II. Analyse des photographies liées à
l'expérience d' Océan Pacifique:
La variété et la singularité des
propositions inférentielles de ces 8 visiteurs ont été
très riches concernant l'évocation de la diversité des
champs culturels présents au sein des images choisies (Annexe 72 p.
59).
En effet, du point de vue des regroupements que j'ai
effectués, la « perspective contemplative » semble être
l'un des principaux moteurs perceptifs et émotionnels de bon nombre de
ces visiteurs.
88
C'est le cas du visiteur n° 3 avec
Jetée, du visiteur n° 4 avec Mer de
brouillard et du visiteur n° 8 avec Coucher de soleil.
Ils se sont semble-t-il, projetés dans une expérience de
contemplation similaire à celle vécue devant un paysage.
Visiteur n°3 -- Isabelle: «
Jetée »
« Tu vois... là, m'a-t-elle répondu,
j'ai l'impression devoir une jetée! » en me montrant du doigt
certains traits assez sombres de la surface du dessin mural. « On
dirait la mer, avec l'horizon. Ça me plaît bien, c'est comme si
j'étais devant un paysage de Penvins (station balnéaire du
Morbihan) par mauvais temps, quand la côte est sombre! »
Visiteur n° 4 -- Gilles : « Mer de
brouillard »
« La grande, centrale, avec un lino orange devant.
Ça peut être un mélange de sable, de nuages ou de
brouillard, ça a un côté reposant, apaisant. »
« Autant la première, ouais... là-bas
(Océan Pacifique), oui très belle, très agréable...
»
« J'y vois beaucoup de choses... le reflet de la mer,
les nuages, le sable. C'est calme, c'est reposant, c'est sympa ! »
Visiteur n° 8 -- Marjorie: « Coucher
de soleil »
«... Je sais pas, on pourrait imaginer de l'eau avec
des rochers... avec un peu de nuages, et voilà... » Elle a mis sa
main derrière le cou comme pour exprimer une gêne, et s'est mise
à rire: « Ouais, je vois de l'eau avec des rochers et après
l'éloignement, on voit que le tableau s'éloigne petit à
petit et après, y a une barre (une portion du dessin) pour
représenter le ciel et les nuages... un peu. Peut-être le coucher
de soleil (...)... Pour moi, je vois des traces et après, du coup
ça part dans ce sens-là... » m'a-t-elle décrit
d'un geste des mains exprimant le recul et l'éloignement progressif du
soleil : « Ce serait le mouvement du soleil, avec les reflets sur
l'eau... voilà ! »
De façon plus abstraite et orientée vers la
méditation, l'expérience du visiteur n° 6 avec
« La terre est bleue comme une orange134»
et Mandala, développe un rapport à
l'oeuvre proche de l'intériorisation mentale de cet état de
contemplation.
Visiteur n° 6 -- Kevin: « La terre
est bleue comme une orange »
« Ça peut être un espace pas mal pour la
méditation, parce que c'est assez reposant comme image. Le orange, c'est
quelque chose qui est vachement expressif dans les couleurs chaudes: c'est la
joie, c'est pas mal de choses... C'est le soleil aussi... Après, bah!
» Il s'est retourné vers la série Tempête
orange: « dans les chakras, je crois que ça se situe au
niveau du ventre, je crois ! »
Je tiens à préciser que Mandala
est une image choisie durant notre trajet en tramway, a posteriori de
la visite, dans le prolongement de ma discussion à l'extérieur du
VOG avec ce visiteur.
134 Paul Eluard, L'amour de la poésie, 1929.
89
La projection des images retranscrites par le visiteur n°
1 à travers Rusty Shetter, Pollock et
Anouar Brahem jaquette de disque semble davantage avoir
été expérimentée dans son rapport à la
dynamique gestuelle du tracé et du graphisme de ce dessin mural
(Océan Pacifique).
Visiteur n° 1 -- Fatma : « Rusty
Shetter»
« Je sens que c'est comme des trucs peints des
années 80 (référence au Kitch). C'est comme si
c'était une porte de garage mise en valeur, comme des stores de garage;
mais c'est beaucoup plus mis en valeur. Ça ajoute un certain charme.
J'aime beaucoup ça, parce que c'est quelque chose de banal dans la vie,
qui peut être très charmant. Mais pour nous, vu qu'on le voit tous
les jours, on sait pas bien le regarder, disons. Pour nous (je pense
qu'elle signifiait : pour les Européens), c'est juste un truc banal
et vulgaire, c'estjuste qu'on le voit mal.»
Sa réflexion sur la représentation
esthétique du Beau dans la Culture tunisienne semble avoir
été marquée par une comparaison entre l'esthétique
de la perpétuation d'une tradition artistique liée à
l'artisanat, et l'esthétique de la productivité liée
« aux canons » de la production artistique en France et en
Europe.
Pollock et Anouar Brahem jaquette de
disque: ces images ont été produites après la
déambulation dans l'exposition, durant la sélection des images en
regardant et en se remémorant l'expérience de l'oeuvre.
Ces deux photographies ont été choisies par le
visiteur n° 1, en raison de la proximité gestuelle et graphique de
ces images avec le dessin mural de l'installation Océan
Pacifique.
En effet, c'est en résonance avec la facture du peintre
Jackson Pollock que Fatma a cherché à retranscrire par le choix
de ses photographies, le tracé laissé par le mouvement de la
performance artistique du peintre (Action-Painting,1952). Dans une
micro-analyse socioculturelle plus précise de ce visiteur (n°1), il
semblerait que cette musique ait bercé une partie de son enfance.
En me renseignant sur ce compositeur, je me suis rendu compte
que ce dernier avait fortement modifié le rôle traditionnel de
l'oud (instrument de musique à cordes pincées), en le
modernisant et en le confrontant aux musiques occidentales comme le jazz. Le
second album, Conte de l'incroyable amour, d'Anouar Brahem fait
référence à l'image de la pochette de l'album choisie par
ce visiteur: cette musique se caractérise par une pratique musicale dite
du « toucher contemplatif», ce qui est assez amusant au regard de
l'expérience de cette oeuvre.
90
Seules les images produites par le visiteur n° 2
: Ultra-book et par le n° 7 : Fournaise
destructrice, semblent se détacher de cette perspective
contemplative pour laisser place à « l'expérience du
spectaculaire », que nous pourrions rapprocher du segment
d'expérience faisant référence à la
perspective cinématographique décrite par Olivier Caïra dans
son ouvrage intitulé Jeux de rôle, les forges de la
fiction135.
Visiteur n° 2 - Laurence:
« Ultra book »
Elle a terminé sa visite par
l'interprétation d'Océan Pacifique, en disant: «
Celui-là en revanche, c'est comme si j'étais au cinéma. Je
sais pas pourquoi... c'est peut-être le format. C'est comme un
écran d'ordinateur ! »
Visiteur n°7 Gabrielle :
« Fournaise incendie »
Photographie relatant un fait d'actualité
récent en Australie, où un grand-père réussit
à sauver ses petits-enfants des flammes d'un incendie ravageant toute
une île, en les poussant à toute vitesse vers la mer proche
où ils s'accrochèrent tous sous un ponton.
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