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Justice constitutionnelle en France et démocratie

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par Jean- Baptiste KLEBERSON
Université de Bretagne occidentale de France - Master 2 en droit public 2011
  

Disponible en mode multipage

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Année Universitaire 2011-2012

UNIVERSITE DE BRETAGNE OCCIDENTALE CARRIERES DU DROIT PUBLIC

JUSTICE CONSTITUTIONNELLE EN FRANCE

ET DEMOCRATIE

Mémoire de Recherche sous la direction de Madame Marthe LE MOIGNE
Maître de Conférences (Droit Public)

En vue de l'obtention du Master II Recherche « Carrières du droit public »

Présenté par :

Kléberson JEAN BAPTISTE

REMERCIEMENTS

Mes remerciements s'adressent à
Madame Marthe LE MOIGNE pour ses précieux conseils et sa grande disponibilité
Et à tous ceux qui m'ont aidé jusqu'ici dans ma formation spécialement à mon père
Clébert JEAN BAPTISTE

Liste des principales abréviations

ACCPUF Association des Cours Constitutionnelles des Pays ayant en

Partage le Français

AJDA Actualité Juridique du Droit Administratif

ALD Actualité Législative Dalloz

BJCP Bulletin Juridique des Contrats Publics

CAA Cour Administrative d'Appel

CE Conseil d'Etat

CJA Code de Justice Administrative

DA Droit Administratif

EDCE Etudes et Documents du Conseil d'Etat

Gaz.Pal. La Gazette du Palais

IVG Interruption Volontaire de Grossesse

JCPA Juris-Classeur Périodique-Administrations et collectivités

territoriales

JORF Journal Officiel de la République française

LOUE Journal Officiel de l'Union Européenne

LPA Les Petites Affiches

Rec Recueil du Conseil d'Etat

RFDA Revue Française de Droit Administratif

RIDC Revue Internationale de Droit Comparé

RRJ Revue de la Recherche Juridique, droit prospectif

RTDciv Revue Trimestrielle de Droit civil

RTDE Revue Trimestrielle de Droit Européen

TA Tribunal Administratif

Tables des matières

Introduction 1

Chapitre I. L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la démocratie .. 13

Section I. les principes fondateurs de la démocratie parlementaire 14

§ 1. La sacralisation ou le culte de la loi 14

§ 2. La légitimité électorale 21
Section II. La remise en cause des fondements de la démocratie parlementaire par la justice

constitutionnelle 27

§ 1. Le contrôle de la loi par des non-élus 27

§ 2. L'affaiblissement du Parlement 35
Chapitre II. La garantie et le renouvellement de la démocratie par la justice

constitutionnelle 41

Section I. Le Conseil constitutionnel et la lutte en faveur des droits et libertés fondamentaux 42

§ 1. Le Conseil constitutionnel : outil de protection des gouvernés face aux gouvernants 42

§ 2. Le Conseil constitutionnel : instrument de consolidation et d'avancement de l'état de droit 49 Section II. Le changement de « paradigme » démocratique sous l'effet du Conseil constitutionnel 58

§ 1. La crise de la démocratie parlementaire à l'échelle européenne 58

§ 2. De la démocratie parlementaire à la démocratie constitutionnelle 64

Conclusion 73

Bibliographie 75

Kléberson JEAN BAPTISTE 1

Introduction

Introduction

« Dans notre plan, les citoyens font plus ou moins immédiatement le choix de leur députés à l'assemblée législative, la législation cesse d'être démocratique et devient représentative »1 écrivit Sieyès, figure de proue de la révolution française. Son confrère Brissot poursuivit dans la même lignée en écrivant :

« Les républicains de France ne veulent point de la démocratie pure d'Athènes »2

Ces passages dénotent deux faits historiques de grande valeur. D'abord, à cette époque de l'histoire, le concept démocratie était confondu par la classe politique française particulièrement avec celui de démocratie directe. Le 2ème aspect et non le moindre est cette forme d'antipathie des révolutionnaires pour l'expérience athénienne de vie démocratique. En effet, fidèle à Voltaire qui considérait « le peuple comme la canaille »3, l'élite politique française qui se parait des habits de démocrates répugnaient toute forme de gouvernement ou le peuple prendrait directement ou effectivement les décisions concernant « la res publica ».Les raisons justificatives avancées par les acteurs politiques et les penseurs pour dénigrer « la pure démocratie »sont multidimensionnelles et de divers ordres. Cependant, toutes sont conformes à l'idée voltairienne exprimée ci-dessus4.En premier lieu, ils estimaient le peuple pas assez vertueux pour proposer, débattre, adopter des lois en un mot pour assurer sans intermédiaires la gouvernance nationale comme cela était pratiqué dans « l'agora athénienne ». Le peuple est facilement manipulable et se laisse entraîner par ses passions, avançaient certains, pour prévenir la faiblesse « du gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple »5. D'où l'émergence des idées « d'aristocratie naturelle » ou d'aristocratie « représentative » présentes chez les penseurs politiques américains et français6. Selon, les membres de l'élite politique des deux côtés de l'Atlantique, « eux seuls détiendraient la compétence et le savoir pour penser, identifier, défendre et promouvoir le bien commun alors que les gens (du petit) peuple ne sont motivés que par leur intérêt immédiat et personnel »7. Ils dénoncent la démocratie directe avec la même vigueur qu'ils répudient les régimes monarchiques et oligarchiques. A l'argument d'incapacité politique du peuple, ces derniers ajoutaient le manque d'autonomie d'esprit de la classe populaire lié à ces conditions

1Voir Yves DURAND, « les républiques au temps des monarchies », PUF, 1973

2Cité in J. MADIOSON et A. HAMILTON § J.JAY «The federalist Papers», Penguin books,

1990,p.78-79

3Voir la lettre de Voltaire à Damilaville du 19 novembre 1765

4Ibid.

5Définition attribuée au concept démocratie par l'ancien président Abraham LINCLON

6DUPUIS-DERI F « l'esprit antidémocratique des fondateurs de la
« démocratie »moderne »,Agone, n°22, septembre 1999, p.99

7Ibid., p.10

Kléberson JEAN BAPTISTE 2

Introduction

matérielles d'existence. En effet l'idée était véhiculée que seuls les gens jouissant d'une autonomie financière peuvent avoir une pensée rationnelle et un libre arbitre donc étaient à la hauteur de participer au processus décisionnel relatif aux affaires étatiques. John Adams écrivit péremptoirement :

« Telle est la fragilité du coeur humain que seulement quelques hommes qui n'ont pas de propriété possèdent un jugement qui leur soit propre ».

Rejetant d'un revers de main la démocratie sous sa forme directe, les révolutionnaires n'ont jamais dénié, en revanche, que tout pouvoir vient du peuple. La nation est unanimement acceptée comme détenteur authentique de la souveraineté sans qu'on accepte qu'elle exerce elle-même les attributions qui en découlent. Rappelons que la souveraineté implique une autorité qui est au-dessus de tous les pouvoirs, qui les contrôle tous sans pouvoir lui-même être contrôlée car elle est la source de tout pouvoir. Personne, hormis les monarchistes et les oligarques, n'a contesté cette souveraineté populaire. Le problème, comme on vient de l'expliciter plus haut, est qu'on estime que le détenteur de cette omnipotence, en l'occurrence le peuple, ne saurait l'exercer sans conduire à des méfaits inimaginables. L'inculture de la masse populaire, sa pauvreté d'esprit, entre autres l'auraient empêché d'être à la hauteur de cette mission de gouvernance. Les hommes politiques doivent essayer de trouver un palliatif à ce dilemme« pour que la cité ne soit pas ingouvernable ou mal gouvernée ». Cette réflexion a été déjà entamée par les philosophes anglais John Locke (1632-1704) et Thomas Hobbes (1588-1679). Ces deux auteurs, réfléchissant sur l'origine de l'état, ont élaboré la théorie du contrat social qui dénie tout fondement théocratique au pouvoir politique. En effet selon ces derniers l'état est né à la suite d'un contrat conclu entre les individus acceptant de limiter leurs droits individuels et leur pouvoir originaire pour les « transférer à une instance neutre et unique chargée de les gouverner ». Nous voyons déjà poindre l'idée du système représentatif qui connaîtra sa confirmation ou ses lettres de noblesse au 18ème siècle français dénommé « Siècle des Lumières ». Les écrivains de ce siècle dont les idées seront traduites dans la révolution française et sa congénère, en l'occurrence la révolution américaine, ont quasiment tous abondé dans le sens de la démocratie représentative qui sera effectivement adoptée par préférence à la démocratie directe considérée par les pères de ces deux glorieuses révolutions comme le « règne de la populace »susceptible d'entraîner l'anarchie ou le chaos. James Madison, un des pères de la constitution américaine, à l'image de ses homologues français s'exprime ainsi à propos de la vie démocratique de la Grèce antique

« Si chaque citoyen d'Athènes avait été un Socrate, chaque assemblée athénienne aurait été malgré tout une cohue »

En France, dans cette même lignée, on lisait sous la plume du girondin Brissot, l'un des meneurs de la lutte révolutionnaire de 1789 :

Kléberson JEAN BAPTISTE 3

Introduction

« La plupart des désordres » qu'ont connus les cités démocratiques antiques peuvent être attribués à leur manière de délibérer. Le peuple délibérait sur place » 8

Les révolutionnaires de 1789 ont joué sur deux tableaux simultanément : celui de discréditer et de combattre la légitimité du pouvoir monarchique et aristocratique, au sens premier du terme, et celui de dénoncer vertement l'incapacité et l'inintelligence politique du peuple à se gouverner lui-même afin de tenir à l'écart toute éventuelle velléité de démocratie directe. La conséquence logique de cette stratégie discursive est que le titulaire du pouvoir, inapte à l'exercer, doit choisir d'une manière ou d'une autre des délégués ou des représentants pour le faire à sa place. Les penseurs politiques du 18ème siècle, avec la même intelligence, se sont servis de leur aura et de leur plume pour légitimer et remplir d'éloges ces derniers. Les propos les plus appropriés à cet état de fait sont attribués à un pasteur américain nommé James Belknap dans le livre de Bertlin de Laniel9. Le ministre des cultes eut à dire :

« Tenons comme principe que le gouvernement tire son origine du peuple, mais qu'on enseigne au peuple qu'il n'est pas apte à se gouverner lui-même »

Il va sans dire que ce travail de promotion du système représentatif a été aussi lucidement et merveilleusement orchestré dans l'hexagone. Montesquieu prétendait dans son maitre-ouvrage (L'Esprit des lois) que « le grand avantage des représentants, c'est qu'ils sont capables de discuter des affaires. Le peuple n'y est point du tout propre : ce qui forma un des grands inconvénients de la démocratie », confondant à l'image des hommes de sa génération le système démocratique à la forme de démocratie directe. L'imaginaire collectif ou la société tout entière finissaient par s'imprégner de cette façon de concevoir la bonne gouvernance défendue par ses élites. En dépit de cette dite imprégnation sociale, la démocratie « sous sa forme pure » ou sans intermédiaires a eu ses défenseurs. Jean Jacques Rousseau, contrairement à une idée reçue, n'était pas l'un des chantres de la démocratie représentative malgré le fait qu'il acquiesça à l'idée identifiant la loi à la volonté générale. En plus de contester l'argument démographique avancé par les promoteurs du régime représentatif, l'auteur « Du contrat Social », réfuta catégoriquement la délégation du pouvoir souverain par le peuple à ses représentants. Lui comme certains d'autres marginaux, en termes de proportion, voyaient comme un mythe la souveraineté nationale et son principal corollaire, l'identification absolue du peuple à ceux qui siègent dans les assemblées parlementaires. Il écrivit dans le contrat social10 que « la souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu'elle ne peut être aliénée ». En d'autres termes, le concept souveraineté populaire n'est qu'un leurre si le peuple est privé de son pouvoir au détriment du mandataire, fût-ce il auréolé de l'onction électorale. Le parallélisme de la révolution française avec celle de la

8Cité par L. Cornu, « l'idée moderne de la république : émergence du mot, élaboré de l'idée en 1791 », La Révolution française et la philosophie : échanges et conflits, CRDP, 1990, p.7879

9 B.LANIEL « Le mot « democracy » aux Etats-Unis de 1780à 1856 », Publications de l'Université de Saint-Etienne, 1995LANIEL, « le mot «

10 ROUSSEAU, « Du contrat social », Livre III, chap. XII

Kléberson JEAN BAPTISTE 4

Introduction

république étoilée est bien probant en ce sens. En effet face à l'effort sans ménagement fourni par les tenants de la démocratie représentative ou plus précisément de la démocratie parlementaire aux USA, des auteurs et acteurs politiques ont manifesté une certaine résistance. L'un des précurseurs de la révolution américaine, John Cotton, démocrate convaincu, pasteur, signifia son désaccord à la position et l'opinion dominantes en déclarant que « le gouvernement n'est pas démocratique s'il est administré non par le peuple mais par des gouverneurs ». En novembre 1776, les radicaux de Caroline du Nord donnèrent l'instruction à leurs délégués élus pour rédiger la constitution que celle-ci devait être « une simple démocratie » et qu'ils devaient « s'opposer à tout ce qui tendrait vers l'aristocratie ou le pouvoir entre les mains des riches et des personnes en situation d'autorité habitués à opprimer les pauvres ».11 Sans surprise aucune, le discours de la souveraineté populaire mué en « souveraineté parlementaire » l'emporta conformément aux vues des acteurs politiques comme Sieyès et Brissot des auteurs comme Montesquieu au grand dam des penseurs politiques comme Jean Jacques Rousseau. L'agora, place publique servant de lieu ou les citoyens athéniens se réunissaient pour prendre les décisions relatives à la cité, n'est pas choisi comme le siège du pouvoir par les pères de la révolution française. Commence dès lors le règne presque sans partage, hormis pendant les tentatives de rétablissement de la monarchie, de la démocratie parlementaire dont le fondement est une osmose entre la nation et ses représentants élus. Ce régime a prévalu pendant les différentes républiques sauf celle qui est en cours, en l'occurrence la 5ème république. Le parlement s'est trouvé investi d'une puissance illimitée se fondant sur le fait qu'il équivaut au titulaire de la souveraineté ou encore qu'il est devenu lui-même, grâce à la légitimité électorale dépositaire de celle-ci. Ce pouvoir sans borne du corps législatif est ainsi exprimé par Carré de Malberg dans son livre intitulé, la loi l'expression de la volonté générale :

« Le parlement est capable d'étendre son pouvoir législatif à tout objet quelconque sur lequel il entend s'attribuer et se réserver la faculté de statuer à l'exclusion de toute autorité »12

Contrairement à la thèse rousseauiste d'inaliénabilité et d'indivisibilité de la souveraineté, le peuple français a dû admettre la « réflexion » de la sienne sur la personne de ses délégués.

Le système politico-administratif, érigé suite à la révolution française par la constitution de1791, en outre d'assimiler les délibérations des députés à la volonté populaire, laissait entrevoir avec clarté le parti pris pour une organisation verticale des pouvoirs. Les constituants postrévolutionnaires affichaient avec condescendance la prévalence du pouvoir législatif sur toutes les autres sphères de pouvoir y compris l'exécutif. La voix de la Législature prédominait ou devrait l'être aux dépens de toutes les autres structures institutionnelles. L'article 2 de la charte fondamentale, nous rappelle le maitre de Strasbourg prescrivait :

11 DUPUIS-DERI, op.cit.,

12 CARRE DE MALBERG R, « La Loi, expression de la volonté générale », 1ère édition, Paris, Economica, 1984, p. 14

Kléberson JEAN BAPTISTE 5

Introduction

« La Constitution française est représentative : Les représentants sont le Corps législatif et le roi »13

Le fait que la disposition constitutionnelle cite d'abord le Corps législatif, (organe proclamé comme représentant de la totalité des citoyens) n'est pas anodin et encore moins fortuit. Ceci peut être confirmé par le fait que les prérogatives du chef de l'exécutif, dans leur mise en application, ne se sont révélées que des fonctions purement symboliques. Les deux principales attributions royales étaient le veto suspensif à l'encontre des lois adoptées par le souverain et la mise en oeuvre de la coopération internationale. S'agissant du droit de veto, son effet n'était que de renvoyer la loi litigieuse « aux législatures subséquentes »14 en vue que celles-ci prononcèrent le verdict final auquel le roi devait s'accommoder car il était irrévocable. Comme à l'accoutumée ou encore vieille survivance en ce qui a trait à la conduite de la politique étrangère, les conventions et autres actes internationaux conclus par le roi devaient être ratifiés par le parlement pour intégrer l'ordre juridique. Le début de l'article 3 de la Constitution relatif au pouvoir judicaire prohibe toute intrusion de celle-ci dans les prérogatives du seul « vrai bénéficiaire du système représentatif », en l'occurrence le corps des députés, en annonçant de manière grandiloquente.

« Les tribunaux ne peuvent ni s'immiscer dans l'exercice du Pouvoir législatif, ou suspendre l'exécution des lois sous peine de forfaiture ».

Les juges, quels qu'ils soient, n'avaient d'autre fonction que de mettre en application les lois adoptées par le pouvoir législatif sans même prétendre à aucune forme de contrôle sur l'oeuvre du détenteur fictif mais puissant de la souveraineté populaire. Quant à l'appareil administratif, quoique élu, la constitution le campait au rôle de subalterne du roi tout en prenant le soin de l'interdire aussi de « s'immiscer dans l'exercice du pouvoir législatif »15

En effet, en faisant l'exégèse de la constitution de 1791 et de la déclaration des droits de l'homme et des citoyens qui l'a précédée de 2 ans, l'on peut conclure que l'exclusivité de la représentation nationale était réservée à l'assemblée nationale. Si l'on ne peut contester la légitimité des députés postrévolutionnaires dont certains faisaient d'ailleurs partie de l'Assemblée nationale de 1789 et de l'Assemblée constituante de 1791, en revanche il est loisible de se questionner sur les justifications du « caractère exclusif de leur représentativité ». Les titulaires de fonctions diverses autres que le législateur « n'atteignaient pas la vertu représentative », ils étaient considérés comme de simples agents ou fonctionnaires donc dénués du pouvoir de « parler et de vouloir pour la nation ». Nous répétons, après Carré De Malberg, qui eut à préciser, à juste titre que :

« Le système représentatif que la révolution a érigé en partant du principe de la souveraineté nationale, s'analyse, en définitive, en un système de souveraineté parlementaire ».

13 Ibid. p.18

14 CARRE DE MALBERG, op.cit., p.19

15 Ibid.

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Introduction

Allant au bout de notre réflexion, nous pouvons confirmer qu'en plus d'être « supérieur aux autres pouvoirs », l'Assemblée des parlementaires jouissait même d'une forme d'autonomie par rapport au peuple ou vis-à-vis du corps des citoyens qui, après tout, constitue le souverain originaire. En effet, par haine de toute forme de mécanismes de démocratie directe ou même semi-directe, il était prévu l'indépendance des députés par rapport à leurs mandants, une fois les joutes électorales terminées. Sieyès affirmait que le seul devoir du représentant « c'est d'être libre ». En ce sens, les publicistes français confirmaient une fois de plus la clairvoyance de Jean Jacques Rousseau qui écrivit au grand dam des admirateurs de l'Angleterre considéré comme le berceau du parlementarisme.

« Le peuple anglais pense être libre, il se trompe fort ; il ne l'est que durant l'élection des membres du parlement, sitôt qu'ils sont élus, il est esclave, il n'est rien »16

Comme rappelé ci-dessus, cette idéologie, faisant la part belle aux mandataires du peuple, domine l'histoire constitutionnelle française pendant très longtemps si on excepte les régimes non-républicains. Les régimes républicains ont toujours mis en exergue la toute-puissance du parlement face aux autres pouvoirs plus ou moins relégués au second plan. Il s'agissait de la perpétuation de ce que Roger Priouret appelle « la république des députés ». Carré de Malberg, dans son livre précité unanimement reconnu par les publicistes française, note cette dite perpétuation mise en oeuvre par l'organisation politique issue de la logique révolutionnaire. Expliquant le système politique de la longue troisième république française sous l'égide de la loi fondamentale de 1875, le maitre de Strasbourg écrivit :

« La constitution de 1875 a obéi, sur ce point, à la tradition venue de la Révolution : elle a traité le pouvoir législatif des Chambres comme un pouvoir identique à la souveraineté »

La 3ème république, à l'instar de la 1ère et de la 4ème n'a pas dérogé à l'omnipotence du parlement découlant du seul fait que ses membres exclusivement portent en eux l'intérêt général car ses décisions sont assimilées aux désirs de la nation française. Le parlementarisme absolu ainsi mis en oeuvre exclut toute forme de restriction à la puissance législative indépendamment de l'origine et de la forme de celle-ci. Ce fait explique, entre autres, l'insuccès du projet de l'abbé Sieyès d'instaurer une « jurie constitutionnaire », conçue comme une assemblée collégiale regroupant surtout des personnalités politiques. La supériorité hiérarchique parlementaire a toujours manifesté sa révulsion pour des limitations de ce genre à travers l'histoire constitutionnelle française. La doctrine constitutionnaliste française n'a pas passé sous silence le poids « des remontrances des parlements de l'ancien régime » contre les ordonnances royales comme justification de l'échec de tous les projets ayant pour visée d'astreindre à un quelconque contrôle l'activité du parlement « souverain ». Cependant là n'est pas la raison principale du refus renouvelé des acteurs et penseurs politiques face à l'encadrement juridictionnel ou institutionnel de l'oeuvre de l'assemblée souveraine. Les causes de cet entêtement dans le refus doivent être cherchées dans les

16 ROUSSEAU op.cit., livre III, chap.15

Kléberson JEAN BAPTISTE 7

Introduction

finalités d'un tel projet. Sieyès exposait clairement les fonctions qu'il entend attribuer à cette dite « jurie constitutionnaire » dans un discours de circonstance. Il y déclara :

« C'est un véritable corps de représentants que je demande, avec mission spéciale de juger les réclamations contre toute atteinte qui serait portée à la constitution »

En effet, il était inconcevable, vu les implications de la théorie représentative, d'exercer la moindre surveillance sur les délibérations législatives. Le propre du souverain c'est de n'avoir aucune volonté au-dessus de la sienne. Ses décisions sont irrévocables en soi indépendamment de leur contenu ou de la forme par laquelle elles sont exprimées. Compte tenu de cet ordre d'idées, il était manifeste que le projet de Sieyès était « a priori » condamné au rejet qu'il a essuyé auprès de l'assemblée législative. Les arguments des parlementaires face à cette proposition reflètent évidemment l'idée de ne céder la moindre portion de terrain à toute instance de quelque nature qu'elle soit dans leur hégémonie. L'obstination de l'élite politique issue de la lutte révolutionnaire à maintenir ou renforcer la mainmise du pouvoir législatif ne laissait aucune chance à l'ambitieux projet de l'abbé. Les parlementaires de l'époque ont exprimé plus précisément que seul le souverain a le pouvoir de s'autolimiter. Antoine Claire Thibaudeau, l'un des députés les plus influents de l'époque, l'adversaire la plus farouche du contrôle de constitutionnalité, prononça à la tribune de l'assemblée nationale que « les gardiens les plus sûrs et les plus naturels de toute constitution sont les corps dépositaires des pouvoirs, ensuite tous les citoyens ». En d'autres termes, le projet de l'abbé a été jugé nul et non avenu par ses pairs à cause de son manque d'irrévérence à l'égard du pouvoir législatif. L'assemblée nationale, incarnation de la souveraineté populaire, ne saurait souffrir de limitations dans l'exercice de ses prérogatives d'où qu'elles viennent. Cette « exception de non-recevoir » de l'instauration d'un « juge de l'activité » législative autre que le législateur lui-même a été respectée par les acteurs politiques pendant les deux empires. La lourde tâche de veiller au respect de la constitution de l'an 8 et celle de 1852 a été conférée au sénat. Il en est résulté nul progrès en ce sens car les « pères conscrits » ne se sont jamais émancipés du pouvoir exécutif représenté en la personne de l'empereur. Quant au pouvoir judiciaire, il lui était toujours défendu par les lois des 16 et 24 aout 1790 de faire écran au déploiement et à la mise en oeuvre du pouvoir législatif ou, pour reprendre les termes consacrés, de s'immiscer dans le travail du législateur sous peine de « forfaiture ».

Aucune institution, aucun pouvoir et encore moins le pouvoir judiciaire n'ont réussi à tenir tête réellement à l'idéologie prépondérant faisant de l'assemblée législative l'autorité suprême et incontestable jusqu'à l'avènement de la 5ème république. Le comité constitutionnel de 1946, malgré son apport symbolique en ce sens, n'a joué qu'un rôle de figurant. Composé à l'origine par des membres déterminés par les assemblées parlementaires, son attribution ne consistait, selon les termes de la constitution du 26 octobre 1946, qu'à examiner « si les lois votées par l'assemblée nationale supposent une révision constitutionnelle ». Dépourvu de tout pouvoir effectif de faire ombrage à la souveraineté parlementaire, ce dit comité ne pouvait que signaler, à l'intention des assemblées parlementaires, l'opportunité d'une éventuelle révision constitutionnelle précédant l'adoption d'une loi. En outre, il n'a eu à intervenir qu'une unique

Kléberson JEAN BAPTISTE 8

Introduction

fois pour « canaliser la résolution d'un contentieux procédural » entre les deux assemblées législatives. Son rôle pratique dans l'histoire politique française s'est réduit à discipliner le bicaméralisme adopté par le constituant de 1946 pendant une occasion.

Les juristes soulignent avec insistance l'échec du jury constitutionnaire, l'inefficacité du comité constitutionnel de 1946 et des sénats impériaux traîtant de l'histoire ou de la « préhistoire » de la justice constitutionnelle française. Le dénominateur commun de ces tentatives manquées ou avortées dans l'oeuf, en plus d'être d'ordre matériel, est de caractère organique. Le projet de Sieyès fut de nature politico-juridictionnel en ce sens que son concepteur n'avait jamais prévu un organe relevant strictement du pouvoir judiciaire pour imposer au pouvoir législatif le respect de la norme constitutionnelle. Il était prévu que le jury constitutionnaire serait composé de 108 membres, tous des personnalités politiques et non des jurisconsultes.17 Quant au comité constitutionnel de 1946, presque inexistant, il était composé des personnalités relevant de l'assemblée législative et désignées par cette institution. Les sénats impériaux qui se sont convertis en serviteur docile de l'empereur n'ont évidemment pas dérogé à cette pratique qui tend à ce que l'assemblée législative s'autolimite elle-même. Il va sans dire que cet état de fait fut conforme à la culture léguée par la lutte révolutionnaire de 1789. En revanche, la place marginale faite par les historiens constitutionnels au projet de Tribunal soutenu par certains constituants de 1791 dont le député Guy Kersaint définit comme « une instance extérieure à la représentation nationale, appelée Tribunal des censeurs, qui devait être dans l'ordre politique des autorités constituées ce que le tribunal de cassation est dans l'ordre civil judiciaire afin de se prononcer entre autres, sur la procédure législative » ne permet pas de cerner totalement le sujet.18 La non-allusion à des procédés purement judiciaires pour contrôler le parlement témoigne d'un conflit latent ou d'un antagonisme entre une éventuelle juridiction constitutionnelle et « l'ordre démocratique » voulu, installé et perpétué par les hommes de 1789 et leurs successeurs. Face à la souveraineté parlementaire, aucun corps extérieur, encore moins le corps judicaire, n'est légitime de se dresser. Jean Joseph Mounier, avocat de formation, député de la nation écrivit dans « ses Nouvelles observations sur les états généraux de France » :

« Le pouvoir judiciaire (...) est le plus dangereux de tous les genres de pouvoirs ; c'est celui qu'il importe le plus d'assujettir à la loi »

De là nait la thèse d'incompatibilité du contrôle judiciaire de constitutionnalité avec la démocratie entretenue jusqu'au 20ème siècle par la classe politique française. Confier le contrôle du législateur à des juges judicaire ou administratif a été vu pendant longtemps comme une grave anomalie remettant en question la souveraineté du peuple et la logique représentative héritée de la période révolutionnaire. Ce qui relève d'une banalité outre-

17 F. SAINT -BONNET, « La double genèse de la justice constitutionnelle en France », R.D.P., 2001, n°3, p.753

18 Voir M. FIORAVANTI, « Sieyès et le jury constitutionnaire : perspectives historico-juridiques », Annales Historiques, n°349, 2007

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Introduction

Atlantique depuis l'arrêt Marbury vs Madison de 1803 rédigé par le Chief Justice, Marshall, a été vu jusqu'en 1958 comme un sacrilège démocratique dans l'hexagone. Alexis de Tocqueville n'a pas manqué de souligner ce fait dans son ouvrage publié en deux tomes « De la démocratie en Amérique. ». Surpris « par l'importance » du pouvoir judicaire américain par rapport à celui des autres pays y compris la France, l'auteur s'est donné pour tâche de trouver la cause qui explique ce décalage. N'ayant relevé aucune particularité dans le fonctionnement des tribunaux ou, pour le paraphraser, « dans les caractères auxquels on a coutume de reconnaitre à tout pouvoir judiciaire », il conclut en ce sens :

« La cause en est dans ce seul fait : les Américains ont reconnu aux juges le droit de fonder leurs arrêts sur la constitution plutôt que sur les lois. En d'autres termes, ils leur ont permis de ne point appliquer les lois qui leur paraîtraient inconstitutionnelles »

On ne saurait mieux infirmer la thèse régnante en France depuis 1789 voyant un déni de démocratie dans toute forme juridictionnelle de sauvegarde de la norme fondamentale contre les éventuels excès des différentes assemblées législatives. Ceci démontre que la trajectoire finale empruntée par la révolution française diffère de celle de sa consoeur américaine en ce sens. Ce qui est de génération en génération combattu comme une entrave à la démocratie ici a été glorifié comme un outil de stabilité démocratique Outre-Atlantique.

Comme on a pu le voir, quasiment toutes les structures imaginées par la France pour contrôler le pouvoir législatif n'étaient jamais extérieur à celui-ci conformément aux postulats de départ identifiant le peuple souverain et la chambre des représentants. Par conséquent, il est faux d'affirmer, qu'avant 1958 aucun essai d'encadrer le travail législatif n'a été entrepris. En revanche, la vérité historique est que ces soi-disant organes de contrôle étaient composés des membres du parlement (les 2 sénats impériaux) ou relevaient presqu'exclusivement de celui-ci à l'image du comité constitutionnel de 1946. En effet, ce dit comité, organe précurseur du « révolutionnaire Conseil constitutionnel », confirme cette illusion19 d'autocontrôle qu'on essayait de mettre en oeuvre. De ces treize (13) membres, sept (7) ont été élus annuellement à la représentation proportionnelle des groupes politiques par l'Assemblée nationale et le président de cette dite assemblée était membre de droit. L'idée d'assurer la conformité du travail législatif à la loi-mère n'était pas absente mais l'idéologie de la « souveraineté représentée » était hostile à ce que cette limitation soit de la compétence d'un organe judiciaire. Fort de cette réalité, nous privilégierons le concept plus restreint de justice constitutionnelle renvoyant davantage à l'oeuvre juridictionnelle à celui de contrôle de constitutionnalité qui est également utilisé par le monde du droit en général et la doctrine constitutionnaliste en particulier à la suite de nos développements.

Le dictionnaire de la culture juridique fournit une définition finaliste de cette notion qui a le mérite d'être très englobant : « la justice constitutionnelle a pour objet d'assurer la suprématie de la constitution sur les autres normes juridiques, selon une procédure de type

19Voir H KELSEN, « La garantie juridictionnelle de la Constitution », R.D.P., 1928, n°2, p.223

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Introduction

juridictionnel ». Sans nier l'interdépendance de tous les étages de la structure pyramidale qu'est tout ordre juridique national selon la formule kelsénienne, nous ne nous appesantirons pas sur l'indispensable régularité des normes infra-législatives entre eux et par rapport à celles qui leur sont supérieures. Il sera uniquement question de cerner les implications juridico-politiques de la confrontation entre les deux normes les mieux placées hiérarchiquement au regard de la théorie « représentative déformée » en un parlementarisme absolu par l'élite politique française dès la grande révolution de 1789.

Autrement dit, notre étude se porte sous la déduction logique de la confusion de la souveraineté parlementaire avec la souveraineté populaire française admise pendant près de deux siècles d'histoire, à savoir, l'incompatibilité de l'ordre démocratique avec la justice constitutionnelle ainsi définie précédemment. Nous voulons comme justification, si besoin est, le passage suivant du juriste Michel Pertué extrait de son livre « La Notion De Constitution à La Fin Du 18ème Siècle » :

« La révolution refusera toujours de confier à une instance extérieure au Corps législatif le soin de vérifier et de garantir le processus démocratique de la législation et la conformité des lois avec les principes posés dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et dans la constitution »

Ce présupposé idéologique longtemps distillé dans la vie juridico-politique française constitue le socle sur lequel notre étude sera articulée. Faut-il rappeler une fois de plus que la démocratie postrévolutionnaire qui nous servira de tremplin au début de nos développements est unidimensionnelle en ce sens que l'organe parlementaire détient exclusivement et jalousement l'omnipotence au détriment de toute autre structure institutionnelle et l'emporte sur toute autre considération. Roger Priouret, non sans caricaturer, nomme ce système politique « le gouvernement des députés »20 tandis qu'Edouard d'Alembert avait dénoncé vigoureusement le phénomène inverse concernant les Etats-Unis près de 40 ans avant. En effet, ce dernier a écrit en 1921 un véritable réquisitoire à l'encontre du développement de la justice constitutionnelle Outre-Atlantique l'assimilant à « un gouvernement des juges »21.

Il s'agit d'étudier la justice constitutionnelle au regard de la démocratie dans toutes les facettes de ce concept. Si les « immortels principes de 1789 » laissent penser que la justice constitutionnelle est nettement inconciliable à la pratique démocratique, il n'en demeure pas moins vrai que beaucoup de pays ayant délaissé des régimes totalitaires ont adopté soit l'une des deux formes traditionnelles de justice constitutionnelle22 ou une méthode combinatoire soit un nouveau procédé juridictionnel permettant d'assurer la prééminence de l'acte constitutionnel fondateur. Nous voulons pour preuve l'adoption du « modèle européen »

20 R.PRIOURET, « La république des députés », 1ère édition, Paris, Grasset, 1959, p.2

21 Voir Préface, E.LAMBERT, « Le gouvernement des juges et la lutte contre la législation sociale aux Etats-Unis », 1ère édition, Paris, Dalloz, 2005

22 Voir M.FROMONT, « La justice constitutionnelle dans le monde », 1ère édition, Paris, Dalloz, 2006

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de justice constitutionnelle par les pays de l'Europe de l'est suite à l'effondrement du bloc communiste et le recours rapide à ce mécanisme par l'Allemagne (1949) et l'Italie (1947) après s'être respectivement libérés des régimes nazis et fascistes. Nombreux pays africains, suite à la chute des régimes dictatoriaux, ont fait le même choix au point que le Pr. Louis Favoreu était tenté de théoriser un modèle africain de justice constitutionnelle.

De deux choses l'une : ou bien la longévité du discours démocratique de 1789 est dûe à sa véracité, ou bien les constituants de 1789 et leurs successeurs ont péché par excès de « républicanisme »23 20 ou « d'agoraphobie »24 et, de ce fait, n'ont pas eu ni le temps ni l'intérêt politique de connaître la richesse théorique du concept de démocratie. Ainsi, nous nous posons la question récurrente mais jamais totalement épuisée de savoir si un contrôle judiciaire de la loi est réellement l'antithèse absolue de la démocratie, le terme pris cette fois-ci dans toutes ses capacités définitionnelles. A cette interrogation, aucune réponse hâtive, pétrie de préjugés et nul jugement de valeur s'appuyant sur le « militantisme intellectuel » en faveur ou en défaveur du Conseil constitutionnel ne sauraient être acceptés. Il faut défricher un à un les concepts et leur fondement ou comme disait Kelsen de son disciple il est impératif « de chercher à se frayer une voie à travers la broussaille des problèmes »25.

En effet, jamais un mot n'a été diversement défini et étudié comme la démocratie. Des auteurs antiques de la cité grecque à notre époque, le concept a été trituré ou même banalisé pour ainsi dire. De Aristote à la génération contemporaine en passant par celui que plus d'un considèrent comme l'un des meilleurs théoriciens de la démocratie en l'occurrence Jean Jacques Rousseau, les études, les écrits et les publications pullulent dans les bibliothèques sous ce concept. Les dirigeants politiques du monde entier n'hésitent jamais à dire que leur pays vit sous un régime démocratique ou pour le moins est en plein apprentissage démocratique. Cependant cette appropriation théorique traduite tant bien que mal dans la réalité quotidienne ne nous empêche pas de souscrire volontiers à l'idée suivante émise par le professeur Jean-Marie Denquin :

« Loin de se développer comme un organisme, la démocratie est un édifice conceptuel toujours inachevé »26

Quant à la notion de justice constitutionnelle au sens étudié ici, l'on peut concéder que la chose a précédé le concept aux rares auteurs « perspicaces » qui décèlent un embryon de justice constitutionnelle pendant l'Ancien Régime en France. Mais les historiens du droit sont quasi-unanimes à relever que celle-ci est née brillamment aux Etats-Unis sous la plume du

23 Concept développé dans F. DUPUIS-DERIS op.cit.

24 Ibid.

25 Voir la préface de H.KELSEN de la thèse de C.EISENMANN, « La justice constitutionnelle et la Haute Cour constitutionnelle d'Autriche », 2ème édition, Paris, Economica, Presses Universitaires d'Aix-Marseille, p.11

26 J .M DENQUIN, « Que veut-on dire par « démocratie » ?, L'essence, la démocratie et la justice constitutionnelle », Revue internationale de droit internationale, 2009, n°2, p.25

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Chief Justice Marshall en 1803 et initiée en Europe continentale au début du 20ème siècle soit en 1920 par la Haute Cour constitutionnelle d'Autriche grâce aux idées du maître de Vienne, Hans Kelsen. Nous pouvons conclure l'antériorité chronologique de la démocratie par rapport à la justice constitutionnelle. Fort de ce fait, nous pouvons considérer que les deux « phénomènes » faisant objet de notre étude n'ont pas toujours cheminé ensemble et ne sont pas congénères. Il peut encore être souligné à l'encre forte que l'Angleterre considéré comme l'une des plus anciennes démocraties européennes n'a jamais connu la justice constitutionnelle formellement parlant. Donc, il serait totalement inexacte d'affirmer péremptoirement que la justice constitutionnelle est une condition sine qua non de la démocratie. En revanche, les opposer radicalement et irréversiblement sans aucune fenêtre de conciliation ou de cohabitation à l'instar de la longue tradition française n'est-ce pas faire preuve de la même inexactitude ? Cette problématique juridico-politique ne peut trouver réponse, à notre humble avis, que dans une analyse certes positiviste de la justice constitutionnelle mais constamment appuyée par une vision historique. L'intérêt d'une telle étude et même son actualité sont évidents au moment où la justice constitutionnelle française née dans la douleur avec la 5ème république connaît son paroxysme avec l'introduction de la question prioritaire de constitutionnalité. En effet depuis 2008, le contentieux constitutionnel est susceptible d'être né dans toutes les instances judiciaires devant tout juge à charge pour celui-ci de le faire prospérer ou non au regard du droit positif .La communauté juridique dont la plupart de ses membres a longtemps appelé de ses voeux un tel mécanisme y voit la « constitutionnalisation de toutes les branches du droit » ou la banalisation de la justice constitutionnelle.

Revoir les barrières idéologiques séculaires dressées contre l'émergence de la justice constitutionnelle en France au nom de la démocratie à l'heure ou le plus modeste justiciable peut y avoir accès est d'un intérêt incommensurable surtout quand il a lieu dans le cadre d'un travail désintéressé dont le seul objectif est de mettre en exergue la justice constitutionnelle au service de la démocratie ou de la confronter avec les principes démocratiques.

Un tel sujet d'étude nous paraît impliquer une double démarche tout en sachant, avec le docteur, Etienne Kenfack « qu'aucune méthode juridique ne peut échapper à un certain élément de subjectivité et à un certain taux d'arbitraire ». Dans un premier temps, il sera question d'analyser les facteurs qui ont expliqué sans justifier la thèse de l'antinomie entre la justice constitutionnelle et la démocratie au sens que les républicains de 1789 et leurs successeurs ont attribué à ce terme. (CHAPITRE I). Il conviendra, en second lieu, de réfuter cette opinion apparemment authentique en expliquant comment la justice constitutionnelle peut garantir l'épanouissement de la « démocratie moderne » ou assurer son renouvellement (CHAPITRE II).

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Chapitre I. L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la démocratie

Les hommes de 1789 ayant laissé à la postérité l'idée d'impossibilité de coexistence de la démocratie et de la justice constitutionnelle ont expliqué cette thèse en fonction de leur conception de la notion de démocratie. En effet, sous l'influence de ces derniers, cette dite notion a subi un glissement sémantique. Définie originellement en Grèce comme gouvernement du peuple par le peuple, la démocratie est devenue gouvernement du peuple en la personne de ses représentants. D'où vient la création du concept « démocratie parlementaire » par les théoriciens et les analystes politiques. Cette variation définitionnelle a impliqué l'adjonction de nouveaux principes dans une société qui se voulait démocratique. Plus d'un adhérent à l'idée disant que ces nouveaux principes démocratiques sont inconciliables à tout contrôle juridictionnel de constitutionnalité encore appelé justice constitutionnelle. Alors que, d'autres estiment que tout raisonnement concluant à la contradiction des postulats démocratiques et ceux de la justice constitutionnelle est superficiel et dénué de lucidité. Afin de découvrir les tenants et aboutissements de cette divergence de vue, nous étudierons respectivement les implications de la démocratie parlementaire (Section I) et les fondements de la justice constitutionnelle (Section II).

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Section I. les principes fondateurs de la démocratie parlementaire

La démocratie telle que conçue par les révolutionnaires de 1789 est, par définition, représentative. On pourrait objecter à nos développements précédents que ceci n'est pas particulier puisque quasiment toutes les nations connaissent ce régime à notre époque. Mais la démocratie représentative contemporaine implique l'existence d'institutions représentatives à tous les niveaux. Celle conçue par les révolutionnaires de 1789 pare exclusivement le parlement de toute la représentativité nationale et reléguait tous les autres au rang d'autorités ou « de pouvoirs commis.» Contrairement à la théorie dénommée « check and balances » par les anglo-saxons, le pouvoir législatif qui prédominait ne pouvait être contré par nul autre. L'aboutissement logique est l'immunité la plus absolue pour tout ce qui émanait du parlement d'où la sacralisation de la loi (§ 1). Si la monarchie a eu recours à la divinité pour asseoir sa légitimité, la démocratie parlementaire instaurée au 18ème siècle a justifié la sienne par le suffrage électoral (§ 2) et l'identification des représentants élus au peuple souverain.

§ 1. La sacralisation ou le culte de la loi

L'appartenance française à la famille de droit romano-germanique est pour quelque chose évidemment dans la place de choix que le droit écrit et particulièrement la loi occupe dans l'imaginaire collectif et dans l'ordre juridique parmi les autres sources de droit. En effet, cette position est sans commune mesure avec la modeste situation que l'oeuvre législative connait dans les pays de droit anglo-saxon ou de Common Law. Cette thèse est corroborée par la longévité à nulle autre pareille du code civil malgré les réformes qu'il a subies depuis son élaboration par l'équipe dirigée par Portalis. Cependant, ces paramètres socio-historiques ne doivent aucunement masquer les raisons politiques qui ont rendu la loi intouchable jusque très récemment à un point tel qu'il était courant de parler de « culte de la loi ». Répétons avec Mr. Theodore Zeldin, professeur à l'université d'Oxford, « D'où vient la majuscule dont est affublée le terme de Loi en France ? ». Qui veut apporter des éléments de réponse à cette interrogation doit entreprendre une recherche le conduisant à la source du long légicentrisme français (A). Une fois cette quête arrivée à terme, il sera loisible de soulever et de pénétrer les vertus intrinsèques de la loi (B).

A. La source du légicentrisme français

Le légicentrisme est une doctrine préconisant que la loi constitue l'exclusive expression de la souveraineté de la nation. Là où règne cette théorie s'institue l'état légal. Jusqu'à la fin de la

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très meurtrière seconde guerre mondiale, il fut prépondérant sous le continent européen en général et en France de manière particulière. En effet, la France fut le théâtre de la domination la plus prononcée de cette théorie jusqu'à l'avènement de la 5ème république si l'on excepte la tentative infructueuse de du Comité Constitutionnel de 1946. L'adage, pour ainsi dire, (la loi est l'expression de la volonté générale), hérité de Rousseau et incorporé dans la mémorable déclaration des droits de l'homme et du citoyen en son article 6 est le tremplin de cette longue suprématie. (1) Les acteurs politiques de la révolution de 1789 l'ont récupéré et l'ont instrumentalisé à des fins hautement politiciennes (2).

1. La loi l'expression de la volonté générale : tremplin du légicentrisme

La formule est, comme dit plus haut, du philosophe « contractualiste », Jean Jacques Rousseau, figure de proue des Lumières. Guillaume Drago27 relève trois (3) textes de l'époque révolutionnaire qui prolongent l'article 6 de la DDHC précité en prohibant sans réserve tout contrôle judiciaire de constitutionnalité. Il cite d'abord les très connues lois des 16 et 24 aout 1790 prescrivant formellement :

« Les tribunaux ne pourront prendre directement ou indirectement aucune part à l'exercice du pouvoir législatif, ni empêcher, ou suspendre l'exécution des décrets du Corps législatif sanctionnés par le roi, à peine de forfaiture »

Dans le même ordre d'idées, la Constitution de 1791, prend le relai de l'article 6 de la déclaration révolutionnaire d'inspiration rousseauiste en son titre 3 chapitre 5 art.3 en réitérant :

« Les tribunaux ne peuvent s'immiscer dans l'exercice du pouvoir législatif ou suspendre l'exécution des lois »

De surcroît, le législateur pénal, pour amplifier la force dissuasive de cette prohibition, menaçait tout membre du pouvoir judiciaire de « condamnation pour forfaiture et punition de dégradation civique » en les citant nommément (Procureurs Généraux ou substituts, officiers de police judiciaire, juges) au cas où ils se seraient immiscés dans l'exercice du pouvoir législatif sous une forme ou sous une autre.

Nous sommes en présence d'un arsenal ou d'un bouclier législatif servant à nulle autre chose que de tuer dans l'oeuf toute velléité d'installation d'une justice constitutionnelle ou toute volonté de contrôler judiciairement « l'expression de la volonté générale ».

Cette petite « inflation normative » à l'encontre de la justice constitutionnelle débutée par l'article 6 de la DDHC (Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen) ne va pas

27 G.DRAGO, « Contentieux constitutionnel français », 3ème édition, Paris, PUF, 2011, p.48

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s'estomper sous le poids du temps. Près d'un siècle après, soit en 1875, le juriste Carré de Malberg, après avoir passé en revue l'esprit et la lettre de la Constitution d'alors, conclut magistralement comme suit :

« Une fois écartée l'identification de la loi avec la volonté générale, il n'existe plus de raison qui mette obstacle à l'établissement d'un contrôle juridictionnel s'exerçant sur les lois en vue de vérifier leur conformité à la Constitution »28

Ce survol historique de la législation ordinaire et constitutionnelle de la France nous délivre sans réserve la conviction transformée en obsession de ne pas conférer à un organe extérieur à l'assemblée législative surtout s'il s'agit d'une instance judiciaire le pouvoir d'examiner la constitutionnalité des lois dûment votées par le législateur. Cet état de fait a perduré jusqu'en 1958 comme nous l'avons rappelé à maintes fois en dépit de l'audace du constituant de 1946 qui n'a été guère payant. En revanche depuis l'abrogation du système de garantie des fonctionnaires par une loi de 1870, les agents administratifs et les actes administratifs ne jouissent d'aucune immunité judiciaire. Certains historiens du droit affirment même les tentatives et « la prétention des juges judiciaires à s'ériger en juge universel de la responsabilité civile et administrative » depuis le règne de Charles 10 (1824-1830) sur le fondement des articles 1382 et suivants du code civil.29

Il convient de vérifier d'où est ce que la loi a-t-elle tiré cette supériorité qui l'a mise à l'abri de toutes sanctions judiciaires pendant si longtemps en France tandis qu'elle est susceptible d'être laissée inappliquée par le juge le plus ordinaire qui soit Outre Atlantique. Nul ne doute que l'article 6 de la DDHC pourrait être d'une vertu protectrice à l'égard de loi car il l'a érigée en « expression de la volonté générale ». Cependant seule une habile manipulation ou une instrumentalisation de ce dit article pouvait ancrer une tradition aussi solide de révérence envers l'oeuvre du législateur ordinaire.

2- L'instrumentalisation politicienne de l'article 6 de la DDH

Le théoricien Jean Jacques Rousseau est d'une opposition farouche à l'égard de la démocratie représentative encore appelée démocratie indirecte. Pour celui-ci, la seule vraie démocratie est la démocratie directe. Il réfute toutes les qualités que la révolution française a attribuées à la démocratie représentative. Même l'argument le plus plausible en faveur du système représentatif relatif à des contraintes d'ordre numérique ou démographique n'est pas parvenu

28 CARRE DE MALBERG, op.cit., p.221

29 Voir, Cours de Mme V.LABROT, Responsabilité administrative, thème 1, p.5, 2011-2012, CDP

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à convaincre l'auteur du Contrat Social.30 Dans cette publication, il manifeste de manière incisive son désaccord ou même son aversion à l'égard de cette dite doctrine en ces termes :

« Il n'a jamais existé et il ne pourrait d'ailleurs pas exister de démocratie au vrai sens du mot, parce qu'il va contre l'ordre des choses que le plus grand nombre gouverne et que le plus petit soit gouverné ».

Cette remontrance à l'égard de la théorie représentative et de ses promoteurs nous permet d'extraire le sens que Rousseau avait accordé à la phrase « la loi est l'expression de la volonté générale » dans son oeuvre. Pour Rousseau, légiférer, comme tous les autres attributs de la souveraineté, ne devait être exercé que par le peuple souverain. Il est donc hors question qu'une infime partie de la nation appelée députés ait le pouvoir d'exprimer la volonté du peuple à sa place. Chez Rousseau, la loi doit son infaillibilité et sa rationalité au fait qu'il exprime la « volonté générale ». Mais le concept « volonté générale », sous la plume de Rousseau, est totalement incompatible à la délégation ou à la représentation. Pour le fils de Genève, si la volonté générale « ne peut errer », c'est à condition de ne pas l'assimiler à la volonté parlementaire qu'elle soit majoritaire ou non. La délibération de la totalité des citoyens sans intermédiaire, non soumise au filtre représentatif est l'unique façon « d'exprimer la volonté générale » telle qu'enseignée par Rousseau. C'est à cette unique condition que le texte voté acquiert force de loi et mérite par conséquent l'inclination de tous et de toutes.

Prenant acte de l'inaliénabilité de la volonté générale, les porte-étendards de la révolution de 1789 s'approprièrent du discours rousseauiste afin de justifier la place qu'ils comptaient occuper au sommet du nouvel ordre socio-politique. Ces derniers ont reporté les qualités attribuées par Rousseau au seul peuple et à ses oeuvres sur les députés et leur travail législatif. Ceci veut dire que le peuple détient toujours le pouvoir mais qu'il le projette momentanément sur ses délégués ou qu'il l'exerce à travers eux. De prime abord, il faut affirmer que cette théorie dont plus d'un qualifient de « mythe », de « leurre », « d'affabulation » a eu comme premier mérite de berner la masse populaire. C'était au même titre que la religion « un opium » pour le peuple. Dépossédant la masse populaire de son pouvoir fraîchement reconquis, l'ingénierie politique révolutionnaire a instrumentalisé l'article 6 de la DDHC et le discours de Rousseau pour conforter sa position. Analysant l'histoire politique française à partir de la période post révolutionnaire française, un auteur eut à écrire de façon très imagée à propos de la classe politique :

« S'ils refusent que l'agora soit le siège du pouvoir, c'est aussi, et surtout, qu'ils veulent le pouvoir pour eux-mêmes »31

A la faveur de la magie représentative, l'oeuvre des détenteurs « effectifs de la souveraineté », en l'occurrence la loi, était couverte du sceau hautement et durablement protecteur « de la

30 ROUSSEAU, op.cit., Livre 3, chapitre 12

31 DUPUIS-DERIS, op.cit., p.10

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volonté générale ». Edouard Laferrière, l'un des fondateurs du droit administratif moderne, nous a appris que « le propre du souverain c'est de s'imposer sans compensation ». On peut déduire sans risque de se tromper l'étendue du prestige qu'a conféré à loi et à ses concepteurs (Assemblé parlementaire) son origine fictive « dans la volonté populaire souveraine ». Ainsi la loi, émanation du « souverain-représentant » français, s'est imposée jusqu'à la deuxième moitié du vingtième siècle aux dépens de toutes les composantes de l'appareil normatif y compris la Constitution sans ménagement.

La transposition de l'idée de Rousseau sur le terrain de la démocratie représentative constitue « le coup de maitre » réalisé par les acteurs et théoriciens politiques du 18ème siècle français. Cette déviation sémantique a pleinement servi à l'assouvissement des desseins politiciens de plusieurs générations lesquels une fois matérialisés sous la forme d'une loi étaient insusceptibles de questionnement judiciaire jusque fort récemment.

La loi, au sens restrictif du terme, a été ainsi sanctifiée au détriment de toutes autres considérations. Jusqu'ici nous nous sommes attardés sur ce concept que du point de vue formel c'est-à-dire en prenant comme seul paramètre d'étude l'institution étatique chargée de la produire. L'enceinte parlementaire, par définition, est le lieu de la lutte politique. Conséquemment, la loi qui en est le produit subit toujours l'influence des tractations et négociations politiques à sa phase d'élaboration. Cependant, l'oeuvre législative n'en sort pas toujours diminuée et altérée en raison de ses qualités naturelles et inhérentes.

B. Les vertus intrinsèques de la loi

Le long légicentrisme français, loin s'en faut, n'a pas été exclusivement dû à des considérations d'ordre historico-politique. La loi comporte dans son code génétique des caractéristiques qui l'ont rendu éligibles à la vénération. Sa place sinon prééminente du moins privilégiée dans tous les systèmes juridiques explique, si besoin est, qu'elle pourrait rayonner en France peut être d'un éclat moindre sans une approche instrumentale de l'article 6 de la DDHC. Les raisons objectives de la sacralisation de la règle législative doivent être d'abord recherchées dans ses caractéristiques traditionnelles (1). Il faut ensuite puiser dans sa fonction de régulation sociale son incontestable autorité (2).

1. La généralité et l'impersonnalité de la loi

La généralité et l`impersonnalité ne sont pas des exclusivités des dispositions législatives. L'acte administratif peut également remplir ces critères. Mais, il existe à côté des actes règlementaires des actes administratifs individuels qui n'ont pas ces vertus transcendantales

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en ce sens qu'ils ont comme vocation de régir directement et même certaines fois nommément des cas individuels ou particuliers. Quant à la loi, elle ne se mêle jamais, pourrait-on dire, des individualités. Elle ne formule que des principes universellement valables. L'office de la loi, énonçait Portalis, dans son discours préliminaire au projet de Code civil est

« De fixer par de grandes vues les maximes générales du droit, d'établir des principes féconds en conséquence et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière »

Oeuvre de raison selon l'Encyclopédie des Lumières, la loi n'est pas édictée pour résoudre des cas particuliers prédéterminés. Elle est formulée de manière abstraite et en termes généraux et est au-dessus de la mêlée engendrée par les cas particuliers. La loi règle ces derniers seulement « a posteriori » s'ils entrent dans le cadre et les limites tracés par ses termes généraux. Contrairement à la coutume au sens juridique du terme, la loi a comme qualité subsidiaire la fixité. Elle ne prend pas la couleur du temps et des croyances populaires au point d'avoir une signification dans chaque contrée ou dans chaque province. Elle est une et indivisible afin de permettre à chacun de régler sa conduite selon ses termes et pour assurer la sécurité juridique des citoyens ou justiciables.

L'impersonnalité de la loi comme source du droit la permet d'assurer l'égalité entre les membres de la collectivité. Sans être interdit de régler de façon différente des situations objectivement et raisonnablement différentes, le législateur n'a pas le droit de transformer son travail en un catalogue de privilèges pour une fraction de la société ou en la promotion du favoritisme. L'objectif primordial de la révolution à laquelle la loi doit partiellement sa majesté fut d'abolir toutes distinctions n'ayant pas pour fondement le service rendu à la collectivité. La constitution de 1791 s'y attarde longuement dès son introduction en ces termes :

« L'Assemblée nationale voulant établir la Constitution française sur les principes qu'elle vient de reconnaître et de déclarer, abolit irrévocablement les institutions qui blessaient la liberté et l'égalité des droits. Il n'y a plus ni noblesse, ni prairie, ni distinctions héréditaires, ni distinctions d'ordres, ni régime féodal, ni justices patrimoniales, ni aucun des titres, dénominations et prérogatives qui en dérivaient, ni aucun ordre de chevalerie, ni aucune des corporations ou décorations, pour lesquelles on exigeait des preuves de noblesse ,ou qui supposaient des distinctions de naissance ,ni aucune supériorité, que celle des fonctionnaires publics dans l'exercice de leurs fonctions. Il n'y a plus, pour aucune partie de la nation, ni pour aucun individu, aucun privilège, ni exception au droit commun de tous les Français. Il n'y a plus jurande, ni corporations de professions, arts et métiers. La loi ne reconnaît plus ni voeux religieux, ni aucun autre engagement qui serait contraire aux droits naturels ou à la constitution ».

En d'autres termes, l'impersonnalité des destinataires de la loi est le gage de son statut égalitaire. Elle est la même pour tous et toutes. Cela renvoie au symbole de la justice qui est

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cette femme aux yeux bandés ne sachant pas qui elle sert à cause de son aveuglement .Par conséquent, la loi parce qu'elle doit être mise au service de la justice est par définition impartiale. D'où son caractère impersonnel dépassant ou même ignorant les clivages se basant sur l'appartenance raciale, familiale ou sur toutes considérations n'ayant pas pour but la gestion de la « res publica » ou le progrès de la collectivité.

Voilà une brochette de caractères intrinsèques à la loi qui à eux seuls pourraient justifier la vénération de celle-ci. Là ne s'arrête pas pourtant l'utilité de la règle législative. A côté des autres ordres normatifs comme la morale et la religion, la loi est l'instrument duquel se sert le droit pour contribuer à l'apaisement ou à la régulation de la société au sens le plus complet du terme.

2. La loi : outil de régulation sociale

Si le droit défini comme un ensemble de règles et d'institutions a pour fonction de pacifier les relations sociales, la loi est la règle par excellence servant à atteindre cet objectif. En effet, quasiment aucun type de rapports interindividuels ou sociaux n'échappe à la régulation de la loi. La loi irrigue tous les compartiments sociaux pour concilier les différentes activités des millions d'individus ayant des intérêts sinon divergents du moins différents. Elle constitue l'un des liens qui unit cette multitude. De sa naissance à sa mort, l'individu en tant que membre du corps social doit moduler son comportement en fonction des différentes normes dont la loi. Emile Durkheim, le précurseur de la sociologie du droit a enseigné que le « droit est la contrainte sociale spécialement organisée ».

Les conflits et la déviance semblent inéluctables. Si l'homme cesse d'être un loup pour l'homme depuis la conclusion du contrat social de Hobbes, en revanche, le paradis providentiel où règneraient la paix et l'harmonie les plus totales, n'est pas terrestre. En d'autres termes, les rapports sociaux finissent souvent par engendrer des mésententes pour une raison ou une autre. Sous peine de sombrer dans la violence et la barbarie la plus abjecte, la loi doit prévoir des moyens et mécanismes de résolution de toutes ces mésententes. Elle assure ainsi une fonction de pacification sociale en utilisant dans certains cas le monopole de la violence légitime dont dispose l'état. Nous avons par conséquent besoin des lois pour assurer une société pacifique, apaisée et sécuritaire au sein de laquelle le plus fort ou le plus riche ne peuvent pas tout se permettre. Ce paramètre est amplement renforcé depuis l'émancipation de la justice constitutionnelle en France car le Conseil constitutionnel veille à « ce que le législateur ne prive pas de garanties légales les exigence constitutionnelles » selon sa jurisprudence constamment réaffirmée.

La loi ne vise pas uniquement à pacifier et à concilier les intérêts des individus. Elle est également l'outil par lequel les dirigeants enchaînent les réformes et traduisent leur

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programme politique ayant reçu la bénédiction électorale dans les sociétés démocratiques. Georges Burdeau se demande dans une étude exhaustive sur le concept « loi » :

« Comment d'ailleurs le Pouvoir pourrait-il répondre aux pressions qu'exerce sur lui l'opinion dont il émane, s'il n'utilisait ce prodigieux moyen d'action sur le milieu social qu'est l'instrument législatif ? »32.

Indépendamment des opinions et de l'idéologie des détenteurs du pouvoir, ils doivent recourir à la loi soit pour assurer la continuité la plus totale de la politique de leur prédécesseur soit pour modifier l'ordre social ou pour répéter un terme affectionné des hommes politiques : « assurer le changement ».François Hollande, le président socialiste récemment élu et sa majorité parlementaire sont accusés par la droite de « défaire les unes après les autres les courageuses décisions prises » par son prédécesseur par les nouvelles lois adoptées. La nouvelle opposition politique fait allusion, entre autres mesures, à la défiscalisation des heures supplémentaires. Notre objectif n'est pas d'opiner sur un débat idéologique et politicien. Nous tentons de démontrer l'utilisation que les gouvernements successifs font de la loi pour mettre en oeuvre leur politique publique sans la moindre intention de nous immiscer dans un contentieux entre hommes politiques et encore moins de nous prononcer sur l'authenticité et l'opportunité des positions.

Il faut joindre au légicentrisme le suffrage universel pour expliquer complètement la perpétuation de l'idée française opposant « la démocratie » avec la justice constitutionnelle. En effet, de manière générale, le système représentatif et particulièrement celui orchestré en 1789 ne saurait vivre aussi longtemps sans la légitimité électorale comme autre soubassement.

§ 2. La légitimité électorale

« Aucun homme n'est assez bon pour diriger les autres sans leur consentement » disait l'ancien président Miterrand. Cette phrase autour de laquelle un consensus est facile à trouver constitue le leitmotiv du système politique représentatif. Elle l'est davantage pour la démocratie parlementaire telle qu'elle fut instaurée à la fin de la révolution française pour ensuite inhiber toute la culture politique républicaine. En s'opposant à la monarchie de droit divin et aux distinctions héréditaires, les révolutionnaires devaient trouver une base au pouvoir qu'ils convoitaient. Il imposa l'idée logique que seul l'assentiment populaire reçu par le triomphe aux élections peut fonder l'exercice du pouvoir. (A) Encore que le régime électoral postrévolutionnaire de 1791 ne satisfait pas à tous les critères du suffrage contemporain (B).

32 G.BURDEAU, « Loi », www.universalis.fr/ encyclopédie

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A. L'autorisation populaire, source du pouvoir politique représentatif

Le peuple, une fois ravi son pouvoir capturé par la monarchie absolue l'a confié volontairement à des instances représentatives selon l'esprit révolutionnaire de 1789. D'un statut très modeste, le peuple est propulsé au rang élogieux d'électeur. A défaut de pouvoir lui-même être partie prenante, la collectivité populaire s'est vue offerte l'opportunité périodique de nommer, de renommer ou de congédier le personnel politique. Le droit positif a pris acte de cette évolution dans la DDHC français en son article 3 qui se lit ainsi :

« Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément »

Telle est l'innovation de la classe politique qui a servi corrélativement à conforter leur pouvoir ou leur carrière politique à l'assemblée nationale. S'il est vrai que, la doctrine représentative a trouvé dans ses assises populaires sa longévité et sa légitimité, l'on peut voir, en revanche, une véritable avancée démocratique (1) Cette légitimité populaire de laquelle le législateur se prévaut a eu comme conséquence l'affaiblissement du pouvoir exécutif (2).

1. Le suffrage électoral : une grande avancée démocratique

Les peuples se sont apparemment accommodés de l'idée qu'ils sont inaptes à s'auto-diriger. Si l'on est libre de ne pas adhérer à cette idée mais on doit quand même accepter la réalité suivante. La doctrine de la démocratie représentative trouve application au-delà des frontières du monde entier. Inversement du début du 18ème siècle, le concept démocratie est dorénavant confondu à sa forme représentative dans l'imaginaire collectif et même sous la plume de quelques écrivains. Fort de ce constat, il est loisible d'affirmer que les élections sont unanimement acceptées comme l'une des preuves de la santé démocratique de tout pays pourvu qu'elles soient exemptes de fraudes massives et d'irrégularités non sanctionnées.

En effet, le suffrage électoral, par définition, permet à tout citoyen indépendamment de son origine sociale ou familiale, de ses moyens financiers de solliciter le vote populaire. Il faut quand même rappeler que progressivement les générations suivantes ont perfectionné le système lacunaire hérité du 18ème siècle. Cet aspect sera développé dans les lignes suivantes. En dépit de ses lacunes, il est indéniable que le recours aux élections en soi pour renouveler l'équipe dirigeante fut un immense pas sur la longue route de la démocratie fourni par la révolution française. Ceci constitue réellement une rupture totale avec l'ordre socio-politique monarchiste.

En réalité, il ne faut pas occulter les conditions dans lesquelles se déroulent les élections ici et là. D'abord, les tractations entre les grands partis politiques se font souvent sur la base de

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marchandage politique. La différence flagrante de moyens financiers entre les formations politiques rivales est également susceptible de fausser le jeu électoral. Ces impondérables et bien d'autres sur lesquelles nous ferons l'impasse s'ajoutent à la corruption et à la malversation lors de l'organisation des scrutins dans certains pays. L'aboutissement néfaste à l'avancement de la démocratie est que bien des fois les résultats des urnes ne reflètent pas le vote populaire. Nous répétons après Pasquale Pasquino, directeur de recherche au CNRS :

« Il faut distinguer l'idée d'élection comme source du pouvoir de gouverner de la pratique des élections »

Le point à retenir, après toute analyse, est le lien indéfectible qui est né depuis entre « élection/autorisation et légitimité à gouverner ». Il en est résulté l'infériorisation du pouvoir exécutif représenté sous la première république en la personne du roi.

2. L'affaiblissement du pouvoir exécutif

L'appellation de la 1ère république retenue par l'histoire relève d'un abus de langage. En effet, les premiers moments du parlementarisme français furent une cohabitation presque antinomique. L'exécutif était encore assuré par le roi certes très amoindri. Carré de Malberg résume cette période ainsi :

« La monarchie était limitée, mais restait une monarchie quand-même »33

En effet, le roi, héritier d'un pouvoir délégué héréditairement donc sans appui électoral était considérablement diminué par rapport au Corps législatif élu. La constitution de 1791 consacra conséquemment un régime qui « laissât aux mains du roi un pouvoir singulièrement affaibli au regard de la puissance d'un Corps législatif rendu hautement prééminent »34.

Jouissant de la légitimité électorale, le pouvoir législatif résultant de la Constitution révolutionnaire surplombait l'exécutif ayant comme chef quelqu'un qui ne disposant d'aucune base populaire. Ce n'est pas forcer le trait d'affirmer que le pouvoir exécutif royal ne représentait personne. Survivance provisoire de l'Ancien régime, le roi donc le pouvoir exécutif ne saurait concurrencer une assemblée d'élus. D'où la justification de l'idée d'attribuer l'exclusivité de la représentation nationale au Parlement. L'exécutif ne saurait être le codépositaire de la souveraineté nationale faute de « liens avec le corps électoral »35. N'étant pas d'origine populaire, le pouvoir exécutif était relégué à l'instar d'autres autorités au second plan. Ainsi commençait le long parlementarisme français.

33CARRE DE MALBERG R, op.cit. , p.178

34 Ibid.

35 CARRE DE MALBERG, op.cit.

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La troisième république est le stade de la haute maturation de ce parlementarisme, peut-on constater. L'exécutif n'est plus mené par le roi .Toutefois, le président, faisant office normalement de chef de l'exécutif et les membres du gouvernement, n'était toujours pas issu du suffrage populaire. Pas moins que l'exécutif de la 1ère république, les membres de celui-ci y compris leur chef souffraient d'une absence d'ancrage populaire. Le parlement continuait sa domination due, entre autres, au fait qu'elle soit l'émanation électorale. Le juriste de Strasbourg relève cette constance républicaine en des termes alliant la vigueur à l'élégance en analysant le régime constitutionnel de 1875 :

« En faisant dépendre la nomination des titulaires de l'exécutif, non plus d'élections faites dans le pays, mais d'une élection présidentielle faite en Assemblée nationale par le personnel parlementaire, la Constitution a frappé l'Exécutif d'une cause d'infériorité congénitale, qui devait inéluctablement avoir pour conséquence de le mettre dans une condition de subordination envers le parlement »36.

La tradition républicaine française, interrompue très brièvement sous la 2ème république, fut de ne pas désigner le président de la République au suffrage universel direct. Cette réalité a favorisé la supériorité du parlement lui-même désigné par le corps électoral dès la 1ère république. En effet, la longue prééminence du parlement est due partiellement à sa légitimité électorale. Toutefois, il faut souligner, malgré l'importance historique incontestable du système électoral institué par la constitution de 1791, que celui-ci était amplement lacunaire en tenant compte des critères contemporains.

B. Les lacunes du système électoral de 1791

Le premier acte révolutionnaire en l'occurrence la DDHC énonce en son article 1er l'égalité absolue entre les Français. On serait même tenté de dire que cette disposition législative se veut universelle car elle proclame l'égalité totale pour l'humanité et non uniquement à l'égard des fils de l'hexagone. En effet, celle-ci ou même la totalité de la DDHC a été inscrite dans la constitution d'autres pays. Paradoxalement l'acte constitutionnel de 1791 fondant l'ordre nouveau a mis en place un système électoral complètement inégalitaire. Celui-ci organise un suffrage électoral prenant en compte les critères de fortune et de capacité puisqu'il était censitaire. (1) Il fut exclusif ou même clivant en ce sens qu'il prévoit une élection au second degré (2).

36 CARRE DE MALBERG, op.cit.

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1. Un suffrage électoral censitaire

Conformément aux vues élitistes du député Emmanuel Sieyès, certains Français n'avaient ni le droit de vote ni celui de présenter leur candidature. Seuls les citoyens actifs détenaient ces prérogatives. En outre des conditions habituelles de nationalité, de majorité, de domicile d'inscription sur le registre électoral et d'aptitude morale, la constitution prévoyait respectivement en ses alinéas quatre (4) et cinq (5) deux conditionnalités purement discriminatoires permettant d'accéder au statut de citoyen actif afin d'être soit électeur soit éligible :

4° alinéa : « Payer dans un lieu quelconque du Royaume, une contribution directe au moins égale à la valeur de trois journées de travail et en représenter la quittance »

5° alinéa : « N'être pas dans un état de domesticité, c'est-à-dire de serviteur à gages »

Il faut ajouter dans la liste des exclus, à côté des citoyens « non- actifs », les esclaves et évidemment les femmes. En effet si l'abolition définitive de l'esclavage en 1848 traduite par le décret du gouvernement provisoire libérait la masse servile, les femmes ont dû conquérir de haute lutte jusqu'au 20ème siècle plus précisément en 1944 le droit de participer à la vie politique en France. Il va sans dire que cette politique électorale exclusive et ségrégationniste se trouve aux antipodes de la DDHC qui dispose en son article premier :

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune ».

Ce système électoral était défendu par l'influent homme politique Emmanuel Sieyès qui le justifie en affirmant que seuls les citoyens contribuant à l'économie nationale ont le droit d'influer la vie politique par le biais du vote. Il a eu l'assentiment de l'assemblée constituante malgré les incohérences notoires ainsi dénoncées par le député Robespierre dans son discours :

« La loi est l'expression de la volonté générale (...) Cependant, interdire à tous ceux qui ne payent pas un impôt, le droit même de choisir [leurs représentants], est-ce autre chose que rendre la majeure partie des Français absolument étrangers à la formation de la loi ? (...) »

Cette dénonciation de l'avocat-politicien est d'une justesse évidente puisque les statistiques démographiques relevaient que pour la France entière, sur une population de sept (7) millions habitants, seulement 4 300 000 ont rempli les critères pour avoir le statut de citoyen actif. Les 2 700 000, à cause de leur faible faculté contributive, étaient des « citoyens passifs » et corrélativement ne pouvaient pas prétendre à exercer ce droit politique.

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2. Un suffrage indirect

Le suffrage universel direct est la norme en matière électorale. Seul ce système impliquant un homme, égal un vote, pouvait cadrer à la logique révolutionnaire de 1789 qui proscrivait la discrimination indépendamment de sa forme. Force est de constater que le principe d'égalité de droits n'était pas reflété dans le régime électoral enfanté par la révolution puisqu'il était indirect. Les citoyens actifs ne votaient directement pas leur représentant. Il était institué par la Constitution de 1791, en son article premier de la section 2, une Assemblée primaire au sein de laquelle les villes et les cantons désignaient les électeurs du second degré. De surcroît, seuls les citoyens actifs doublés du statut de propriétaire, fermier, usufruitier, pouvaient être électeur de second degré. Ces conditions amplement restrictives diminuaient davantage le nombre de français aptes à choisir directement ou sans intermédiaire leur représentant à l'Assemblé nationale.

Les élections indirectes sont considérées comme inégalitaires en ce sens qu'elles créent un sentiment de hiérarchisation entre les citoyens. Seuls certains d'entre eux auraient le discernement et l'aptitude nécessaires pour effectuer le vote final et définitif. Rien n'autorise à croire que les « grands électeurs », pour ainsi dire, feront forcément un choix conforme à la volonté de la grande masse populaire sauf en cas de mécanismes et de balises contraignants.

Quoiqu'il en soit, les députés issus de ces élections ainsi organisées jouissaient irrévocablement de la légitimité populaire. Par conséquent, il était inconcevable que leur délibération législative ou leur décision soit remise en cause par un autre organe aussi prestigieux soit celui-ci. Là réside l'opinion d'incompatibilité entre la justice constitutionnelle et la démocratie. Celle-ci s'est davantage renforcée au cours de l'histoire de la France républicaine à partir du moment où les élections des parlementaires devenaient totalement égalitaires c'est-à-dire universelles et directes. Cette tradition bi-séculaire sera ébranlée de manière non significative en 1946 pour être totalement remise en cause par le constituant de 1958 avec la création du Conseil constitutionnel. Le constitutionnaliste Dominique Rousseau, analysant ce revirement, écrivit :

« Toute l'histoire politique depuis 1789 témoigne de l'hostilité de la France à l'égard de la création d'un organe spécial chargé de contrôler la constitutionnalité des lois au point que certains interprètent l'entrée en scène du Conseil en 1958 comme la rupture d'une tradition républicaine fondée sur le souvenir des parlements de l'ancien régime et le principe de primauté de la loi ».

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Section II. La remise en cause des fondements de la démocratie parlementaire par la justice constitutionnelle

La constitution de 1791 dispose au premier alinéa, article 3, première section, chapitre 2 « qu'il n'y a point, en France d'autorité supérieure à celle de la loi ». Sous une forme tacite ou de manière expresse, l'esprit de cette disposition législative était réitéré au cours de deux siècles d'histoire constitutionnelle française. Non qu'il ait été donné au législateur le droit de tout faire, de trahir l'idéal et la pensée révolutionnaires en se versant dans l'arbitraire car la déclaration des droits de l'homme et du citoyen prévoyait en son article 5 que « la loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société ». Il y eut même des tentatives d'établir un contrôle politique de la norme législative repoussées par le légicentrisme et le parlementarisme ambiants. Ce qui était, par compte, inenvisageable et impensable jusqu'en 1958 fut un contrôle juridictionnel de la loi autrement dit la justice constitutionnelle. La raison doit être recherchée dans les fonctions « apparemment antidémocratique » de l'institution ayant mis fin à cette pratique en l'occurrence le Conseil constitutionnel. Celui-ci, composé des membres dépourvus de légitimité élective, contrôle la loi qui émane des autorités élues par le peuple (§ 1). Prétendant être l'arbitre ou le régulateur des pouvoirs publics,37il oeuvre à maintenir le Parlement, considéré jadis comme l'égal du souverain, dans le cadre strict de ses attributions constitutionnelles (§ 2).

§ 1. Le contrôle de la loi par des non-élus

Si la révolution socio- politique de 1789 avait entraîné la primauté inconditionnelle de la loi, la « révolution juridique » de 1958 a renversé la tendance. Le professeur Monterrey a l'habitude de dire « le 18ème siècle fut le siècle de la loi, le 20ème est celui de la constitution ». Cette remarque valable à l'échelle planétaire est encore plus vraie concernant la France compte tenu de son histoire. La loi, expression de la volonté générale, exprimée par les représentants du souverain, est susceptible dorénavant de se heurter au jugement d'un collège de personnalités sans légitimité aucune appelé Conseil constitutionnel. La volonté du législateur élu au suffrage universel direct n'est plus libre et inconditionnée mais soumise au respect des principes constitutionnels sous le contrôle d'une instance non élue. Là se situe la portée révolutionnaire de l'article 61 de la constitution française de 1958. Ce dit contrôle est loin d'être une formalité. Il constitue un examen minutieux de la loi au regard du bloc de constitutionnalité qui est d'une immense portée sur la vie politique française (A). La mise en oeuvre du contrôle de la constitutionnalité des lois, soutient une partie de la doctrine, a impliqué la participation du Conseil constitutionnel au processus législatif (B).

37 G. DRAGO, op. cit., p.6

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A. La portée du contrôle de constitutionnalité des lois assuré par le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel, fruit de la rusticité selon le doyen Vedel38, n'a pas pour unique fonction de juger la loi. En dénombrant ses compétences contentieuses et ses prérogatives en matière gracieuse, Pascal Jean arrive à la conclusion qu'en « l'état actuel du droit positif, le juge constitutionnel exerce vingt-trois attributions » juridictionnelles.39Cependant, le contrôle des normes législatives encore appelé contrôle de constitutionnalité des lois, soit de manière préventive conformément à l'article 61, soit par le biais de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) consacrée par la révision constitutionnelle de 2008 à l'article 61-1, demeure le plus visible et le plus important quantitativement. Ceci est dû au moins partiellement au type de décisions susceptibles d'être émises dans le cadre de cette attribution (1) et à leur implication autrement dit leur degré d'autorité (2).

1. Les typologies de décisions du Conseil constitutionnel

Les considérations formelles et rédactionnelles ne nous retiennent pas dans l'étude des décisions du Conseil. Pour reprendre la formule émise par le Conseil même, nous nous intéresserons aux dispositifs des décisions et aux motivations qui leur servent de support. « Les petites phrases », selon la formule d'un ancien président du Conseil, Georges Vedel, n'ayant aucune incidence sur la décision en soi seront passées sous silence.

La loi est désacralisée depuis l'avènement de la 5ème république. Dans son travail, apparemment contraire aux postulats démocratiques, le juge constitutionnel peut prononcer trois (3) types de sentences à l'égard de loi.

La première typologie de « verdicts constitutionnels » ne bouleverse point l'ordonnancement juridique. Il s'agit des décisions de non-lieu au cours desquelles, le juge de la loi prononce pour diverses raisons l'absence de motifs sérieux pour juger ou pour rejuger l'oeuvre législative. Les griefs d'inconstitutionnalité soulevés par les adversaires de la loi sont inopérants aux yeux du juge constitutionnel. Dans ce cas le Conseil constitutionnel peut prononcer aussi la conformité de la loi à la constitution. En effet, l'objectif du contrôle de constitutionnalité, a dit le conseil dans l'une de ses décisions, n'est pas d'empêcher la promulgation de la loi, mais de s'assurer que celle-ci est conforme à la constitution. Si elle se

38 Voir préface du doyen Vedel dans : D. ROUSSEAU, « Droit du contentieux constitutionnel »,9ème édition, Paris, Montchrestien, 2010, p.28

39P. JAN, « Le procès constitutionnel », 2ème édition, Paris, LGDJ, 2010, p.26

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révèle respectueuse des normes constitutionnelles lors d'un contrôle, la loi jouira d'un brevet de constitutionnalité « sauf en cas de changement de circonstances de droit et de fait »40

La décision de non-conformité est celle qui peut laisser croire beaucoup plus que la justice constitutionnelle est incompatible aux principes démocratiques explicités dans la première partie de notre travail. En effet, dans le cas d'une décision d'inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel s'oppose frontalement au législateur. Il estime que l'oeuvre législative n'a pas sa place dans l'ordonnancement juridique en état. Etant que garant de la cohérence de la pyramide normative française, le Conseil estime que le texte voté par le parlement ne pourra pas « tirer sa validité de la norme supérieure »41. En ce sens, le considérant de principe émis par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 1985 scelle définitivement la rupture avec le modèle démocratique légué par la révolution basé sur la toute-puissance de la loi et du législateur. Il se lit comme suit :

« La loi n'exprime la volonté générale que dans le respect de la constitution »

La dernière typologie de décisions, et non la moindre, rendues par le Conseil constitutionnel en faisant office de juge de la loi constitue les décisions de conformité sous réserves. La doctrine, avide de modélisation, classifie celles-ci en trois (3) sous types. Les réserves d'interprétation neutralisante (1), constructive (2) et directive (3) constituent les 3 sous-catégories des déclarations de constitutionnalité sous réserves. Sans épiloguer sur les raisons pédagogiques de cette classification, il est loisible de souligner que certains interprètent cette forme de jugement comme une intrusion du juge dans le domaine législatif. En effet, celui-ci s'accorde ainsi le droit de compléter ou de modifier ou de préciser la modalité d'application de la loi pour qu'elle soit considérée comme constitutionnelle. Cette opération de réinterprétation ou de filtrage constitutionnel, pour ainsi dire, peut aboutir à dénaturer la loi votée par le parlement. Autrement dit, les membres du Conseil risquent de substituer leur philosophie et leur opinion idéologique à celles du Gouvernement et de sa majorité. Ce qui est préjudiciable à la démocratie, aux yeux de certains, est que les hommes politiques élus par le peuple sur la base d'un programme politique sont contrés par une institution irresponsable politiquement. D'où la merveilleuse réception en France du concept à connotation péjorative « de gouvernement des juges » relatif à la justice constitutionnelle américaine sous la plume d'Edouard Lambert. Les décisions de constitutionnalité sous réserve semblent nourrir la polémique sur « le caractère antidémocratique » de la justice constitutionnelle au même titre que les décisions d'inconstitutionnalité.

40 Voir Décision n° 2009-595 DC du Conseil constitutionnel du 3 décembre 2009

41 Voir H. KELSEN, « Théorie du droit pur », 2ème édition, Paris, Dalloz, 1988. Kelsen y développe la théorie pyramidale des normes. Voir l'idée de l'ordre juridique de Kelsen dans lequel chaque norme tire sa validité d'une norme supérieure et est le fondement d'une norme inférieure.

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Les hommes politiques « gênés dans la réalisation des réformes » pour lesquelles42 ils ont le mandat populaire n'hésitent pas à remettre en cause l'existence du Conseil constitutionnel et même le professionnalisme de ses membres. Dans cet ordre d'idées, François Mitterrand, ancien président socialiste, affirmait que « Le Conseil constitutionnel est une institution dont il faudra se défaire. » dans une interview accordée au journal Le Monde publié le 21 juin 1986. Edouard Balladur, premier ministre, homme de droite, semble être convaincu de l'idée qui oppose la justice constitutionnelle à la démocratie en prononçant suite à l'inoubliable décision n°71-44 D.C. du 16 juillet 1971 du conseil43.

« Depuis que le Conseil a décidé d'étendre son contrôle au respect du Préambule de la Constitution, cette institution est conduite à contrôler la conformité de la loi au regard de principes généraux, parfois plus philosophiques et politiques que juridiques, quelquefois contradictoires et de surcroît, conçus à des époques différentes de la nôtre »

Il va sans dire que le développement de la justice constitutionnelle en France ne s'est pas fait sans controverses et sans critiques. Au-delà de ces incompréhensions et désaccords, le Conseil constitutionnel s'est imposé dans le paysage politique et juridictionnel français. Comment a-t-il pu inspirer ce respect alors que, contrairement aux décisions des autres juridictions, les siennes ne comportent jamais le mandement exécutoire ? Il n'est non plus pas prévu dans le droit positif hexagonal « une Commission qui serait chargée de veiller à la bonne exécution des décisions du Conseil » selon les observations du constitutionnaliste Dominique Rousseau44. Autrement dit, quel est le degré d'autorité des décisions du Conseil constitutionnel dans la vie politico-juridictionnelle française ?

2. L'autorité des décisions du Conseil constitutionnel

Faisant fi de la thèse traditionnelle et dépassée des « modèles kelsénien et américain » de justice constitutionnelle, le constituant dérivé français a confirmé l'autorité absolue de chose jugée de toutes les décisions du Conseil constitutionnel en juillet 2008. Qu'elles soient rendues dans le cadre du contrôle « a priori » ou du contrôle « a posteriori » (QPC), les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent « erga omnes » dès le jour de leur publication selon la constitution de 1958 sauf recours laissé à la discrétion du conseil de moduler leurs effets dans le temps. L'alinéa 3 de l'article 62 de ladite constitution ne laisse pas de doute quant à l'autorité des décisions émises dans le cadre du contentieux constitutionnel en disposant :

42 G. Drago, op.cit., p.51

43 C.MAUGUE et J.H STAHL, « La question prioritaire de constitutionnalité », 1ère édition, Paris, Dalloz, 2011, p.15

44 D.ROUSSEAU, « Droit du contentieux constitutionnel », 9ème édition, Paris, Montchrestien, 2010, p. 169

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« Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs administratifs et juridictionnels »

La clarté ou précision de cette disposition constitutionnelle ne doit pas escamoter ses relatives difficultés d'application. En effet, le Conseil constitutionnel contrairement à la très prestigieuse Cour Suprême américaine ne chapeaute pas l'organisation juridictionnelle française. Les cours suprêmes des juridictions administratives et judiciaires sont respectivement le Conseil d'état et la Cour de cassation. Sans vouloir affirmer que ces dites cours suprêmes sont insensibles au dialogue des juges, nous pouvons quand même déceler dans leur jurisprudence des réticences face à l'article 62 précité. Ce paramètre appelé de manière générale « dialogue des juges » par la doctrine n'est ni un effet de mode ni un facteur anodin. La compatibilité des décisions juridictionnelles des cours suprêmes des deux ordres juridictionnels avec celles du Conseil constitutionnel évite la contrariété de jugement et constitue le gage de l'unité d'interprétation de la loi-mère.

Le premier tempérament subi par le dit alinéa 3 de l'article 62 de la constitution en vigueur vient du Conseil constitutionnel lui-même. Dans le considérant 18 de sa décision portant sur la loi d'amnistie, 45les Sages de le rue Montpensier ont décidé que :

« L'autorité de chose jugée attachée à la décision du Conseil constitutionnel (...) est limitée à la déclaration d'inconstitutionnalité visant certaines dispositions de la loi qui lui était soumise ; qu'elle ne peut être utilement invoquée à l'encontre d'une autre loi conçue d'ailleurs, en termes différents »

Cela signifie que la force absolue de chose jugée prévue à l'article 62, alinéa 3, n'est valable que pour les décisions du Conseil constitutionnel relatives à chaque loi de manière particulière et non à la totalité de sa jurisprudence.

Cette conception restrictive de la chose jugée par le Conseil s'ajoute à des divergences de vue plutôt rares entre les cours suprêmes et le Conseil constitutionnel. L'exemple le plus connu est la confrontation à distance de la cour de cassation et du Conseil constitutionnel relative à la compatibilité de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité avec le principe de primauté du droit de l'union européenne. Il faut également noter les différences de position de la Cour suprême de l'ordre judiciaire et du Conseil constitutionnel sur l'étendue de la protection pénale du chef de l'état à deux ans d'intervalle46.

45 Conseil constitutionnel, 20 juillet 1998, n°88, 244-DC

46 Voir Conseil constitutionnel, 22 janvier 1999, n°98-408 DC et COUR de cassation 10 octobre 2001 arrêt Breisacher dans lequel la Cour de Cassation rejette l'interprétation de l'article 68 de la Constitution du Conseil constitutionnel relatif au statut pénal du chef de l'état

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Une voix autorisée et avisée remarque que le Conseil d'état et le Conseil constitutionnel n'est pas tout à fait sur la même longueur d'onde concernant « les actes de gouvernement. »47. La plus haute juridiction de l'ordre administratif refuse sans concession de vérifier la légalité des actes de gouvernement. Quant au Conseil constitutionnel, il s'estime compétent moyennant quelques conditions préalables, pour contrôler la légalité de ces actes.

Ces marginaux cas d'espèces n'autorisent nullement à affirmer que les deux (2) Cours suprêmes méconnaissent délibérément l'autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel. Au contraire, il s'est installé un harmonieux « dialogue » entre ces trois (3) instances juridictionnelles françaises où les décisions de l'une influent la jurisprudence de l'autre. La résultante est une interprétation totalement uniforme ou presque de la Constitution de la République de France.

Les autorités politiques finissent toujours par s'incliner devant la jurisprudence du Conseil en dépit des critiques acerbes qu'elles émettent en des moments. Les différents ministères et l'administration française conjuguent toujours leur effort dans le sens de l'exécution des décisions du Conseil. Les gouvernements successifs et leur majorité parlementaire prennent toujours le soin de corriger les nouveaux projets ou propositions de loi en fonction des censures du juge constitutionnel français. Le gouvernement, note le Pr. Dominique Rousseau, favorise l'exécution des décisions du Conseil en édictant de plus en plus souvent des circulaires exposant la jurisprudence constitutionnelle et invitant les responsables administratifs à appliquer la loi dans le respect des interprétations contenues dans les décisions du Conseil.

B. La « participation » du Conseil constitutionnel au processus législatif

Le concept « participation » ne doit pas être pris au sens où le Conseil serait partie prenante dans la fonction de légiférer au sens premier du terme. Cela serait totalement contraire aux principes basiques de la théorie séparatiste des pouvoirs dont la paternité est attribuée à Charles Louis de Secondat plus connu sous le nom de Montesquieu. D'ailleurs le Conseil constitutionnel se prémunit contre toute forme d'intrusion en ce sens en déclarant constamment « qu'il ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision au même titre que le parlement ». La « participation » du Conseil constitutionnel à l'activité législative est une construction métaphorique de la doctrine juridique exprimant deux réalités. D'abord elle explicite l'implication des décisions du juge constitutionnel sur la loi litigieuse qui fait d'elle un « législateur-négatif » ou un « colégislateur ». (1) Elle exprime ensuite de

47 Voir Communication de M. Régis de GOUTTES , premier avocat générale de la Cour de cassation, à l'occasion du Colloque du cinquantenaire du Conseil constitutionnel intitulé « Le dialogue des juges » le 3 nov.2008

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manière imagée les influences de la jurisprudence du Conseil sur la politique législative du gouvernement et de sa majorité parlementaire (2).

1. Le Conseil constitutionnel : « colégislateur » et « législateur » négatif

Le Conseil constitutionnel doit sa qualité de « colégislateur » à une démarche définitionnelle de Charles Eisenmann empruntée et étayée par Michel Troper. Selon l'auteur de « La Justice Constitutionnelle et la Haute Cour Constitutionnelle d'Autriche « est auteur ou coauteur d'un acte, toute autorité qui participe de manière décisionnelle au processus d'édiction de l'acte, autrement dit toute autorité dont le consentement est indispensable à la formation de l'acte ». Il faut très vite préciser, à l'instar de Michel Troper, qu'une commission d'experts chargé par l'état de rédiger une proposition de texte législatif ne répond pas à ce critère. Aussi qualifiés que soient les experts, leur avis n'est qu'un simple conseil et n'a aucune force décisionnelle. Les autorités peuvent toujours passer outre de leurs recommandations. En revanche, la décision du Conseil constitutionnel s'impose aux autorités gouvernementales et juridictionnelles au terme de l'article 62 précité. Le Conseil, grâce à la force obligatoire de ces décisions, fait partie de l'ensemble des acteurs édictant la loi. Selon cette grille de lecture doctrinale, le législateur est ainsi concurrencé par le juge constitutionnel dans son travail « d'énonciation de la volonté générale ». Conséquemment la fonction législative est partagée par le gouvernement, le législateur et le juge constitutionnel dans le cadre d'un projet de loi. Elle se réduit aux parlementaires et au Conseil constitutionnel s'il s'agit d'une proposition de loi.

Quant à la dénomination encore métaphorique de « législateur négatif », elle est issue des réflexions de Hans Kelsen sur la justice constitutionnelle en particulier et sur la science juridique de manière particulière. Selon le maître de Viennes, la différence plausible entre « la fonction juridictionnelle et la fonction législative consiste avant tout en ce que celle-ci crée des normes générales, tandis que celle-là crée des normes individuelles ». Kelsen déduit de cette différence fonctionnelle que le juge constitutionnel fait exceptionnellement office de législateur en prononçant une décision de censure car, dit-il :

« Annuler une loi, c'est poser une norme générale ; car l'annulation d'une loi a le même caractère de généralité que sa confection, n'étant pour ainsi dire que la confection avec un signe négatif, donc elle-même une fonction législative. Et le tribunal qui a le pouvoir d'annuler les lois est par conséquent un organe du pouvoir législatif »

Ces deux constructions doctrinales peuvent renforcer la conviction de l'incompatibilité de la justice constitutionnelle avec la démocratie. Il n'en est rien car elles n'ont pas pour but de cautionner un empiètement du juge constitutionnel sur les prérogatives exclusives du pouvoir législatif. Elles ne font que témoigner du dialogue et de la cohabitation institutionnels établis entre les pouvoirs publics du fait de l'avènement de la justice constitutionnelle sous la 5ème

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république. Autrement dit, en recourant à ses formules, les auteurs précités décrivent implicitement l'influence sans cesse grandissante des prescriptions jurisprudentielles du Conseil constitutionnel sur la politique législative gouvernementale appuyée par sa majorité parlementaire.

2. Le poids de la jurisprudence du conseil dans la fonction de légiférer

La jurisprudence du Conseil constitutionnel est impérativement prise en compte lors de la préparation et de la discussion d'un texte de loi. Au sein des différents gouvernements, il s'est installé ce que Dominique Rousseau appelle « l'exécution préventive » des décisions du Conseil constitutionnel. Les services internes gouvernementaux et les différentes commissions parlementaires subissent l'influence de la jurisprudence du conseil lors de la rédaction des futurs projets de loi et lors de la discussion y relative. Nous voulons pour preuve les déclarations de l'actuelle ministre de la justice relatives au projet de loi sur le harcèlement sexuel suite à l'invalidation du Conseil48de l'article 222-33 du code pénal pour non-conformité à « la légalité des délits et des peines ».Celle-ci, lors du débat au sénat relatif à ce nouveau texte, eut à affirmer que prévenir le risque d'inconstitutionnalité a été pour elle une préoccupation permanente. Cet aveu de la garde des sceaux nous permet de déduire que la jurisprudence du Conseil constitutionnel produit son plein effet dès les travaux préparatoires d'un texte législatif.

L'ancien premier ministre Michel Rocard, nous dit l'auteur précité, eut à demander à ses ministres « de faire étudier attentivement par leurs services les questions de constitutionnalité que pourrait soulever un texte en cours d'élaboration ».

Ces dispositions administratives et cette volonté au plus haut sommet de l'état d'éviter les griefs d'inconstitutionnalité s'ajoutent aux différents types de réserves d'interprétation évoqués plus haut. En effet, les réserves interprétatives du Conseil constitutionnel orientent les futurs choix du législateur dans un sens ou un autre.

Par sa jurisprudence sur l'incompétence négative, le Conseil oblige le législateur à épuiser toutes ses prérogatives constitutionnelles. Celui-ci doit se laisser guider par l'interprétation que le conseil donne à ses attributions au risque de voir son oeuvre invalidée parce qu'il a déchargé ses responsabilités sur le pouvoir réglementaire. Tout compte fait, le premier instrument de travail du législateur doit être le catalogue des décisions du conseil pour éviter les déconvenues. Celui-ci doit modeler sa politique législative en conséquence. Il est rare que la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne soit pas invoquée lors d'un débat parlementaire soit pour renforcer la perception de la solidité juridique du texte en discussion soit « pour

48 Conseil constitutionnel, n°2010-240 ,04 mai 2012, QPC

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prétendre qu'il est un mort-né à cause d'éventuelles contradictions à la ligne jurisprudentielle tracée par les neuf (9) Sages de la rue Montpensier.

A la lumière de ces facteurs, il est évident que la jurisprudence du Conseil constitutionnel est d'une influence déterminante sur le travail législatif en amont et en aval. Les décisions interprétatives sus-évoquées servent d'orientation et de guide pour le parlement et le gouvernement. Il faut quand même signaler que l'épée Damoclès de « gouvernement des juges » menace constamment le Conseil constitutionnel comme tout juge constitutionnel. Ce spectre récurrent est également exploité par les défenseurs de la thèse opposant la justice constitutionnelle et la démocratie.

Le Conseil constitutionnel n'exerçait qu'un contrôle formel de la loi initialement c'est-à-dire se portant exclusivement sut les questions procédurales et de compétence. La doctrine constitutionnaliste nomme ceci un examen de régularité externe par opposition au contrôle de la régularité interne s'intéressant au contenu et au fond de la loi. Il a fallu attendre la décision liberté d'association du 16 juillet 1971 pour que le Conseil fasse une interprétation extensive de ses compétences en alliant depuis les deux types de contrôle de constitutionnalité. A la timidité originelle du constituant originaire de 1958 quant au contrôle de constitutionnalité des lois contraste un dessein clairement et constamment exprimé de limiter strictement les attributions du Parlement. « Pour se diriger dans le labyrinthe des dispositions constitutionnelles de 1958 », conseille Dominique Rousseau, « il existe un fil d'Ariane simple et connu de tous : l'abaissement du Parlement »49. L'institution chargée de l'effectivité et de la surveillance de cet abaissement était et demeure le Conseil constitutionnel.

§ 2. L'affaiblissement du Parlement

Selon la conception française de la démocratie relatée plus haut, conception formée dès 1789, le Parlement porte en lui la représentation nationale. Conséquemment, il est au-dessus de toutes les autres instituions indépendamment de la nature de celles-ci. Cette logique démocratique fondera, comme déjà expliqué, quatre (4) républiques. La cinquième république symbolise avec fracas la fin de ce visage de la démocratie. Le professeur Pierre Brunet, résumant la fin du parlementarisme français affirme non sans humour :

« La souveraine d'hier fut enterrée dans le cercueil de la Constitution de 1958 sur lequel le Conseil constitutionnel vient déposer un obiter dictum »

L'institution chargée de maintenir le parlement dans le cadre strict de ses attributions constitutionnelles limitativement énumérées est le Conseil constitutionnel. Pour répéter les mots du feu François Luchaire, éminent constitutionnaliste et constituant en 1958, l'on peut

49 D ROUSSEAU, op.cit., p.24

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affirmer que le Conseil constitutionnel a comme fonction principale « de surveiller parlement » (A)50. Paradoxalement, la surveillance des prérogatives parlementaires a impliqué le renforcement du gouvernement sur tous les plans (B).

A. La surveillance du parlement assurée par le Conseil constitutionnel

Croyant comme Kelsen, le père du normativisme, que la théorie de l'autolimitation parlementaire est un leurre, les constituants de 1958 ont donné naissance à une instance juridictionnelle pour protéger la constitution contre les éventuels errements et empiètements du parlement en flagrante contravention avec la tradition et la culture politique française. Miche Debré, garde des Sceaux du gouvernement de Gaulle, déclara que « la constitution a créé une arme contre la déviation parlementaire ». Ainsi prend fin la hiérarchisation des trois (3) pouvoirs publics et corrélativement l'hégémonie parlementaire léguée par la révolution. La doctrine politique et constitutionnaliste retient le concept de « rationalisation parlementaire » pour qualifier ce retournement de situation. L'antiparlementarisme de la Charte fondamentale de 1958 peut être décelé dans plusieurs de ses dispositions. L'article 34 de la constitution, à titre d'exemple, prend le soin d'énumérer les uns après les autres les domaines sur lesquels le parlement peut légiférer. Conséquemment, il a été laissé un large champ normatif au profit de l'autorité réglementaire. Organe exclusivement chargé au début de sa création de veiller à la répartition verticale des pouvoirs, le Conseil se trouve de fait comme un contrepouvoir en face des assemblées parlementaires conformément à l'esprit et à la lettre de la constitution en vigueur. Du fait de la pesanteur des croyances et du mythe représentatif, le Conseil a été très vite dénoncé par certains comme un frein à la démocratie ou comme une institution aux antipodes des canons de la démocratie.

La fin de la souveraineté parlementaire et la délimitation des compétences du législateur traduisent l'échec de la démocratie représentative ou tout au moins de sa dénaturation orchestrée sciemment. Se rendant compte des travers du parlementarisme, les dirigeants de la 5ème république ont rompu avec la théorie de confusion de l'identité des gouvernés avec celle des parlementaires. En dépit de l'investiture populaire de ces derniers, leur volonté redevient subordonnée à l'interprétation que fait le Conseil des normes constitutionnelles. A partir de 1971, année de l'émancipation du conseil, la juridictionnalisation de la déclaration des droits de l'homme et du préambule de la constitution de 1946 a considérablement élargi les normes de référence à partir desquelles le Conseil constitutionnel contient l'activité législative dans ses limites. Qui plus est, le Conseil constitutionnel, sous le fondement de l'alinéa premier de l'article 61 de la constitution, examine la constitutionnalité des règlements intérieurs des assemblées parlementaires ce qui, selon certains analystes, constituerait une violation de

50 Voir F. LUCHAIRE, « Le juge constitutionnel en France et aux Etats-Unis. Etude comparée », 1ère édition, Paris, Economica, 2002

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l'autonomie du parlement. A ceux qui objectent que le Conseil constitutionnel consacre ainsi un rejet de la démocratie, les Sages répondent que la constitution, symbolisant le contrat social, est la règle de droit suprême.

En effet à partir de 1958, le parlement n'est plus l'incarnation de la souveraineté nationale. Il constitue comme le l'exécutif et le judicaire un pouvoir constitué qui doit être contrebalancé par les autres puisque seul « le pouvoir peut arrêter le pouvoir ». Cette délimitation du pouvoir du législateur n'a pas créé de vide juridique dans l'appareil normatif français. Cela est dû au fait que les domaines ravis au parlement ont été placés sous l'égide d'autres autorité normatives. Grâce ainsi à l'accentuation de la décentralisation consacrée le principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales, les élus locaux ont pu bénéficier également d'un espace normatif pour administrer les entités infra- étatiques. Cependant, le véritable bénéficiaire de l'embrigadement du législateur assuré par le Conseil constitutionnel demeure le pouvoir exécutif dans sa dimension bicéphale. Plus précisément, la réduction du domaine législatif a eu comme pendant l'élargissement du domaine réglementaire du gouvernement.

B. Le renforcement du pouvoir réglementaire

Le pouvoir réglementaire est le champ dont dispose les autorités exécutives pour édicter des règlements ayant les mêmes caractères que la loi c'est-à-dire dire des actes exécutoires, de portée générale et impersonnelle. La Constitution de 1958 a considérablement élargi ce pouvoir au détriment du pouvoir législatif. Le premier ministre, chef de l'action gouvernementale, est le codétenteur du pouvoir réglementaire. Toutes choses égales par ailleurs, son rôle ne consistait qu'à prendre des mesures d'application des lois, à l'instar des autres pouvoirs étatiques, selon la culture politique diffusée par le régime parlementaire. La 5ème république a encore été le signe d'une rupture sur ce point. Il a été adjoint au pouvoir réglementaire d'exécution des lois une autre façon d'exercer ce type de compétence. La constitution de 1958, à l'alinéa premier de son article 37, prévoit un pouvoir réglementaire autonome sous l'égide du chef du gouvernement c'est-à-dire qui « couvre les matières » totalement ravies au législateur. Aux termes de l'article 41 de la constitution, le Conseil constitutionnel statue en cas de désaccord entre le gouvernement et le président de l'assemblée parlementaire « s'il apparaît au cours de la procédure législative qu'une proposition ou un amendement n'est pas du domaine de la loi ». Cette article s'inscrit dans l'optique de ne laisser aucune marge de manoeuvre au parlement ou de l'empêcher de s'auto-procurer des prérogatives imprévues par les prescriptions constitutionnelles. Il va de soi que l'autre dépositaire du pouvoir réglementaire, en l'occurrence le président de la république, dispose d'un droit de regard quand il ne contresigne pas les décrets et autres délibérations gouvernementales.

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L'une des autres mesures et non la moindre visant à renforcer le gouvernement est la procédure de délégalisation tracée à l'article 37, alinéa 2 de la constitution. Aux termes de cette disposition, « les textes de forme législative » s'immisçant dans le domaine réglementaire feront l'objet de déclassement par le Conseil constitutionnel si le premier ministre y tient car les juges de la rue Montpensier ne disposent pas du droit d'autosaisine. Il s'agit d'empêcher la concrétisation de toutes velléités de « l'ancien souverain » de recourir à des pouvoirs qui lui ont été enlevés par la Constitution. De fait, la procédure de délégalisation est susceptible d'être mise en oeuvre que pendant les périodes de cohabitation. La bipolarisation de la vie politique ou le jeu politicien s'agençant le plus souvent d'une façon que l'exécutif dans sa dimension bicéphale et la majorité parlementaire soient de même appartenance politique en sont les causes. En 1998, soit après quarante ans d'existence, le Conseil n'avait rendu que 220 décisions sous le fondement de l'alinéa 2 de l'article 37.

Il faut ajouter à cette autonomisation du pouvoir réglementaire le fait que différentes autorités administratives indépendantes disposent d'un pouvoir réglementaire sectoriel sous la surveillance du Conseil d'état ou en général de l'ordre juridictionnel administratif en général. L'autorité réglementaire, sous la direction du chef de l'exécutif et du chef du gouvernement, a investi les domaines où la loi et le parlement ont été « expulsés » par la Constitution de 1958. Cette forme de défense des prérogatives de l'exécutif contre le parlement illustre parfaitement l'esprit antiparlementariste de la Constitution française de 1958.

La justice constitutionnelle en général et celle de la France particulièrement essuie dès leur naissance les accusations ayant à voir à leur supposé caractère antidémocratique. Le Chief justice Jhon Marshall préconise deux solutions alternatives à ce qui est considéré comme un « dilemme » pour plus d'un en France et ailleurs. L'éminent juge constitutionnel écrit :

« Ou la constitution est un droit supérieur, suprême, inaltérable par des moyens ordinaires ; ou elle est sur le même plan que la loi ordinaire et, à l'instar des autres lois, elle est modifiable selon la volonté de la législature. »51

Hans Kelsen, le concepteur du « modèle » européen de justice constitutionnelle a esquivé vigoureusement cette soi-disant contradiction en ces termes :

« Si, contrairement à ces vues, on continue d'affirmer l'incompatibilité de la justice constitutionnelle avec la souveraineté du législateur, c'est simplement pour dissimuler le désir de la puissance politique qui s'exprime dans l'organe législatif de ne pas se laisser -en contradiction patente avec le droit positif -limiter par les normes de la Constitution. Mais, même si on approuve cette tendance pour des raisons d'opportunité, il n'est d'argument juridique dont elle puisse s'autoriser »52

51 E ZOLLER, « Les grands arrêts de la Cour suprême des Etats-Unis », 1ère édition, Paris, Dalloz, 2010, p.11

52 H. KELSEN, « la garantie juridictionnelle de la Constitution », op.cit., p.224

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Ces deux personnalités auxquelles sont attribuées à juste titre la paternité des deux traditionnelles « typologies de justice constitutionnelle » rejettent presque d'un revers de main l'opposition entre celle-ci et une vie démocratique.

Kelsen comme nul autre a prouvé que l'alliance entre le contrôle judicaire de constitutionnalité des lois et la démocratie n'est pas contrenature en la concrétisant sans remous dès 1920 dans l'Autriche républicaine.53Sans prétendre prendre le contrepied du maitre de Viennes et du juge Marshall, deux hommes ayant marqué la science juridique de leur empreinte, nous pensons quant à nous que cette question est loin d'être épuisée et encore moins dans un pays qui fut aussi longtemps sous le joug du parlementarisme et du légicentrisme les plus extrémistes et acerbes comme la République française. En effet, la forme de démocratie adoptée et léguée par la révolution française est difficilement conciliable avec le mécanisme de justice constitutionnelle. La démocratie telle que pratiquée et diffusée par les révolutionnaires aboutit à un état légal et à un régime d'assemblée faisant fi de la théorie « checks and balances » de Montesquieu. Le parlement transfiguré de « manière mythique » en unique représentant du peuple s'accommode très mal d'une instance judiciaire qui assure l'effectivité des normes constitutionnelles au point d'écarter les lois votées conformément à la procédure parlementaire. Pour paraphraser le docteur en droit, Philippe Pichot, l'on dira que « la mise en oeuvre d'un contrôle de constitutionnalité se heurte au primat de la volonté de la nation souveraine et au légicentrisme qui en est l'expression. » Cependant l'importance pour le monde contemporain et l'acuité de la question suivante sont tout aussi indéniables :

« La démocratie en tant que concept polysémique et vivant peut-elle sous l'une de ses diverses formes d'opérationnalisation être subsumée sous le mécanisme procédural qu'est la justice constitutionnelle ? ».

53 La Haute Cour constitutionnelle d'Autriche est la 1ère Cour constitutionnelle du « modèle » européen de justice constitutionnelle

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Chapitre II. La garantie et le renouvellement de la démocratie par la justice constitutionnelle

La doctrine constitutionnaliste ne saurait éluder la question de la légitimité démocratique de la justice constitutionnelle vu son importance pour la pérennité de celle-ci. Cependant les plus ardents défenseurs de la justice constitutionnelle ou tout au moins un grand nombre pèchent méthodologiquement parlant dans cette quête inlassable de légitimation. Piégés par la doctrine représentative et ses aléas, les constitutionnalistes et non les moindres définissent la démocratie en se concentrant au prime abord sur des considérations institutionnelles. S'ils ne font pas totalement table rase de l'aspect protectionniste de la démocratie, ils relèguent au second plan la sauvegarde des droits des citoyens. Ils privilégient, comme nous l'avons vu, l'étude des parlements, de l'institution électorale et de la séparation des pouvoirs et s'adonnent seulement après l'épuisement de ces questions aux rapports des citoyens avec les gouvernants et entre eux. Or, la justice constitutionnelle est facilement superposable à la démocratie si on part du citoyen plutôt que de la « superstructure institutionnelle » pour répéter le langage marxiste. Aborder la démocratie en mettant l'accent « a priori » sur son versant institutionnel implique de privilégier les moyens par rapport aux fins. Le citoyen reste et demeure « l'origine et le centre de tout processus démocratique »54. En d'autres termes, tout défenseur de la subsomption de la justice constitutionnelle sous la démocratie doit dans un premier temps avoir une approche anthropocentrique de cette notion à la richesse incommensurable .Une fois cette prudence méthodologique observée, la constante lutte du juge constitutionnel en faveur du respect des droits et libertés fondamentaux la légitimera aux yeux de tout démocrate (Section 1). En outre de ce facteur, la justification ou la légitimité de la justice constitutionnelle s'est opérée à l'échelle européenne grâce à un changement de paradigme démocratique (Section 2).

54 Voir Union Interparlementaire, « La démocratie : principes et réalisation », 1ére édition, Genève, 1998

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Section I. Le Conseil constitutionnel et la lutte en faveur des droits et libertés fondamentaux

Ce rôle protecteur des droits et libertés fondamentaux n'a pas été assigné explicitement au juge constitutionnel pas plus qu'il ne le lui a été interdit explicitement. « Telle une créature qui s'émancipe de son créateur », le Conseil s'est érigé en défenseur des droits et libertés fondamentaux malgré les réserves des constituants de 1958. Ces derniers ne voulaient cantonner le juge constitutionnel français qu'au rôle « de chien de garde de l'exécutif » contre les éventuels empiètements du parlement. Il n'était jamais question que le conseil dépasse cette fonction régulatrice de l'activité des pouvoirs publics dans l'intention originelle des concepteurs de la loi-mère de 1958. Par un « coup de force jurisprudentielle », les Sages ont donné valeur constitutionnelle à la déclaration des droits de l'homme, au préambule de la constitution de 1946 et corrélativement ont élargi leurs prérogatives à la protection des droits individuels et sociaux. En outre d'avoir le mérite d'associer sans problèmes la justice constitutionnelle et la démocratie telle que définie plus haut, cette fonction protectionniste sert la cause incontestable de l'état de droit. En cela, elle est conforme à l'opinion que Tocqueville a émise concernant les USA :

« Resserré dans ses limites, le pouvoir accordé aux tribunaux américains de se prononcer sur l'inconstitutionnalité des lois forme encore une des plus puissantes barrières qu'on ait jamais élevées contre la tyrannie des assemblées parlementaires»55

Cette fonction majeure de la justice constitutionnelle comporte deux versants dans sa mise en oeuvre. D'abord, elle protège la sphère privée des gouvernés de toute intrusion liberticide. (§ 1). Ensuite, elle fait avancer la cause de l'état de droit que nul ne songerait aujourd'hui à contester sérieusement (§ 2).

§ 1. Le Conseil constitutionnel : outil de protection des gouvernés face aux gouvernants

Le passage de la Constitution -séparation verticale des pouvoirs- à la Constitution -garantie des droits- à partir de la décision du 16 juillet 1971 est l'origine de la fonction avant-gardiste des droits de l'homme du Conseil constitutionnel. L'incorporation du préambule de la Constitution de 1958, et, par voie de conséquence, des deux textes auxquels celui-ci renvoie, au bloc de constitutionnalité contrairement aux idées émises par Kelsen56 en est l'expression

55 A DE TOCQUEVILLE, « De la démocratie en Amérique », 1ère édition, Tome I, Paris, Flammarion, 1981, p.172

56 H KELSEN, « La garantie juridictionnelle », op.cit., p.239

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concrète. Le contrôle de constitutionnalité des lois, outre du corpus constitutionnel proprement dit, a comme normes de référence les droits civils et politiques issus de la déclaration de 1789, les droits socio-économiques tirés du préambule de la constitution du 27 octobre 1946 et depuis 2005 les droits environnementaux. Conformément aux directives onusiennes, le Conseil constitutionnel n'établit aucune hiérarchie entre les 3 générations de droit de l'homme tout au long de sa jurisprudence protectionniste. L'indivisibilité des droits de l'homme implique toujours, à titre d'exemple, la conciliation des principes constitutionnels tels que la liberté d'aller et venir (1ère génération des droits de l'homme) et le droit de grève (2ème génération des droits de l'homme). La panoplie des droits et libertés consacrés par le Conseil constitutionnel augmente au gré de l'évolution de la société (A). Cette faculté créatrice encore appelée pouvoir normatif du juge constitutionnel est loin d'être absolu en dépit de son immense étendue (B).

A. Les droits et libertés fondamentaux

La charte jurisprudentielle des droits de l'homme encore appelé « Constitution sociale » par Hauriou, loin s'en faut, n'est pas aussi rigide que la Constitution stricto sensu. Le domaine sacré des libertés citoyennes s'infléchit régulièrement à l'aune des interprétations jurisprudentielles. Le juge constitutionnel français comme partout ailleurs est maître de l'orientation et de la signification des normes jurisprudentielles qu'il crée .Cette faculté quasi-discrétionnaire leur donne la liberté de faire évoluer le sens des différents droits fondamentaux. L'efficacité de cette fonction de protecteur des droits fondamentaux est tributaire de l'évolution des principes existants. La jurisprudence y relative doit faire siennes les évolutions de la société. Il est interdit en ce sens au législateur, selon une jurisprudence constante, « de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles »57 comme c'est indiquée plus haut. La doctrine qualifie cette restriction jurisprudentielle affublée au travail législatif « d'effet cliquet ».L'intégration du volet de protection des droits de l'homme a eu d'importantes répercussions sur la nature du Conseil constitutionnel et du droit constitutionnel. (2) De droit politique étudiant les rapports des pouvoirs publics, le système électoral et les partis politiques, celui-ci devient un droit juridictionnel c'est-à-dire un droit dit par le juge ou un droit vivant selon les termes empruntés à la doctrine italienne (1).

57 Conseil constitutionnel, n°86-210, 29 juillet 1986, DC

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1. La constitution sociale : un droit vivant

L'arsenal jurisprudentiel constitué par le conseil pour protéger les droits fondamentaux des justiciables contre tout texte de loi à visée liberticide est sans commune mesure avec celui des autres fonctions qu'il assure. La liste ouverte des droits fondamentaux, selon la formule consacrée par la doctrine, épouse la couleur du temps au sens sociologique du terme. Cette fonction du juge constitutionnel est d'autant plus créatrice et discrétionnaire que la constitution du 4 octobre 1958 ne fixe pas une liste exhaustive et explicite de droits fondamentaux hormis la détermination du juge judiciaire comme gardienne de la liberté individuelle et la prohibition de la peine de mort en ses articles 66et 66-1 et d'autres dispositions disparates et isolées. Force est de rappeler que c'est essentiellement à propos de la protection des droits fondamentaux, que le Conseil a soulevé d'office l'inconstitutionnalité de diverses dispositions législatives. Nous recensons parmi d'autres : atteinte au principe de nécessité des peines (n° 80-127DC des 19 et 20 janvier 1981) ; violation du principe d'égalité en matière électorale (n° 82-146 DC du 18 novembre 1982) ; méconnaissance de l'indépendance de l'autorité judiciaire (n° 84-182 DC du 18 janvier 1985) ; atteinte à la liberté individuelle (n° 86-216 DC du 3 septembre 1986) ;non-respect des droits de la défense (n° 86224 DC du 23 janvier 1987) ; violation de l'exigence de pluralisme des courants d'idées et d'opinions (n°89-271 DC du 11 janvier 1990) ; discrimination entre français et étrangers quant à l'octroi d'une prestation sociale (n° 89-269 DC du 22 janvier 1990). Le conseil autant que peut se faire rattache ses principes protectionnistes à la lettre ou à l'esprit de la constitution lato sensu afin de ne pas porter préjudice au pouvoir général de décision et d'appréciation du législateur. En matière de protection de droits et libertés fondamentaux, le fait pour le législateur de méconnaitre l'étendue de ses compétences autrement dit son incompétence négative est sanctionnée par le Conseil. La facilité avec laquelle le pouvoir réglementaire modifie ses actes administratifs n'est pas jugée par les Sages assez sécuritaire pour leur laisser s'occuper exclusivement des droits fondamentaux des citoyens.

La politique jurisprudentielle du Conseil constitutionnel en matière de droits fondamentaux est proche de celle de la Cour suprême des USA et de la Cour de Karlsruhe si l'on excepte ici et là de légères variations sur des sujets vraiment clivant et de haute portée historico-politique. En témoignent le maintien de la peine de mort dans quelques états des Etats-Unis et la politique jurisprudentielle de la Cour constitutionnelle allemande plus ou moins rigide en matière d'avortement en raison, dit-elle, du passé eugénique de la république fédérale d'Allemagne. Le cas des transsexuels ne trouve pas une solution similaire aux yeux des différentes Cours constitutionnelles européennes en raison du fait que la Cour européenne des droits de l'homme laisse une large marge de manoeuvre et une intense liberté d'interprétation aux états sur ce point sauf en cas manifeste de pratiques discriminatoires.

Tout en évitant l'activisme juridictionnel, la jurisprudence du Conseil en matière de protection des droits fondamentaux comme en d'autres matières couvre tous les sujets de société. La jurisprudence constitutionnelle n'étant pas figée, elle est susceptible d'évoluer en fonction des

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circonstances factuelles et juridiques. L'un des exemples le plus probant en ce sens est le revirement jurisprudentiel qui a causé la censure immédiate du régime de garde à vue par la décision n°2011-223 QPC pour atteinte aux droits de la défense. La nouvelle procédure connue sur l'acronyme QPC ne concerne pas toutes les dispositions constitutionnelles mais exclusivement celles protégeant des droits et libertés constitutionnels.

En définitive ce déclic jurisprudentiel amorcé par la décision n° 7 1-44 D.C. du 16 juillet 1971 a transformé le Conseil constitutionnel français. Elle l'a mise « en pleine lumière » s'il faut paraphraser le Pr. Dominique Rousseau. A partir d'elle, le Conseil créé un droit constitutionnel substantiel ou relationnel c'est-à-dire ayant pour objet d'étude les droits fondamentaux de la personne humaine. En élargissant le contrôle de constitutionnalité sur le fond ou le contenu du texte législatif, la décision d'association conjuguée à la réforme constitutionnelle de 1974 voulue et faite par Valérie Giscard D'Estaing a engendré la métamorphose du juge constitutionnel français.

2. La métamorphose du Conseil constitutionnel : la décision du 16/06/1971

D'abord les juristes ont déduit de cette dite décision l'engloutissement définitif de la tradition de légicentrisme français. En effet, la loi est dorénavant formellement et matériellement subordonnée à la Constitution. Le constitutionnalisme étant que théorie du droit prônant la garantie par une Constitution écrite du pouvoir souverain et des droits fondamentaux s'est définitivement installé. Cette métamorphose a impliqué la sollicitation beaucoup plus fréquente du prétoire du juge constitutionnel français. Les statistiques relèvent la multiplication par vingt du nombre de lois déférées au Conseil constitutionnel dans l'espace de temps compris entre 1974 et 1989.Cela a constitué un saut qualitatif et quantitatif.

Au fil de l'exercice du pouvoir normatif du Conseil constitutionnel, contrairement à la théorie de Montesquieu de « pouvoir nul du juge, bouche de la loi », le bloc de constitutionnalité français n'a cessé de s'enrichir. En outre de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le Conseil constitutionnel a consacré la valeur constitutionnelle des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République énoncés dans le préambule de 1946 dont le premier fut la liberté d'enseignement. La particularité de ces principes tient au fait qu'ils n'étaient pas énumérés jusqu'à ce que le Conseil les ait donnés naissance. Au cours de deux décisions des 20 juillets 1988 et 4 juillet 1989, le Conseil a précisé les contours des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Ils doivent être issus d'une législation républicaine antérieure à la 4ème république jamais abrogée ou modifiée par le législateur. Ce sont des principes de droit positif qui ont comme mérite la constance ou la répétition sur les différentes législatures républicaines. Ceci dénote l'incohérence des propos faisant croire que le juge constitutionnel veut imposer ces croyances philosophiques ou sa pensée jusnaturaliste aux décideurs publics.

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Les principes politiques, économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps tirés du préambule de 1946 ont eux aussi acquis la valeur constitutionnelle. Contrairement aux droits civils et politiques, ceux-ci ont été décrits comme des droits-créances impliquant de la part des autorités leur engagement traduit par des prestations positives. Tandis que les droits de la première génération impliquent la création d'une sphère privée inviolable autrement dit l'abstention de l'état. La célèbre décision relative à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) au cours de laquelle le droit à la santé a été promu au rang des droits constitutionnels est le commencement de cette politique jurisprudentielle. Il en est suivi la consécration des objectifs à valeur constitutionnelle susceptibles de porter des limites à d'autres libertés pour assurer l'ordre public, la sécurité, la tranquillité et la paix publique.

Comme c'est déjà dit, le Conseil concilie ces différentes libertés constitutionnelles sans reconnaitre de valeur hiérarchique formelle entre les différentes composantes du bloc de constitutionnalité. La règle latine « lex posterior derogat priori » unanimement adoptée dans les pays de droit romano-germanique y compris la France n'est pas de mise entre la Déclaration de 1789 et le préambule de 1946 puisque, dit le Conseil, les deux textes ont été votés ensemble par le peuple français en 1958. Le Conseil se sert de sa marge d'appréciation discrétionnaire mais non arbitraire pour associer les droits et libertés constitutionnels divergents.

B. Le caractère non absolu du pouvoir normatif du Conseil constitutionnel

Aussi loin qu'aille le pouvoir normatif du juge, aussi important soit-il, il doit être manié avec retenue pour ne pas succomber dans les travers du gouvernement des juges. Le Conseil d'état français qui a créé presque de manière prétorienne un bon pan du droit administratif français est la preuve que le juge use en général son devoir de réserve pour s'autolimiter. Maître de sa jurisprudence en tant que cour régulatrice, la haute juridiction administrative a toujours fait preuve de cette habilité en exerçant son pouvoir créateur de normes. Le Conseil constitutionnel, dans l'élaboration de sa jurisprudence, n'a pas également fait preuve d'agitation juridictionnelle au sens où il défendrait une idéologie au détriment d'une autre. Les lois, qu'elles soient l'initiative d'une majorité de droite ou de gauche, reçoivent le même traitement jurisprudentiel de la part du juge constitutionnel français ayant comme boussole le bloc de constitutionnalité dans son intégralité et les circonstances de droit et de fait. Par souci de cohérence juridictionnelle, le Conseil constitutionnel est dans un certain sens lié par sa jurisprudence. Ainsi les Sages ont adhéré à l'opinion de leur homologue italien selon laquelle « le contrôle de constitutionnalité doit être contenu dans les limites au-delà desquelles il constituerait une inadmissible ingérence dans la sphère de discrétionnalité politique réservée à l'organe législatif ». Ceci n'insinue aucunement qu'il ne puisse, comme tout juge, opérer un revirement jurisprudentiel. Le Conseil est, en dépit de tout, libre d'infléchir ou de moduler sa jurisprudence dans un sens ou dans un autre en fonction de « sa lecture ou de sa relecture »

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d'une disposition constitutionnelle et des données sociologiques. En revanche, la faculté créatrice du Conseil est tempérée par le lit de justice (1) et par la concurrence avec le président de la république dans son rôle d'interprète de la Constitution (2).

1. Le lit de justice : frein au pouvoir normatif du Conseil constitutionnel

L'expression lit de justice est une survivance de l'ancien régime reprise par le doyen Georges Vedel, également ancien président du Conseil constitutionnel. Il s'agit d'une institution de l'ancienne monarchie de France par laquelle le roi surmontait l'opposition des Parlements. Les Parlements étaient des cours dotées de fonctions judiciaires, mais aussi législatives. Lorsque le roi édictait des lois, celles-ci étaient transmises aux Parlements, qui devaient les enregistrer pour les rendre exécutoires. Si ces Parlements dont la plus célèbre fut celle de Paris s'opposaient aux lois donc au souverain, ils lui adressaient des « remontrances ». Le roi pouvait passer outre en envoyant des « lettres de jussion » mais si celles-ci demeuraient sans effet, il se rendait lui-même au Parlement, ou il s'asseyait sur un « lit de justice » et rendait l'arrêt ordonnant l'enregistrement. Le roi exerçait ainsi sa souveraineté.

Ce « terme de lit de justice » lourd de charges politiques et historiques a été sciemment récupéré par le dit doyen pour expliciter une sorte de barrière que le constituant dérivé peut opposer à une décision du Conseil constitutionnel. Il traduit une flagrante opposition entre le constituant et le juge constitutionnel qui se solde toujours par la victoire du premier. Sa traduction concrète est la modification immédiate autrement dit une révision constitutionnelle qui infirme « de jure » la décision du Conseil constitutionnel. Le doyen Vedel utilisait cette construction théorique pour expliquer que le juge constitutionnel ne s'oppose jamais à la volonté générale et que son contrôle se résume en un contrôle de procédure. En ce sens, une déclaration d'inconstitutionnalité n'avait rien d'anti-démocratique car son but final était de dire à la majorité parlementaire d'emprunter la voie constitutionnelle au lieu de la voie législative. Cette thèse vedelienne autour de laquelle s'est créé sinon une unanimité du moins un consensus est ainsi formulée dans l'avant-propos de la thèse rééditée de Charles Eisenmann :

« Souvent le contrôle de constitutionnalité des lois est, naïvement ou savamment, présenté comme aboutissant à faire prévaloir la volonté du juge contre la volonté générale et, à la limite, comme faisant échec à la démocratie. Mais il ne pourrait en être ainsi que si le juge constitutionnel pourrait imposer un droit supra-constitutionnel. Dans la réalité, il ne peut que se borner à dénoncer une incompétence : ce n'est pas une condamnation de fond qu'il prononce en déclarant une loi contraire à la Constitution. Ce n'est jamais qu'une condamnation de procédure : le contenu de la loi se serait imposé à lui s'il avait fait l'objet d'une révision constitutionnelle. Autrement dit, le refus de promulgation de la loi que la Cour

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constitutionnelle oppose au pouvoir législatif peut toujours être brisé par ce « lit de justice » qu'est la révision constitutionnelle ».

La concrétisation de cette théorie doctrinale s'est opérée par la révision constitutionnelle ayant accouché la loi constitutionnelle n° 93-1256 du 25 novembre 1993. En effet, le pouvoir constituant dérivé s'est réuni à Versailles à cette date pour adopter une disposition législative censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°93-325 DC du 13 aout 1993. A l'occasion de l'adoption de cette dite loi constitutionnelle comportant un seul article, le premier ministre Edouard Balladur, très remonté contre le pouvoir normatif du Conseil constitutionnel, prononce dans un passage de son discours de circonstance à l'endroit des parlementaires :

« De la même manière qu'il est légitime pour le pouvoir législatif de préciser à l'intention des juges administratifs ou judiciaires le sens d'une loi, il est légitime pour le pouvoir constituant, dont vous êtes le dépositaire, de dire lui-même quel est le contenu exact d'une disposition constitutionnelle. Nul n'est aussi qualifié que lui, c'est-à-dire que vous, pour le faire. »

Le doyen Louis Favoreu, dans le prolongement de la théorie de lit de justice du doyen Vedel, a inventé celle du juge constitutionnel « aiguilleur ». Selon celle-ci le Conseil constitutionnel, par une décision d'inconstitutionnalité, ne fait qu'indiquer au pouvoir législatif de prendre la voie constitutionnelle puisqu'il constate l'impraticabilité de la voie ordinaire. Ces deux thèses, s'ils ne rendent pas compte de toutes les susceptibilités et de tout l'ampleur du travail du Conseil, ont le mérite de réfuter habilement la thèse qui oppose la justice constitutionnelle aux présupposés démocratiques étudiés au premier chapitre de notre travail.

La prudence et la sagesse du juge constitutionnel et la possibilité de recourir au « lit de justice » ne sont pas les seules limites au pouvoir du Conseil constitutionnel. Celui-ci ne détient pas le monopole de la sauvegarde et de l'interprétation de la Constitution même en faisant abstraction d'une révision constitutionnelle par la majorité qualifiée à cet effet. En cette matière, les neuf (9) Sages sont ou tout au moins devraient être concurrencés par le locataire de l'Elysée au terme de l'alinéa premier de l'article 5 de la constitution.

2. Le président de la république : garant de la bonne application de la Constitution

Le président de la république est la clef de voûte du système politique instauré sous la 5ème république. En plus de ses prérogatives régaliennes à tire d'exemple diplomatie, défense de l'intégrité du territoire, la Constitution de 1958 le charge de « veiller au respect de la Constitution ». Ce devoir constitutionnel oblige le magistrat suprême à s'approprier des normes constitutionnelles et à les interpréter au besoin. L'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au président de la république et à la majorité

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parlementaire qualifiée sur proposition du premier ministre. En cas de dysfonctionnement institutionnel, il incombe au premier citoyen de la nation de prendre les mesures qui s'imposent selon son appréciation de la lettre et de l'esprit de la Constitution. En pareille circonstance, la Constitution en son article 16, oblige le président de la république à seulement consulter le Conseil constitutionnel. Il lui revient également le pouvoir de prendre l'initiative d'un référendum populaire sous un sujet d'intérêt public. Les spécialistes du droit constitutionnel dénoncent toujours la jurisprudence constante du Conseil selon laquelle il s'abstient de tout contrôle à l'égard d'une loi votée par le biais du processus référendaire au motif que celle-ci reflète l'expression directe de la souveraineté populaire. L'immunité des lois référendaires de toutes natures (ordinaires et constitutionnelles) combinée à la large capacité d'appréciation que la Constitution réserve au premier mandataire de la nation fait de celui-ci une véritable interprète de la constitution et de facto « un juge constitutionnel » mais qui délibère exclusivement par voie de disposition générale quand les circonstances socio-politiques le requièrent.

Ces principes dépassent la personnalité et les convictions idéologiques du président de la république. Ils constituent les fondements institutionnels, politiques et démocratiques de la 5ème république telle qu'elle est ficelée par la Constitution de 1958. Ainsi resserrée dans ses limites selon la formule tocquevillienne, le contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois ci-devant la justice constitutionnelle fait avancer partout où il est adopté et bien apprivoisé la cause de l'état de droit.

§ 2. Le Conseil constitutionnel : instrument de consolidation et d'avancement de l'état de droit

Le Conseil constitutionnel est l'une des institutions qui oeuvrent à la consolidation de l'état de droit en France. Avant le Conseil constitutionnel, dès la troisième république, le Conseil d'état avait commencé à exercer lui aussi cette fonction par la procédure de recours en excès de pouvoir contre les actes administratifs donc infra législatifs. Le contrôle de constitutionnalité des lois, selon la formule de Charles Eisenmann, n'est qu'un test de compatibilité entre les deux plus hauts étages de la pyramide normative. Il est de ce fait une nécessité quasi incontournable pour le règne de l'état de droit au même titre que l'oxygène l'est pour le maintien de la vie. En effet, l'état de droit est caractérisé par une hiérarchie des normes. Les actes administratifs de toutes natures (décrets, arrêtés etc.) doivent être conformes aux lois, lesquelles doivent être en harmonie avec la constitution. Ceci suppose un contrôle de constitutionnalité qui limite le pouvoir législatif et assure l'effectivité de la suprématie de constitution (A). Au-delà de ses finalités hautement sociales, la justice constitutionnelle constitue indéniablement un instrument aux mains de l'opposition ou de la minorité parlementaire (B).

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A. La suprématie de la Constitution

En effet, la notion d'état de droit, d'origine allemande, présuppose une structure institutionnelle dans laquelle la puissance publique ne peut passer outre des normes constitutionnelles stricto sensu et de l'interprétation authentique fournie par le juge constitutionnel. Les normes édictées par la puissance publique sont valides à condition de respecter ou d'être conformes à celles qui leur sont supérieures dont la Constitution selon la théorie kelséniene. Dans un état de droit l'administration, bras actif du pouvoir exécutif, et le pouvoir législatif ne sont pas incontrôlés dans leur fonction respective de mise en oeuvre et d'élaboration des normes régissant la vie publique. L'état pas plus que le citoyen ne peut agir en dehors de la légalité au sens complet du terme qui suppose donc au premier chef la primauté ou la prééminence de la Constitution. De ce fait, le juge constitutionnel devient un maillon d'une importance inestimable dans le système judiciaire indépendant que requiert l'épanouissement d'un état de droit. Il en résulte une rigoureuse cohérence de l'ordre juridique national (1) autour de la Constitution. D'aucuns considèrent ce paramètre comme un facteur de pacification sociale ou servant à perdurer l'ordre démocratique (2).

1. L'unité et la cohérence de l'ordre juridique national

La soumission du législateur aux principes constitutionnels est le gage de la hiérarchie des normes et de la cohérence de l'ordre juridique qui constitue l'un des présupposés obligatoires pour l'établissement de l'état de droit. L'objectif de la justice constitutionnelle est d'assurer la hiérarchie entre les lois ordinaires et la loi-mère. Ce faisant, elle préserve l'unité de l'ordre juridique sous l'égide de la règle ayant la plus haute valeur normative en l'occurrence la Constitution. Etant la norme suprême, la Constitution fonde tout le système kelsénien en plus du fait que la loi strictement parlant c'est-à-dire le texte voté par le parlement tire sa validité d'elle. Sans le contrôle de constitutionnalité, la pyramide normative risque de s'effondrer même si les textes de valeur normative inférieure sont conformes les uns avec les autres. D'où la mise en garde de Kelsen contre toute forme d'angélisme ou de laxisme du droit positif en termes de justice constitutionnelle :

« L'organe législatif se considère dans la réalité comme un créateur libre du droit et non comme un organe d'application du droit, lié par la constitution, alors qu'il l'est théoriquement, bien que dans une mesure relativement restreinte. Ce n'est donc pas sur le Parlement lui-même que l'on peut compter pour réaliser sa subordination à la Constitution. C'est un organe différent de lui, indépendant de lui et par conséquent aussi de toute autorité étatique qu'il faut charger de l'annulation de ses actes inconstitutionnels c'est-à-dire une juridiction ou un tribunal constitutionnel ».

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L'importance de l'unité de l'ordre de l'ordre juridique pour le maitre de Viennes l'obligeait à réfuter le modèle américain de contrôle diffus de constitutionnalité. Non que les juges ordinaires soient inaptes à confronter deux textes mais il voulait à tout prix éviter des interprétations jurisprudentielles différentes ou contraires. En effet le contrôle de constitutionnalité décentralisé tel que pratiqué Outre Atlantique est susceptible de laisser dans l'ordonnancement juridique un texte de loi muni d'interprétations jurisprudentielles concurrentes voire contradictoires. Ce fait est d'autant plus grave puisque, selon le père du normativisme, un texte vierge de toute interprétation jurisprudentielle n'est qu'un ensemble de signes plus ou moins logiques. Le texte adopté par le parlement devient norme seulement après avoir fait l'objet d'une interprétation judiciaire. En dépit du fait que les américains ne connaissent point deux ordres juridictionnels, le risque d'interprétations contraires demeure même dans le cas de deux tribunaux relevant d'une seule et même Cour suprême. Si pour une raison ou pour une autre, la Cour suprême n'a pas été touchée du contentieux constitutionnel pour donner l'ultime et l'authentique interprétation, les tribunaux inférieurs continueront à interpréter différemment la Constitution ou la loi litigieuse.

En revanche, le modèle proposé par Kelsen et adopté dans un premier temps par l'Europe continentale assure la sécurité juridique puisque la décision de l'unique organe compétent en la matière clarifie « in limine litis » le sort de la loi. En effet le contrôle centralisé ou concentré de justice constitutionnelle aboutit à une décision à effet absolu à laquelle aucun autre juge ne peut déroger. La loi bénéficie d'un brevet de constitutionnalité opposable à tout juge et à toute institution si le juge constitutionnel ne la censure pas. Dans le cas contraire, elle n'intègrera jamais en l'état l'ordonnancement juridique puisqu'il n'a pas satisfait « au test de constitutionnalité ». Le risque de deux interprétations jurisprudentielles différentes est inexistant car le contrôle est assuré exclusivement par une instance unique et spécialisée. Le nom de celle-ci importe moins que sa fonction. Les différentes Cours constitutionnelles fournissent un travail quasi-similaire avec celui du Conseil constitutionnel dans le but d'assurer l'unité et la cohérence de l'ordre juridique sous lequel elles évoluent. Elles apportent ainsi leur pierre contributoire à la stabilité socio-politique autrement dit la justice constitutionnelle est un facteur de pacification sociale.

2. Justice constitutionnelle : facteur de pacification sociale

L'état, comme nous l'avons déjà rappelé est le détenteur légitime de l'appareil répressif. Envers toute la collectivité nationale, l'état est redevable des droits- libertés et des droits-créances. Pour ce faire, l'une des branches de l'état en l'occurrence le pouvoir législatif adopte conformément à une procédure prédéterminée des textes de lois opposables à tout citoyen. L'état met en oeuvre sa force et son pouvoir légitime pour punir les contrevenants et leur complice. Tout citoyen ou groupe de citoyens agissant en dehors du cadre légal risque de se heurter à l'autorité de poursuite qu'est le procureur de la république. En revanche aussi

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puissant soit-il, la machine étatique doit se défendre de porter préjudice aux sujets de droit par ses agissements et ses commandements. Cette limite au pouvoir étatique est prévue par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 aout 1789 en son article 2 :

« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sureté, et la résistance à l'oppression ».

La souveraineté a été transférée mais cela n'implique nullement la privation du peuple de toutes ses prérogatives. L'intérêt de la justice constitutionnelle est de contenir l'état dans ses limites en contrecarrant tout programme législatif à visée absolutiste et totalitaire. Ainsi, elle prévient ou rend inutile les révoltes populaires qui se révèlent quelques fois extrêmement incendiaires. Autrement dit, la justice constitutionnelle est l'un des moyens légaux et pacifiques d'éviter que le gouvernement et sa majorité ne sombrent dans la négation des droits élémentaires du peuple souverain. Elle est d'autant plus légitime à exercer cette délimitation qu'elle est elle-même un mécanisme étatique. Malgré les critiques à peine voilées essuyées par le Conseil de la part des membres du pouvoir exécutif et législatif, il reste et demeure l'un des derniers remparts institutionnels contre les abus de pouvoir. Il contrôle l'action législative en l'encadrant au besoin par des réserves d'interprétation méticuleusement explicités. Au-delà de ceci, le Conseil contrôle même l'inaction du législateur grâce à sa jurisprudence qualifiée « d'incompétence négative » unanimement par la doctrine.

La mise en oeuvre du droit constitutionnel de résistance à l'oppression même sous sa forme violente est la résultante de manière générale d'une justice faible et de manière particulière d'une justice constitutionnelle qui ne répond pas à sa vocation. L'oppression du peuple ne se manifeste pas exclusivement par des lois touchant à ses droits civils et politiques. Le législateur peut initier un régime totalitaire dans des domaines apparemment anodins grâce à sa plénitude de compétence. Dans cet ordre d'idées, le théoricien libéral Adam Smith écrivait déjà au 18ème siècle :

« Il ne fait pas de doute qu'un impôt exorbitant, équivalant par exemple, en temps de paix comme en temps de guerre, à la moitié ou même au cinquième de la richesse de la nation, justifierait, comme tout abus caractérisé de pouvoir, la résistance du peuple »58

Cette vertu pacificatrice de la justice constitutionnelle se manifeste encore beaucoup plus lorsque tout justiciable ou tout groupe de pression peut saisir le juge constitutionnel sans trop de restrictions procédurales et de manière concrète.

John Locke, sans le vouloir ou le savoir, a légitimé la justice constitutionnelle par ce long réquisitoire contre le pouvoir législatif ou cet appel à la désobéissance civile :

58 Voir A.SMITH, « Leçon sur la jurisprudence », 1ère édition, Paris, Dalloz-Sirey, 2009

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« (...) chaque fois que les législateurs tentent de saisir et de détruire les biens du peuple ou de le réduire à l'esclavage d'un pouvoir arbitraire, ils entrent en guerre contre lui ; dès lors il est dispensé d'obéir et il n'a plus qu'à se fier au remède que Dieu a donné à tous les hommes contre la force et la violence. Aussi, dès que le pouvoir législatif transgresse cette règle fondamentale de la société, dès que l'ambition, la peur la folie ou la corruption l'incitent à essayer, soit de saisir lui -même une puissance qui le rende absolument maître de la vie des sujets, de leurs libertés et de leurs patrimoines, soit de placer une telle puissance entre les mains d'un tiers, cet abus de confiance le fait déchoir des fonctions d'autorité dont le peuple l'avait chargé à des fins absolument opposées ; le pouvoir fait retour au peuple, qui a le droit de reprendre sa liberté originelle et d'établir telle législature nouvelle que bon lui semble pour assurer sa sureté et sa sécurité, qui sont la fin qu'il poursuit dans l'état social ».

Ainsi compris, la justice constitutionnelle est effectivement « le confort des démocraties modernes » selon la formule de l'éminent constitutionnaliste qu'est le doyen Vedel. De par les fonctions de la justice constitutionnelle précédemment étudiées, il nous est loisible de déduire que non seulement la justice constitutionnelle n'est pas contraire à la démocratie mais qu'elle en est son aboutissement ou l'une de ses expressions les plus concrètes et palpables.

En outre de ses considérations socio-politiques hautement salutaires pour l'intérêt général, la justice constitutionnelle est souvent un instrument aux mains de l'opposition ou de la minorité parlementaire suite à son désaveu électoral.

B. Le Conseil constitutionnel : instrument de défense des droits de l'opposition ou de la minorité parlementaire

Il n'y a aucune contradiction logique à soutenir qu'en démocratie l'unique autorité légitimement investie du pouvoir est précisément la volonté de la majorité proclame le juriste et philosophe argentin Carlos S. Nino. Ce serait nier tous les présupposés démocratiques de prétendre le contraire. Le Conseil constitutionnel ou encore la justice constitutionnelle n'est ni l'allié de la majorité ni celui de la minorité parlementaire. L'enceinte réservée à la lutte politico-politicienne reste et demeure le parlement. Les débats et arguments politiques doivent se métamorphoser en points de droit ou en arguments juridiques une fois arrivés à la rue Montpensier. Le prétoire du juge constitutionnel opère la « juridicisation de la politique »59 au sens propre et au sens procédural du concept. Le doyen Vedel, en sa qualité d'ancien président du Conseil, corrobore ce point de vue en écrivant que le Conseil a posé des « règles permanentes et objectives, susceptibles d'opérer indépendamment de la nature du pouvoir en place, qu'il soit de droite ou de gauche ». Quoi qu'il en soit, la majorité parlementaire impose de droit ses vues, son projet politique et sa vision du monde à la minorité. Cependant la

59 D ROUSSEAU, op.cit., p.520

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politique tout au moins dans un régime démocratique ne saurait être uniquement un rapport de force. Elle se laisse saisir par le droit et implique de ce fait la contradiction, le pluralisme politique (1) et favorise ainsi la perspective d'une alternance politique (2).

1. Le pluralisme politique et les débats contradictoires entre majorité et minoritaire

Kelsen eut à affirmer dans son livre intitulé « La Démocratie .Sa nature -Sa valeur » traduit en français par son disciple Charles Eisenmann que « par définition même, la majorité suppose l'existence d'une minorité ; et par suite, le droit de la majorité suppose le droit d'une minorité à l'existence ». Le professeur des universités, Basile Ridard, nous apprend quant à lui que « la minorité est le pendant conceptuel de la majorité » au cours d'une étude comparative de l'opposition parlementaire en France et au Royaume-Uni. Ces discours et bien d'autres d'origine doctrinale renseignent sur l'importance vitale du pluralisme politique dans un système qui se veut démocratique. Le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la cinquième (5ème) république, conscient d'un vide juridique en cette matière, a fait des propositions permettant d'y remédier. La constitutionnalisation du statut de la minorité parlementaire a été concrétisée à l'occasion de la réforme constitutionnelle de 2008. Le constituant dérivé a également fait injonction à l'assemblée parlementaire de prévoir de manière expresse les prérogatives de la minorité parlementaire par l'introduction de l'article 51-1 qui se lit ainsi :

« Le règlement de chaque assemblée détermine les droits des groupes parlementaires constitués en son sein. Il reconnaît des droits spécifiques aux groupes d'opposition de l'assemblée intéressée ainsi qu'aux groupes minoritaires ».

De ce fait, l'accueil et le traitement des contestations du groupe qui est en infériorité numérique au parlement par le juge constitutionnel est la preuve que celui-ci fait avancer le débat démocratique au-delà du cadre strictement partisan. La célèbre phrase du député socialiste André Laignel en octobre 1981, lors du débat sur les nationalisations à l'Assemblée nationale à l'endroit de la droite minoritaire « Vous avez juridiquement tort car vous êtes politiquement minoritaires » perd son sens lorsque le Conseil constitutionnel est sollicité soit par les autorités politiques de manière abstraite soit par un justiciable lors d'un procès concret depuis 2008. Les minorités politiques et corrélativement les minorités sociales qu'elles représentent peuvent aussi imposer leur vue et leur opinion si celles-ci sont juridiquement solides et défendables. En effet, la crainte d'une majorité éventuellement tyrannique s'est toujours manifestée à travers les prises de position de certains et les publications d'autres. Le théoricien de la démocratie Alexis de Tocqueville, réfléchissant sur le fonctionnement de la démocratie américaine, s'est interrogé en ces termes :

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« Qu'est-ce que donc qu'une majorité prise collectivement, sinon un individu qui a des opinions et le plus souvent des intérêts contraires à un autre individu qu'on nomme la minorité ? Or, si vous admettez qu'un homme revêtu de la toute -puissance peut en abuser contre ses adversaires, pourquoi n'admettez -vous pas la même chose pour une majorité ? »60

Contrairement à une idée reçue, la justice constitutionnelle ne freine pas à tout prix la volonté majoritaire. Elle a seulement pour vocation de ne pas réduire la république en un foyer de pensée unique sous prétexte du principe majoritaire. Autrement dit, elle donne indirectement à la minorité l'occasion de faire la promotion de ses idées et de ses propositions politiques même après la défaite électorale à condition que celles-ci trouvent un point d'ancrage dans la norme constitutionnelle ou dans la jurisprudence constitutionnelle. L'opposition profite ainsi de chaque décision constitutionnelle qui lui est favorable pour se donner du crédit et avoir de la bonne presse auprès de la population à grands renforts de propagande politicienne.

Le Conseil constitutionnel, sans enfreindre l'autonomie des autorités politiques et sans substituer son appréciation de l'opportunité à la leur, sert ainsi de correcteur aux excès et erreurs susceptibles d'être commis par le régime représentatif dont l'unique crédo est la légitimité électorale. Sans renier sous aucune forme les vertus du principe majoritaire, il canalise et jauge les contestations de la minorité en fonction de principes prédéterminés non influençables par le verdict des urnes en soi. Il existe comme en d'autres domaines un « consensus jurisprudentiel » sur la valeur hautement démocratique du pluralisme politique. En témoigne la réitération presque mot pour mot du considérant de principe suivant du Conseil constitutionnel par la haute juridiction administrative dans une décision d'assemblée du 8 avril 2001.61

« Le pluralisme des courants de pensée et d'opinion, dont le pluralisme de l'expression politique est une composante est l'une des conditions de la liberté ainsi garantie et de la démocratie .Il constitue en lui-même un objectif de valeur constitutionnel. »

Sans jamais se départir de son rôle juridictionnel et de plusieurs mécanismes d'autolimitation (décision longuement motivée à visée pédagogique, référence au bloc de constitutionnalité, compétence d'attribution), le Conseil constitutionnel subordonne la vie politique française au droit en sanctionnant les exagérations, fûssent-elles partagées par la majorité. De ce fait, il favorise et régule l'alternance politique sans s'en soucier.

60 A DE TOCQUEVILLE, « De la démocratie en Amérique », op .cit. I, 2, chap. VII.

61 Voir CONSEIL const, n°89-271 DC, 11janv.1990 et COOSEIL d'état, Ass., n°31136, 8 avril 2009 ou plus amplement Voir P DE MONTALIVET, « Libertés d'expression et de communication (dans les médias) » in G DRAGO (dir.), « Chronique de l'observatoire de jurisprudence constitutionnelle », Cahiers du Conseil constitutionnel, 2010, n°28

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2. Justice constitutionnelle et alternance politique

L'étude statistique de la jurisprudence constitutionnelle relève une forte hausse de saisines du Conseil constitutionnel en période d'alternance. L'inflation législative dans le bon sens du terme induit par l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle majorité convertit le Conseil constitutionnel en régulateur des implications juridiques de l'alternance politique. Si l'alternance politique ne peut pas créer à elle seule un changement de politique jurisprudentielle mais elle oriente le type de contentieux constitutionnels susceptibles d'être examinés par le Conseil constitutionnel. En période de basculement du pouvoir à gauche comme ce fut le cas en mai 1981, le Conseil constitutionnel a dû se référer beaucoup plus à la déclaration des droits de l'homme et du citoyen pour neutraliser un peu les initiatives législatives qui sont par définition ou idéologiquement sociales interventionnistes et collectivistes. Quand les rênes du pouvoir sont détenues par une majorité de droite, les Sages utilisent davantage « la Constitution sociale » pour canaliser ou réprimer l'ardeur libérale et individualiste qui irrigue les propositions et les textes de loi. Ainsi, le Conseil constitutionnel garantit et rend effectif le principe d'alternance politique sans se faire le champion ou le partisan d'une idéologie. Louis Favoreu explicitait l'importance du rôle joué par le Conseil constitutionnel pendant la première période d'alternance qu'a connue la cinquième (5ème république) en ces termes 62 :

« Le rôle joué par le Conseil constitutionnel au moment de l'alternance de 1981 a été peu et mal perçu. En réalité lorsqu'on mesurera la portée de la quarantaine de décisions rendues en 1981-1983, on s'apercevra que le processus politique de l'alternance ne se serait pas déroulé de la même manière s'il n'y avait pas un juge constitutionnel ».

Les réserves d'interprétation de toutes natures du Conseil prescrivent une application constitutionnelle des nombreuses réformes législatives de la nouvelle majorité sans désavouer radicalement ou frontalement celles de l'ancienne au cours du processus démocratique d'alternance politique. Une fois reçue du Conseil le brevet de constitutionnalité pour une réforme, le parti au pouvoir peut mettre en mouvement les autres qui lui sont complémentaires en dépit des protestations idéologiques et politiciennes à priori.

Il va sans dire que le Conseil a été facilité dans cette fonction de garant de l'alternance par la réforme de 1974 déjà étudiée dans le cadre de notre travail parce que cette dite réforme offrait même aux acteurs politiques de recourir au Conseil. A chaque fois que l'occasion lui était donnée soit par les quatre plus grandes autorités du pays (Président -Premier Ministre-Président de l'Assemblée nationale ou du sénat) soit par une frange de la minorité parlementaire, le Conseil avait « facilité » la matérialisation de l'alternance politique contrairement à une idée qui était en vogue.

62 L .FAVOREU, « LE Conseil constitutionnel et l'alternance », Revue française de science politique, 1984, n°4-5, résumé

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Favoriser ou réguler l'alternance politique n'insinue nullement que le Conseil ait adhéré à l'opinion du député André Laignel en donnant toujours gain de cause à l'ex opposition du fait qu'il soit devenu « politiquement majoritaire ». On peut corroborer cette affirmation en citant, à titre d'exemple, l'annulation de l'une des principales dispositions législatives sur l'université proposées et votées par les socialistes sous la présidence de François Mitterrand. Il est de mode aussi de rappeler la décision de l'ancien président Nicolas Sarkozy de solliciter vainement l'aide du premier président de la Cour de Cassation après la censure partielle du projet de loi relatif à la rétention de sureté et à la déclaration d'irresponsabilité pour cause de trouble mental par le Conseil dans sa décision du 21 février 2008 pour méconnaissance des principes de séparation des pouvoirs et de l'indépendance du pouvoir judiciaire.

En revanche, l'on peut dire que le Conseil est garant de l'alternance politique puisqu'il ne juge pas de l'opportunité des réformes législatives de la nouvelle majorité quelle que soit leur teneur sauf en cas d'erreur manifeste. Il se garde de restreindre la liberté d'action de l'ex opposition et d'entraver son pouvoir discrétionnaire acquis grâce au verdict des urnes. Sa jurisprudence canalise juridiquement le « changement » politique promis lors de la campagne électorale et votée lors des joutes électorales. Le juge constitutionnel se révèle comme un catalyseur de l'alternance politique au sens où il la facilite et l'encadre sans y prendre part compte tenu de la nature objective et juridictionnelle de son travail. L'éminent juriste Maurice Duverger abonde totalement dans ce sens en établissant clairement les distinctions entre celui-ci et le travail politique de la minorité parlementaire :

« Le pouvoir d'opposition du Conseil constitutionnel n'a pas la même nature que celui du Sénat et de la minorité de l'Assemblée nationale. Le second implique une appréciation toute subjective du contenu de la réforme engagée par la majorité. Le premier vérifie que les lois ainsi votées sont conformes aux règles juridiques dont le respect s'impose à chaque parti pour maintenir la démocratie »63

En faisant du pluralisme des courants d'idée et d'opinion l'une des conditions sine qua none de la démocratie, le Conseil prohibe sans conteste la dictature majoritaire au sein de la société politique française. Il offre indubitablement la possibilité à la minorité d'aujourd'hui d'être la majorité de demain sans jamais renoncer à sa posture de neutralité et d'impartialité malgré le renouvellement du personnel politique. L'épineuse question de la légitimité de la justice constitutionnelle semble être reléguée en second plan vu le changement que son existence et son travail ont suscité sur le paysage politico-institutionnel. Tout au moins, ses fonctions de régulateur de l'activité normative et de protecteur des droits humains conjuguées au discrédit des parlements à l'échelle européenne ont impliqué un changement de paradigme démocratique après la deuxième guerre mondiale.

63 Cité dans M DUV, « La république des citoyens », Paris, Ramsay, 1983, p .273

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Section II. Le changement de « paradigme » démocratique sous l'effet du Conseil constitutionnel

L'implémentation réussie de la justice constitutionnelle en France comme ailleurs a bouleversé l'échiquier politique et a relativisé les données longtemps considérées comme incontestables. Les raisons de ce renversement de situation sont de divers ordres. Les juristes et historiens du droit à l'instar de Louis Favoreu et de Wanda Mastor énumèrent et explicitent les raisons théoriques, politiques, historiques et institutionnelles ayant causé dans un premier temps le succès du modèle kelsénien en Europe et de manière plus générale celui de la justice constitutionnelle dans le monde en second lieu. Toutes ces thèses justificatives renvoient à une nouvelle appréhension du concept de démocratie sous l'effet du travail des juridictions constitutionnelles et à la crise de la démocratie représentative sous sa forme purement parlementaire à l'échelle européenne (§ 1). Tenant compte de l'impossibilité matérielle de retourner à toute forme de démocratie directe comme nous l'avons déjà expliqué, le choix que certains juristes, après Dominique Rousseau, dénomment « démocratie constitutionnelle » a été fait par les différentes nations (§ 2).

§ 1. La crise de la démocratie parlementaire à l'échelle européenne

Tout concourrait à la crise de la démocratie parlementaire telle que conçue par la révolution française à la seconde moitié du 20ème siècle. Cependant, la faillite des principes sur lesquels étaient bâtis ce « régime ou gouvernement d'assemblée » avec le temps constitue ses réelles limites. En effet, la réalité historique et la pratique politique ont mis en exergue l'aboutissement au totalitarisme des régimes parlementaires (B) et la dilution des postulats d'infaillibilité et de vénération de la loi en un mot sa perte de prestige (A).

A. La perte de prestige de la loi

La loi, jadis idolâtrée, a perdu de son estime aux yeux des spécialistes mais aussi dans l'imaginaire collectif. Ceci a précipité la chute de la souveraineté parlementaire et son corollaire qui est la démocratie représentative. Le déclin de la loi contre toute attente est dû à sa complexité croissante et au recours de plus en plus fréquent qu'on y fait. Il en résulte que la loi revêt des caractères nouveaux dans lesquels se diluent« les traits par lesquels la démocratie classique accentuait son prestige »selon le constat de Georges Burdeau. La perte de qualité et le discrédit du texte législatif sont dus, d'une part à ce que les spécialistes qualifient

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d'inflation législative (1). Cette suractivité législative, non sans paradoxe, s'est accompagnée de l'instabilité de la loi pour achever sa désacralisation (2).

1. L'inflation législative

L'augmentation du nombre de lois en valeur absolue et en pourcentage ne résulte pas exclusivement des paramètres nationaux. L'internationalisation du droit par le truchement des accords de toutes natures et de toutes espèces contribue à rendre la loi plus complexe en dépit d'un accès relativement facilité par les nouveaux moyens de communication. Aucun domaine de la vie nationale n'échappe à la coexistence ou la cohabitation des conventions internationales sous la forme de coopération multilatérale ou bilatérale et de la législation nationale. Il faut également ajouter à ce foisonnement de normes législatives la forte et légitime pression de la Cour de justice de l'Union européenne pour transposer les différentes directives européennes dans les délais requis. Tous ces acteurs juridico-politiques influent grandement sur la régulation normative en France comme ailleurs.

En dépit de la jurisprudence constitutionnelle et des voix dissuasives de la doctrine, certaines catégories de Français considèrent encore la loi stricto sensu comme une « panacée » ou une solution contre tous les problèmes. La tradition de légicentrisme, quoique dépassée et affaiblie considérablement, a encore des promoteurs dans la société française. De ce fait, les différentes majorités gouvernementales et parlementaires ne freinent jamais leur appétit législatif soit pour résoudre vraiment en profondeur de nouveaux problèmes soit par manoeuvre politicienne. Il est évident que les mots suivants prononcés par Montaigne demeurent d'actualité :

« Nous avons en France plus de lois que le reste du monde ensemble, et plus qu'il n'en faudrait à régler tous les mondes d'Epicure ».

Le désir immodéré du législateur à tout prévoir va à l'encontre de l'une des caractéristiques auxquelles la loi a valu son prestige et son éclat pendant tout le long parlementarisme français. En outre, cette appétence à légiférer implique malheureusement que les textes de lois perdent amplement de leur portée à cause de la non-normativité ou d'une normativité fugace et « incertaine ». En témoigne, la censure par le juge constitutionnel du 2 de l'article 7 de loi litigieuse relative à l'orientation et au programme pour l'avenir de l'école. Ces dispositions ont été déclarées inconstitutionnelle parce qu'elles « sont manifestement dépourvues de toute portée normative ». En dépit du fait qu'elles soient relativement longues, ces dites dispositions annulées pour inconstitutionnalité illustrent parfaitement l'alourdissement néfaste à l'intelligibilité des textes de loi. Elles se lisent comme suit :

« L'objectif de l'école est la réussite de tous les élèves. Compte tenu de la diversité des élèves, l'école doit reconnaître et promouvoir toutes les formes d'intelligence pour valoriser

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leurs talents. La formation scolaire, sous l'autorité des enseignants et avec l'appui des parents, permet à chaque élève de réaliser le travail et les efforts nécessaires à la mise en valeur et au développement de ses aptitudes, aussi bien intellectuelles que manuelles, artistiques et sportives. Elle contribue à la préparation de son parcours personnel et professionnel ».

Cette jurisprudence réitérée par le Conseil dans sa décision n°2005-512 du 21 avril 2005, apparemment anodine et sans conséquences pratiques, est d'une importance capitale pour lutter contre le risque d'arbitraire des autorités administratives et juridictionnelles dans l'application des textes de loi. En effet, « une loi bavarde », équivoque ou ambigüe par définition prête le flanc à diverses interprétations sinon contradictoires du moins divergentes. De ce fait, les citoyens, les justiciables et l'état de droit même risquent de pâtir des termes flous ou imprécis d'un texte de loi. Conscient de ces éventuelles conséquences néfastes du droit mou, Montesquieu écrivait déjà au 18ème siècle que la loi « ne doit pas contenir d'expressions vagues »64.

La multiplication exponentielle des lois et ses diverses conséquences, pour pernicieuse qu'elles soient, ne sont pas les seuls facteurs provoquant ce qu'il est commode d'appeler la déchéance ou le déclin de la norme législative. Ce phénomène que plus d'un considèrent irréversible est la conjonction d'un série de causes structurelles et conjoncturelles. L'une d'entre elles et non la moindre, loin s'en faut, est l'instabilité que connaît la loi.

2. L'instabilité de la norme législative

La loi devient peut durable puisqu'elle est prise pour une réponse conjoncturelle à un problème ponctuel. A peine une loi est édictée, le législateur s'apprête à préparer une autre relative à la même matière soit pour la modifier soit pour la compléter soit pour l'abroger complètement sous l'effet des pressions de l'opinion publique. Qui pis est, bon nombre de lois ne survivent que le temps d'une majorité au pouvoir. Le temps politique épouse bien souvent le temps de vie des lois auxquelles on prêtait jadis le qualificatif de normes transcendantales c'est-à-dire au-dessus des rivalités de toutes sortes. Les parlementaires et les services gouvernementaux légifèrent au rythme des fluctuations de l'imaginaire collectif dans le but d'être en phase aux désirs de leurs électeurs. Il n'en saurait être autrement, explique encore le constitutionnaliste Georges Burdeau puisque le législateur « substitue son projet à la spontanéité des comportements individuels. » Les situations évènementielles charrient inexorablement leur flot de textes de loi car les gouvernants, pour les « besoins de communication médiatique », ne dérogent point à cette habitude partagée par toutes les familles politiques. Ainsi, la norme législative perd de sa hauteur puisqu'elle cesse d'être l'oeuvre de la raison philosophique du siècle des Lumières pour végéter dans toutes les

64 MONTESQUIEU, « De l'esprit des lois », livre 24, chap.16

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circonstances occasionnelles et politiciennes. Dans le but de freiner cette « boulimie législative », le Conseil constitutionnel se référant à l'article 37 de la Constitution, déclasse ou délégalise les cavaliers législatifs c'est-à-dire des articles figurant « indûment » dans une loi sous demande du chef du gouvernement. Le juriste Guy Carcassonne décrit plaisamment et prudemment en quelques lignes ce phénomène d'instabilité qui gangrène le texte législatif contemporain mieux que l'aient fait plusieurs livres :

« Qu'un homosexuel soit la victime de criminels imbéciles et un projet de loi contre l'homophobie, quoique parfaitement superflu, est aussitôt rédigé et programmé. Qu'un rapport confirme la persistance des inégalités entre les femmes et les hommes et une loi nouvelle, qui n'apportera rien de substantiel est instantanément annoncée »65.

En effet, la loi devient tributaire des effets médiatiques, du calendrier électoral aussi et surtout des sondages publiés par les instituts. Conformément à l'adage « ce qu'une loi a fait, une autre peut le défaire», la législation se multiplie à un rythme effréné et perd de sa durabilité donc de son autorité. A force de descendre ainsi dans « le détail des questions pouvant naître sur chaque matière » au grand dam de Portalis, la loi renie sa grandeur et sa stabilité de l'époque révolutionnaire considérées par le juriste Michel Couderc comme ses vraies « marqueurs génétiques ».

A cette instabilité de la loi en termes de durabilité, l'on ajoutera son émiettement. Elle n'est plus la même sur toute l'étendue du territoire. La réforme constitutionnelle de 2003 a prévu au profit des collectivités territoriales la possibilité de déroger, ne fût-ce à titre expérimental, aux dispositions législatives en vigueur. Certaines collectivités territoriales d'outre-mer ont acquis le pouvoir autonome de légiférer en certaines matières les concernant. La catégorie de lois appelées « lois de pays » en est un exemple probant. Sans porter de jugement de valeur sur ces initiatives visant à adapter la législation des collectivités infra-étatiques à leur réalité sociologique, il est nécessaire de rappeler que le Conseil constitutionnel agit dans le sens de l'égalité des droits et devoirs donc de la démocratie en veillant à ce qu'aucune atteinte ne soit portée aux caractères indivisible et unitaire de la république.

A la condamnation de l'instabilité de la loi, l'on peut être tenté d'objecter que celle-ci ne doit pas non plus scléroser le discours juridique ou le droit positif. Nul ne saurait réfuter cette objection. L'idéalisation de la loi crée les effets autant sinon plus pervers que son instabilité. Dans une société démocratique les lois ne doivent être ni coulées dans le béton ni gravées dans le marbre. Elles doivent tenir compte de l'évolution des besoins de la société pour s'y adapter comme c'est déjà dit au cours de notre travail. Les lois lacunaires doivent être modifiées au besoin ou même abrogées totalement. En revanche, ce qui est préjudiciable à l'état de droit et à la sacralité de la loi au sens générique du terme reste et demeure la banalisation et la succession des initiatives législatives sans même prendre le temps et le soin d'évaluer sereinement donc objectivement l'impact des précédentes initiatives. Le juriste

65 G CARCASSONNE, « Penser la loi », Pouvoirs, n°114, 2005, p.43

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chevronné précité, Guy Carcassonne, dénonce également avec l'humour qui le caractérise cette incohérence sous un chapeau illustratif qu'il nomme « n'importe quoi » en ces termes :

« Légiférer est devenu un réflexe, souvent conditionné par la télévision. Tout sujet d'un « vingt heures » est virtuellement une loi. Un fait divers, une émotion quelconque, mais aussi un problème tangible provoquent une démangeaison législative plus ou moins rapide. La loi est une réponse, à défaut d'être une solution. On légifère d'abord puis, rarement et seulement si l'on n'a rien de plus rentable à faire, on réfléchit ensuite »66.

Le Conseil constitutionnel, sans s'arroger le droit de faire injonction au législateur de légiférer moins, oblige celui-ci à légiférer mieux à travers sa jurisprudence. Les principes constitutionnels d'intelligibilité, de normativité, d'accessibilité et de clarté de la loi sont les directives émises par le Conseil constitutionnel en ce sens. Autrement dit, le juge constitutionnel français encadre la fonction d'édiction des lois du législateur en lui imposant des obligations rédactionnelles sous peine de censure de la loi votée pour inconstitutionnalité.

L'allusion à la déchéance subie par la loi qui fut jadis objet de vénération et de culte a significativement impacté le pouvoir législatif. Cette crise de la démocratie parlementaire et corrélativement l'adoption un peu partout de la justice constitutionnelle après la grande guerre est certes la conséquence de la faillite de la loi. Cependant elle dépasse le changement de statut de la norme législative dans l'imaginaire collectif car elle est la résultante bien plus profonde du soutien ou de la complicité des parlements dans l'instauration des régimes totalitaires à l'échelle européenne.

B. Les régimes totalitaires européens et la justice constitutionnelle

Contrairement aux américains, l'implémentation de la justice constitutionnelle sur le continent européen n'a pas débuté au 19ème siècle. Si l'on excepte des marginales et éphémères tentatives et la création de l'ancêtre des Cours constitutionnelles européennes, c'est-à-dire de la Haute Cour constitutionnelle autrichienne sous l'influence du juriste viennois, Hans Kelsen, en 1920, cette dite implémentation a commencé après la chute des régimes nazies et fascistes sur le continent. Louis Favoreu et son élève Wanda Mastor, expliquant les raisons historiques de la mise en oeuvre du « modèle européen » de la justice constitutionnelle, met en cause à juste titre le parlementarisme qu'ont connu les différents pays européens à des degrés divers en affirmant :

« En outre, le législateur ayant failli à sa mission, on ne craint plus de porter atteinte à sa souveraineté. En se montrant oppresseur, le représentant de la nation lui-même a fait apparaître la nécessité d'être contrôlé ».

66 Ibid., p.40

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En effet si le parlementarisme et son corollaire le légicentrisme ont été les doctrines régnant en France jusqu'à l'avènement de la 5ème république avec la création du Conseil constitutionnel, ce fut le cas presque partout en Europe jusqu'à la fin des atrocités de la seconde guerre mondiale. Comme nous l'avons déjà souligné, la prise de conscience régionale du fait que ce régime gouvernemental a été à la base de tant de cruautés jointe à un travail doctrinal colossal ont renversé la tendance vers le constitutionnalisme et le développement progressif de la justice constitutionnelle sur des rythmes différents selon la culture juridique et l'histoire particulière de chaque pays. Il était hors question après la seconde guerre mondiale de perpétuer le discours assimilant la volonté parlementaire ou la volonté majoritaire à la volonté générale et également ceux relatifs à l'infaillibilité de la loi et du parlement. La justice constitutionnelle a été sommée par les nouvelles démocraties et par les différentes constitutions post-totalitaires à éviter de nouvelles déviations parlementaires et à protéger les droits individuels avant que le droit positif n'élargisse ses fonctions au-delà de ce rôle de contre-pouvoir. Le juriste Michel Fromont, en soulignant les dates d'adoption ou de consolidation de la justice constitutionnelle encore appelée contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois dans les pays d'Europe occidentale rapporte comme suit :

« Ce contrôle a été introduit en Italie (1947), en Allemagne (1949) ; en Autriche (création révision de 1975), en Espagne (1978) et en Belgique (révision de 1988) ».

La justice constitutionnelle a été également accueillie en Europe centrale et Europe orientale après la chute du communisme qui lui aussi constitue en sa façon une autre forme de régime dictatorial et totalitaire. Si certains pays de ces deux sous-régions, à l'instar de la Yougoslavie et la Pologne, ont institué ce mécanisme juridictionnel avant l'effondrement définitif de ce dit régime, quasiment tous ces pays l'ont adopté ou renforcé après la chute du mur de Berlin soit en 1989/1990. Ils ont pour la plupart réceptionné le modèle européen ou kelsénien de justice constitutionnelle en conférant cette fonction à une juridiction spécialisée moyennant quelques aménagements procéduraux.

Le processus démocratique ayant été substitué au parti unique et la pensée unique dans ces anciens pays à tendance marxiste s'est appuyé sur la justice constitutionnelle. Une fois le dogme de l'homogénéisation sociale disparu, quasiment toutes les nouvelles démocraties de l'Europe orientale et centrale ont fait dans un laps de temps très restreint ce choix constitutionnel dans le but de consolider leur nouveau régime politique plus ou moins libéral. Il nous est loisible de citer en ce sens, après les historiens du droit européen, « les constituions de 1991 de la Bulgarie, la Roumanie, la Slovénie, les constitutions de 1992 de l'Estonie, la République tchèque, la Slovaquie, la Lituanie, la Slovaquie, et le renforcement de la constitution polonaise de 1997 ». Au total, l'adoption de la justice constitutionnelle est une constance dans les pays qui s'engagent dans une logique de restructurations démocratiques puisque le continent africain et l'Amérique latine n'y ont pas échappé après la décolonisation ou le renversement des différents régimes dictatoriaux. Ce mouvement uniforme, loin s'en faut, n'a jamais gommé les particularités et la coutume sous-régionales ou nationales. S'inspirant des modèles venant des USA et de l'Europe occidentale, ces pays ont adopté le

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mécanisme juridictionnel de justice constitutionnelle en fonction des paramètres nationaux comme c'est déjà souligné. Le témoignage du juriste lituanien, Egidius Jarasiunas, professeur à l'Université Mykolas Romeris, ancien juge à la Cour constitutionnelle de Lituanie, est très édifiant en ce qu'il surgit sous la plume d'un acteur et observateur privilégiés de ce processus de substitution de la justice constitutionnelle au totalitarisme. Ce dernier eut à écrire :

« Après la chute du système socialiste l'institut de la justice constitutionnelle s'enracine dans les pays de l'Europe centrale et orientale. Le raccord des années 80-90 du 20ème siècle - c'est une époque de la renaissance du constitutionalisme et de l'émergence de la justice constitutionnelle dans les pays de l'Europe centrale et orientale »67.

§ 2. De la démocratie parlementaire à la démocratie constitutionnelle

L'avènement et le développement de la justice constitutionnelle en Europe plus précisément en France, pays pétri de légicentrisme, a bouleversé le schéma politique tracé. En effet, sans supprimer la légitimité du législateur, le juge constitutionnel dénie le postulat de la doctrine de démocratie représentative qui assimilait la volonté de la majorité parlementaire issue des élections à la volonté populaire. Pour autant, la pratique de la justice constitutionnelle et ses fonctions protectrices des droits de l'homme, régulatrices de la vie politique, font d'elle un élément d'approfondissement ou même de renforcement de la démocratie. Les constitutionnalistes à l'instar du doyen Vedel, pensent même que la justice constitutionnelle est le faîte ou l'apothéose des démocraties modernes. En dépit de ce fait, demeurent dans les esprits et les écrits des contradicteurs le réflexe de l'antagonisme entre la justice constitutionnelle et la démocratie. Contrairement à cette conclusion euphorique et très superficielle, nous optons, comme plus d'un, à une redéfinition du concept de démocratie (A) dans le but de l'allier à ce mécanisme juridictionnel hautement utile et éthique. Cette restructuration ou ce renouvellement conceptuel enfantera et légitimera à son tour une autre forme de gouvernance que nous appellerons, après le chevronné constitutionnaliste Dominique Rousseau, entre autres, la démocratie constitutionnelle (B).

A. La redéfinition du concept de démocratie

Les nouvelles donnes politico-institutionnelles imposent de repenser la démocratie. L'assujettissement de la politique au droit nous oblige à la remodeler ou même à la réinventer. La prise en compte de l'idée qu'il faut rendre effectif la suprématie des normes

67 Egidijus Jarasiunas, « Quelques considérations sur l'implantation réussie de la justice constitutionnelle à la fin du XXème siècle : le cas de Lituanie », p .4-5

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constitutionnelles et qu'il faut que les droits fondamentaux cessent d'être des formules incantatoires pour être défendus au sens premier du terme par des juges constitutionnels dépassent les présupposés classiques de la démocratie traditionnelle. Cette impérieuse nécessité définitionnelle trouve écho dorénavant chez les juristes au même titre que la philosophie politique. En témoigne cette auto -questionnement du constitutionnaliste et universitaire Stéphane Pinon

« A l'heure où la démocratie est devenue le support naturel de l'état de droit, où les mécanismes de contrôle de constitutionnalité se sont imposés presque partout comme des évidences, où l'idée d'un emploi légitime du pouvoir supplante celles des sources, est-il satisfaisant de confiner la démocratie dans une définition élémentaire ?68

Ce travail de redéfinition est d'autant plus faisable puisque la démocratie elle-même s'est révélée historiquement un concept dynamique et changeant (1). Son adaptation avec la nouvelle réalité politico-institutionnelle à laquelle figure en première ligne la justice constitutionnelle est de ce fait souhaitable et réalisable (2).

1. La démocratie : un concept changeant

La définition étymologique du concept démocratie (demos : peuple ; cratos : pouvoir), prise dans toute sa rigueur, ne saurait souffrir de mécanismes de représentations tels que l'assemblée nationale et de manière plus globale l'institution parlementaire. Cependant, le réalisme politique et le rapport des forces conjugués à la faculté évolutive de la notion de démocratie ont valu à l'histoire politique française deux siècles de parlementarisme sous sa forme la plus dure et pure. Autrement dit, la démocratie athénienne, hautement critiquée et assimilée à la tyrannie de la plèbe et au populisme, avait cédé sa place à la démocratie représentative. Il s'en est suivi tout un flot de concepts et de théories légitimant cette vision politique ou cette forme de gouvernance démocratique. L'élection a fait des représentants les exclusifs détenteurs du pouvoir de vouloir et de décider au nom de la nation. De ce fait les délibérations législatives de ces derniers étaient incontestables comme nous l'avons souligné dans nos propos introductifs. Cette logique démocratique a été acceptée et même adulée dès la fin du 18ème siècle en France et en Europe jusqu'à ce qu'il démontre ses limites inhérentes au cours de la seconde guerre mondiale.

Au gré de la vision politique dominante, l'on est passé d'un stade démocratique à un autre. Le concept, pour reprendre l'un des auteurs précités, « s'est révélé et renouvelé au fil d'un tâtonnement qui n'a cessé d'en infléchir les voies et d'en enrichir les formes »69. Cette

68 S.PINON, « La notion de démocratie dans la doctrine constitutionnelle française », Politeia,

n°10, 2006, p. 447

69 Ibid.

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mutation démocratique sans renier l'origine populaire du pouvoir lui a trouvé et insufflé une autre mode d'expression. La souveraineté populaire a été soigneusement et habilement supplantée par la souveraineté parlementaire. La doctrine, les acteurs politiques et l'opinion publique ont oeuvré pour rendre naturelle et légitime cette nouvelle forme de représentation populaire qu'est la démocratie représentative en France comme ailleurs. En d'autres termes, tout a été mis en oeuvre pour accompagner ce saut de la démocratie jugé qualitatif par les défenseurs du régime représentatif légué par la révolution. Pour être convaincu de ce dévouement sans réserve à la cause de la démocratie représentative, il suffit de relire les propos du professeur et agrégé de droit constitutionnel Jean Hippolyte Emmanuel Esmein, dit Adhémar Esmein dans ses « Eléments de droit constitutionnel français et comparé » publiés à la fin du 19ème siècle plus précisément en 1896. Dans un premier temps, celui-ci a avili l'ancien visage de démocratie en le rapprochant froidement avec un système monarchique en écrivant que « le gouvernement direct est le génie même de la monarchie pure ». Ensuite, dans le dessein de glorifier l'évolution vers la nouvelle figure représentative épousée par le concept démocratie, Adhémar Esmein poursuit sa réflexion aussi froidement et partialement qu'elle l'avait enclenchée en affirmant cette fois-ci :

« Cette représentation est conçue, non comme un succédané du gouvernement direct de la nation par elle-même, mais comme un système de gouvernement préférable à celui-ci (...). Lui seul peut assurer une législation éclairée, soigneusement préparée et utilement discutée, comme seul il peut procurer l'application intelligente et continue des lois. Aussi, dans ce système, la nation en masse, c'est-à-dire le déléguant, est-elle considérée comme légalement et naturellement incapable d'intervenir par elle-même en aucun des actes qu'accomplissent ses délégués, c'est-à-dire les pouvoirs constitués »70.

Ainsi furent soutenus la versatilité et le dynamisme du concept démocratie traduits par son passage de la forme directe à la « magie représentative » et ses corollaires. Notre propos ne consiste pas à porter de jugement de valeur sur la démocratie directe ou la démocratie représentative ou sur les discours qui les avaient légitimés chacune à son tour à un moment de l'histoire. Aucun de ces deux (2) étapes de l'évolution définitionnelle de la notion de démocratie n'est en soi bonne ou mauvaise. Elles n'ont été que des constructions théoriques élaborées dans l'objectif de refléter la réalité politique et institutionnelle à des moments différents et bien précis de l'histoire de l'humanité. En revanche, il est loisible que cette même énergie soit mise en action pour légitimer les nouveaux mécanismes institutionnels et juridictionnels contemporains dont la justice constitutionnelle en se servant encore de la faculté évolutive et de l'adaptabilité de la démocratie.

70A ESMEIN, « Deux formes de gouvernement », R.D.P, 1894, p.16-17

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2. La nécessité d'adaptabilité du discours démocratique avec la justice constitutionnelle

Le développement de la justice constitutionnelle en France comme ailleurs est « un fait social » pour paraphraser le sociologue Emile Durkheim. Son utilité à la cause de l'état de droit et à la sauvegarde des libertés individuelles n'est plus à démontrer. Rares sont les pays qui ont fait l'économie de cet outil juridictionnel régulateur et ordonnateur de l'appareil normatif. « La tentative des pays de l'Europe centrale et orientale de consolider le constitutionnalisme moderne pendant une période très courte est une expérience, dont la signification dépasse les frontières nationales » nous apprend le juriste précité Egidijus Jarasiunas. Le constitutionnaliste, Michel Fromont, dresse un bilan historique et chronologique de la justice constitutionnelle dans son livre intitulé « La justice constitutionnelle dans le monde ». Au cours de cette publication, celui-ci aborde à grand renfort de dates précises la naissance de la justice constitutionnelle aux USA, l'apparition et la consolidation du modèle européen de justice constitutionnelle et la réception partielle de la typologie américaine ou européenne de justice constitutionnelle en Amérique latine en Afrique et hors de l'Europe. Tout compte fait, cet instrument est récupéré au-delà des sous-continents et des continents. Cette adoption qui défie presque toutes les lois spatiales autrement dit l'universalisation de la justice constitutionnelle ne va pas aussi vite que sa démocratisation selon ses détracteurs. Michel Troper, juriste de renom, place ce dilemme dans son contexte et identifie même les éléments de solution dans un passage d'un article publié en 1995 en ces termes :

« Le problème qu'il s'agit de résoudre est en effet aussi vieux que le contrôle de constitutionnalité lui-même : est-il compatible avec la démocratie ? Si le contrôle de constitutionnalité s'exerce sur les lois et si l'on définit la démocratie comme la forme de gouvernement dans lequel les lois sont faites par le peuple ou ses élus, la réponse ne saurait être que négative. C'est pourquoi toute tentative de conciliation dépend d'une redéfinition des concepts en présence »71.

Nul ne pourrait sérieusement contester l'importance de la tenue des élections libres et transparentes pour le processus démocratique et même pour « l'assainissement de la vie et de la compétition politiques ». Cependant, tout un chacun s'accorde à dire que la démocratie ne saurait être exclusivement abordée sous sa forme élective. Le juge constitutionnel indépendamment des modalités constitutionnelles et de la procédure de sa nomination joue un rôle indispensable dans la santé démocratique d'un pays. D'où l'impérieux nécessité de produire un discours démocratique superposable sans encombres avec cette réalité juridictionnelle mondiale. Le Conseil constitutionnel, si l'on s'en tient uniquement à la

71 M TROPER, « Démocratie continue et justice constitutionnelle », in D ROUSSEAU (dir.), « La démocratie continue », LGDJ-Bruylant, 1995, p.22

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France, a fourni les matériaux théorico-conceptuels pour cet ultime renouvellement ou ce rajeunissement démocratique tout au long de sa jurisprudence.

Comme il l'a fait dans le temps pour d'autres institutions, le discours démocratique d'où qu'il vienne doit prendre acte du point de non-retour atteint par la justice constitutionnelle afin de se remodeler ou de se reconstruire en conséquence. La justice constitutionnelle, faute d'être obligatoire ou consubstantielle à un régime démocratique, le sert au même titre que l'institution électorale. Autrement dit, la justice constitutionnelle, à elle seule, encore plus lorsqu'elle est exercée exclusivement de manière abstraite comme ce fut longtemps le cas en France, ne suffit pas à démocratiser un pays. Cependant, elle renforce considérablement tout apprentissage ou toute vie démocratique si elle est complémentaire d'un appareil électoral crédible, d'une justice ordinaire indépendante et professionnelle, d'une presse libre et équilibrée et d'une minorité parlementaire ou sociale attentive à la protection de ses droits et soucieuse de respecter ceux de la majorité. En ce sens, comme nous l'avons signalé plus haut, elle commande à une innovante et substantielle appréhension de la démocratie. Renforcer ou dépasser la dimension élective de la démocratie ne signifie aucunement la négation du postulat qui veut que tout pouvoir soit l'émanation du peuple souverain. Ceci dénote de préférence d'une complémentarité à nul autre pareil expliquée ainsi par la doctrine :

« Si la démocratie, c'est la loi de la majorité plus le respect des libertés et droits de l'homme, deux institutions sont également légitimes : celle qui trouve son fondement dans l'élection, et celle qui le trouve dans la défense et la protection des libertés ; autrement dit, ensemble, et la figure du Représentant et la figure du Juge constitutionnel ».

Malgré les réserves d'une large frange de la doctrine et les réticences enregistrées ici et là, la régénération de la démocratie ou encore son adaptation à la poussée mondiale et irréversible de la justice constitutionnelle a été accomplie non par des philosophes mais sous la plume des juristes tels que Louis Favoreu et Dominique Rousseau dans le sillage de Michel Troper et du précurseur du modèle européen en l'occurrence Hans Kelsen. Ce renouvellement s'est traduit matériellement par le passage de la démocratie purement représentative à la démocratie constitutionnelle.

B. De la démocratie représentative à la démocratie constitutionnelle

Le professeur Dominique Rousseau résume de la manière suivante la transmutation de la démocratie :

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« L'ancienne représentation de la démocratie pouvait se résumer par la formule « la démocratie par la loi, la nouvelle peut s'exprimer par la formule la démocratie par la Constitution »72.

Fidèle à cette démarche comparative, nous pouvons affirmer que la démocratie constitutionnelle est à la fois la rupture et l'approfondissement de la démocratie représentative telle que théorisée par les pères de la révolution. Elle rompt définitivement et irrémédiablement avec le dogme de l'infaillibilité de la loi. Le respect de la loi n'est plus absolu mais conditionné. Conséquemment, la nouvelle forme de démocratie nie toute assimilation de la volonté parlementaire à la volonté générale. Les parlementaires sont considérés comme les délégués élus donc les subalternes du peuple souverain et non son « égal ». Le juge constitutionnel, l'un des acteurs influents de la démocratie constitutionnelle, vérifie continuellement si le travail législatif, les délibérations législatives sont en conformité à la volonté du souverain exprimée non plus dans la loi mais dans le « pacte social » fondateur qu'est la Constitution.

Les divergences entre l'ancienne et la nouvelle forme de démocratie vont au-delà de ces considérations précitées. La démocratie constitutionnelle n'est pas exclusive à l'instar de sa devancière. Elle n'est pas monopolistique en ce sens qu'elle intègre trois acteurs dans le processus d'énonciation de la volonté générale au lieu d'en donner l'exclusivité aux députés et sénateurs élus. Elle n'est ou en tout cas ne doit être ni la dictature ni le gouvernement des juges. A la majorité parlementaire et l'exécutif bien souvent monolithiques et confondus à cause du bipartisme ou des alliances politiques conjoncturelles, la démocratie constitutionnelle ajoute le juge constitutionnel qui sert d'ultime filtre à l'oeuvre des élus. Celle-ci ne fait pas de l'élection l'alpha et l'oméga de tout. Les pouvoirs des élus sont bornés et encadrés par une constitution formelle donc écrite à laquelle se réfère le Conseil constitutionnel pour garantir les droits des citoyens, des associations et des regroupements de citoyens. Stéphane Pinon, l'un des juristes promoteurs de la démocratie par la constitution encore appelée démocratie constitutionnelle affirme nonobstant les controverses :

« L'élection n'est pas, en soi ou nécessairement, le principe unique et exclusif, suffisant et distinctif de la démocratie ; elle n'a pas été et elle n'est pas le seul mode de participation populaire à l'exercice du pouvoir, le seul ressort de la légitimité démocratique »73.

La démocratie constitutionnelle conformément à sa dénomination ne se fonde pas exclusivement sur des arguments politiques. Ceux-ci sont confrontés aux raisonnements juridiques et sociologiques. Le juge constitutionnel vérifie toujours l'acuité juridique des textes législatifs par rapport à des principes non teintés de juridisme mais alliant la réalité socio-anthropologique, les acquis jurisprudentiels et le pur droit au sens kelsénien de la

72 D ROUSSEAU, « Droit du contentieux constitutionnel », op.cit., p.489

73 Cité par S PINON, « La notion de démocratie constitutionnelle dans la doctrine française », op.cit, p.452

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notion. La délibération du juge, dans un régime de démocratie constitutionnelle, se fait après un échange argumentatif entre la majorité et l'opposition et en tenant compte de l'avis du savant au sens que Max Weber donnait à cette notion c'est-à-dire l'intellectuel ou plus précisément la doctrine désintéressée, libre donc objective dans leur analyse et leur critique. La décision issue de cette pratique délibérative engageant divers acteurs n'est pas pour autant figée et irrévocable. Elle reste éternellement objet de questionnements et de discussions et peut être modifiée si les paramètres factuels et juridiques varient sous l'influence du temps. Ce phénomène est appelé revirement jurisprudentiel par les spécialistes.

Il va sans dire que le peuple souverain, à défaut de participer en bloc à toutes les délibérations, est mieux protégé dans un régime de démocratie constitutionnelle. Ses membres peuvent individuellement défendre leurs prérogatives à défaut de pouvoir participer en tant que corps constitué à toutes les décisions et délibérations les intéressant dans un régime de démocratie constitutionnelle. Il n'est pas osé de prétendre de ce fait que la démocratie constitutionnelle est une sorte de « démocratisation de la démocratie ». Elle résiste à toutes formes de tentatives réductionnistes de la liberté populaire ou de l'espace privé des citoyens et à toutes manoeuvres confiscatoires du pouvoir du peuple par ses délégués élus. En dehors des périodes électorales, elle offre à la population « un droit de regard » et de critique sur l'usage que font ses représentants ou ses « commis » de son pouvoir. « La logique de la démocratie constitutionnelle, expliquent ses adeptes, n'est pas de donner le pouvoir décisionnel (...) à la ou aux minorité(s)! Elle est de leur offrir la faculté de continuer à intervenir, entre deux moments électoraux, dans le processus de formation de la volonté générale en contraignant la majorité à prendre au sérieux leurs points de vue, à en délibérer et, le cas échéant, à les intégrer dans la décision finale »74.

La démocratie constitutionnelle ne s'inscrit pas non plus dans une dynamique révolutionnaire au sens commun du terme. Elle ne vise pas à un renversement de toutes les structures institutionnelles et de tous les mécanismes de gouvernabilité mis en place par la démocratie représentative. Autrement dit, sa vocation n'est pas d'ériger en lieu et place du parlement une autre institution dominante ou une autre structure détentrice à elle seule de la capacité de parler au nom du souverain. Elle est de préférence un mode de gouvernance décentralisée et réformiste. Elle reconnaît à l'instar de la démocratie représentative la légitimité incontestable des représentants élus à proposer, à réformer en un mot à diriger le pays. Le seul tempérament qu'il porte à cette faculté d'autodétermination des représentants élus est la prééminence de la Constitution ou du bloc de constitutionnalité telle que l'interprète en dernier ressort le juge constitutionnel ou le Conseil constitutionnel s'agissant du cas de la France. En ce sens, l'on peut affirmer que la démocratie constitutionnelle est également un approfondissement de la démocratie représentative ou de la démocratie parlementaire. La définition suivante tirée des écrits du précurseur tout au moins du défenseur infaillible de cette forme de démocratie réactualisée en l'occurrence, le professeur Dominique Rousseau, corrobore nos propos :

74 Ibid., p.452

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« La démocratie constitutionnelle définit un au-delà de la représentation non parce qu'elle la supprimerait mais parce qu'elle la transforme et élargit l'espace de participation populaire en inventant des formes particulières permettant à l'opinion d'exercer un travail politique : le contrôle continu et effectif, en dehors des moments électoraux, de l'action des gouvernants »75.

75 D ROUSSEAU, « La justice constitutionnelle en Europe », 3ème édition, Paris, Montchrestien, 1998, p.154

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Conclusion

Conclusion

Sous l'effet de la justice constitutionnelle, en France comme ailleurs, toutes les branches du droit ont été constitutionnalisées. La constitution, jadis « réservée » aux professeurs de droit et au juge constitutionnel, devient l'un des livres de chevet de tous les avocats. La création de la nouvelle voie de droit qu'est la question prioritaire de constitutionnalité a renforcé ce phénomène de juridictionnalisation de la norme fondamentale puisqu'elle oblige tous les acteurs du monde juridique français indistinctement à la pratique de la justice constitutionnelle à un titre ou à un autre. Tous les juges peuvent de nos jours au moins analyser le bien fondé d'un dossier de contentieux constitutionnel pour le renvoyer ou non à la Cour de cassation ou au Conseil d'état.

Au lieu de constituer un échec à la démocratie, la justice constitutionnelle fait partie intégrante des techniques et usages qui permettent de mesurer le niveau d'engagement démocratique des décideurs ou des gouvernants contemporains. L'expansion de la justice constitutionnelle d'une nation est proportionnelle à son niveau d'avancement sur le plan démocratique. Plus personne ne peut avancer sérieusement la thèse qui oppose radicalement et totalement la justice constitutionnelle et la démocratie représentative. Le Conseil constitutionnel français, à l'instar des autres juridictions constitutionnelles dans le monde, est une institution importante de régulation de la vie politique et de renforcement permanente du processus démocratique par sa jurisprudence. Il est également une structure institutionnelle vitale pour la bonne marche de la société française au même titre que le Conseil d'état et la Cour de cassation malgré sa relative jeunesse face à ces deux cours suprêmes de la hiérarchie judiciaire française. En dépit des efforts continus du Conseil constitutionnel, il reste des avancées dans le sens de la juridictionnalisation du contrôle à priori. Si la question prioritaire de constitutionnalité respecte tous les canons procéduraux, le contrôle abstrait souffre encore de la pesanteur des premières années du Conseil constitutionnel. Le mode de nomination des conseillers constitutionnels peut également être amélioré pour que le Conseil constitutionnel réduise la marge qui le sépare d'une cour constitutionnelle comme la Cour de Karlsruhe de la république fédérale d'Allemagne. Malgré le désaccord du doyen Vedel sur ce sujet, nous pensons que le Conseil constitutionnel remplira encore mieux sa fonction pédagogique s'il accepte de publier les opinions dissidentes et concurrentes des conseillers au même moment que la décision officielle à l'instar de la Cour Suprême des Etats-Unis. Il va de soi que cette pratique porterait atteinte au devoir sacro-saint de réserve auquel sont astreints les membres de la fonction judiciaire française. Cependant, ce « reniement » constitue l'une des voies privilégiées si le Conseil constitutionnel veut être l'émule des plus respectables et rayonnantes juridictions constitutionnelles du monde contemporain. Sans faire écho à la notion polémique de « gouvernement des juges » introduite par Edouard Lambert dans la littérature juridique française, nous condamnons, après la doctrine majoritaire, toutes formes d'activisme

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Conclusion

juridictionnel qui franchiraient les bornes de la justice constitutionnelle pour permettre aux juges d'imposer leur vision du monde ou leur sensibilité politique. Tout compte fait, si la perversion de la justice constitutionnelle est préjudiciable à la démocratie, une justice constitutionnelle, « resserrée » dans les limites selon la formule de Tocqueville ne peut qu'être un mécanisme au service des droits humains et de la démocratie partout où elle est ainsi pratiquée.

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3. Articles d'ouvrages

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BOULET M, « Questions prioritaires de constitutionnalité et réserves d'interprétation », R.F.D.A., 2011, n°4, p.753

BRUNET P, « Le Juge constitutionnel est-il un juge comme les autres ? Réflexions méthodologiques sur la justice constitutionnelle » in JOUANJAN O (dir.), « La notion de justice constitutionnelle », 1ère édition, Dalloz, 2005, p.135

CANO N-B, « Le contentieux mixte initié par la question préjudicielle de constitutionnalité en droit comparé européen » in PAULIAT H (al), « Le justiciable et la protection de ses droits fondamentaux : la question prioritaire de constitutionnalité », 1ère édition, Presses Universitaires de Limoges, 2011, p.21

COHEN-SEAT N.B, « Le point de vue d'un parlementaire face à la réforme » in PAULIAT H (al), « Le justiciable et la protection de ses droits fondamentaux : la question prioritaire de constitutionnalité » ,1ère édition, Presses Universitaires de Limoges, 2011, p.85

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4. Articles en ligne

ROUSSEAU D, « Constitutionnalisme et démocratie », Sept.2008, la vie des idées.fr PAULUS J, « Histoire de la démocratie », Nov.2007, www.territoires-memoire.be

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5. Documents officiels

Rapport du comité consultatif pour la révision de la Constitution remis au président de la République le 15-02-1993 ; JORF : n° 39 du 16-02-1993

Rapport du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la 5ème république remis au président de la République le 29-10-2007 ; JORF : n° 0055 du 06-03-2009

Rapport préparé par le Conseil constitutionnel à l'occasion de la 3ème conférence des Chefs d'institution de membres de l'Association des Cours constitutionnelles ayant en Partage l'Usage du Français à Sarajevo les 18 et 19 mars 2000

Rapport du Conseil constitutionnel français à l'occasion du 150ème anniversaire de l'Etat fédéral suisse présenté par Yves GUENA le 13 juin 1998

Rapport du Conseil constitutionnel présenté à l'occasion des rencontres constitutionnelles franco-roumaines les 1er et 2 octobre 1998

Publication élaborée par l'Union interparlementaire (La Démocratie : Principes et réalisation) en 1998






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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci