Le contexte environnemental et les sources
d'irrigation
Figure 24 - Coupes transversales de la vallée de
Cumbum (source : srtm)
Encadrée par des massifs constitués de
charnockites précambriennes (les Cardamom Hills à l'ouest et au
sud ; les High Wavy et Erasakkanayakanur Hills à l'est), la
vallée est formée de versants abruptes et d'un fond large de 10
à 20 km d'amont en aval (cf. figure 24). En fond de vallée, les
sols, développés sur des sédiments ayant remblayé
la vallée, sont très profonds, limoneux et relativement bien
drainés. Ils sont réputés fertiles et donc propices aux
activités agricoles. Sur les piémonts, on trouve principalement
des sols argileux, épais et bien drainés. Le centre de la
vallée est irrigué par les canaux de dérivation du Periyar
et par des system tanks. Les canaux, parallèles au cours d'eau,
encadrent de part et d'autre le Periyar et créent une ceinture verte.
Les system tanks sont bien alimentés, et la plupart fournissent
de l'eau neuf mois par an (Ramachandran, 1983). En dehors des eaux d'irrigation
de surface, on trouve tout autour de la ceinture verte des terres
irriguées par les eaux souterraines. Ces terres, dites thottam,
s'étirent jusqu'au piémonts. Au début des années
1970, les terres irriguées représentaient environ 30% des terres
cultivables ; au début des années 1980, le taux atteignait 40% et
elles participaient déjà à plus de 50% du produit agricole
en
57
Des facteurs locaux explicatifs des
disparités territoriales
raison d'une intensification plus forte qu'en terres
punjai, non irriguées. Parmi les sources d'irrigation, les eaux
de surface représentaient 35% (22,5% par canaux et 12,5% par tanks) et
les eaux souterraines 65% (dont 2,5% par puits tubés, le reste par puits
ouverts). Le ratio entre ces deux types de puits est passé de 1 pour 25
en 1981 à 1 pour 6 dans les années 2000. Toujours dans les
années 2000, les system tanks gérés par les
panchayats sont au nombre de 130 alors que, dans le même temps,
ceux gérés par le Département des Travaux Publics (PWD)
sont au nombre de 20 (Theni District Website1). Ce sont
principalement ces derniers, plus grands et mieux alimentés, qui
fournissent l'eau en quantité nécessaire pour deux cycles
culturaux irrigués.
Comportement spectral des
végétaux
Trois images satellites ont permis la
réalisation de cartes diachroniques représentant
l'évolution de la végétation. La méthodologie
employée est similaire à celle précédemment
utilisée. Compte tenu des réponses spectrales spécifiques
des végétaux, il est possible d'isoler les formations
végétales du reste des éléments spatialisés.
De manière générale, si les valeurs de réflectance
peuvent varier, l'allure générale des courbes de
réflectance des végétaux est par contre assez constante
(Girard, 1989). Dans la portion du spectre visible (de 380 à 700
nm)2, les végétaux ont un comportement spectral
lié à leur composition en pigments. Parmi ces pigments, c'est la
chlorophylle qui conditionne le plus le comportement spectral. Il y a une
relation inverse entre la réflectance et la teneur en chlorophylle. Dans
le proche infrarouge (de 750 à 1300 nm), c'est la structure interne du
feuillage qui est principalement responsable des différentes valeurs de
réflectance. Dès que les feuilles d'un végétal se
dessèchent (maturation, vieillissement), les cellules s'aplatissent et
la réflectance dans le proche infrarouge est perturbée. Il y a
donc une relation positive entre la structure interne du feuillage et la
réflectance dans le proche infrarouge. Dans le proche infrarouge encore,
mais à partir de 1400 nm et jusqu'à l'infrarouge moyen, le
comportement spectral des végétaux est fonction de leur teneur en
eau. Un végétal chlorophyllien en bon état sanitaire a une
courbe de réflectance présentant une diminution importante
à 1450 nm et à 1900 nm. Cet écart correspond aux bandes
d'absorption de l'eau. A partir du comportement spectral, il est ainsi possible
de déduire la teneur en chlorophylle, en eau et/ou la structure interne
du feuillage. On peut préciser que lorsque le taux de recouvrement est
trop faible, il devient difficile de classer et d'identifier les
pixels.
Réponses spectrales des végétaux
de la vallée et interprétation
En réalisant une classification non
supervisée, à la suite d'une analyse en composantes principales,
deux classes représentatives de comportements spectraux propres aux
formations végétales s'individualisent. Nous avons
restitué graphiquement ces comportements (cf. figure 25). Les profils
obtenus sont tirés de l'image Landsat TM du 23 avril 1990. Cette date
correspond à la saison chaude et à la période des
mango showers qui provoque des précipitations de mars à mai
(environ 20% du total annuel pour la ville de Teni* : 10°N ;
77,48°E). Les deux premiers graphiques présentent un pic entre le
canal 3 (visible-rouge) et le canal 4 (proche infrarouge). Une
réflectance importante dans le proche infrarouge est le signe d'une
structure interne du feuillage bien organisée, soit un
végétal en croissance. Compte tenu de la date, et malgré
les pluies apportées par les mango showers, la période
est considérée, du fait des températures
élevées (36-37 °C), comme une période de
sécheresse agro-climatique. De ce fait, les formations
végétales qui présentent un tel comportement spectral ne
peuvent
1
http://www.theni.tn.nic.in/
2 La correspondance longueurs
d'onde/canaux des images Landsat est donnée en annexe 4.
58
Des facteurs locaux explicatifs des
disparités territoriales
être que des cultures irriguées. La
différence se situe au niveau de la réponse dans le canal 5
(infrarouge moyen). C'est la teneur en eau qui engendre des réponses
distinctes, celle-ci étant inversement reliée à la valeur
de réflectance.
Figure 25 - Comportements spectraux dans la
vallée de Cumbum (source : Landsat TM - 23/04/1990)
Le premier graphique montre une baisse assez forte
dans ce canal. Parmi les cultures largement diffusées dans la
région, la riziculture pratiquée est de la riziculture
inondée, c'est-à-dire que l'épi de riz doit avoir le pied
perpétuellement immergé. La faible réflectance dans le
canal 5 serait donc représentative de l'eau qui inonde les
rizières. De plus, cette faible réflectance est aussi le signe
d'un bon état sanitaire qui, nous le verrons, compte tenu de la date
pourrait correspondre à une troisième saison de cultures
irriguées. Il est ainsi probable que la classe associée au
comportement spectral de la première figure soit une classe qui comprend
les parcelles de riz irriguées. Le second graphique présente,
quant à lui, un comportement spectral différent dans le canal 5.
La réflectance est bien plus importante que dans le
précédent exemple. Deux éléments peuvent apporter
une réponse : le premier est que l'état sanitaire de ces
formations est généralement moins bon, le second est que les taux
de recouvrement incomplets peuvent perturber la réflectance. Les sols
présentent en effet une courbe de réflectance
régulièrement croissante et convexe depuis le visible jusqu'au
proche infrarouge (1300 nm) puis, après une diminution, augmente
à nouveau partir de l'infrarouge moyen (1500 nm). Un taux de
recouvrement incomplet peut donc aussi être la cause d'une
réflectance élevée dans le canal 5. En tout état de
cause, nous
sommes en présence de cultures
irriguées, et nous ne pouvons pour l'instant aller plus loin dans
l'interprétation des courbes de réflectance.
Figure 26 - Diagramme pluviométrique annuel de
Teni (source : Theni District Website)
A partir de ces informations, quelques
éléments peuvent êtres tirés de l'observation des
cartes réalisées (cf. figure 27). On observe sur la carte de
1973, le long du Periyar, une ceinture de rizières irriguées. A
cette date, nous sommes en saison navarai et cela signifie donc qu'une
seconde culture irriguée est possible. Quelques tanks sont situés
dans cette ceinture et semblent
encore bien remplis. Néanmoins, dans cette
portion, l'irrigation se fait principalement par canaux. Les autres cultures
irriguées sont moins concentrées spatialement. On peut dès
lors penser à l'irrigation par eaux souterraines associée
à des cultures qui ont des cycles annuels, ce qui peut expliquer
l'état sanitaire relativement
59
Des facteurs locaux explicatifs des
disparités territoriales
inférieur à celui des rizières.
L'image TM a été acquise à la fin du mois d'avril. En
règle générale, au Tamil Nadu, la moisson des cultures de
saison navarai s'opère entre avril et mai. Cela dit, dans la
vallée de Cumbum, les mois les plus pluvieux sont de septembre à
décembre, ce qui laisse présager d'un avancement des saisons
d'environ un mois. Les cultures navarai doivent donc être
moissonnées entre mars et avril, d'autant plus que les pluies
apportées par les mango showers peuvent être
bénéfiques aux opérations de labour et de
repiquage.
En observant plus finement la carte, on peut
s'apercevoir que les zones de rizières occupées en 1973 ne sont
pas en cultures en 1990. Cela signifie que la récolte de la saison
navarai a été effectuée et que les terres sont
laissées à nu, en attente de la saison samba. Ce qu'on a
répertorié en tant que rizières irriguées doit donc
correspondre à une troisième culture irriguée de paddy de
saison kuruvai/sornavari. Elles ne présentent pas une
forte continuité spatiale, mais forment plutôt quelques amas,
dispersés pour certains le long du cours d'eau et pour d'autres un peu
plus éloignés voire très éloignés. Ces
derniers qui ne sont à proximité ni d'un tank ni d'un canal
doivent donc être alimentés par des puits. Les autres cultures
irriguées à la même date se localisent, comme en 1973, au
nord-ouest de la vallée, parallèlement aux versants abrupts. Cet
espace correspond à des sols argileux profonds et bien drainés en
zones de piémont, qui sont non seulement favorables aux activités
agricoles en général, mais aussi à la constitution de
nappes phréatiques et donc à l'irrigation par puits. Le second
espace présentant une forte densité de cultures irriguées
se situe aussi dans la partie nord-ouest, dans la continuité du
précédent, et lui aussi en bordure des versants escarpés
de la vallée. Il épouse la forme arrondie du versant, ce qui
laisse supposer une conclusion similaire à la précédente
à propos de la disponibilité en eaux souterraines.
L'analyse de la carte représentant la situation
en 2001 s'inscrit dans la même logique que précédemment.
L'image a été acquise, selon le calendrier annuel, trois semaines
après la précédente. La saison culturale est donc
identique, soit la saison kuruvai. Les espaces cultivés
présentent le même agencement spatial, à la
différence près qu'elles ont augmenté en superficie, que
ce soit pour les cultures de paddy, ou pour les autres cultures
irriguées. On peut faire l'hypothèse que c'est grâce
à la multiplication des puits qu'un tel phénomène est
possible. A saison similaire, on est ainsi passé de 7863 ha à
11362 ha, soit une augmentation de 3500 ha. Notons enfin que l'on ne dispose
pas de données pluviométriques précises pour la
vallée. Nous pouvons cependant utiliser les données sur les 34
stations du Tamil Nadu dont nous disposons afin d'avoir une idée du
contexte environnant. Sur la base de ces informations, l'année 1972 peut
être qualifiée de bonne année dans le sens où toutes
les stations, sauf une, présentent des excédents
pluviométriques supérieurs à la moyenne sur 60 ans. Les
deux années 1989 et 1990 accusent au contraire des déficits.
Enfin, les données pluviométriques de Teni* montrent qu'en 2000
et 2001, les précipitations se situent dans la moyenne. Ces informations
révèlent une période de déficits hydriques
marqués en 1989-1990 pouvant influencer à la baisse les surfaces
irriguées.
3.1.2 L'évolution des systèmes
agraires
Tentons de croiser l'interprétation faite des
cartes réalisées avec les informations sur les activités
agricoles dont on dispose.
Quelques traits de l'évolution
agricole
On nous indique tout d'abord une multiplication des
puits dans les années 1950 et 1960 suite à
l'électrification des campagnes (Ramachandran, 1983). Cette
multiplication s'est poursuivie les années suivantes et, dès les
années 1970, certains paysans ont pu constater une baisse de la nappe
phréatique.
60
Des facteurs locaux explicatifs des disparités
territoriales
10 00.0 N
10 00,0 N
F
w
,75
N
950,ON .~x `.. ;~jF" :- 950,0N
23/04/1990
r
9,0.0V ,.ÿ. :.mei:' 0 5 10 940,0 N
Kiiomètres
u
Période des "Mango showers"
w
9442 ha 11362 ha
w M1
Période des "Mango showers"
0
5 10
Kilométras
5724 ha 7863 ha
Cartes de l'occupation du sol dans la vallée de
Cumbum
_ Tanks
Rizières irriguées Cultures irriguées
/V1 Cours d'eau
10 00.0 N
9 50,0 N
09/02/1973
Kilomètres
Deux mois aprés la saison des pluies
§ 7858 ha
§ 5905 ha
Source: Landsat MSS 154-053, Landsat TM 143-053 & Landsat
ETM+ 143-053
Conception: Mialhe François
Figure 27 -- Cartes de l'occupation du sol dans la
vallée de Cumbum
61
Des facteurs locaux explicatifs des
disparités territoriales
Cette électrification a aussi engendré
un remplacement progressif des motopompes par des pompes électriques
plus puissantes. Durant la même décennie, il y eut une chute de la
superficie des cultures vivrières passant de 66% à 55% par
rapport à la superficie des terres cultivées (avec une
réduction plus forte en terres irriguées). Ce changement n'a
cependant pas affecté toutes les cultures de la même
manière ; la surface de paddy irrigué a, quant à elle,
augmenté. On peut d'ailleurs noter qu'à partir des années
1980, toutes les variétés de paddy cultivées sont issues
des variétés hybrides à hauts rendements diffusées
lors de la Révolution verte et qu'elles sont très majoritairement
irriguées par les eaux de surface. La forte réduction des
cultures vivrières tel que le ragi ou le cholam, principalement en
terres nanjai et thottam, l'ont été au profit
des cultures de rente. Ceci a abouti à une diversification
prononcée des cultures. Cette diversification ne s'est cependant pas
soldée par une forte extension des terres irriguées ; on a, la
plupart du temps, tout simplement remplacé les cultures
existantes.
Les cultures de rente
Parmi les cultures de rente irriguées, les
cocotiers1 sont les plus représentés. Ils sont
majoritairement irrigués par les eaux souterraines et sont
associés à des légumes les deux premières
années de culture (Ramachandran, 1983). Ils nécessitent
généralement des investissements de départ importants,
mais leur rentabilité économique à moyen et long terme est
élevée. De plus, ils ne sont pas des gros consommateurs d'eau au
regard d'autres cultures. Néanmoins, le capital de base
nécessaire à leurs exploitations ne peut être réuni
que par les plus grands propriétaires terriens. La canne à sucre
est, elle aussi, bien représentée. Sa culture exige de grands
besoins en eau et doit donc être irriguée. Cela dit, étant
donné qu'elle s'étend sur plus d'une année, en termes de
besoins quotidiens, le paddy se montre par exemple plus exigeant (Landy, 1994).
Les bananeraies ont connues dans la vallée une augmentation
substantielle et récente de leurs surfaces. A partir de l'introduction
de deux variétés, la Dwarf Cavendish et la Robusta,
respectivement en 1966 et 1972, les surfaces plantées ont
été multipliées par dix en moins de six ans, de 1969
à 1975, principalement grâce aux riches familles de la caste des
Udaiyars. Cette caste, d'assez bon rang, est formée de paysans,
souvent catholiques (Deliège, 1997). D'autres cultures sont bien
implantées, comme le coton, le blé ou encore les arbres fruitiers
(les manguiers en particulier).
Cette diversification, par le biais des cultures de
rente, engendre donc un processus en direction d'une financiarisation accrue de
l'agriculture et d'une commercialisation plus large de ses produits. Les
conséquences d'un tel processus sont, une hausse des investissements
agricoles (et donc un capital de départ plus important), une plus grande
dépendance à l'égard des prix fluctuants du marché
(comme pour le coton par exemple), une augmentation de la consommation d'eau et
d'intrants, et des nouvelles opportunités de travail, aboutissant, au
final, à une mutation de l'ensemble de la filière
agricole.
Croisement des données
De nombreux éléments confirment les
hypothèses émises précédemment. D'après ces
informations, il est possible d'établir un lien direct entre les
cultures de rente et les cultures irriguées détectées sur
les images satellites. Il y a effectivement un processus d'intensification de
l'agriculture qui se matérialise par une augmentation des surfaces
irriguées, et tout particulièrement par les cultures de rentes et
de paddy. Il est malgré tout difficile de quantifier spatialement ces
augmentations du fait des précipitations médiocres de 1989 et
1990, qui sont susceptibles de biaiser les résultats. On voit
néanmoins que les deux sources d'irrigation
1 Kalpa Vriksha
en Sanskrit qui signifie « arbre qui fournit toutes les
nécessités de la vie » (Wikipedia). Les noix de coco sont
régulièrement utilisées dans les rites rattachés
à la religion Hindoue : en offrandes par exemple.
62
Des facteurs locaux explicatifs des
disparités territoriales
principales de la vallée, que sont les puits et
les canaux, rendent disponible l'eau en quantité suffisante pour
répondre aux besoins d'une agriculture moderne. Il faut toutefois
s'interroger sur la viabilité à long terme, alors que les
premiers signes d'une baisse des nappes dans les années 1970 peuvent
être annonciateurs d'une crise future. En attendant, la vallée est
considérée comme relativement prospère au regard de la
situation des contrées voisines. Malgré cela, et comme on l'a
déjà dit, la mutation agricole commencée depuis maintenant
50 ans a bouleversé certaines méthodes et certains rythmes de
travail.
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