2) La place du Visiteur Modèle : une analyse du
parcours d'exposition
La déambulation proposée par l'artiste
commencerait tout d'abord par le tryptique intitulé Tempête
orange (objet n°2), car elle figure comme l'un des premiers objets
proposés au regard du spectateur. En effet, située dans la
continuité de l'axe directionnel de l'entrée du VOG,
cette oeuvre semble de prime abord, marquer le début du parcours.
Cependant, il est intéressant de constater qu'on peut aussi
considérer le début du parcours de visite avant même
l'entrée dans le lieu.
C'est en effet ce que suggère Lina, en choisissant de
recouvrir les baies vitrées de l'espace d'exposition de grands
lés de papier calque. Telle une invitation à la curiosité,
à la découverte et à l'immersion dans son univers, elle
communique avec l'extérieur du lieu d'exposition en suscitant la
curiosité des riverains. Vue de l'intérieur, cette
atmosphère tamisée permet au spectateur de s'immerger dans une
autre dimension et de l'amener à se déconditionner,
à créer les conditions nécessaires de
réception de son travail: «Pour Jauss, la réception des
oeuvres est une appropriation active, qui en modifie la valeur et le sens au
cours des générations, jusqu'au moment présent où
nous nous trouvons, face à ces oeuvres, dans notre horizon propre, en
situation de lecteurs où d'historiens72.»
Il est intéressant de constater que la lecture
proposée du parcours d'exposition et son pacte de
lecture73 ne sont pas les mêmes que ceux
suggérés par le plan descriptif de l'exposition (Annexe 38 p.
29). Réalisé par la Médiatrice, ce plan a
été initié en numérotant les objets selon la
représentation d'un balayage visuel de l'espace, suivant une lecture de
bas en haut correspondant dans l'espace à une présentation
début et fin. Hiérarchisation plutôt neutre qui
reflète une volonté de ne pas être trop directif, ou de ne
pas trop influencer les visiteurs dans le choix de leur parcours. «La
seule opportunité qui s'offre (alors) est d'aller à sa rencontre
(celle de l'oeuvre) avec notre propre horizon...74»
72 Florent Gaudez, Pour une socio-anthropologie du texte
littéraire, Approche sociologique du Texte- Acteur chez Julio
Cortázar, L'Harmattan, Logiques sociales, 1997, p. 41.
73 Umberto Eco, Lector in fabula, Ed. Grasset et
Fasquelle, 1979, p. 62.
74 Florent Gaudez., op.cit, p. 41.
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En outre, nous remarquons que le parti pris de l'artiste est
de ne pas superposer textes descriptifs, informations sur l'oeuvre
et objets au sein d'un même espace : pas de cartels - ce qui permet
de ne pas perturber l'expérience du visiteur concernant les espaces
à caractère immersif.
De même, le parti pris de concevoir un catalogue ne
retraçant pas l'intégralité des objets
présentés dans l'exposition, mais de se concentrer sur les 9
dessins de la série Castle Bravo, renforce la volonté de
Lina de laisser le visiteur vivre l'expérience de ce passage :
expérience de l'activité de visite comme
métaphore du passage de ce visiteur sur Terre, qui avance sur les traces
de sa propre existence.
Puis, en avançant à l'intérieur du
1er Espace, le visiteur apercevrait sur son passage le
dessin mural (objet n°3) intitulé Océan
Pacifique75. Ensuite, il traverserait la série
Castle Bravo76 disposée sur le mur de droite du
couloir, faisant la jonction entre le 1er et le 2ème
Espace de façon particulière. En effet, cet
espace-transition dessinerait une sorte de pont, qui
créerait un va--et--vient permanent entre les trois espaces.
Par la production de ce non-lieu, cet objet constitue
à mon avis, le coeur même de sa problématique liée
de façon métaphysique à l'expression du passage de l'Homme
sur Terre.
Ensuite, le parcours du visiteur se poursuivrait dans le
3ème espace, dans lequel il lui serait proposé de
s'immerger à l'intérieur de ce que Lina considère comme un
dessin mural (tracé au graphite par un cordeau de
maçon), et que j'aurais envie de définir plutôt comme un
environnement. En effet, d'un point de vue général, nous
avons remarqué la prédominance technique de matières, de
médiums, ainsi que la trace d'outils faisant référence
à la gestuelle, à la précision et à la souplesse,
mais aussi aux nuances apportées par la technique du dessin.
Mural, environnemental, déambulatoire, le tracé
invite le visiteur par sa gestuelle, à réinventer sa propre
existence et son cheminement, en se questionnant sur l'essence même de la
vie.
75 Dessin mural au fusain et revêtement de sol vinyle,
2013.
76 Série de 9 dessins, Mine graphite sur papier calque 21
x 29,7cm-- 2012.
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En outre, cette observation socio--sémiotique
du parcours d'exposition me permet déjà de postuler que
l'analyse de l'expérience de visite globale propose une activité
potentiellement ouverte, donnant au visiteur une forme de liberté et de
fluidité dans sa déambulation.
Du point de vue de l'analyse du cheminement de mon
échantillonnage de visiteur, j'ai d'abord essayé de
définir différents types de tracés potentiels (sur un plan
de l'exposition) par la prise en compte des noeuds
décisionnels77 (et directionnels) potentiels, afin
d'envisager certains repères spatio--temporels inhérents à
la déambulation dans l'exposition (Annexe 39 p. 30).
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