sur les prérogatives
exclusives du pouvoir législatif. Elles ne font que témoigner du
dialogue et de la cohabitation institutionnels établis entre les
pouvoirs publics du fait de l'avènement de la justice constitutionnelle
sous la 5ème
Kléberson JEAN BAPTISTE 34
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
république. Autrement dit, en recourant à ses
formules, les auteurs précités décrivent implicitement
l'influence sans cesse grandissante des prescriptions jurisprudentielles du
Conseil constitutionnel sur la politique législative gouvernementale
appuyée par sa majorité parlementaire.
2. Le poids de la jurisprudence du conseil dans la
fonction de légiférer
La jurisprudence du Conseil constitutionnel est
impérativement prise en compte lors de la préparation et de la
discussion d'un texte de loi. Au sein des différents gouvernements, il
s'est installé ce que Dominique Rousseau appelle «
l'exécution préventive » des décisions du Conseil
constitutionnel. Les services internes gouvernementaux et les
différentes commissions parlementaires subissent l'influence de la
jurisprudence du conseil lors de la rédaction des futurs projets de loi
et lors de la discussion y relative. Nous voulons pour preuve les
déclarations de l'actuelle ministre de la justice relatives au projet de
loi sur le harcèlement sexuel suite à l'invalidation du
Conseil48de l'article 222-33 du code pénal pour
non-conformité à « la légalité des
délits et des peines ».Celle-ci, lors du débat au
sénat relatif à ce nouveau texte, eut à affirmer que
prévenir le risque d'inconstitutionnalité a été
pour elle une préoccupation permanente. Cet aveu de la garde des sceaux
nous permet de déduire que la jurisprudence du Conseil constitutionnel
produit son plein effet dès les travaux préparatoires d'un texte
législatif.
L'ancien premier ministre Michel Rocard, nous dit l'auteur
précité, eut à demander à ses ministres « de
faire étudier attentivement par leurs services les questions de
constitutionnalité que pourrait soulever un texte en cours
d'élaboration ».
Ces dispositions administratives et cette volonté au
plus haut sommet de l'état d'éviter les griefs
d'inconstitutionnalité s'ajoutent aux différents types de
réserves d'interprétation évoqués plus haut. En
effet, les réserves interprétatives du Conseil constitutionnel
orientent les futurs choix du législateur dans un sens ou un autre.
Par sa jurisprudence sur l'incompétence
négative, le Conseil oblige le législateur à
épuiser toutes ses prérogatives constitutionnelles. Celui-ci doit
se laisser guider par l'interprétation que le conseil donne à ses
attributions au risque de voir son oeuvre invalidée parce qu'il a
déchargé ses responsabilités sur le pouvoir
réglementaire. Tout compte fait, le premier instrument de travail du
législateur doit être le catalogue des décisions du conseil
pour éviter les déconvenues. Celui-ci doit modeler sa politique
législative en conséquence. Il est rare que la jurisprudence du
Conseil constitutionnel ne soit pas invoquée lors d'un débat
parlementaire soit pour renforcer la perception de la solidité juridique
du texte en discussion soit « pour
48 Conseil constitutionnel, n°2010-240 ,04 mai 2012, QPC
Kléberson JEAN BAPTISTE 35
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
prétendre qu'il est un mort-né à cause
d'éventuelles contradictions à la ligne jurisprudentielle
tracée par les neuf (9) Sages de la rue Montpensier.
A la lumière de ces facteurs, il est évident que
la jurisprudence du Conseil constitutionnel est d'une influence
déterminante sur le travail législatif en amont et en aval. Les
décisions interprétatives sus-évoquées servent
d'orientation et de guide pour le parlement et le gouvernement. Il faut quand
même signaler que l'épée Damoclès de «
gouvernement des juges » menace constamment le Conseil constitutionnel
comme tout juge constitutionnel. Ce spectre récurrent est
également exploité par les défenseurs de la thèse
opposant la justice constitutionnelle et la démocratie.
Le Conseil constitutionnel n'exerçait qu'un
contrôle formel de la loi initialement c'est-à-dire se portant
exclusivement sut les questions procédurales et de compétence. La
doctrine constitutionnaliste nomme ceci un examen de régularité
externe par opposition au contrôle de la régularité interne
s'intéressant au contenu et au fond de la loi. Il a fallu attendre la
décision liberté d'association du 16 juillet 1971 pour que le
Conseil fasse une interprétation extensive de ses compétences en
alliant depuis les deux types de contrôle de constitutionnalité. A
la timidité originelle du constituant originaire de 1958 quant au
contrôle de constitutionnalité des lois contraste un dessein
clairement et constamment exprimé de limiter strictement les
attributions du Parlement. « Pour se diriger dans le labyrinthe des
dispositions constitutionnelles de 1958 », conseille Dominique Rousseau,
« il existe un fil d'Ariane simple et connu de tous : l'abaissement du
Parlement »49. L'institution chargée de
l'effectivité et de la surveillance de cet abaissement était et
demeure le Conseil constitutionnel.
§ 2. L'affaiblissement du Parlement
Selon la conception française de la démocratie
relatée plus haut, conception formée dès 1789, le
Parlement porte en lui la représentation nationale.
Conséquemment, il est au-dessus de toutes les autres instituions
indépendamment de la nature de celles-ci. Cette logique
démocratique fondera, comme déjà expliqué, quatre
(4) républiques. La cinquième république symbolise avec
fracas la fin de ce visage de la démocratie. Le professeur Pierre
Brunet, résumant la fin du parlementarisme français affirme non
sans humour :
« La souveraine d'hier fut enterrée dans le
cercueil de la Constitution de 1958 sur lequel le Conseil constitutionnel vient
déposer un obiter dictum »
L'institution chargée de maintenir le parlement dans le
cadre strict de ses attributions constitutionnelles limitativement
énumérées est le Conseil constitutionnel. Pour
répéter les mots du feu François Luchaire, éminent
constitutionnaliste et constituant en 1958, l'on peut
49 D ROUSSEAU, op.cit., p.24
Kléberson JEAN BAPTISTE 36
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
affirmer que le Conseil constitutionnel a comme fonction
principale « de surveiller parlement » (A)50.
Paradoxalement, la surveillance des prérogatives parlementaires a
impliqué le renforcement du gouvernement sur tous les plans (B).
A. La surveillance du parlement assurée par le
Conseil constitutionnel
Croyant comme Kelsen, le père du normativisme, que la
théorie de l'autolimitation parlementaire est un leurre, les
constituants de 1958 ont donné naissance à une instance
juridictionnelle pour protéger la constitution contre les
éventuels errements et empiètements du parlement en flagrante
contravention avec la tradition et la culture politique française. Miche
Debré, garde des Sceaux du gouvernement de Gaulle, déclara que
« la constitution a créé une arme contre la déviation
parlementaire ». Ainsi prend fin la hiérarchisation des trois (3)
pouvoirs publics et corrélativement l'hégémonie
parlementaire léguée par la révolution. La doctrine
politique et constitutionnaliste retient le concept de « rationalisation
parlementaire » pour qualifier ce retournement de situation.
L'antiparlementarisme de la Charte fondamentale de 1958 peut être
décelé dans plusieurs de ses dispositions. L'article 34 de la
constitution, à titre d'exemple, prend le soin d'énumérer
les uns après les autres les domaines sur lesquels le parlement peut
légiférer. Conséquemment, il a été
laissé un large champ normatif au profit de l'autorité
réglementaire. Organe exclusivement chargé au début de sa
création de veiller à la répartition verticale des
pouvoirs, le Conseil se trouve de fait comme un contrepouvoir en face des
assemblées parlementaires conformément à l'esprit et
à la lettre de la constitution en vigueur. Du fait de la pesanteur des
croyances et du mythe représentatif, le Conseil a été
très vite dénoncé par certains comme un frein à la
démocratie ou comme une institution aux antipodes des canons de la
démocratie.
La fin de la souveraineté parlementaire et la
délimitation des compétences du législateur traduisent
l'échec de la démocratie représentative ou tout au moins
de sa dénaturation orchestrée sciemment. Se rendant compte des
travers du parlementarisme, les dirigeants de la 5ème république
ont rompu avec la théorie de confusion de l'identité des
gouvernés avec celle des parlementaires. En dépit de
l'investiture populaire de ces derniers, leur volonté redevient
subordonnée à l'interprétation que fait le Conseil des
normes constitutionnelles. A partir de 1971, année de
l'émancipation du conseil, la juridictionnalisation de la
déclaration des droits de l'homme et du préambule de la
constitution de 1946 a considérablement élargi les normes de
référence à partir desquelles le Conseil constitutionnel
contient l'activité législative dans ses limites. Qui plus est,
le Conseil constitutionnel, sous le fondement de l'alinéa premier de
l'article 61 de la constitution, examine la constitutionnalité des
règlements intérieurs des assemblées parlementaires ce
qui, selon certains analystes, constituerait une violation de
50 Voir F. LUCHAIRE, « Le juge constitutionnel en France
et aux Etats-Unis. Etude comparée », 1ère
édition, Paris, Economica, 2002
Kléberson JEAN BAPTISTE 37
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
l'autonomie du parlement. A ceux qui objectent que le Conseil
constitutionnel consacre ainsi un rejet de la démocratie, les Sages
répondent que la constitution, symbolisant le contrat social, est la
règle de droit suprême.
En effet à partir de 1958, le parlement n'est plus
l'incarnation de la souveraineté nationale. Il constitue comme le
l'exécutif et le judicaire un pouvoir constitué qui doit
être contrebalancé par les autres puisque seul « le pouvoir
peut arrêter le pouvoir ». Cette délimitation du pouvoir du
législateur n'a pas créé de vide juridique dans l'appareil
normatif français. Cela est dû au fait que les domaines ravis au
parlement ont été placés sous l'égide d'autres
autorité normatives. Grâce ainsi à l'accentuation de la
décentralisation consacrée le principe constitutionnel de libre
administration des collectivités locales, les élus locaux ont pu
bénéficier également d'un espace normatif pour administrer
les entités infra- étatiques. Cependant, le véritable
bénéficiaire de l'embrigadement du législateur
assuré par le Conseil constitutionnel demeure le pouvoir exécutif
dans sa dimension bicéphale. Plus précisément, la
réduction du domaine législatif a eu comme pendant
l'élargissement du domaine réglementaire du gouvernement.
B. Le renforcement du pouvoir réglementaire
Le pouvoir réglementaire est le champ dont dispose les
autorités exécutives pour édicter des règlements
ayant les mêmes caractères que la loi c'est-à-dire dire des
actes exécutoires, de portée générale et
impersonnelle. La Constitution de 1958 a considérablement élargi
ce pouvoir au détriment du pouvoir législatif. Le premier
ministre, chef de l'action gouvernementale, est le codétenteur du
pouvoir réglementaire. Toutes choses égales par ailleurs, son
rôle ne consistait qu'à prendre des mesures d'application des
lois, à l'instar des autres pouvoirs étatiques, selon la culture
politique diffusée par le régime parlementaire. La 5ème
république a encore été le signe d'une rupture sur ce
point. Il a été adjoint au pouvoir réglementaire
d'exécution des lois une autre façon d'exercer ce type de
compétence. La constitution de 1958, à l'alinéa premier de
son article 37, prévoit un pouvoir réglementaire autonome sous
l'égide du chef du gouvernement c'est-à-dire qui « couvre
les matières » totalement ravies au législateur. Aux termes
de l'article 41 de la constitution, le Conseil constitutionnel statue en cas de
désaccord entre le gouvernement et le président de
l'assemblée parlementaire « s'il apparaît au cours de la
procédure législative qu'une proposition ou un amendement n'est
pas du domaine de la loi ». Cette article s'inscrit dans l'optique de ne
laisser aucune marge de manoeuvre au parlement ou de l'empêcher de
s'auto-procurer des prérogatives imprévues par les prescriptions
constitutionnelles. Il va de soi que l'autre dépositaire du pouvoir
réglementaire, en l'occurrence le président de la
république, dispose d'un droit de regard quand il ne contresigne pas les
décrets et autres délibérations gouvernementales.
Kléberson JEAN BAPTISTE 38
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
L'une des autres mesures et non la moindre visant à
renforcer le gouvernement est la procédure de
délégalisation tracée à l'article 37, alinéa
2 de la constitution. Aux termes de cette disposition, « les textes de
forme législative » s'immisçant dans le domaine
réglementaire feront l'objet de déclassement par le Conseil
constitutionnel si le premier ministre y tient car les juges de la rue
Montpensier ne disposent pas du droit d'autosaisine. Il s'agit d'empêcher
la concrétisation de toutes velléités de « l'ancien
souverain » de recourir à des pouvoirs qui lui ont
été enlevés par la Constitution. De fait, la
procédure de délégalisation est susceptible d'être
mise en oeuvre que pendant les périodes de cohabitation. La
bipolarisation de la vie politique ou le jeu politicien s'agençant le
plus souvent d'une façon que l'exécutif dans sa dimension
bicéphale et la majorité parlementaire soient de même
appartenance politique en sont les causes. En 1998, soit après quarante
ans d'existence, le Conseil n'avait rendu que 220 décisions sous le
fondement de l'alinéa 2 de l'article 37.
Il faut ajouter à cette autonomisation du pouvoir
réglementaire le fait que différentes autorités
administratives indépendantes disposent d'un pouvoir
réglementaire sectoriel sous la surveillance du Conseil d'état ou
en général de l'ordre juridictionnel administratif en
général. L'autorité réglementaire, sous la
direction du chef de l'exécutif et du chef du gouvernement, a investi
les domaines où la loi et le parlement ont été «
expulsés » par la Constitution de 1958. Cette forme de
défense des prérogatives de l'exécutif contre le parlement
illustre parfaitement l'esprit antiparlementariste de la Constitution
française de 1958.
La justice constitutionnelle en général et celle
de la France particulièrement essuie dès leur naissance les
accusations ayant à voir à leur supposé caractère
antidémocratique. Le Chief justice Jhon Marshall préconise deux
solutions alternatives à ce qui est considéré comme un
« dilemme » pour plus d'un en France et ailleurs. L'éminent
juge constitutionnel écrit :
« Ou la constitution est un droit supérieur,
suprême, inaltérable par des moyens ordinaires ; ou elle est sur
le même plan que la loi ordinaire et, à l'instar des autres lois,
elle est modifiable selon la volonté de la législature.
»51
Hans Kelsen, le concepteur du « modèle »
européen de justice constitutionnelle a esquivé vigoureusement
cette soi-disant contradiction en ces termes :
« Si, contrairement à ces vues, on continue
d'affirmer l'incompatibilité de la justice constitutionnelle avec la
souveraineté du législateur, c'est simplement pour dissimuler le
désir de la puissance politique qui s'exprime dans l'organe
législatif de ne pas se laisser -en contradiction patente avec le droit
positif -limiter par les normes de la Constitution. Mais, même si on
approuve cette tendance pour des raisons d'opportunité, il n'est
d'argument juridique dont elle puisse s'autoriser »52
51 E ZOLLER, « Les grands arrêts de la Cour
suprême des Etats-Unis », 1ère édition,
Paris, Dalloz, 2010, p.11
52 H. KELSEN, « la garantie juridictionnelle de
la Constitution », op.cit., p.224
Kléberson JEAN BAPTISTE 39
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
Ces deux personnalités auxquelles sont
attribuées à juste titre la paternité des deux
traditionnelles « typologies de justice constitutionnelle » rejettent
presque d'un revers de main l'opposition entre celle-ci et une vie
démocratique.
Kelsen comme nul autre a prouvé que l'alliance entre le
contrôle judicaire de constitutionnalité des lois et la
démocratie n'est pas contrenature en la concrétisant sans remous
dès 1920 dans l'Autriche républicaine.53Sans
prétendre prendre le contrepied du maitre de Viennes et du juge
Marshall, deux hommes ayant marqué la science juridique de leur
empreinte, nous pensons quant à nous que cette question est loin
d'être épuisée et encore moins dans un pays qui fut aussi
longtemps sous le joug du parlementarisme et du légicentrisme les plus
extrémistes et acerbes comme la République française. En
effet, la forme de démocratie adoptée et léguée par
la révolution française est difficilement conciliable avec le
mécanisme de justice constitutionnelle. La démocratie telle que
pratiquée et diffusée par les révolutionnaires aboutit
à un état légal et à un régime
d'assemblée faisant fi de la théorie « checks and balances
» de Montesquieu. Le parlement transfiguré de « manière
mythique » en unique représentant du peuple s'accommode très
mal d'une instance judiciaire qui assure l'effectivité des normes
constitutionnelles au point d'écarter les lois votées
conformément à la procédure parlementaire. Pour
paraphraser le docteur en droit, Philippe Pichot, l'on dira que « la mise
en oeuvre d'un contrôle de constitutionnalité se heurte au primat
de la volonté de la nation souveraine et au légicentrisme qui en
est l'expression. » Cependant l'importance pour le monde contemporain et
l'acuité de la question suivante sont tout aussi indéniables :
« La démocratie en tant que concept
polysémique et vivant peut-elle sous l'une de ses diverses formes
d'opérationnalisation être subsumée sous le
mécanisme procédural qu'est la justice constitutionnelle ?
».
53 La Haute Cour constitutionnelle d'Autriche est
la 1ère Cour constitutionnelle du « modèle »
européen de justice constitutionnelle
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
Kléberson JEAN BAPTISTE 40
Kléberson JEAN BAPTISTE 41
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
Chapitre II. La garantie et le renouvellement de la
démocratie par la justice constitutionnelle
La doctrine constitutionnaliste ne saurait éluder la
question de la légitimité démocratique de la justice
constitutionnelle vu son importance pour la pérennité de
celle-ci. Cependant les plus ardents défenseurs de la justice
constitutionnelle ou tout au moins un grand nombre pèchent
méthodologiquement parlant dans cette quête inlassable de
légitimation. Piégés par la doctrine représentative
et ses aléas, les constitutionnalistes et non les moindres
définissent la démocratie en se concentrant au prime abord sur
des considérations institutionnelles. S'ils ne font pas totalement table
rase de l'aspect protectionniste de la démocratie, ils relèguent
au second plan la sauvegarde des droits des citoyens. Ils privilégient,
comme nous l'avons vu, l'étude des parlements, de l'institution
électorale et de la séparation des pouvoirs et s'adonnent
seulement après l'épuisement de ces questions aux rapports des
citoyens avec les gouvernants et entre eux. Or, la justice constitutionnelle
est facilement superposable à la démocratie si on part du citoyen
plutôt que de la « superstructure institutionnelle » pour
répéter le langage marxiste. Aborder la démocratie en
mettant l'accent « a priori » sur son versant institutionnel implique
de privilégier les moyens par rapport aux fins. Le citoyen reste et
demeure « l'origine et le centre de tout processus démocratique
»54. En d'autres termes, tout défenseur de la
subsomption de la justice constitutionnelle sous la démocratie doit dans
un premier temps avoir une approche anthropocentrique de cette notion à
la richesse incommensurable .Une fois cette prudence méthodologique
observée, la constante lutte du juge constitutionnel en faveur du
respect des droits et libertés fondamentaux la légitimera aux
yeux de tout démocrate (Section 1). En outre de ce facteur, la
justification ou la légitimité de la justice constitutionnelle
s'est opérée à l'échelle européenne
grâce à un changement de paradigme démocratique (Section
2).
54 Voir Union Interparlementaire, « La démocratie
: principes et réalisation », 1ére
édition, Genève, 1998
Kléberson JEAN BAPTISTE 42
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
Section I. Le Conseil constitutionnel et la lutte en
faveur des droits et libertés fondamentaux
Ce rôle protecteur des droits et libertés
fondamentaux n'a pas été assigné explicitement au juge
constitutionnel pas plus qu'il ne le lui a été interdit
explicitement. « Telle une créature qui s'émancipe de son
créateur », le Conseil s'est érigé en
défenseur des droits et libertés fondamentaux malgré les
réserves des constituants de 1958. Ces derniers ne voulaient cantonner
le juge constitutionnel français qu'au rôle « de chien de
garde de l'exécutif » contre les éventuels
empiètements du parlement. Il n'était jamais question que le
conseil dépasse cette fonction régulatrice de l'activité
des pouvoirs publics dans l'intention originelle des concepteurs de la
loi-mère de 1958. Par un « coup de force jurisprudentielle »,
les Sages ont donné valeur constitutionnelle à la
déclaration des droits de l'homme, au préambule de la
constitution de 1946 et corrélativement ont élargi leurs
prérogatives à la protection des droits individuels et sociaux.
En outre d'avoir le mérite d'associer sans problèmes la justice
constitutionnelle et la démocratie telle que définie plus haut,
cette fonction protectionniste sert la cause incontestable de l'état de
droit. En cela, elle est conforme à l'opinion que Tocqueville a
émise concernant les USA :
« Resserré dans ses limites, le pouvoir
accordé aux tribunaux américains de se prononcer sur
l'inconstitutionnalité des lois forme encore une des plus puissantes
barrières qu'on ait jamais élevées contre la tyrannie des
assemblées parlementaires»55
Cette fonction majeure de la justice constitutionnelle
comporte deux versants dans sa mise en oeuvre. D'abord, elle protège la
sphère privée des gouvernés de toute intrusion
liberticide. (§ 1). Ensuite, elle fait avancer la cause de l'état
de droit que nul ne songerait aujourd'hui à contester
sérieusement (§ 2).
§ 1. Le Conseil constitutionnel : outil de protection
des gouvernés face aux gouvernants
Le passage de la Constitution -séparation verticale des
pouvoirs- à la Constitution -garantie des droits- à partir de la
décision du 16 juillet 1971 est l'origine de la fonction avant-gardiste
des droits de l'homme du Conseil constitutionnel. L'incorporation du
préambule de la Constitution de 1958, et, par voie de
conséquence, des deux textes auxquels celui-ci renvoie, au bloc de
constitutionnalité contrairement aux idées émises par
Kelsen56 en est l'expression
55 A DE TOCQUEVILLE, « De la démocratie en
Amérique », 1ère édition, Tome I, Paris,
Flammarion, 1981, p.172
56 H KELSEN, « La garantie juridictionnelle », op.cit.,
p.239
Kléberson JEAN BAPTISTE 43
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
concrète. Le contrôle de
constitutionnalité des lois, outre du corpus constitutionnel proprement
dit, a comme normes de référence les droits civils et politiques
issus de la déclaration de 1789, les droits socio-économiques
tirés du préambule de la constitution du 27 octobre 1946 et
depuis 2005 les droits environnementaux. Conformément aux directives
onusiennes, le Conseil constitutionnel n'établit aucune
hiérarchie entre les 3 générations de droit de l'homme
tout au long de sa jurisprudence protectionniste. L'indivisibilité des
droits de l'homme implique toujours, à titre d'exemple, la conciliation
des principes constitutionnels tels que la liberté d'aller et venir
(1ère génération des droits de l'homme) et le
droit de grève (2ème génération des droits de
l'homme). La panoplie des droits et libertés consacrés par le
Conseil constitutionnel augmente au gré de l'évolution de la
société (A). Cette faculté créatrice encore
appelée pouvoir normatif du juge constitutionnel est loin d'être
absolu en dépit de son immense étendue (B).
A. Les droits et libertés fondamentaux
La charte jurisprudentielle des droits de l'homme encore
appelé « Constitution sociale » par Hauriou, loin s'en faut,
n'est pas aussi rigide que la Constitution stricto sensu. Le domaine
sacré des libertés citoyennes s'infléchit
régulièrement à l'aune des interprétations
jurisprudentielles. Le juge constitutionnel français comme partout
ailleurs est maître de l'orientation et de la signification des normes
jurisprudentielles qu'il crée .Cette faculté
quasi-discrétionnaire leur donne la liberté de faire
évoluer le sens des différents droits fondamentaux.
L'efficacité de cette fonction de protecteur des droits fondamentaux est
tributaire de l'évolution des principes existants. La jurisprudence y
relative doit faire siennes les évolutions de la société.
Il est interdit en ce sens au législateur, selon une jurisprudence
constante, « de priver de garanties légales les exigences
constitutionnelles »57 comme c'est indiquée plus haut.
La doctrine qualifie cette restriction jurisprudentielle affublée au
travail législatif « d'effet cliquet ».L'intégration du
volet de protection des droits de l'homme a eu d'importantes
répercussions sur la nature du Conseil constitutionnel et du droit
constitutionnel. (2) De droit politique étudiant les rapports des
pouvoirs publics, le système électoral et les partis politiques,
celui-ci devient un droit juridictionnel c'est-à-dire un droit dit par
le juge ou un droit vivant selon les termes empruntés à la
doctrine italienne (1).
57 Conseil constitutionnel, n°86-210, 29 juillet 1986, DC
Kléberson JEAN BAPTISTE 44
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
1. La constitution sociale : un droit vivant
L'arsenal jurisprudentiel constitué par le conseil pour
protéger les droits fondamentaux des justiciables contre tout texte de
loi à visée liberticide est sans commune mesure avec celui des
autres fonctions qu'il assure. La liste ouverte des droits fondamentaux, selon
la formule consacrée par la doctrine, épouse la couleur du temps
au sens sociologique du terme. Cette fonction du juge constitutionnel est
d'autant plus créatrice et discrétionnaire que la constitution du
4 octobre 1958 ne fixe pas une liste exhaustive et explicite de droits
fondamentaux hormis la détermination du juge judiciaire comme gardienne
de la liberté individuelle et la prohibition de la peine de mort en ses
articles 66et 66-1 et d'autres dispositions disparates et isolées. Force
est de rappeler que c'est essentiellement à propos de la protection des
droits fondamentaux, que le Conseil a soulevé d'office
l'inconstitutionnalité de diverses dispositions législatives.
Nous recensons parmi d'autres : atteinte au principe de nécessité
des peines (n° 80-127DC des 19 et 20 janvier 1981) ; violation du principe
d'égalité en matière électorale (n° 82-146 DC
du 18 novembre 1982) ; méconnaissance de l'indépendance de
l'autorité judiciaire (n° 84-182 DC du 18 janvier 1985) ; atteinte
à la liberté individuelle (n° 86-216 DC du 3 septembre 1986)
;non-respect des droits de la défense (n° 86224 DC du 23 janvier
1987) ; violation de l'exigence de pluralisme des courants d'idées et
d'opinions (n°89-271 DC du 11 janvier 1990) ; discrimination entre
français et étrangers quant à l'octroi d'une prestation
sociale (n° 89-269 DC du 22 janvier 1990). Le conseil autant que peut se
faire rattache ses principes protectionnistes à la lettre ou à
l'esprit de la constitution lato sensu afin de ne pas porter préjudice
au pouvoir général de décision et d'appréciation du
législateur. En matière de protection de droits et
libertés fondamentaux, le fait pour le législateur de
méconnaitre l'étendue de ses compétences autrement dit son
incompétence négative est sanctionnée par le Conseil. La
facilité avec laquelle le pouvoir réglementaire modifie ses actes
administratifs n'est pas jugée par les Sages assez sécuritaire
pour leur laisser s'occuper exclusivement des droits fondamentaux des
citoyens.
La politique jurisprudentielle du Conseil constitutionnel en
matière de droits fondamentaux est proche de celle de la Cour
suprême des USA et de la Cour de Karlsruhe si l'on excepte ici et
là de légères variations sur des sujets vraiment clivant
et de haute portée historico-politique. En témoignent le maintien
de la peine de mort dans quelques états des Etats-Unis et la politique
jurisprudentielle de la Cour constitutionnelle allemande plus ou moins rigide
en matière d'avortement en raison, dit-elle, du passé
eugénique de la république fédérale d'Allemagne. Le
cas des transsexuels ne trouve pas une solution similaire aux yeux des
différentes Cours constitutionnelles européennes en raison du
fait que la Cour européenne des droits de l'homme laisse une large marge
de manoeuvre et une intense liberté d'interprétation aux
états sur ce point sauf en cas manifeste de pratiques
discriminatoires.
Tout en évitant l'activisme juridictionnel, la
jurisprudence du Conseil en matière de protection des droits
fondamentaux comme en d'autres matières couvre tous les sujets de
société. La jurisprudence constitutionnelle n'étant pas
figée, elle est susceptible d'évoluer en fonction des
Kléberson JEAN BAPTISTE 45
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
circonstances factuelles et juridiques. L'un des exemples le
plus probant en ce sens est le revirement jurisprudentiel qui a causé la
censure immédiate du régime de garde à vue par la
décision n°2011-223 QPC pour atteinte aux droits de la
défense. La nouvelle procédure connue sur l'acronyme QPC ne
concerne pas toutes les dispositions constitutionnelles mais exclusivement
celles protégeant des droits et libertés constitutionnels.
En définitive ce déclic jurisprudentiel
amorcé par la décision n° 7 1-44 D.C. du 16 juillet 1971 a
transformé le Conseil constitutionnel français. Elle l'a mise
« en pleine lumière » s'il faut paraphraser le Pr. Dominique
Rousseau. A partir d'elle, le Conseil créé un droit
constitutionnel substantiel ou relationnel c'est-à-dire ayant pour objet
d'étude les droits fondamentaux de la personne humaine. En
élargissant le contrôle de constitutionnalité sur le fond
ou le contenu du texte législatif, la décision d'association
conjuguée à la réforme constitutionnelle de 1974 voulue et
faite par Valérie Giscard D'Estaing a engendré la
métamorphose du juge constitutionnel français.
2. La métamorphose du Conseil constitutionnel : la
décision du 16/06/1971
D'abord les juristes ont déduit de cette dite
décision l'engloutissement définitif de la tradition de
légicentrisme français. En effet, la loi est dorénavant
formellement et matériellement subordonnée à la
Constitution. Le constitutionnalisme étant que théorie du droit
prônant la garantie par une Constitution écrite du pouvoir
souverain et des droits fondamentaux s'est définitivement
installé. Cette métamorphose a impliqué la sollicitation
beaucoup plus fréquente du prétoire du juge constitutionnel
français. Les statistiques relèvent la multiplication par vingt
du nombre de lois déférées au Conseil constitutionnel dans
l'espace de temps compris entre 1974 et 1989.Cela a constitué un saut
qualitatif et quantitatif.
Au fil de l'exercice du pouvoir normatif du Conseil
constitutionnel, contrairement à la théorie de Montesquieu de
« pouvoir nul du juge, bouche de la loi », le bloc de
constitutionnalité français n'a cessé de s'enrichir. En
outre de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le Conseil
constitutionnel a consacré la valeur constitutionnelle des principes
fondamentaux reconnus par les lois de la République
énoncés dans le préambule de 1946 dont le premier fut la
liberté d'enseignement. La particularité de ces principes tient
au fait qu'ils n'étaient pas énumérés
jusqu'à ce que le Conseil les ait donnés naissance. Au cours de
deux décisions des 20 juillets 1988 et 4 juillet 1989, le Conseil a
précisé les contours des principes fondamentaux reconnus par les
lois de la République. Ils doivent être issus d'une
législation républicaine antérieure à la
4ème république jamais abrogée ou
modifiée par le législateur. Ce sont des principes de droit
positif qui ont comme mérite la constance ou la répétition
sur les différentes législatures républicaines. Ceci
dénote l'incohérence des propos faisant croire que le juge
constitutionnel veut imposer ces croyances philosophiques ou sa pensée
jusnaturaliste aux décideurs publics.
Kléberson JEAN BAPTISTE 46
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
Les principes politiques, économiques et sociaux
particulièrement nécessaires à notre temps tirés du
préambule de 1946 ont eux aussi acquis la valeur constitutionnelle.
Contrairement aux droits civils et politiques, ceux-ci ont été
décrits comme des droits-créances impliquant de la part des
autorités leur engagement traduit par des prestations positives. Tandis
que les droits de la première génération impliquent la
création d'une sphère privée inviolable autrement dit
l'abstention de l'état. La célèbre décision
relative à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) au cours de
laquelle le droit à la santé a été promu au rang
des droits constitutionnels est le commencement de cette politique
jurisprudentielle. Il en est suivi la consécration des objectifs
à valeur constitutionnelle susceptibles de porter des limites à
d'autres libertés pour assurer l'ordre public, la
sécurité, la tranquillité et la paix publique.
Comme c'est déjà dit, le Conseil concilie ces
différentes libertés constitutionnelles sans reconnaitre de
valeur hiérarchique formelle entre les différentes composantes du
bloc de constitutionnalité. La règle latine « lex posterior
derogat priori » unanimement adoptée dans les pays de droit
romano-germanique y compris la France n'est pas de mise entre la
Déclaration de 1789 et le préambule de 1946 puisque, dit le
Conseil, les deux textes ont été votés ensemble par le
peuple français en 1958. Le Conseil se sert de sa marge
d'appréciation discrétionnaire mais non arbitraire pour associer
les droits et libertés constitutionnels divergents.
B. Le caractère non absolu du pouvoir normatif
du Conseil constitutionnel
Aussi loin qu'aille le pouvoir normatif du juge, aussi
important soit-il, il doit être manié avec retenue pour ne pas
succomber dans les travers du gouvernement des juges. Le Conseil d'état
français qui a créé presque de manière
prétorienne un bon pan du droit administratif français est la
preuve que le juge use en général son devoir de réserve
pour s'autolimiter. Maître de sa jurisprudence en tant que cour
régulatrice, la haute juridiction administrative a toujours fait preuve
de cette habilité en exerçant son pouvoir créateur de
normes. Le Conseil constitutionnel, dans l'élaboration de sa
jurisprudence, n'a pas également fait preuve d'agitation
juridictionnelle au sens où il défendrait une idéologie au
détriment d'une autre. Les lois, qu'elles soient l'initiative d'une
majorité de droite ou de gauche, reçoivent le même
traitement jurisprudentiel de la part du juge constitutionnel français
ayant comme boussole le bloc de constitutionnalité dans son
intégralité et les circonstances de droit et de fait. Par souci
de cohérence juridictionnelle, le Conseil constitutionnel est dans un
certain sens lié par sa jurisprudence. Ainsi les Sages ont
adhéré à l'opinion de leur homologue italien selon
laquelle « le contrôle de constitutionnalité doit être
contenu dans les limites au-delà desquelles il constituerait une
inadmissible ingérence dans la sphère de
discrétionnalité politique réservée à
l'organe législatif ». Ceci n'insinue aucunement qu'il ne puisse,
comme tout juge, opérer un revirement jurisprudentiel. Le Conseil est,
en dépit de tout, libre d'infléchir ou de moduler sa
jurisprudence dans un sens ou dans un autre en fonction de « sa lecture ou
de sa relecture »
Kléberson JEAN BAPTISTE 47
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
d'une disposition constitutionnelle et des données
sociologiques. En revanche, la faculté créatrice du Conseil est
tempérée par le lit de justice (1) et par la concurrence avec le
président de la république dans son rôle
d'interprète de la Constitution (2).
1. Le lit de justice : frein au pouvoir normatif du
Conseil constitutionnel
L'expression lit de justice est une survivance de l'ancien
régime reprise par le doyen Georges Vedel, également ancien
président du Conseil constitutionnel. Il s'agit d'une institution de
l'ancienne monarchie de France par laquelle le roi surmontait l'opposition des
Parlements. Les Parlements étaient des cours dotées de fonctions
judiciaires, mais aussi législatives. Lorsque le roi édictait des
lois, celles-ci étaient transmises aux Parlements, qui devaient les
enregistrer pour les rendre exécutoires. Si ces Parlements dont la plus
célèbre fut celle de Paris s'opposaient aux lois donc au
souverain, ils lui adressaient des « remontrances ». Le roi pouvait
passer outre en envoyant des « lettres de jussion » mais si celles-ci
demeuraient sans effet, il se rendait lui-même au Parlement, ou il
s'asseyait sur un « lit de justice » et rendait l'arrêt
ordonnant l'enregistrement. Le roi exerçait ainsi sa
souveraineté.
Ce « terme de lit de justice » lourd de charges
politiques et historiques a été sciemment
récupéré par le dit doyen pour expliciter une sorte de
barrière que le constituant dérivé peut opposer à
une décision du Conseil constitutionnel. Il traduit une flagrante
opposition entre le constituant et le juge constitutionnel qui se solde
toujours par la victoire du premier. Sa traduction concrète est la
modification immédiate autrement dit une révision
constitutionnelle qui infirme « de jure » la décision du
Conseil constitutionnel. Le doyen Vedel utilisait cette construction
théorique pour expliquer que le juge constitutionnel ne s'oppose jamais
à la volonté générale et que son contrôle se
résume en un contrôle de procédure. En ce sens, une
déclaration d'inconstitutionnalité n'avait rien
d'anti-démocratique car son but final était de dire à la
majorité parlementaire d'emprunter la voie constitutionnelle au lieu de
la voie législative. Cette thèse vedelienne autour de laquelle
s'est créé sinon une unanimité du moins un consensus est
ainsi formulée dans l'avant-propos de la thèse
rééditée de Charles Eisenmann :
« Souvent le contrôle de constitutionnalité
des lois est, naïvement ou savamment, présenté comme
aboutissant à faire prévaloir la volonté du juge contre la
volonté générale et, à la limite, comme faisant
échec à la démocratie. Mais il ne pourrait en être
ainsi que si le juge constitutionnel pourrait imposer un droit
supra-constitutionnel. Dans la réalité, il ne peut que se borner
à dénoncer une incompétence : ce n'est pas une
condamnation de fond qu'il prononce en déclarant une loi contraire
à la Constitution. Ce n'est jamais qu'une condamnation de
procédure : le contenu de la loi se serait imposé à lui
s'il avait fait l'objet d'une révision constitutionnelle. Autrement dit,
le refus de promulgation de la loi que la Cour
Kléberson JEAN BAPTISTE 48
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
constitutionnelle oppose au pouvoir législatif peut
toujours être brisé par ce « lit de justice » qu'est la
révision constitutionnelle ».
La concrétisation de cette théorie doctrinale
s'est opérée par la révision constitutionnelle ayant
accouché la loi constitutionnelle n° 93-1256 du 25 novembre 1993.
En effet, le pouvoir constituant dérivé s'est réuni
à Versailles à cette date pour adopter une disposition
législative censurée par le Conseil constitutionnel dans sa
décision n°93-325 DC du 13 aout 1993. A l'occasion de l'adoption de
cette dite loi constitutionnelle comportant un seul article, le premier
ministre Edouard Balladur, très remonté contre le pouvoir
normatif du Conseil constitutionnel, prononce dans un passage de son discours
de circonstance à l'endroit des parlementaires :
« De la même manière qu'il est
légitime pour le pouvoir législatif de préciser à
l'intention des juges administratifs ou judiciaires le sens d'une loi, il est
légitime pour le pouvoir constituant, dont vous êtes le
dépositaire, de dire lui-même quel est le contenu exact d'une
disposition constitutionnelle. Nul n'est aussi qualifié que lui,
c'est-à-dire que vous, pour le faire. »
Le doyen Louis Favoreu, dans le prolongement de la
théorie de lit de justice du doyen Vedel, a inventé celle du juge
constitutionnel « aiguilleur ». Selon celle-ci le Conseil
constitutionnel, par une décision d'inconstitutionnalité, ne fait
qu'indiquer au pouvoir législatif de prendre la voie constitutionnelle
puisqu'il constate l'impraticabilité de la voie ordinaire. Ces deux
thèses, s'ils ne rendent pas compte de toutes les susceptibilités
et de tout l'ampleur du travail du Conseil, ont le mérite de
réfuter habilement la thèse qui oppose la justice
constitutionnelle aux présupposés démocratiques
étudiés au premier chapitre de notre travail.
La prudence et la sagesse du juge constitutionnel et la
possibilité de recourir au « lit de justice » ne sont pas les
seules limites au pouvoir du Conseil constitutionnel. Celui-ci ne
détient pas le monopole de la sauvegarde et de l'interprétation
de la Constitution même en faisant abstraction d'une révision
constitutionnelle par la majorité qualifiée à cet effet.
En cette matière, les neuf (9) Sages sont ou tout au moins devraient
être concurrencés par le locataire de l'Elysée au terme de
l'alinéa premier de l'article 5 de la constitution.
2. Le président de la république :
garant de la bonne application de la Constitution
Le président de la république est la clef de
voûte du système politique instauré sous la 5ème
république. En plus de ses prérogatives régaliennes
à tire d'exemple diplomatie, défense de l'intégrité
du territoire, la Constitution de 1958 le charge de « veiller au respect
de la Constitution ». Ce devoir constitutionnel oblige le magistrat
suprême à s'approprier des normes constitutionnelles et à
les interpréter au besoin. L'initiative de la révision de la
Constitution appartient concurremment au président de la
république et à la majorité
Kléberson JEAN BAPTISTE 49
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
parlementaire qualifiée sur proposition du premier
ministre. En cas de dysfonctionnement institutionnel, il incombe au premier
citoyen de la nation de prendre les mesures qui s'imposent selon son
appréciation de la lettre et de l'esprit de la Constitution. En pareille
circonstance, la Constitution en son article 16, oblige le président de
la république à seulement consulter le Conseil constitutionnel.
Il lui revient également le pouvoir de prendre l'initiative d'un
référendum populaire sous un sujet d'intérêt public.
Les spécialistes du droit constitutionnel dénoncent toujours la
jurisprudence constante du Conseil selon laquelle il s'abstient de tout
contrôle à l'égard d'une loi votée par le biais du
processus référendaire au motif que celle-ci reflète
l'expression directe de la souveraineté populaire. L'immunité des
lois référendaires de toutes natures (ordinaires et
constitutionnelles) combinée à la large capacité
d'appréciation que la Constitution réserve au premier mandataire
de la nation fait de celui-ci une véritable interprète de la
constitution et de facto « un juge constitutionnel » mais qui
délibère exclusivement par voie de disposition
générale quand les circonstances socio-politiques le
requièrent.
Ces principes dépassent la personnalité et les
convictions idéologiques du président de la république.
Ils constituent les fondements institutionnels, politiques et
démocratiques de la 5ème république telle qu'elle est
ficelée par la Constitution de 1958. Ainsi resserrée dans ses
limites selon la formule tocquevillienne, le contrôle juridictionnel de
constitutionnalité des lois ci-devant la justice constitutionnelle fait
avancer partout où il est adopté et bien apprivoisé la
cause de l'état de droit.
§ 2. Le Conseil constitutionnel : instrument de
consolidation et d'avancement de l'état de droit
Le Conseil constitutionnel est l'une des institutions qui
oeuvrent à la consolidation de l'état de droit en France. Avant
le Conseil constitutionnel, dès la troisième république,
le Conseil d'état avait commencé à exercer lui aussi cette
fonction par la procédure de recours en excès de pouvoir contre
les actes administratifs donc infra législatifs. Le contrôle de
constitutionnalité des lois, selon la formule de Charles Eisenmann,
n'est qu'un test de compatibilité entre les deux plus hauts
étages de la pyramide normative. Il est de ce fait une
nécessité quasi incontournable pour le règne de
l'état de droit au même titre que l'oxygène l'est pour le
maintien de la vie. En effet, l'état de droit est
caractérisé par une hiérarchie des normes. Les actes
administratifs de toutes natures (décrets, arrêtés etc.)
doivent être conformes aux lois, lesquelles doivent être en
harmonie avec la constitution. Ceci suppose un contrôle de
constitutionnalité qui limite le pouvoir législatif et assure
l'effectivité de la suprématie de constitution (A).
Au-delà de ses finalités hautement sociales, la justice
constitutionnelle constitue indéniablement un instrument aux mains de
l'opposition ou de la minorité parlementaire (B).
Kléberson JEAN BAPTISTE 50
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
A. La suprématie de la Constitution
En effet, la notion d'état de droit, d'origine
allemande, présuppose une structure institutionnelle dans laquelle la
puissance publique ne peut passer outre des normes constitutionnelles stricto
sensu et de l'interprétation authentique fournie par le juge
constitutionnel. Les normes édictées par la puissance publique
sont valides à condition de respecter ou d'être conformes à
celles qui leur sont supérieures dont la Constitution selon la
théorie kelséniene. Dans un état de droit
l'administration, bras actif du pouvoir exécutif, et le pouvoir
législatif ne sont pas incontrôlés dans leur fonction
respective de mise en oeuvre et d'élaboration des normes
régissant la vie publique. L'état pas plus que le citoyen ne peut
agir en dehors de la légalité au sens complet du terme qui
suppose donc au premier chef la primauté ou la prééminence
de la Constitution. De ce fait, le juge constitutionnel devient un maillon
d'une importance inestimable dans le système judiciaire
indépendant que requiert l'épanouissement d'un état de
droit. Il en résulte une rigoureuse cohérence de l'ordre
juridique national (1) autour de la Constitution. D'aucuns considèrent
ce paramètre comme un facteur de pacification sociale ou servant
à perdurer l'ordre démocratique (2).
1. L'unité et la cohérence de l'ordre
juridique national
La soumission du législateur aux principes
constitutionnels est le gage de la hiérarchie des normes et de la
cohérence de l'ordre juridique qui constitue l'un des
présupposés obligatoires pour l'établissement de
l'état de droit. L'objectif de la justice constitutionnelle est
d'assurer la hiérarchie entre les lois ordinaires et la loi-mère.
Ce faisant, elle préserve l'unité de l'ordre juridique sous
l'égide de la règle ayant la plus haute valeur normative en
l'occurrence la Constitution. Etant la norme suprême, la Constitution
fonde tout le système kelsénien en plus du fait que la loi
strictement parlant c'est-à-dire le texte voté par le parlement
tire sa validité d'elle. Sans le contrôle de
constitutionnalité, la pyramide normative risque de s'effondrer
même si les textes de valeur normative inférieure sont conformes
les uns avec les autres. D'où la mise en garde de Kelsen contre toute
forme d'angélisme ou de laxisme du droit positif en termes de justice
constitutionnelle :
« L'organe législatif se considère dans la
réalité comme un créateur libre du droit et non comme un
organe d'application du droit, lié par la constitution, alors qu'il
l'est théoriquement, bien que dans une mesure relativement restreinte.
Ce n'est donc pas sur le Parlement lui-même que l'on peut compter pour
réaliser sa subordination à la Constitution. C'est un organe
différent de lui, indépendant de lui et par conséquent
aussi de toute autorité étatique qu'il faut charger de
l'annulation de ses actes inconstitutionnels c'est-à-dire une
juridiction ou un tribunal constitutionnel ».
Kléberson JEAN BAPTISTE 51
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
L'importance de l'unité de l'ordre de l'ordre juridique
pour le maitre de Viennes l'obligeait à réfuter le modèle
américain de contrôle diffus de constitutionnalité. Non que
les juges ordinaires soient inaptes à confronter deux textes mais il
voulait à tout prix éviter des interprétations
jurisprudentielles différentes ou contraires. En effet le contrôle
de constitutionnalité décentralisé tel que pratiqué
Outre Atlantique est susceptible de laisser dans l'ordonnancement juridique un
texte de loi muni d'interprétations jurisprudentielles concurrentes
voire contradictoires. Ce fait est d'autant plus grave puisque, selon le
père du normativisme, un texte vierge de toute interprétation
jurisprudentielle n'est qu'un ensemble de signes plus ou moins logiques. Le
texte adopté par le parlement devient norme seulement après avoir
fait l'objet d'une interprétation judiciaire. En dépit du fait
que les américains ne connaissent point deux ordres juridictionnels, le
risque d'interprétations contraires demeure même dans le cas de
deux tribunaux relevant d'une seule et même Cour suprême. Si pour
une raison ou pour une autre, la Cour suprême n'a pas été
touchée du contentieux constitutionnel pour donner l'ultime et
l'authentique interprétation, les tribunaux inférieurs
continueront à interpréter différemment la Constitution ou
la loi litigieuse.
En revanche, le modèle proposé par Kelsen et
adopté dans un premier temps par l'Europe continentale assure la
sécurité juridique puisque la décision de l'unique organe
compétent en la matière clarifie « in limine litis » le
sort de la loi. En effet le contrôle centralisé ou
concentré de justice constitutionnelle aboutit à une
décision à effet absolu à laquelle aucun autre juge ne
peut déroger. La loi bénéficie d'un brevet de
constitutionnalité opposable à tout juge et à toute
institution si le juge constitutionnel ne la censure pas. Dans le cas
contraire, elle n'intègrera jamais en l'état l'ordonnancement
juridique puisqu'il n'a pas satisfait « au test de
constitutionnalité ». Le risque de deux interprétations
jurisprudentielles différentes est inexistant car le contrôle est
assuré exclusivement par une instance unique et
spécialisée. Le nom de celle-ci importe moins que sa fonction.
Les différentes Cours constitutionnelles fournissent un travail
quasi-similaire avec celui du Conseil constitutionnel dans le but d'assurer
l'unité et la cohérence de l'ordre juridique sous lequel elles
évoluent. Elles apportent ainsi leur pierre contributoire à la
stabilité socio-politique autrement dit la justice constitutionnelle est
un facteur de pacification sociale.
2. Justice constitutionnelle : facteur de pacification
sociale
L'état, comme nous l'avons déjà
rappelé est le détenteur légitime de l'appareil
répressif. Envers toute la collectivité nationale, l'état
est redevable des droits- libertés et des droits-créances. Pour
ce faire, l'une des branches de l'état en l'occurrence le pouvoir
législatif adopte conformément à une procédure
prédéterminée des textes de lois opposables à tout
citoyen. L'état met en oeuvre sa force et son pouvoir légitime
pour punir les contrevenants et leur complice. Tout citoyen ou groupe de
citoyens agissant en dehors du cadre légal risque de se heurter à
l'autorité de poursuite qu'est le procureur de la république. En
revanche aussi
Kléberson JEAN BAPTISTE 52
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
puissant soit-il, la machine étatique doit se
défendre de porter préjudice aux sujets de droit par ses
agissements et ses commandements. Cette limite au pouvoir étatique est
prévue par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du
26 aout 1789 en son article 2 :
« Le but de toute association politique est la
conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits
sont la liberté, la propriété, la sureté, et la
résistance à l'oppression ».
La souveraineté a été
transférée mais cela n'implique nullement la privation du peuple
de toutes ses prérogatives. L'intérêt de la justice
constitutionnelle est de contenir l'état dans ses limites en
contrecarrant tout programme législatif à visée
absolutiste et totalitaire. Ainsi, elle prévient ou rend inutile les
révoltes populaires qui se révèlent quelques fois
extrêmement incendiaires. Autrement dit, la justice constitutionnelle est
l'un des moyens légaux et pacifiques d'éviter que le gouvernement
et sa majorité ne sombrent dans la négation des droits
élémentaires du peuple souverain. Elle est d'autant plus
légitime à exercer cette délimitation qu'elle est
elle-même un mécanisme étatique. Malgré les
critiques à peine voilées essuyées par le Conseil de la
part des membres du pouvoir exécutif et législatif, il reste et
demeure l'un des derniers remparts institutionnels contre les abus de pouvoir.
Il contrôle l'action législative en l'encadrant au besoin par des
réserves d'interprétation méticuleusement
explicités. Au-delà de ceci, le Conseil contrôle même
l'inaction du législateur grâce à sa jurisprudence
qualifiée « d'incompétence négative »
unanimement par la doctrine.
La mise en oeuvre du droit constitutionnel de
résistance à l'oppression même sous sa forme violente est
la résultante de manière générale d'une justice
faible et de manière particulière d'une justice constitutionnelle
qui ne répond pas à sa vocation. L'oppression du peuple ne se
manifeste pas exclusivement par des lois touchant à ses droits civils et
politiques. Le législateur peut initier un régime totalitaire
dans des domaines apparemment anodins grâce à sa plénitude
de compétence. Dans cet ordre d'idées, le théoricien
libéral Adam Smith écrivait déjà au
18ème siècle :
« Il ne fait pas de doute qu'un impôt exorbitant,
équivalant par exemple, en temps de paix comme en temps de guerre,
à la moitié ou même au cinquième de la richesse de
la nation, justifierait, comme tout abus caractérisé de pouvoir,
la résistance du peuple »58
Cette vertu pacificatrice de la justice constitutionnelle se
manifeste encore beaucoup plus lorsque tout justiciable ou tout groupe de
pression peut saisir le juge constitutionnel sans trop de restrictions
procédurales et de manière concrète.
John Locke, sans le vouloir ou le savoir, a
légitimé la justice constitutionnelle par ce long
réquisitoire contre le pouvoir législatif ou cet appel à
la désobéissance civile :
58 Voir A.SMITH, « Leçon sur la jurisprudence »,
1ère édition, Paris, Dalloz-Sirey, 2009
Kléberson JEAN BAPTISTE 53
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
« (...) chaque fois que les législateurs tentent
de saisir et de détruire les biens du peuple ou de le réduire
à l'esclavage d'un pouvoir arbitraire, ils entrent en guerre contre lui
; dès lors il est dispensé d'obéir et il n'a plus
qu'à se fier au remède que Dieu a donné à tous les
hommes contre la force et la violence. Aussi, dès que le pouvoir
législatif transgresse cette règle fondamentale de la
société, dès que l'ambition, la peur la folie ou la
corruption l'incitent à essayer, soit de saisir lui -même une
puissance qui le rende absolument maître de la vie des sujets, de leurs
libertés et de leurs patrimoines, soit de placer une telle puissance
entre les mains d'un tiers, cet abus de confiance le fait déchoir des
fonctions d'autorité dont le peuple l'avait chargé à des
fins absolument opposées ; le pouvoir fait retour au peuple, qui a le
droit de reprendre sa liberté originelle et d'établir telle
législature nouvelle que bon lui semble pour assurer sa sureté et
sa sécurité, qui sont la fin qu'il poursuit dans l'état
social ».
Ainsi compris, la justice constitutionnelle est effectivement
« le confort des démocraties modernes » selon la formule de
l'éminent constitutionnaliste qu'est le doyen Vedel. De par les
fonctions de la justice constitutionnelle précédemment
étudiées, il nous est loisible de déduire que non
seulement la justice constitutionnelle n'est pas contraire à la
démocratie mais qu'elle en est son aboutissement ou l'une de ses
expressions les plus concrètes et palpables.
En outre de ses considérations socio-politiques
hautement salutaires pour l'intérêt général, la
justice constitutionnelle est souvent un instrument aux mains de l'opposition
ou de la minorité parlementaire suite à son désaveu
électoral.
B. Le Conseil constitutionnel : instrument de
défense des droits de l'opposition ou de la minorité
parlementaire
Il n'y a aucune contradiction logique à soutenir qu'en
démocratie l'unique autorité légitimement investie du
pouvoir est précisément la volonté de la majorité
proclame le juriste et philosophe argentin Carlos S. Nino. Ce serait nier tous
les présupposés démocratiques de prétendre le
contraire. Le Conseil constitutionnel ou encore la justice constitutionnelle
n'est ni l'allié de la majorité ni celui de la minorité
parlementaire. L'enceinte réservée à la lutte
politico-politicienne reste et demeure le parlement. Les débats et
arguments politiques doivent se métamorphoser en points de droit ou en
arguments juridiques une fois arrivés à la rue Montpensier. Le
prétoire du juge constitutionnel opère la « juridicisation
de la politique »59 au sens propre et au sens procédural
du concept. Le doyen Vedel, en sa qualité d'ancien président du
Conseil, corrobore ce point de vue en écrivant que le Conseil a
posé des « règles permanentes et objectives, susceptibles
d'opérer indépendamment de la nature du pouvoir en place, qu'il
soit de droite ou de gauche ». Quoi qu'il en soit, la majorité
parlementaire impose de droit ses vues, son projet politique et sa vision du
monde à la minorité. Cependant la
59 D ROUSSEAU, op.cit., p.520
Kléberson JEAN BAPTISTE 54
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
politique tout au moins dans un régime
démocratique ne saurait être uniquement un rapport de force. Elle
se laisse saisir par le droit et implique de ce fait la contradiction, le
pluralisme politique (1) et favorise ainsi la perspective d'une alternance
politique (2).
1. Le pluralisme politique et les débats
contradictoires entre majorité et minoritaire
Kelsen eut à affirmer dans son livre intitulé
« La Démocratie .Sa nature -Sa valeur » traduit en
français par son disciple Charles Eisenmann que « par
définition même, la majorité suppose l'existence d'une
minorité ; et par suite, le droit de la majorité suppose le droit
d'une minorité à l'existence ». Le professeur des
universités, Basile Ridard, nous apprend quant à lui que «
la minorité est le pendant conceptuel de la majorité » au
cours d'une étude comparative de l'opposition parlementaire en France et
au Royaume-Uni. Ces discours et bien d'autres d'origine doctrinale renseignent
sur l'importance vitale du pluralisme politique dans un système qui se
veut démocratique. Le comité de réflexion et de
proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des
institutions de la cinquième (5ème) république,
conscient d'un vide juridique en cette matière, a fait des propositions
permettant d'y remédier. La constitutionnalisation du statut de la
minorité parlementaire a été concrétisée
à l'occasion de la réforme constitutionnelle de 2008. Le
constituant dérivé a également fait injonction à
l'assemblée parlementaire de prévoir de manière expresse
les prérogatives de la minorité parlementaire par l'introduction
de l'article 51-1 qui se lit ainsi :
« Le règlement de chaque assemblée
détermine les droits des groupes parlementaires constitués en son
sein. Il reconnaît des droits spécifiques aux groupes d'opposition
de l'assemblée intéressée ainsi qu'aux groupes
minoritaires ».
De ce fait, l'accueil et le traitement des contestations du
groupe qui est en infériorité numérique au parlement par
le juge constitutionnel est la preuve que celui-ci fait avancer le débat
démocratique au-delà du cadre strictement partisan. La
célèbre phrase du député socialiste André
Laignel en octobre 1981, lors du débat sur les nationalisations à
l'Assemblée nationale à l'endroit de la droite minoritaire «
Vous avez juridiquement tort car vous êtes politiquement minoritaires
» perd son sens lorsque le Conseil constitutionnel est sollicité
soit par les autorités politiques de manière abstraite soit par
un justiciable lors d'un procès concret depuis 2008. Les
minorités politiques et corrélativement les minorités
sociales qu'elles représentent peuvent aussi imposer leur vue et leur
opinion si celles-ci sont juridiquement solides et défendables. En
effet, la crainte d'une majorité éventuellement tyrannique s'est
toujours manifestée à travers les prises de position de certains
et les publications d'autres. Le théoricien de la démocratie
Alexis de Tocqueville, réfléchissant sur le fonctionnement de la
démocratie américaine, s'est interrogé en ces termes :
Kléberson JEAN BAPTISTE 55
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
« Qu'est-ce que donc qu'une majorité prise
collectivement, sinon un individu qui a des opinions et le plus souvent des
intérêts contraires à un autre individu qu'on nomme la
minorité ? Or, si vous admettez qu'un homme revêtu de la toute
-puissance peut en abuser contre ses adversaires, pourquoi n'admettez -vous pas
la même chose pour une majorité ? »60
Contrairement à une idée reçue, la
justice constitutionnelle ne freine pas à tout prix la volonté
majoritaire. Elle a seulement pour vocation de ne pas réduire la
république en un foyer de pensée unique sous prétexte du
principe majoritaire. Autrement dit, elle donne indirectement à la
minorité l'occasion de faire la promotion de ses idées et de ses
propositions politiques même après la défaite
électorale à condition que celles-ci trouvent un point d'ancrage
dans la norme constitutionnelle ou dans la jurisprudence constitutionnelle.
L'opposition profite ainsi de chaque décision constitutionnelle qui lui
est favorable pour se donner du crédit et avoir de la bonne presse
auprès de la population à grands renforts de propagande
politicienne.
Le Conseil constitutionnel, sans enfreindre l'autonomie des
autorités politiques et sans substituer son appréciation de
l'opportunité à la leur, sert ainsi de correcteur aux
excès et erreurs susceptibles d'être commis par le régime
représentatif dont l'unique crédo est la légitimité
électorale. Sans renier sous aucune forme les vertus du principe
majoritaire, il canalise et jauge les contestations de la minorité en
fonction de principes prédéterminés non
influençables par le verdict des urnes en soi. Il existe comme en
d'autres domaines un « consensus jurisprudentiel » sur la valeur
hautement démocratique du pluralisme politique. En témoigne la
réitération presque mot pour mot du considérant de
principe suivant du Conseil constitutionnel par la haute juridiction
administrative dans une décision d'assemblée du 8 avril
2001.61
« Le pluralisme des courants de pensée et
d'opinion, dont le pluralisme de l'expression politique est une composante est
l'une des conditions de la liberté ainsi garantie et de la
démocratie .Il constitue en lui-même un objectif de valeur
constitutionnel. »
Sans jamais se départir de son rôle
juridictionnel et de plusieurs mécanismes d'autolimitation
(décision longuement motivée à visée
pédagogique, référence au bloc de
constitutionnalité, compétence d'attribution), le Conseil
constitutionnel subordonne la vie politique française au droit en
sanctionnant les exagérations, fûssent-elles partagées par
la majorité. De ce fait, il favorise et régule l'alternance
politique sans s'en soucier.
60 A DE TOCQUEVILLE, « De la démocratie en
Amérique », op .cit. I, 2, chap. VII.
61 Voir CONSEIL const, n°89-271 DC, 11janv.1990 et
COOSEIL d'état, Ass., n°31136, 8 avril 2009 ou plus amplement Voir
P DE MONTALIVET, « Libertés d'expression et de communication (dans
les médias) » in G DRAGO (dir.), « Chronique de l'observatoire
de jurisprudence constitutionnelle », Cahiers du Conseil
constitutionnel, 2010, n°28
Kléberson JEAN BAPTISTE 56
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
2. Justice constitutionnelle et alternance
politique
L'étude statistique de la jurisprudence
constitutionnelle relève une forte hausse de saisines du Conseil
constitutionnel en période d'alternance. L'inflation législative
dans le bon sens du terme induit par l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle
majorité convertit le Conseil constitutionnel en régulateur des
implications juridiques de l'alternance politique. Si l'alternance politique ne
peut pas créer à elle seule un changement de politique
jurisprudentielle mais elle oriente le type de contentieux constitutionnels
susceptibles d'être examinés par le Conseil constitutionnel. En
période de basculement du pouvoir à gauche comme ce fut le cas en
mai 1981, le Conseil constitutionnel a dû se référer
beaucoup plus à la déclaration des droits de l'homme et du
citoyen pour neutraliser un peu les initiatives législatives qui sont
par définition ou idéologiquement sociales interventionnistes et
collectivistes. Quand les rênes du pouvoir sont détenues par une
majorité de droite, les Sages utilisent davantage « la Constitution
sociale » pour canaliser ou réprimer l'ardeur libérale et
individualiste qui irrigue les propositions et les textes de loi. Ainsi, le
Conseil constitutionnel garantit et rend effectif le principe d'alternance
politique sans se faire le champion ou le partisan d'une idéologie.
Louis Favoreu explicitait l'importance du rôle joué par le Conseil
constitutionnel pendant la première période d'alternance qu'a
connue la cinquième (5ème république) en ces
termes 62 :
« Le rôle joué par le Conseil
constitutionnel au moment de l'alternance de 1981 a été peu et
mal perçu. En réalité lorsqu'on mesurera la portée
de la quarantaine de décisions rendues en 1981-1983, on s'apercevra que
le processus politique de l'alternance ne se serait pas déroulé
de la même manière s'il n'y avait pas un juge constitutionnel
».
Les réserves d'interprétation de toutes natures
du Conseil prescrivent une application constitutionnelle des nombreuses
réformes législatives de la nouvelle majorité sans
désavouer radicalement ou frontalement celles de l'ancienne au cours du
processus démocratique d'alternance politique. Une fois reçue du
Conseil le brevet de constitutionnalité pour une réforme, le
parti au pouvoir peut mettre en mouvement les autres qui lui sont
complémentaires en dépit des protestations idéologiques et
politiciennes à priori.
Il va sans dire que le Conseil a été
facilité dans cette fonction de garant de l'alternance par la
réforme de 1974 déjà étudiée dans le cadre
de notre travail parce que cette dite réforme offrait même aux
acteurs politiques de recourir au Conseil. A chaque fois que l'occasion lui
était donnée soit par les quatre plus grandes autorités du
pays (Président -Premier Ministre-Président de l'Assemblée
nationale ou du sénat) soit par une frange de la minorité
parlementaire, le Conseil avait « facilité » la
matérialisation de l'alternance politique contrairement à une
idée qui était en vogue.
62 L .FAVOREU, « LE Conseil constitutionnel et
l'alternance », Revue française de science politique,
1984, n°4-5, résumé
Kléberson JEAN BAPTISTE 57
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
Favoriser ou réguler l'alternance politique n'insinue
nullement que le Conseil ait adhéré à l'opinion du
député André Laignel en donnant toujours gain de cause
à l'ex opposition du fait qu'il soit devenu « politiquement
majoritaire ». On peut corroborer cette affirmation en citant, à
titre d'exemple, l'annulation de l'une des principales dispositions
législatives sur l'université proposées et votées
par les socialistes sous la présidence de François Mitterrand. Il
est de mode aussi de rappeler la décision de l'ancien président
Nicolas Sarkozy de solliciter vainement l'aide du premier président de
la Cour de Cassation après la censure partielle du projet de loi relatif
à la rétention de sureté et à la déclaration
d'irresponsabilité pour cause de trouble mental par le Conseil dans sa
décision du 21 février 2008 pour méconnaissance des
principes de séparation des pouvoirs et de l'indépendance du
pouvoir judiciaire.
En revanche, l'on peut dire que le Conseil est garant de
l'alternance politique puisqu'il ne juge pas de l'opportunité des
réformes législatives de la nouvelle majorité quelle que
soit leur teneur sauf en cas d'erreur manifeste. Il se garde de restreindre la
liberté d'action de l'ex opposition et d'entraver son pouvoir
discrétionnaire acquis grâce au verdict des urnes. Sa
jurisprudence canalise juridiquement le « changement » politique
promis lors de la campagne électorale et votée lors des joutes
électorales. Le juge constitutionnel se révèle comme un
catalyseur de l'alternance politique au sens où il la facilite et
l'encadre sans y prendre part compte tenu de la nature objective et
juridictionnelle de son travail. L'éminent juriste Maurice Duverger
abonde totalement dans ce sens en établissant clairement les
distinctions entre celui-ci et le travail politique de la minorité
parlementaire :
« Le pouvoir d'opposition du Conseil constitutionnel n'a
pas la même nature que celui du Sénat et de la minorité de
l'Assemblée nationale. Le second implique une appréciation toute
subjective du contenu de la réforme engagée par la
majorité. Le premier vérifie que les lois ainsi votées
sont conformes aux règles juridiques dont le respect s'impose à
chaque parti pour maintenir la démocratie »63
En faisant du pluralisme des courants d'idée et
d'opinion l'une des conditions sine qua none de la démocratie, le
Conseil prohibe sans conteste la dictature majoritaire au sein de la
société politique française. Il offre indubitablement la
possibilité à la minorité d'aujourd'hui d'être la
majorité de demain sans jamais renoncer à sa posture de
neutralité et d'impartialité malgré le renouvellement du
personnel politique. L'épineuse question de la légitimité
de la justice constitutionnelle semble être reléguée en
second plan vu le changement que son existence et son travail ont
suscité sur le paysage politico-institutionnel. Tout au moins, ses
fonctions de régulateur de l'activité normative et de protecteur
des droits humains conjuguées au discrédit des parlements
à l'échelle européenne ont impliqué un changement
de paradigme démocratique après la deuxième guerre
mondiale.
63 Cité dans M DUV, « La république des
citoyens », Paris, Ramsay, 1983, p .273
Kléberson JEAN BAPTISTE 58
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
Section II. Le changement de « paradigme »
démocratique sous l'effet du Conseil constitutionnel
L'implémentation réussie de la justice
constitutionnelle en France comme ailleurs a bouleversé
l'échiquier politique et a relativisé les données
longtemps considérées comme incontestables. Les raisons de ce
renversement de situation sont de divers ordres. Les juristes et historiens du
droit à l'instar de Louis Favoreu et de Wanda Mastor
énumèrent et explicitent les raisons théoriques,
politiques, historiques et institutionnelles ayant causé dans un premier
temps le succès du modèle kelsénien en Europe et de
manière plus générale celui de la justice
constitutionnelle dans le monde en second lieu. Toutes ces thèses
justificatives renvoient à une nouvelle appréhension du concept
de démocratie sous l'effet du travail des juridictions
constitutionnelles et à la crise de la démocratie
représentative sous sa forme purement parlementaire à
l'échelle européenne (§ 1). Tenant compte de
l'impossibilité matérielle de retourner à toute forme de
démocratie directe comme nous l'avons déjà
expliqué, le choix que certains juristes, après Dominique
Rousseau, dénomment « démocratie constitutionnelle » a
été fait par les différentes nations (§ 2).
§ 1. La crise de la démocratie parlementaire
à l'échelle européenne
Tout concourrait à la crise de la démocratie
parlementaire telle que conçue par la révolution française
à la seconde moitié du 20ème siècle.
Cependant, la faillite des principes sur lesquels étaient bâtis ce
« régime ou gouvernement d'assemblée » avec le temps
constitue ses réelles limites. En effet, la réalité
historique et la pratique politique ont mis en exergue l'aboutissement au
totalitarisme des régimes parlementaires (B) et la dilution des
postulats d'infaillibilité et de vénération de la loi en
un mot sa perte de prestige (A).
A. La perte de prestige de la loi
La loi, jadis idolâtrée, a perdu de son estime
aux yeux des spécialistes mais aussi dans l'imaginaire collectif. Ceci a
précipité la chute de la souveraineté parlementaire et son
corollaire qui est la démocratie représentative. Le déclin
de la loi contre toute attente est dû à sa complexité
croissante et au recours de plus en plus fréquent qu'on y fait. Il en
résulte que la loi revêt des caractères nouveaux dans
lesquels se diluent« les traits par lesquels la démocratie
classique accentuait son prestige »selon le constat de Georges Burdeau. La
perte de qualité et le discrédit du texte législatif sont
dus, d'une part à ce que les spécialistes qualifient
Kléberson JEAN BAPTISTE 59
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
d'inflation législative (1). Cette suractivité
législative, non sans paradoxe, s'est accompagnée de
l'instabilité de la loi pour achever sa désacralisation (2).
1. L'inflation législative
L'augmentation du nombre de lois en valeur absolue et en
pourcentage ne résulte pas exclusivement des paramètres
nationaux. L'internationalisation du droit par le truchement des accords de
toutes natures et de toutes espèces contribue à rendre la loi
plus complexe en dépit d'un accès relativement facilité
par les nouveaux moyens de communication. Aucun domaine de la vie nationale
n'échappe à la coexistence ou la cohabitation des conventions
internationales sous la forme de coopération multilatérale ou
bilatérale et de la législation nationale. Il faut
également ajouter à ce foisonnement de normes législatives
la forte et légitime pression de la Cour de justice de l'Union
européenne pour transposer les différentes directives
européennes dans les délais requis. Tous ces acteurs
juridico-politiques influent grandement sur la régulation normative en
France comme ailleurs.
En dépit de la jurisprudence constitutionnelle et des
voix dissuasives de la doctrine, certaines catégories de Français
considèrent encore la loi stricto sensu comme une « panacée
» ou une solution contre tous les problèmes. La tradition de
légicentrisme, quoique dépassée et affaiblie
considérablement, a encore des promoteurs dans la société
française. De ce fait, les différentes majorités
gouvernementales et parlementaires ne freinent jamais leur appétit
législatif soit pour résoudre vraiment en profondeur de nouveaux
problèmes soit par manoeuvre politicienne. Il est évident que les
mots suivants prononcés par Montaigne demeurent d'actualité :
« Nous avons en France plus de lois que le reste du monde
ensemble, et plus qu'il n'en faudrait à régler tous les mondes
d'Epicure ».
Le désir immodéré du législateur
à tout prévoir va à l'encontre de l'une des
caractéristiques auxquelles la loi a valu son prestige et son
éclat pendant tout le long parlementarisme français. En outre,
cette appétence à légiférer implique
malheureusement que les textes de lois perdent amplement de leur portée
à cause de la non-normativité ou d'une normativité fugace
et « incertaine ». En témoigne, la censure par le juge
constitutionnel du 2 de l'article 7 de loi litigieuse relative à
l'orientation et au programme pour l'avenir de l'école. Ces dispositions
ont été déclarées inconstitutionnelle parce
qu'elles « sont manifestement dépourvues de toute portée
normative ». En dépit du fait qu'elles soient relativement longues,
ces dites dispositions annulées pour inconstitutionnalité
illustrent parfaitement l'alourdissement néfaste à
l'intelligibilité des textes de loi. Elles se lisent comme suit :
« L'objectif de l'école est la réussite de
tous les élèves. Compte tenu de la diversité des
élèves, l'école doit reconnaître et promouvoir
toutes les formes d'intelligence pour valoriser
Kléberson JEAN BAPTISTE 60
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
leurs talents. La formation scolaire, sous l'autorité
des enseignants et avec l'appui des parents, permet à chaque
élève de réaliser le travail et les efforts
nécessaires à la mise en valeur et au développement de ses
aptitudes, aussi bien intellectuelles que manuelles, artistiques et sportives.
Elle contribue à la préparation de son parcours personnel et
professionnel ».
Cette jurisprudence réitérée par le
Conseil dans sa décision n°2005-512 du 21 avril 2005, apparemment
anodine et sans conséquences pratiques, est d'une importance capitale
pour lutter contre le risque d'arbitraire des autorités administratives
et juridictionnelles dans l'application des textes de loi. En effet, « une
loi bavarde », équivoque ou ambigüe par définition
prête le flanc à diverses interprétations sinon
contradictoires du moins divergentes. De ce fait, les citoyens, les
justiciables et l'état de droit même risquent de pâtir des
termes flous ou imprécis d'un texte de loi. Conscient de ces
éventuelles conséquences néfastes du droit mou,
Montesquieu écrivait déjà au 18ème
siècle que la loi « ne doit pas contenir d'expressions vagues
»64.
La multiplication exponentielle des lois et ses diverses
conséquences, pour pernicieuse qu'elles soient, ne sont pas les seuls
facteurs provoquant ce qu'il est commode d'appeler la déchéance
ou le déclin de la norme législative. Ce phénomène
que plus d'un considèrent irréversible est la conjonction d'un
série de causes structurelles et conjoncturelles. L'une d'entre elles et
non la moindre, loin s'en faut, est l'instabilité que connaît la
loi.
2. L'instabilité de la norme
législative
La loi devient peut durable puisqu'elle est prise pour une
réponse conjoncturelle à un problème ponctuel. A peine une
loi est édictée, le législateur s'apprête à
préparer une autre relative à la même matière soit
pour la modifier soit pour la compléter soit pour l'abroger
complètement sous l'effet des pressions de l'opinion publique. Qui pis
est, bon nombre de lois ne survivent que le temps d'une majorité au
pouvoir. Le temps politique épouse bien souvent le temps de vie des lois
auxquelles on prêtait jadis le qualificatif de normes transcendantales
c'est-à-dire au-dessus des rivalités de toutes sortes. Les
parlementaires et les services gouvernementaux légifèrent au
rythme des fluctuations de l'imaginaire collectif dans le but d'être en
phase aux désirs de leurs électeurs. Il n'en saurait être
autrement, explique encore le constitutionnaliste Georges Burdeau puisque le
législateur « substitue son projet à la
spontanéité des comportements individuels. » Les situations
évènementielles charrient inexorablement leur flot de textes de
loi car les gouvernants, pour les « besoins de communication
médiatique », ne dérogent point à cette habitude
partagée par toutes les familles politiques. Ainsi, la norme
législative perd de sa hauteur puisqu'elle cesse d'être l'oeuvre
de la raison philosophique du siècle des Lumières pour
végéter dans toutes les
64 MONTESQUIEU, « De l'esprit des lois »,
livre 24, chap.16
Kléberson JEAN BAPTISTE 61
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
circonstances occasionnelles et politiciennes. Dans le but de
freiner cette « boulimie législative », le Conseil
constitutionnel se référant à l'article 37 de la
Constitution, déclasse ou délégalise les cavaliers
législatifs c'est-à-dire des articles figurant «
indûment » dans une loi sous demande du chef du gouvernement. Le
juriste Guy Carcassonne décrit plaisamment et prudemment en quelques
lignes ce phénomène d'instabilité qui gangrène le
texte législatif contemporain mieux que l'aient fait plusieurs livres
:
« Qu'un homosexuel soit la victime de criminels
imbéciles et un projet de loi contre l'homophobie, quoique parfaitement
superflu, est aussitôt rédigé et programmé. Qu'un
rapport confirme la persistance des inégalités entre les femmes
et les hommes et une loi nouvelle, qui n'apportera rien de substantiel est
instantanément annoncée »65.
En effet, la loi devient tributaire des effets
médiatiques, du calendrier électoral aussi et surtout des
sondages publiés par les instituts. Conformément à l'adage
« ce qu'une loi a fait, une autre peut le défaire», la
législation se multiplie à un rythme effréné et
perd de sa durabilité donc de son autorité. A force de descendre
ainsi dans « le détail des questions pouvant naître sur
chaque matière » au grand dam de Portalis, la loi renie sa grandeur
et sa stabilité de l'époque révolutionnaire
considérées par le juriste Michel Couderc comme ses vraies «
marqueurs génétiques ».
A cette instabilité de la loi en termes de
durabilité, l'on ajoutera son émiettement. Elle n'est plus la
même sur toute l'étendue du territoire. La réforme
constitutionnelle de 2003 a prévu au profit des collectivités
territoriales la possibilité de déroger, ne fût-ce à
titre expérimental, aux dispositions législatives en vigueur.
Certaines collectivités territoriales d'outre-mer ont acquis le pouvoir
autonome de légiférer en certaines matières les
concernant. La catégorie de lois appelées « lois de pays
» en est un exemple probant. Sans porter de jugement de valeur sur ces
initiatives visant à adapter la législation des
collectivités infra-étatiques à leur réalité
sociologique, il est nécessaire de rappeler que le Conseil
constitutionnel agit dans le sens de l'égalité des droits et
devoirs donc de la démocratie en veillant à ce qu'aucune atteinte
ne soit portée aux caractères indivisible et unitaire de la
république.
A la condamnation de l'instabilité de la loi, l'on peut
être tenté d'objecter que celle-ci ne doit pas non plus
scléroser le discours juridique ou le droit positif. Nul ne saurait
réfuter cette objection. L'idéalisation de la loi crée les
effets autant sinon plus pervers que son instabilité. Dans une
société démocratique les lois ne doivent être ni
coulées dans le béton ni gravées dans le marbre. Elles
doivent tenir compte de l'évolution des besoins de la
société pour s'y adapter comme c'est déjà dit au
cours de notre travail. Les lois lacunaires doivent être modifiées
au besoin ou même abrogées totalement. En revanche, ce qui est
préjudiciable à l'état de droit et à la
sacralité de la loi au sens générique du terme reste et
demeure la banalisation et la succession des initiatives législatives
sans même prendre le temps et le soin d'évaluer sereinement donc
objectivement l'impact des précédentes initiatives. Le juriste
65 G CARCASSONNE, « Penser la loi », Pouvoirs,
n°114, 2005, p.43
Kléberson JEAN BAPTISTE 62
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
chevronné précité, Guy Carcassonne,
dénonce également avec l'humour qui le caractérise cette
incohérence sous un chapeau illustratif qu'il nomme « n'importe
quoi » en ces termes :
« Légiférer est devenu un réflexe,
souvent conditionné par la télévision. Tout sujet d'un
« vingt heures » est virtuellement une loi. Un fait divers, une
émotion quelconque, mais aussi un problème tangible provoquent
une démangeaison législative plus ou moins rapide. La loi est une
réponse, à défaut d'être une solution. On
légifère d'abord puis, rarement et seulement si l'on n'a rien de
plus rentable à faire, on réfléchit ensuite
»66.
Le Conseil constitutionnel, sans s'arroger le droit de faire
injonction au législateur de légiférer moins, oblige
celui-ci à légiférer mieux à travers sa
jurisprudence. Les principes constitutionnels d'intelligibilité, de
normativité, d'accessibilité et de clarté de la loi sont
les directives émises par le Conseil constitutionnel en ce sens.
Autrement dit, le juge constitutionnel français encadre la fonction
d'édiction des lois du législateur en lui imposant des
obligations rédactionnelles sous peine de censure de la loi votée
pour inconstitutionnalité.
L'allusion à la déchéance subie par la
loi qui fut jadis objet de vénération et de culte a
significativement impacté le pouvoir législatif. Cette crise de
la démocratie parlementaire et corrélativement l'adoption un peu
partout de la justice constitutionnelle après la grande guerre est
certes la conséquence de la faillite de la loi. Cependant elle
dépasse le changement de statut de la norme législative dans
l'imaginaire collectif car elle est la résultante bien plus profonde du
soutien ou de la complicité des parlements dans l'instauration des
régimes totalitaires à l'échelle européenne.
B. Les régimes totalitaires européens et
la justice constitutionnelle
Contrairement aux américains, l'implémentation
de la justice constitutionnelle sur le continent européen n'a pas
débuté au 19ème siècle. Si l'on excepte
des marginales et éphémères tentatives et la
création de l'ancêtre des Cours constitutionnelles
européennes, c'est-à-dire de la Haute Cour constitutionnelle
autrichienne sous l'influence du juriste viennois, Hans Kelsen, en 1920, cette
dite implémentation a commencé après la chute des
régimes nazies et fascistes sur le continent. Louis Favoreu et son
élève Wanda Mastor, expliquant les raisons historiques de la mise
en oeuvre du « modèle européen » de la justice
constitutionnelle, met en cause à juste titre le parlementarisme qu'ont
connu les différents pays européens à des degrés
divers en affirmant :
« En outre, le législateur ayant failli à
sa mission, on ne craint plus de porter atteinte à sa
souveraineté. En se montrant oppresseur, le représentant de la
nation lui-même a fait apparaître la nécessité
d'être contrôlé ».
66 Ibid., p.40
Kléberson JEAN BAPTISTE 63
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
En effet si le parlementarisme et son corollaire le
légicentrisme ont été les doctrines régnant en
France jusqu'à l'avènement de la 5ème
république avec la création du Conseil constitutionnel, ce fut le
cas presque partout en Europe jusqu'à la fin des atrocités de la
seconde guerre mondiale. Comme nous l'avons déjà souligné,
la prise de conscience régionale du fait que ce régime
gouvernemental a été à la base de tant de cruautés
jointe à un travail doctrinal colossal ont renversé la tendance
vers le constitutionnalisme et le développement progressif de la justice
constitutionnelle sur des rythmes différents selon la culture juridique
et l'histoire particulière de chaque pays. Il était hors question
après la seconde guerre mondiale de perpétuer le discours
assimilant la volonté parlementaire ou la volonté majoritaire
à la volonté générale et également ceux
relatifs à l'infaillibilité de la loi et du parlement. La justice
constitutionnelle a été sommée par les nouvelles
démocraties et par les différentes constitutions
post-totalitaires à éviter de nouvelles déviations
parlementaires et à protéger les droits individuels avant que le
droit positif n'élargisse ses fonctions au-delà de ce rôle
de contre-pouvoir. Le juriste Michel Fromont, en soulignant les dates
d'adoption ou de consolidation de la justice constitutionnelle encore
appelée contrôle juridictionnel de la constitutionnalité
des lois dans les pays d'Europe occidentale rapporte comme suit :
« Ce contrôle a été introduit en
Italie (1947), en Allemagne (1949) ; en Autriche (création
révision de 1975), en Espagne (1978) et en Belgique (révision de
1988) ».
La justice constitutionnelle a été
également accueillie en Europe centrale et Europe orientale après
la chute du communisme qui lui aussi constitue en sa façon une autre
forme de régime dictatorial et totalitaire. Si certains pays de ces deux
sous-régions, à l'instar de la Yougoslavie et la Pologne, ont
institué ce mécanisme juridictionnel avant l'effondrement
définitif de ce dit régime, quasiment tous ces pays l'ont
adopté ou renforcé après la chute du mur de Berlin soit en
1989/1990. Ils ont pour la plupart réceptionné le modèle
européen ou kelsénien de justice constitutionnelle en
conférant cette fonction à une juridiction
spécialisée moyennant quelques aménagements
procéduraux.
Le processus démocratique ayant été
substitué au parti unique et la pensée unique dans ces anciens
pays à tendance marxiste s'est appuyé sur la justice
constitutionnelle. Une fois le dogme de l'homogénéisation sociale
disparu, quasiment toutes les nouvelles démocraties de l'Europe
orientale et centrale ont fait dans un laps de temps très restreint ce
choix constitutionnel dans le but de consolider leur nouveau régime
politique plus ou moins libéral. Il nous est loisible de citer en ce
sens, après les historiens du droit européen, « les
constituions de 1991 de la Bulgarie, la Roumanie, la Slovénie, les
constitutions de 1992 de l'Estonie, la République tchèque, la
Slovaquie, la Lituanie, la Slovaquie, et le renforcement de la constitution
polonaise de 1997 ». Au total, l'adoption de la justice constitutionnelle
est une constance dans les pays qui s'engagent dans une logique de
restructurations démocratiques puisque le continent africain et
l'Amérique latine n'y ont pas échappé après la
décolonisation ou le renversement des différents régimes
dictatoriaux. Ce mouvement uniforme, loin s'en faut, n'a jamais gommé
les particularités et la coutume sous-régionales ou nationales.
S'inspirant des modèles venant des USA et de l'Europe occidentale, ces
pays ont adopté le
Kléberson JEAN BAPTISTE 64
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
mécanisme juridictionnel de justice constitutionnelle
en fonction des paramètres nationaux comme c'est déjà
souligné. Le témoignage du juriste lituanien, Egidius Jarasiunas,
professeur à l'Université Mykolas Romeris, ancien juge à
la Cour constitutionnelle de Lituanie, est très édifiant en ce
qu'il surgit sous la plume d'un acteur et observateur privilégiés
de ce processus de substitution de la justice constitutionnelle au
totalitarisme. Ce dernier eut à écrire :
« Après la chute du système socialiste
l'institut de la justice constitutionnelle s'enracine dans les pays de l'Europe
centrale et orientale. Le raccord des années 80-90 du
20ème siècle - c'est une époque de la
renaissance du constitutionalisme et de l'émergence de la justice
constitutionnelle dans les pays de l'Europe centrale et orientale
»67.
§ 2. De la démocratie parlementaire à la
démocratie constitutionnelle
L'avènement et le développement de la justice
constitutionnelle en Europe plus précisément en France, pays
pétri de légicentrisme, a bouleversé le schéma
politique tracé. En effet, sans supprimer la légitimité du
législateur, le juge constitutionnel dénie le postulat de la
doctrine de démocratie représentative qui assimilait la
volonté de la majorité parlementaire issue des élections
à la volonté populaire. Pour autant, la pratique de la justice
constitutionnelle et ses fonctions protectrices des droits de l'homme,
régulatrices de la vie politique, font d'elle un élément
d'approfondissement ou même de renforcement de la démocratie. Les
constitutionnalistes à l'instar du doyen Vedel, pensent même que
la justice constitutionnelle est le faîte ou l'apothéose des
démocraties modernes. En dépit de ce fait, demeurent dans les
esprits et les écrits des contradicteurs le réflexe de
l'antagonisme entre la justice constitutionnelle et la démocratie.
Contrairement à cette conclusion euphorique et très
superficielle, nous optons, comme plus d'un, à une redéfinition
du concept de démocratie (A) dans le but de l'allier à ce
mécanisme juridictionnel hautement utile et éthique. Cette
restructuration ou ce renouvellement conceptuel enfantera et légitimera
à son tour une autre forme de gouvernance que nous appellerons,
après le chevronné constitutionnaliste Dominique Rousseau, entre
autres, la démocratie constitutionnelle (B).
A. La redéfinition du concept de
démocratie
Les nouvelles donnes politico-institutionnelles imposent de
repenser la démocratie. L'assujettissement de la politique au droit nous
oblige à la remodeler ou même à la réinventer. La
prise en compte de l'idée qu'il faut rendre effectif la
suprématie des normes
67 Egidijus Jarasiunas, « Quelques considérations sur
l'implantation réussie de la justice constitutionnelle à la fin
du XXème siècle : le cas de Lituanie », p .4-5
Kléberson JEAN BAPTISTE 65
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
constitutionnelles et qu'il faut que les droits fondamentaux
cessent d'être des formules incantatoires pour être défendus
au sens premier du terme par des juges constitutionnels dépassent les
présupposés classiques de la démocratie traditionnelle.
Cette impérieuse nécessité définitionnelle trouve
écho dorénavant chez les juristes au même titre que la
philosophie politique. En témoigne cette auto -questionnement du
constitutionnaliste et universitaire Stéphane Pinon
« A l'heure où la démocratie est devenue le
support naturel de l'état de droit, où les mécanismes de
contrôle de constitutionnalité se sont imposés presque
partout comme des évidences, où l'idée d'un emploi
légitime du pouvoir supplante celles des sources, est-il satisfaisant de
confiner la démocratie dans une définition
élémentaire ?68
Ce travail de redéfinition est d'autant plus faisable
puisque la démocratie elle-même s'est révélée
historiquement un concept dynamique et changeant (1). Son adaptation avec la
nouvelle réalité politico-institutionnelle à laquelle
figure en première ligne la justice constitutionnelle est de ce fait
souhaitable et réalisable (2).
1. La démocratie : un concept
changeant
La définition étymologique du concept
démocratie (demos : peuple ; cratos : pouvoir), prise dans toute sa
rigueur, ne saurait souffrir de mécanismes de représentations
tels que l'assemblée nationale et de manière plus globale
l'institution parlementaire. Cependant, le réalisme politique et le
rapport des forces conjugués à la faculté évolutive
de la notion de démocratie ont valu à l'histoire politique
française deux siècles de parlementarisme sous sa forme la plus
dure et pure. Autrement dit, la démocratie athénienne, hautement
critiquée et assimilée à la tyrannie de la plèbe et
au populisme, avait cédé sa place à la démocratie
représentative. Il s'en est suivi tout un flot de concepts et de
théories légitimant cette vision politique ou cette forme de
gouvernance démocratique. L'élection a fait des
représentants les exclusifs détenteurs du pouvoir de vouloir et
de décider au nom de la nation. De ce fait les
délibérations législatives de ces derniers étaient
incontestables comme nous l'avons souligné dans nos propos introductifs.
Cette logique démocratique a été acceptée et
même adulée dès la fin du 18ème
siècle en France et en Europe jusqu'à ce qu'il démontre
ses limites inhérentes au cours de la seconde guerre mondiale.
Au gré de la vision politique dominante, l'on est
passé d'un stade démocratique à un autre. Le concept, pour
reprendre l'un des auteurs précités, « s'est
révélé et renouvelé au fil d'un tâtonnement
qui n'a cessé d'en infléchir les voies et d'en enrichir les
formes »69. Cette
68 S.PINON, « La notion de démocratie dans la
doctrine constitutionnelle française », Politeia,
n°10, 2006, p. 447
69 Ibid.
Kléberson JEAN BAPTISTE 66
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
mutation démocratique sans renier l'origine populaire
du pouvoir lui a trouvé et insufflé une autre mode d'expression.
La souveraineté populaire a été soigneusement et
habilement supplantée par la souveraineté parlementaire. La
doctrine, les acteurs politiques et l'opinion publique ont oeuvré pour
rendre naturelle et légitime cette nouvelle forme de
représentation populaire qu'est la démocratie
représentative en France comme ailleurs. En d'autres termes, tout a
été mis en oeuvre pour accompagner ce saut de la
démocratie jugé qualitatif par les défenseurs du
régime représentatif légué par la
révolution. Pour être convaincu de ce dévouement sans
réserve à la cause de la démocratie représentative,
il suffit de relire les propos du professeur et agrégé de droit
constitutionnel Jean Hippolyte Emmanuel Esmein, dit Adhémar Esmein dans
ses « Eléments de droit constitutionnel français et
comparé » publiés à la fin du 19ème
siècle plus précisément en 1896. Dans un premier temps,
celui-ci a avili l'ancien visage de démocratie en le rapprochant
froidement avec un système monarchique en écrivant que « le
gouvernement direct est le génie même de la monarchie pure ».
Ensuite, dans le dessein de glorifier l'évolution vers la nouvelle
figure représentative épousée par le concept
démocratie, Adhémar Esmein poursuit sa réflexion aussi
froidement et partialement qu'elle l'avait enclenchée en affirmant cette
fois-ci :
« Cette représentation est conçue, non
comme un succédané du gouvernement direct de la nation par
elle-même, mais comme un système de gouvernement
préférable à celui-ci (...). Lui seul peut assurer une
législation éclairée, soigneusement préparée
et utilement discutée, comme seul il peut procurer l'application
intelligente et continue des lois. Aussi, dans ce système, la nation en
masse, c'est-à-dire le déléguant, est-elle
considérée comme légalement et naturellement incapable
d'intervenir par elle-même en aucun des actes qu'accomplissent ses
délégués, c'est-à-dire les pouvoirs
constitués »70.
Ainsi furent soutenus la versatilité et le dynamisme du
concept démocratie traduits par son passage de la forme directe à
la « magie représentative » et ses corollaires. Notre propos
ne consiste pas à porter de jugement de valeur sur la démocratie
directe ou la démocratie représentative ou sur les discours qui
les avaient légitimés chacune à son tour à un
moment de l'histoire. Aucun de ces deux (2) étapes de l'évolution
définitionnelle de la notion de démocratie n'est en soi bonne ou
mauvaise. Elles n'ont été que des constructions théoriques
élaborées dans l'objectif de refléter la
réalité politique et institutionnelle à des moments
différents et bien précis de l'histoire de l'humanité. En
revanche, il est loisible que cette même énergie soit mise en
action pour légitimer les nouveaux mécanismes institutionnels et
juridictionnels contemporains dont la justice constitutionnelle en se servant
encore de la faculté évolutive et de l'adaptabilité de la
démocratie.
70A ESMEIN, « Deux formes de gouvernement », R.D.P,
1894, p.16-17
Kléberson JEAN BAPTISTE 67
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
2. La nécessité d'adaptabilité du
discours démocratique avec la justice constitutionnelle
Le développement de la justice constitutionnelle en
France comme ailleurs est « un fait social » pour paraphraser le
sociologue Emile Durkheim. Son utilité à la cause de
l'état de droit et à la sauvegarde des libertés
individuelles n'est plus à démontrer. Rares sont les pays qui ont
fait l'économie de cet outil juridictionnel régulateur et
ordonnateur de l'appareil normatif. « La tentative des pays de l'Europe
centrale et orientale de consolider le constitutionnalisme moderne pendant une
période très courte est une expérience, dont la
signification dépasse les frontières nationales » nous
apprend le juriste précité Egidijus Jarasiunas. Le
constitutionnaliste, Michel Fromont, dresse un bilan historique et
chronologique de la justice constitutionnelle dans son livre intitulé
« La justice constitutionnelle dans le monde ». Au cours de cette
publication, celui-ci aborde à grand renfort de dates précises la
naissance de la justice constitutionnelle aux USA, l'apparition et la
consolidation du modèle européen de justice constitutionnelle et
la réception partielle de la typologie américaine ou
européenne de justice constitutionnelle en Amérique latine en
Afrique et hors de l'Europe. Tout compte fait, cet instrument est
récupéré au-delà des sous-continents et des
continents. Cette adoption qui défie presque toutes les lois spatiales
autrement dit l'universalisation de la justice constitutionnelle ne va pas
aussi vite que sa démocratisation selon ses détracteurs. Michel
Troper, juriste de renom, place ce dilemme dans son contexte et identifie
même les éléments de solution dans un passage d'un article
publié en 1995 en ces termes :
« Le problème qu'il s'agit de résoudre est
en effet aussi vieux que le contrôle de constitutionnalité
lui-même : est-il compatible avec la démocratie ? Si le
contrôle de constitutionnalité s'exerce sur les lois et si l'on
définit la démocratie comme la forme de gouvernement dans lequel
les lois sont faites par le peuple ou ses élus, la réponse ne
saurait être que négative. C'est pourquoi toute tentative de
conciliation dépend d'une redéfinition des concepts en
présence »71.
Nul ne pourrait sérieusement contester l'importance de
la tenue des élections libres et transparentes pour le processus
démocratique et même pour « l'assainissement de la vie et de
la compétition politiques ». Cependant, tout un chacun s'accorde
à dire que la démocratie ne saurait être exclusivement
abordée sous sa forme élective. Le juge constitutionnel
indépendamment des modalités constitutionnelles et de la
procédure de sa nomination joue un rôle indispensable dans la
santé démocratique d'un pays. D'où l'impérieux
nécessité de produire un discours démocratique
superposable sans encombres avec cette réalité juridictionnelle
mondiale. Le Conseil constitutionnel, si l'on s'en tient uniquement à
la
71 M TROPER, « Démocratie continue et justice
constitutionnelle », in D ROUSSEAU (dir.), « La démocratie
continue », LGDJ-Bruylant, 1995, p.22
Kléberson JEAN BAPTISTE 68
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
France, a fourni les matériaux
théorico-conceptuels pour cet ultime renouvellement ou ce rajeunissement
démocratique tout au long de sa jurisprudence.
Comme il l'a fait dans le temps pour d'autres institutions, le
discours démocratique d'où qu'il vienne doit prendre acte du
point de non-retour atteint par la justice constitutionnelle afin de se
remodeler ou de se reconstruire en conséquence. La justice
constitutionnelle, faute d'être obligatoire ou consubstantielle à
un régime démocratique, le sert au même titre que
l'institution électorale. Autrement dit, la justice constitutionnelle,
à elle seule, encore plus lorsqu'elle est exercée exclusivement
de manière abstraite comme ce fut longtemps le cas en France, ne suffit
pas à démocratiser un pays. Cependant, elle renforce
considérablement tout apprentissage ou toute vie démocratique si
elle est complémentaire d'un appareil électoral crédible,
d'une justice ordinaire indépendante et professionnelle, d'une presse
libre et équilibrée et d'une minorité parlementaire ou
sociale attentive à la protection de ses droits et soucieuse de
respecter ceux de la majorité. En ce sens, comme nous l'avons
signalé plus haut, elle commande à une innovante et substantielle
appréhension de la démocratie. Renforcer ou dépasser la
dimension élective de la démocratie ne signifie aucunement la
négation du postulat qui veut que tout pouvoir soit l'émanation
du peuple souverain. Ceci dénote de préférence d'une
complémentarité à nul autre pareil expliquée ainsi
par la doctrine :
« Si la démocratie, c'est la loi de la
majorité plus le respect des libertés et droits de l'homme, deux
institutions sont également légitimes : celle qui trouve son
fondement dans l'élection, et celle qui le trouve dans la défense
et la protection des libertés ; autrement dit, ensemble, et la figure du
Représentant et la figure du Juge constitutionnel ».
Malgré les réserves d'une large frange de la
doctrine et les réticences enregistrées ici et là, la
régénération de la démocratie ou encore son
adaptation à la poussée mondiale et irréversible de la
justice constitutionnelle a été accomplie non par des philosophes
mais sous la plume des juristes tels que Louis Favoreu et Dominique Rousseau
dans le sillage de Michel Troper et du précurseur du modèle
européen en l'occurrence Hans Kelsen. Ce renouvellement s'est traduit
matériellement par le passage de la démocratie purement
représentative à la démocratie constitutionnelle.
B. De la démocratie représentative
à la démocratie constitutionnelle
Le professeur Dominique Rousseau résume de la
manière suivante la transmutation de la démocratie :
Kléberson JEAN BAPTISTE 69
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
« L'ancienne représentation de la
démocratie pouvait se résumer par la formule « la
démocratie par la loi, la nouvelle peut s'exprimer par la formule la
démocratie par la Constitution »72.
Fidèle à cette démarche comparative, nous
pouvons affirmer que la démocratie constitutionnelle est à la
fois la rupture et l'approfondissement de la démocratie
représentative telle que théorisée par les pères de
la révolution. Elle rompt définitivement et
irrémédiablement avec le dogme de l'infaillibilité de la
loi. Le respect de la loi n'est plus absolu mais conditionné.
Conséquemment, la nouvelle forme de démocratie nie toute
assimilation de la volonté parlementaire à la volonté
générale. Les parlementaires sont considérés comme
les délégués élus donc les subalternes du peuple
souverain et non son « égal ». Le juge constitutionnel, l'un
des acteurs influents de la démocratie constitutionnelle, vérifie
continuellement si le travail législatif, les
délibérations législatives sont en conformité
à la volonté du souverain exprimée non plus dans la loi
mais dans le « pacte social » fondateur qu'est la Constitution.
Les divergences entre l'ancienne et la nouvelle forme de
démocratie vont au-delà de ces considérations
précitées. La démocratie constitutionnelle n'est pas
exclusive à l'instar de sa devancière. Elle n'est pas
monopolistique en ce sens qu'elle intègre trois acteurs dans le
processus d'énonciation de la volonté générale au
lieu d'en donner l'exclusivité aux députés et
sénateurs élus. Elle n'est ou en tout cas ne doit être ni
la dictature ni le gouvernement des juges. A la majorité parlementaire
et l'exécutif bien souvent monolithiques et confondus à cause du
bipartisme ou des alliances politiques conjoncturelles, la démocratie
constitutionnelle ajoute le juge constitutionnel qui sert d'ultime filtre
à l'oeuvre des élus. Celle-ci ne fait pas de l'élection
l'alpha et l'oméga de tout. Les pouvoirs des élus sont
bornés et encadrés par une constitution formelle donc
écrite à laquelle se réfère le Conseil
constitutionnel pour garantir les droits des citoyens, des associations et des
regroupements de citoyens. Stéphane Pinon, l'un des juristes promoteurs
de la démocratie par la constitution encore appelée
démocratie constitutionnelle affirme nonobstant les controverses :
« L'élection n'est pas, en soi ou
nécessairement, le principe unique et exclusif, suffisant et distinctif
de la démocratie ; elle n'a pas été et elle n'est pas le
seul mode de participation populaire à l'exercice du pouvoir, le seul
ressort de la légitimité démocratique
»73.
La démocratie constitutionnelle conformément
à sa dénomination ne se fonde pas exclusivement sur des arguments
politiques. Ceux-ci sont confrontés aux raisonnements juridiques et
sociologiques. Le juge constitutionnel vérifie toujours l'acuité
juridique des textes législatifs par rapport à des principes non
teintés de juridisme mais alliant la réalité
socio-anthropologique, les acquis jurisprudentiels et le pur droit au sens
kelsénien de la
72 D ROUSSEAU, « Droit du contentieux constitutionnel
», op.cit., p.489
73 Cité par S PINON, « La notion de
démocratie constitutionnelle dans la doctrine française »,
op.cit, p.452
Kléberson JEAN BAPTISTE 70
Kléberson JEAN BAPTISTE 71
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
notion. La délibération du juge, dans un
régime de démocratie constitutionnelle, se fait après un
échange argumentatif entre la majorité et l'opposition et en
tenant compte de l'avis du savant au sens que Max Weber donnait à cette
notion c'est-à-dire l'intellectuel ou plus précisément la
doctrine désintéressée, libre donc objective dans leur
analyse et leur critique. La décision issue de cette pratique
délibérative engageant divers acteurs n'est pas pour autant
figée et irrévocable. Elle reste éternellement objet de
questionnements et de discussions et peut être modifiée si les
paramètres factuels et juridiques varient sous l'influence du temps. Ce
phénomène est appelé revirement jurisprudentiel par les
spécialistes.
Il va sans dire que le peuple souverain, à
défaut de participer en bloc à toutes les
délibérations, est mieux protégé dans un
régime de démocratie constitutionnelle. Ses membres peuvent
individuellement défendre leurs prérogatives à
défaut de pouvoir participer en tant que corps constitué à
toutes les décisions et délibérations les
intéressant dans un régime de démocratie
constitutionnelle. Il n'est pas osé de prétendre de ce fait que
la démocratie constitutionnelle est une sorte de «
démocratisation de la démocratie ». Elle résiste
à toutes formes de tentatives réductionnistes de la
liberté populaire ou de l'espace privé des citoyens et à
toutes manoeuvres confiscatoires du pouvoir du peuple par ses
délégués élus. En dehors des périodes
électorales, elle offre à la population « un droit de regard
» et de critique sur l'usage que font ses représentants ou ses
« commis » de son pouvoir. « La logique de la démocratie
constitutionnelle, expliquent ses adeptes, n'est pas de donner le pouvoir
décisionnel (...) à la ou aux minorité(s)! Elle est de
leur offrir la faculté de continuer à intervenir, entre deux
moments électoraux, dans le processus de formation de la volonté
générale en contraignant la majorité à prendre au
sérieux leurs points de vue, à en délibérer et, le
cas échéant, à les intégrer dans la décision
finale »74.
La démocratie constitutionnelle ne s'inscrit pas non
plus dans une dynamique révolutionnaire au sens commun du terme. Elle ne
vise pas à un renversement de toutes les structures institutionnelles et
de tous les mécanismes de gouvernabilité mis en place par la
démocratie représentative. Autrement dit, sa vocation n'est pas
d'ériger en lieu et place du parlement une autre institution dominante
ou une autre structure détentrice à elle seule de la
capacité de parler au nom du souverain. Elle est de
préférence un mode de gouvernance décentralisée et
réformiste. Elle reconnaît à l'instar de la
démocratie représentative la légitimité
incontestable des représentants élus à proposer, à
réformer en un mot à diriger le pays. Le seul tempérament
qu'il porte à cette faculté d'autodétermination des
représentants élus est la prééminence de la
Constitution ou du bloc de constitutionnalité telle que
l'interprète en dernier ressort le juge constitutionnel ou le Conseil
constitutionnel s'agissant du cas de la France. En ce sens, l'on peut affirmer
que la démocratie constitutionnelle est également un
approfondissement de la démocratie représentative ou de la
démocratie parlementaire. La définition suivante tirée des
écrits du précurseur tout au moins du défenseur
infaillible de cette forme de démocratie réactualisée en
l'occurrence, le professeur Dominique Rousseau, corrobore nos propos :
74 Ibid., p.452
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
« La démocratie constitutionnelle définit
un au-delà de la représentation non parce qu'elle la supprimerait
mais parce qu'elle la transforme et élargit l'espace de participation
populaire en inventant des formes particulières permettant à
l'opinion d'exercer un travail politique : le contrôle continu et
effectif, en dehors des moments électoraux, de l'action des gouvernants
»75.
75 D ROUSSEAU, « La justice constitutionnelle en Europe
», 3ème édition, Paris, Montchrestien, 1998,
p.154
Kléberson JEAN BAPTISTE 72
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
Kléberson JEAN BAPTISTE 73
Conclusion
Conclusion
Sous l'effet de la justice constitutionnelle, en France comme
ailleurs, toutes les branches du droit ont été
constitutionnalisées. La constitution, jadis «
réservée » aux professeurs de droit et au juge
constitutionnel, devient l'un des livres de chevet de tous les avocats. La
création de la nouvelle voie de droit qu'est la question prioritaire de
constitutionnalité a renforcé ce phénomène de
juridictionnalisation de la norme fondamentale puisqu'elle oblige tous les
acteurs du monde juridique français indistinctement à la pratique
de la justice constitutionnelle à un titre ou à un autre. Tous
les juges peuvent de nos jours au moins analyser le bien fondé d'un
dossier de contentieux constitutionnel pour le renvoyer ou non à la Cour
de cassation ou au Conseil d'état.
Au lieu de constituer un échec à la
démocratie, la justice constitutionnelle fait partie intégrante
des techniques et usages qui permettent de mesurer le niveau d'engagement
démocratique des décideurs ou des gouvernants contemporains.
L'expansion de la justice constitutionnelle d'une nation est proportionnelle
à son niveau d'avancement sur le plan démocratique. Plus personne
ne peut avancer sérieusement la thèse qui oppose radicalement et
totalement la justice constitutionnelle et la démocratie
représentative. Le Conseil constitutionnel français, à
l'instar des autres juridictions constitutionnelles dans le monde, est une
institution importante de régulation de la vie politique et de
renforcement permanente du processus démocratique par sa jurisprudence.
Il est également une structure institutionnelle vitale pour la bonne
marche de la société française au même titre que le
Conseil d'état et la Cour de cassation malgré sa relative
jeunesse face à ces deux cours suprêmes de la hiérarchie
judiciaire française. En dépit des efforts continus du Conseil
constitutionnel, il reste des avancées dans le sens de la
juridictionnalisation du contrôle à priori. Si la question
prioritaire de constitutionnalité respecte tous les canons
procéduraux, le contrôle abstrait souffre encore de la pesanteur
des premières années du Conseil constitutionnel. Le mode de
nomination des conseillers constitutionnels peut également être
amélioré pour que le Conseil constitutionnel réduise la
marge qui le sépare d'une cour constitutionnelle comme la Cour de
Karlsruhe de la république fédérale d'Allemagne.
Malgré le désaccord du doyen Vedel sur ce sujet, nous pensons que
le Conseil constitutionnel remplira encore mieux sa fonction pédagogique
s'il accepte de publier les opinions dissidentes et concurrentes des
conseillers au même moment que la décision officielle à
l'instar de la Cour Suprême des Etats-Unis. Il va de soi que cette
pratique porterait atteinte au devoir sacro-saint de réserve auquel sont
astreints les membres de la fonction judiciaire française. Cependant, ce
« reniement » constitue l'une des voies privilégiées si
le Conseil constitutionnel veut être l'émule des plus respectables
et rayonnantes juridictions constitutionnelles du monde contemporain. Sans
faire écho à la notion polémique de « gouvernement
des juges » introduite par Edouard Lambert dans la littérature
juridique française, nous condamnons, après la doctrine
majoritaire, toutes formes d'activisme
Kléberson JEAN BAPTISTE 74
Conclusion
juridictionnel qui franchiraient les bornes de la justice
constitutionnelle pour permettre aux juges d'imposer leur vision du monde ou
leur sensibilité politique. Tout compte fait, si la perversion de la
justice constitutionnelle est préjudiciable à la
démocratie, une justice constitutionnelle, « resserrée
» dans les limites selon la formule de Tocqueville ne peut qu'être
un mécanisme au service des droits humains et de la démocratie
partout où elle est ainsi pratiquée.
Kléberson JEAN BAPTISTE 75
Bibliographie
Bibliographie
1. Ouvrages et manuel
ARDANT P et MATHIEU B, « Institutions politiques et
droit constitutionnel », 20ème édition,
Paris, LGDJ, 2008, p.545
ALLAND D et RIALS S, « Dictionnaire de la culture
juridique », 1ère édition, Paris, PUF et
Lamy, 2003, 1649 pages
BELAID S, « Essai sur le pouvoir créateur et
normatif du juge », Paris, LGDJ, 1974, 360 pages
BRONDEL S (al), « Gouvernement des juges et
démocratie », Paris, édition de la Sorbonne, 2001, 373
pages
CARRE de MALBERG R, « La loi expression de la
volonté générale », réédition,
Paris, Economica, 1984, 228 pages
CARRE de MALBERG R, « Contribution à la
théorie générale de L'Etat », Paris, Sirey,
1920, tome 1, 837 pages
CARRE de MALBERG R, « Confrontation de la
théorie de la formation du droit par degrés »
1ère édition, Paris, Sirey, 1933, 174 pages
DE SECONDAT C.L, « De l'esprit des lois
»,12ème édition, Paris, Flammarion, 1999, 638
pages
CHRISTINE M et JACQUES-HENRI, « La question
prioritaire de constitutionnalité », 1ère
édition, Paris, Dalloz, mars 2011, 279 pages
CORNU G (dir.), « Vocabulaire juridique
»,6ème édition, Paris, PUF, 2004, 968 pages
DEBARD T (dir.) « Vocabulaire juridique »,
1ère édition, Paris, Ellipses, 2002, 968 pages
DUHAMEL O et MENY Y. (dir.), « Dictionnaire
constitutionnel », Paris, PUF, 1992, 1112 pages
DRAGO G, « Contentieux constitutionnel
français », 3ème édition, Paris, PUF,
2011, 683 pages
EISENMANN C, « La justice constitutionnelle et la
haute cour constitutionnelle d'Autriche », 2ème
édition, Paris, Economica, Presses Universitaires d'Aix Marseille, 1986,
383 pages
Kléberson JEAN BAPTISTE 76
Bibliographie
ESMEIN A, « Eléments de droit constitutionnel
français et comparé », 2ème
édition, Paris, Librairie de la Société du Recueil
général des lois et des arrêts et du journal du palais,
1899, 794 pages
FAVOREU L, « La politique saisie par le droit.
Alternances, cohabitation et Conseil constitutionnel »,
1ère édition, Paris, Economica, 1988, 153
pages
FAVOREU L et MASTOR W, « Les cours constitutionnelles
»,9ème édition, Paris, Dalloz, 2011, 161
pages
FAVOREU L et PHILIP L, « Les grandes décisions
du Conseil constitutionnel », 12ème édition,
Paris, Dalloz, 2003, 1058 pages
FAVOREU L et PHILIP L, « Le Conseil constitutionnel
», 6ème édition, Paris, Presses
Universitaires de France, Collection « Que sais-je ? », 1995, 127
pages
FROMONT M, « La justice constitutionnelle dans le
monde »,1ère édition, Paris, Dalloz, 1996,
140 pages
GAUCHET M, « La révolution des pouvoirs. La
souveraineté, le peuple et la représentation. L'idéologie
constitutionnelle dans la légende, le rituel et le discours
1789-1799», 1ère édition, Paris,
Gallimard, 1995, 288 pages
GUILIEN R et VINCENT J, « Lexique des termes
juridiques »,15ème édition, Paris, Dalloz,
2006, 561 pages
HAMON L, « Les juges de la loi, Naissance et
rôle d'un contre-pouvoir . · le Conseil constitutionnel
», 1ère édition, Paris, Fayard,
1987, 300 pages
HAMON F et TROPER M, « Droit constitutionnel
», 32ème édition, Paris, LGDJ, 2011, 233
pages
HAMON F et WIENNER C, « La justice constitutionnelle
. · Présentation générale, France, Etats-Unis
», 1ère édition, Paris, La documentation
française, 2006, 60 pages
HAMON F et WIENNER C, « La loi sous surveillance
», 1ère édition, Paris, Odile Jacob, 1999,
285 pages
HANLEY S, « `Le lit de justice' des rois de France.
L'idéologie constitutionnelle dans la légende, le rituel et le
discours, 1ère édition, Paris, Aubier, 1991, 466
pages
HERRERA C-M, « Théorie juridique et politique
chez Hans Kelsen », 1ère édition, Paris,
Kimé, 1997, 331 pages
HOBBES T, « Léviathan. Traité de la
matière, de la forme et du pouvoir de la république
ecclésiastique et civile », 10ème
édition, Paris, Gallimard, 2000, 1027 pages
Kléberson JEAN BAPTISTE 77
Bibliographie
JAN P, « le procès constitutionnel »,
2ème édition, Paris, LGDJ- Montchrestien, 2010, 233
pages.
JEAN BAPTISTE P (al), « La question prioritaire de
constitutionnalité », 1ère édition,
Presses Universitaires d'Aix Marseille, 2011, 302 pages
KELSEN H, « La démocratie. Sa Nature-Sa Valeur
», 1ère édition, traduction de Eisenmann
Charles, Economica, 1988, 98 pages
KELSEN H, « Théorie pure du droit »,
traduction de Eisenmann Charles, 2ème édition, Paris,
Dalloz, 1962, 496 pages
LAMBERT E, « Le gouvernement des juges et la lutte
contre la législation sociale aux Etats-Unis. L'expérience
américaine du contrôle judiciaire de la constitutionnalité
des lois. »,1ère édition, Paris, Dalloz,
2005, 276 pages
LOCKE J, « Traité du gouvernement civil
», 2ème édition corrigée, Paris,
Flammarion, 1999, 381 pages
LUCHAIRE F, « Le juge constitutionnel en France et
aux Etats-Unis. Etude comparée », 1ère édition,
Paris, Economica, 2002, 82 pages
LUCHAIRE F, « Le Conseil constitutionnel
»,1ère édition, Paris, Economica, 1980, 435
pages
LUCHAIRE Fet CONAC G (dirs.), « La constitution de la
république française », 2ème édition,
Paris, Economica, 1987, 1402 pages
MATHIEU B, « La loi »,
2ème édition, Paris, Dalloz, 2004, 142 pages
MORABITO M, « Histoire constitutionnelle de la France
(1789-1958) », 7ème édition, Paris,
Montchrestien, 2002, 432 pages
PACTET P, « Institutions politiques, Droit
constitutionnel »,21ème édition, Paris,
Armand Colin, 2002, 643 pages
PRIOURET R, « La République des
députés », 1ère édition,
Paris, Grasset, 1959, 267 pages
RABAULT H, « L'interprétation des normes :
l'objectivité de la méthode herméneutique »,
Paris et Montréal, Le Harmattan, 1997, 371 pages
RIVERO J, « Le Conseil constitutionnel et les
libertés », 2ème édition, Paris et
Aix-en-Provence, Economica, 1993, 341 pages
ROUSSEAU D, « La justice constitutionnelle en Europe
», 3ème édition, Paris, Montchrestien, 1998,
160 pages
Kléberson JEAN BAPTISTE 78
Bibliographie
ROUSSEAU D, « Droit du contentieux constitutionnel
», 9ème édition, Paris, Montchrestien, 2010,
586 pages
ROUSSEAU D (dir.), « La question prioritaire de
constitutionnalité », 2ème édition,
Paris, LGDJ-Montchrestien, 2012, 259 pages
ROUSSEAU D et VIALA A, « Droit constitutionnel »,
1ère édition, Paris, Montchrestien, 2004, 480 pages
ROUSSEAU J-J, « Du Contrat social »,
10ème édition, Paris, Flammarion, 2006, 192 pages
ROUSSILLON H, « Le Conseil constitutionnel »,
4ème édition, Paris, Dalloz, 2001, 173 pages
TOCQUEVILLE de A, « De la démocratie en
Amérique », Vol1, Paris, Garnier Flammarion, 1981, 569
pages
TURPIN D, « Contentieux constitutionnel »,
2ème édition, Paris, PUF, 1994, 543 pages TURPIN D,
« Droit constitutionnel », 4ème
édition, Paris, PUF, 2002, 869 pages
TUSSEAU G, « Contre les « modèles » de
justice constitutionnelle. Essai de critique méthodologique »,
1ère édition bilingue français-italien, Bononia
University Press -B.U.P, 2009, 193 pages
ZAGREBELSKY G, « Le droit en douceur »,
traduction par LEROY M, 1ère édition, Paris et
Aix-en-Provence, Economica et PUAM, Bruylant, 2000, 153 pages
ZOLLER E, « Les grands arrêts de la Cour
suprême », 1ère édition, Paris,
Dalloz, 2010, 922 pages
2. Articles de revue
ARRIGHI DE CASANOVA J, « Pouvoir normatif du Conseil
constitutionnel », Cahiers du Conseil constitutionnel, 2008,
n°24, p.4
BECHILLON DE D, « Comment encadrer le pouvoir normatif du
juge constitutionnel ? » Cahiers du Conseil constitutionnel,
2008, n°24, p.2
BRUNET P, « Que reste-il de la volonté
générale », Pouvoirs, 2005, n°114, p.19
CARCASONNE G, « Penser la loi », Pouvoirs, 2005, n°114,
p.52
CARRE DE MALBERG R, « La Constitutionnalité des lois
et la Constitution de 1875 » R.D.P., 1927, n°
spécial, p.354
Kléberson JEAN BAPTISTE 79
Bibliographie
CAYLA O, « Le coup d'état de droit ? »,
Le Débat, 1998, n°100, p.108
CHALTIEL F, « L'avènement de la QPC en France : du
splendide isolement à la spécificité maintenue »,
Petites affiches, 2011, n°89, p.39
CHAUVAUX D, « L'exception d'inconstitutionnalité :
un chantier » R.D.P., 2001, n° 3, p.566
COHEN-TANGUI L, « Qui peur du Conseil constitutionnel ?
», Le débat, 1987, n°43, p.63
COUDERC M, « Les fonctions de la loi sous le regard du
commandeur »,Pouvoirs, 2005, n°114, p.37
DENQUIN J.M., « Que veut-on dire par «
démocratie » ? L'essence, la démocratie et la justice
constitutionnelle », Revue internationale de droit politique,
2009, n°2, p.25
DESMONS E, « Révision constitutionnelle, Justice
constitutionnelle et état de droit », Petites affiches,
1994, n°143, p. 6
DUPUIS-DERIF F, « L'esprit antidémocratique des
fondateurs de la « démocratie moderne », Agone, 1999,
n°2, p.95
FAVOREU L, « Supraconstitutionnalité et
jurisprudence constitutionnelle en droit privé et en droit public
français », R.I.D.C., 1994, n°2, p.557
FAVOREU L, « Le droit constitutionnel, droit de la
Constitution et constitution du droit », R.F.D.C., 1990,
n°1, p.80
FAVOREU L, « Le Conseil constitutionnel et l'alternance
», Revue française de science politique, 1984, n°4-5,
p.1029
FAVOREU L, « L'apport du Conseil constitutionnel au droit
public », Pouvoirs, 1991, n° 13, p.31
FIORAVANTI M, « Sieyès et le jury
constitutionnaire : perspectives historico-juridiques », Annales
historiques de la Révolution française, 2007, n° 349,
p.103
FLAUSS J-F, « Le contrôle de
constitutionnalité des lois référendaires »,
Petites affiches, 1997, n°75, p.7
FRIEDRICH C.J, « La démocratie constitutionnelle
», R.I.D.C., 1960, n° 1, p.269
GENEVOISB, « L'accès de l'individu à la
justice constitutionnelle : exception d'inconstitutionnalité et recours
individuel direct », R.I.D.C., 1990, n° spécial,
p.92
GENEVOIS B, « La jurisprudence du Conseil constitutionnel
est-elle imprévisible ? », Pouvoirs, 1990, n°59,
p.142
Kléberson JEAN BAPTISTE 80
Bibliographie
GENEVOIS B, « Le Conseil d'état n'est pas le
censeur de la loi au regard de la Constitution », R.F.D.A., 2000,
n°4, p.724
GROSSER A, « Cours constitutionnelles et valeurs de
référence », Pouvoirs, n°13, p.139 HAMON L,
« L'Etat de droit et son essence », R.F.D.C., 1990,
n°4,
HAMON L et THIBAUD P, « Le Conseil constitutionnel et la
démocratie », Le Débat, 1987, n°43, p.80
JACQUELOT F, « Le juge constitutionnel et le droit
comparé », Petites affiches, 2007, n°12, p.8
JAN P, « Histoire de la loi », Petites affiches,
2008, n°106, p.8
JEAN BAPTISTE P, « Le non-renvoi des questions
prioritaires de constitutionnalité par la Cour de Cassation »,
R.F.D.A., 2011, n°4, p.691
JOUANJAN O, « Modèles et représentation de
la justice constitutionnelle en France », Revue internationale de
droit politique, 2009, n°2, 26
KELSEN H, « La garantie juridictionnelle de la
Constitution », R.D.P., 1928, n°4, p.197
KELSEN H, « Le contrôle de
constitutionnalité des lois. Une étude comparative des
Constitutions autrichienne et américaine », R.F.D.C.,
1990, n°1, p.17
KRAMER L, « Au nom du peuple Qui a le dernier mot en
matière constitutionnelle », R.D.P., 2005, n°4,
p.1027
LAMBERT J, « Les origines du contrôle de
constitutionnalité des lois d'Etat par la judicature
fédérale aux USA », R.D.P., 1993, n°5, p.50
MATHIEU B, « La supraconstitutionnalité
existe-t-elle ? Réflexions sur un mythe et quelques
réalités », Petites affiches, 1995, n°29,
p.16
MATHIEU B, « La normativité de la loi : une
exigence démocratique », Cahiers du Conseil constitutionnel,
2007, n°21, p. 5
MILACIC S, « Faut-il réinventer la
démocratie ? Du ` néodémocratisme' pour équilibrer
le `néolibéralisme' », Politeia, 2004, n°6,
p.445
MILLET F.X, « L'exception d'inconstitutionnalité
en France ou l'impossibilité du souhaitable ? », R.D.P.,
2001, n°5, p.17
MOLFESSIS N, « Simplification du droit et déclin
de la loi », R.T.D.C., 2004, n° 1, p.155
MOLFESSIS N, « L'irrigation du droit par les
décisions du Conseil constitutionnel », Pouvoirs, 2003,
n°105, p.102
Kléberson JEAN BAPTISTE 81
Bibliographie
MONTEILLET I, « L'influence à l'égard des
juridictions ordinaires des réserves d'interprétation
formulées par le Conseil constitutionnel dans ses décisions
», Gazette du Palais, 2002, n°152, p.9
NABLI B, « L'opposition parlementaire : un contre-pouvoir
politique saisi par le droit », Pouvoirs, 2010, n° 133,
p.136
PHILIP L, « Le Conseil constitutionnel, juge
électoral », Pouvoirs, 1991, n°13, p.86
PINI J, « (Simples) réflexions sur le statut
normatif de la jurisprudence constitutionnelle »Cahiers du Conseil
constitutionnel, 2008, n° 24, p.5
PINON S, « La notion de démocratie dans la
doctrine constitutionnelle française », Revue Politeia,
2006, n°10, p. 407
PICHOT P, « Penser le contrôle à priori
», Cahiers du Conseil constitutionnel, 2010, n°28, p.8
PASQUINO P, « Le contrôle de
constitutionnalité : généalogie et morphologie »,
Cahiers du Conseil constitutionnel, 2010, n°28, p.6
PONTHOREAU M.C, « L'opposition comme garantie
constitutionnelle », R.D.P., 2002, n°4, p.1131
RAMBAUD T, « Actualité de la pensée
constitutionnalité de Georg Jellineck », R.D.P., 2001,
n°3, p.707
RIVERO J, « Fin d'un absolutisme »,
Pouvoirs, 1991, n°13, p.16
ROUSSEAU D, « Une résurrection : la notion de
Constitution », R.D.P., 1990, p.6
ROBLOT-TROIZIER A, « Le non-renvoi des questions
prioritaires de constitutionnalité par le Conseil d'état. Vers la
mutation du Conseil d'état en un juge constitutionnel »,
R.F.D.A., 2011, n°4, p.691
SAINT- BONNET F, « La double genèse de la justice
constitutionnelle », R.D.P., 2001, n°3, p.753
SAINT-BONNET F, « Le contrôle a posteriori : les
parlements de l'Ancien Régime et la neutralisation de la loi »,
Les Cahiers du Conseil constitutionnel, 2010, n°28, p.23
SCOFFONI G, « La légitimité du juge
constitutionnel : les enseignements de l'expérience américaine
», R.I.D.C., n°2, p.245
STONE A, « Qu'y a-t-il de concret dans le contrôle
abstrait aux Etats-Unis », R.F.D.C., 1998, n° 34, p.227
Kléberson JEAN BAPTISTE 82
Bibliographie
MICHALON T, « A la recherche de la légitimité
de l'Etat », R.F.D.C., 1998, n°34, p.251 TROPER M, «
Justice constitutionnelle et démocratie », R.F.D.C.,
1990, n°1, p.48
TROPER M, « Histoire constitutionnelle et théorie
constitutionnelle », Cahiers du Conseil constitutionnel, 2010,
n°28, p.6
VEDEL G, « Le Conseil constitutionnel, gardien du droit
positif ou défenseur de la transcendance des droits de l'homme »,
Pouvoirs, 1988, n° 45, p.149
VEDEL G, « Souveraineté et
supraconstitutionnalité », Pouvoirs, 1993, n°67,
p.97
WENER A, « Le Conseil constitutionnel et l'appropriation du
pouvoir constituant », Pouvoirs, 1993, n°67, p.117
3. Articles d'ouvrages
BAZOT A, « Une perspective de naissance d'un droit
constitutionnel de la consommation embryonnaire », in PAULIAT H (al),
« Le justiciable et la protection de ses droits fondamentaux : la
question prioritaire de constitutionnalité
»,1ère édition, Presses Universitaires de
Limoges, 2011, p.145
BOULET M, « Questions prioritaires de
constitutionnalité et réserves d'interprétation »,
R.F.D.A., 2011, n°4, p.753
BRUNET P, « Le Juge constitutionnel est-il un juge comme
les autres ? Réflexions méthodologiques sur la justice
constitutionnelle » in JOUANJAN O (dir.), « La notion de justice
constitutionnelle », 1ère édition, Dalloz, 2005,
p.135
CANO N-B, « Le contentieux mixte initié par la
question préjudicielle de constitutionnalité en droit
comparé européen » in PAULIAT H (al), « Le
justiciable et la protection de ses droits fondamentaux : la question
prioritaire de constitutionnalité », 1ère
édition, Presses Universitaires de Limoges, 2011, p.21
COHEN-SEAT N.B, « Le point de vue d'un parlementaire face
à la réforme » in PAULIAT H (al), « Le justiciable
et la protection de ses droits fondamentaux : la question prioritaire de
constitutionnalité » ,1ère édition,
Presses Universitaires de Limoges, 2011, p.85
DE BECHILLON D, « Faut-il regretter que le
Préambule de la Constitution de 1958 n'ait pas été
modifié ? », in PAULIAT H (al), « Le justiciable et la
protection de ses droits fondamentaux : la question prioritaire de
constitutionnalité », 1ère édition,
Presses Universitaires de Limoges, 2011, p.77
Kléberson JEAN BAPTISTE 83
Bibliographie
DUSSART V, « La question prioritaire de
constitutionnalité en matière fiscale », in PAULIAT H (al),
« Le justiciable et la protection de ses droits fondamentaux : la question
prioritaire de constitutionnalité », 1ère
édition, Presses Universitaires de Limoges, 2011, p.151
FRANCOIS B, « Justice constitutionnelle et `
démocratie constitutionnelle'. Critique du discours constitutionnaliste
européen » in CHEVALIER J (dir.) « Droit et politique
», 1ère édition, PUF, 1993, p.95
FRANCOIS B, « La place du Conseil constitutionnel dans le
système de la 5ème république » in
« Conseil constitutionnel. La Conseil constitutionnel a quarante ans
», 1ère édition, LGDJ, 1999, p.72
HUGLOT C, « La question prioritaire de
constitutionnalité, le praticien et l'environnement », in PAULIAT H
(al), « Le justiciable et la protection de ses droits fondamentaux : la
question prioritaire de constitutionnalité »,
1ère édition, Presses Universitaires de Limoges, 2011,
p.139
LEVY D, « La question prioritaire de
constitutionnalité : pistes de réflexion pour les avocats »,
in PAULIAT H (al), « Le justiciable et la protection de ses droits
fondamentaux : la question prioritaire de constitutionnalité »,
1ère édition, Presses Universitaires de Limoges, 2011,
p.111
MASTOR W, « Le contrôle de
constitutionnalité des lois aux Etats -Unis : présentation
générale » in PAULIAT H (al), « Le justiciable et la
protection de ses droits fondamentaux : la question prioritaire de
constitutionnalité », 1ère édition,
Presses Universitaires de Limoges, 2011, p.67
ROUSSEAU D, « La réforme de 2008, quels enjeux,
quels perspectives ? » in PAULIAT H (al), « Le justiciable et la
protection de ses droits fondamentaux : la question prioritaire de
constitutionnalité », 1ère édition,
Presses Universitaires de Limoges, 2011, p.9
ROUX A, « Le Parlement sous la 5ème
République », in FAVOREU L (al) « Droit Constitutionnel
», 12ème édition, Dalloz, 2009, p.740
SANCHEZ L.P, « La question d'inconstitutionnalité
en droit espagnol » in PAULIAT H (al), « Le justiciable et la
protection de ses droits fondamentaux : la question prioritaire de
constitutionnalité », 1ère édition,
Presses Universitaires de Limoges, 2011, p.37
4. Articles en ligne
ROUSSEAU D, « Constitutionnalisme et démocratie
», Sept.2008, la vie des
idées.fr PAULUS J, « Histoire
de la démocratie », Nov.2007,
www.territoires-memoire.be
Kléberson JEAN BAPTISTE 84
Bibliographie
JAUME L, « Sieyès et le sens du jury
constitutionnaire : une réinterprétation », Janv.2002, http
: //
hc.rediris.es/03/index.html
HAMON F et WIENNER C, « Justice. Justice
constitutionnelle »,
www.universalis.fr BURDEAU G,
« loi »,
www.universalis.fr
GRUBER A, « Conseil constitutionnel »,
www.universalis.fr
MASTOR W, « Constitution de la 5ème
république (France) »,
www.universalis.fr
5. Documents officiels
Rapport du comité consultatif pour la révision
de la Constitution remis au président de la République le
15-02-1993 ; JORF : n° 39 du 16-02-1993
Rapport du comité de réflexion et de proposition
sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la
5ème république remis au président de la
République le 29-10-2007 ; JORF : n° 0055 du 06-03-2009
Rapport préparé par le Conseil constitutionnel
à l'occasion de la 3ème conférence des Chefs
d'institution de membres de l'Association des Cours constitutionnelles ayant en
Partage l'Usage du Français à Sarajevo les 18 et 19 mars 2000
Rapport du Conseil constitutionnel français à
l'occasion du 150ème anniversaire de l'Etat
fédéral suisse présenté par Yves GUENA le 13 juin
1998
Rapport du Conseil constitutionnel présenté
à l'occasion des rencontres constitutionnelles franco-roumaines les
1er et 2 octobre 1998
Publication élaborée par l'Union
interparlementaire (La Démocratie : Principes et réalisation) en
1998
|