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Répercussions qualitatives et quantitatives des mutations agricoles récentes sur les systèmes d'irrigation traditionnels dans le bassin versant de la Vaigai- Periyar, Inde du sud

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par François Mialhe
Université Paris 7 Diderot - Master 2 environnement, milieux, techniques, sociétés 2006
  

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Le contexte environnemental et les sources d'irrigation

Figure 24 - Coupes transversales de la vallée de Cumbum (source : srtm)

Encadrée par des massifs constitués de charnockites précambriennes (les Cardamom Hills à l'ouest et au sud ; les High Wavy et Erasakkanayakanur Hills à l'est), la vallée est formée de versants abruptes et d'un fond large de 10 à 20 km d'amont en aval (cf. figure 24). En fond de vallée, les sols, développés sur des sédiments ayant remblayé la vallée, sont très profonds, limoneux et relativement bien drainés. Ils sont réputés fertiles et donc propices aux activités agricoles. Sur les piémonts, on trouve principalement des sols argileux, épais et bien drainés. Le centre de la vallée est irrigué par les canaux de dérivation du Periyar et par des system tanks. Les canaux, parallèles au cours d'eau, encadrent de part et d'autre le Periyar et créent une ceinture verte. Les system tanks sont bien alimentés, et la plupart fournissent de l'eau neuf mois par an (Ramachandran, 1983). En dehors des eaux d'irrigation de surface, on trouve tout autour de la ceinture verte des terres irriguées par les eaux souterraines. Ces terres, dites thottam, s'étirent jusqu'au piémonts. Au début des années 1970, les terres irriguées représentaient environ 30% des terres cultivables ; au début des années 1980, le taux atteignait 40% et elles participaient déjà à plus de 50% du produit agricole en

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raison d'une intensification plus forte qu'en terres punjai, non irriguées. Parmi les sources d'irrigation, les eaux de surface représentaient 35% (22,5% par canaux et 12,5% par tanks) et les eaux souterraines 65% (dont 2,5% par puits tubés, le reste par puits ouverts). Le ratio entre ces deux types de puits est passé de 1 pour 25 en 1981 à 1 pour 6 dans les années 2000. Toujours dans les années 2000, les system tanks gérés par les panchayats sont au nombre de 130 alors que, dans le même temps, ceux gérés par le Département des Travaux Publics (PWD) sont au nombre de 20 (Theni District Website1). Ce sont principalement ces derniers, plus grands et mieux alimentés, qui fournissent l'eau en quantité nécessaire pour deux cycles culturaux irrigués.

Comportement spectral des végétaux

Trois images satellites ont permis la réalisation de cartes diachroniques représentant l'évolution de la végétation. La méthodologie employée est similaire à celle précédemment utilisée. Compte tenu des réponses spectrales spécifiques des végétaux, il est possible d'isoler les formations végétales du reste des éléments spatialisés. De manière générale, si les valeurs de réflectance peuvent varier, l'allure générale des courbes de réflectance des végétaux est par contre assez constante (Girard, 1989). Dans la portion du spectre visible (de 380 à 700 nm)2, les végétaux ont un comportement spectral lié à leur composition en pigments. Parmi ces pigments, c'est la chlorophylle qui conditionne le plus le comportement spectral. Il y a une relation inverse entre la réflectance et la teneur en chlorophylle. Dans le proche infrarouge (de 750 à 1300 nm), c'est la structure interne du feuillage qui est principalement responsable des différentes valeurs de réflectance. Dès que les feuilles d'un végétal se dessèchent (maturation, vieillissement), les cellules s'aplatissent et la réflectance dans le proche infrarouge est perturbée. Il y a donc une relation positive entre la structure interne du feuillage et la réflectance dans le proche infrarouge. Dans le proche infrarouge encore, mais à partir de 1400 nm et jusqu'à l'infrarouge moyen, le comportement spectral des végétaux est fonction de leur teneur en eau. Un végétal chlorophyllien en bon état sanitaire a une courbe de réflectance présentant une diminution importante à 1450 nm et à 1900 nm. Cet écart correspond aux bandes d'absorption de l'eau. A partir du comportement spectral, il est ainsi possible de déduire la teneur en chlorophylle, en eau et/ou la structure interne du feuillage. On peut préciser que lorsque le taux de recouvrement est trop faible, il devient difficile de classer et d'identifier les pixels.

Réponses spectrales des végétaux de la vallée et interprétation

En réalisant une classification non supervisée, à la suite d'une analyse en composantes principales, deux classes représentatives de comportements spectraux propres aux formations végétales s'individualisent. Nous avons restitué graphiquement ces comportements (cf. figure 25). Les profils obtenus sont tirés de l'image Landsat TM du 23 avril 1990. Cette date correspond à la saison chaude et à la période des mango showers qui provoque des précipitations de mars à mai (environ 20% du total annuel pour la ville de Teni* : 10°N ; 77,48°E). Les deux premiers graphiques présentent un pic entre le canal 3 (visible-rouge) et le canal 4 (proche infrarouge). Une réflectance importante dans le proche infrarouge est le signe d'une structure interne du feuillage bien organisée, soit un végétal en croissance. Compte tenu de la date, et malgré les pluies apportées par les mango showers, la période est considérée, du fait des températures élevées (36-37 °C), comme une période de sécheresse agro-climatique. De ce fait, les formations végétales qui présentent un tel comportement spectral ne peuvent

1 http://www.theni.tn.nic.in/

2 La correspondance longueurs d'onde/canaux des images Landsat est donnée en annexe 4.

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être que des cultures irriguées. La différence se situe au niveau de la réponse dans le canal 5 (infrarouge moyen). C'est la teneur en eau qui engendre des réponses distinctes, celle-ci étant inversement reliée à la valeur de réflectance.

Figure 25 - Comportements spectraux dans la vallée de Cumbum (source : Landsat TM - 23/04/1990)

Le premier graphique montre une baisse assez forte dans ce canal. Parmi les cultures largement diffusées dans la région, la riziculture pratiquée est de la riziculture inondée, c'est-à-dire que l'épi de riz doit avoir le pied perpétuellement immergé. La faible réflectance dans le canal 5 serait donc représentative de l'eau qui inonde les rizières. De plus, cette faible réflectance est aussi le signe d'un bon état sanitaire qui, nous le verrons, compte tenu de la date pourrait correspondre à une troisième saison de cultures irriguées. Il est ainsi probable que la classe associée au comportement spectral de la première figure soit une classe qui comprend les parcelles de riz irriguées. Le second graphique présente, quant à lui, un comportement spectral différent dans le canal 5. La réflectance est bien plus importante que dans le précédent exemple. Deux éléments peuvent apporter une réponse : le premier est que l'état sanitaire de ces formations est généralement moins bon, le second est que les taux de recouvrement incomplets peuvent perturber la réflectance. Les sols présentent en effet une courbe de réflectance régulièrement croissante et convexe depuis le visible jusqu'au proche infrarouge (1300 nm) puis, après une diminution, augmente à nouveau partir de l'infrarouge moyen (1500 nm). Un taux de recouvrement incomplet peut donc aussi être la cause d'une réflectance élevée dans le canal 5. En tout état de cause, nous

sommes en présence de cultures irriguées, et nous ne pouvons pour l'instant aller plus loin dans l'interprétation des courbes de réflectance.

Figure 26 - Diagramme pluviométrique annuel de Teni (source : Theni District Website)

A partir de ces informations, quelques éléments peuvent êtres tirés de l'observation des cartes réalisées (cf. figure 27). On observe sur la carte de 1973, le long du Periyar, une ceinture de rizières irriguées. A cette date, nous sommes en saison navarai et cela signifie donc qu'une seconde culture irriguée est possible. Quelques tanks sont situés dans cette ceinture et semblent

encore bien remplis. Néanmoins, dans cette portion, l'irrigation se fait principalement par canaux. Les autres cultures irriguées sont moins concentrées spatialement. On peut dès lors penser à l'irrigation par eaux souterraines associée à des cultures qui ont des cycles annuels, ce qui peut expliquer l'état sanitaire relativement

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inférieur à celui des rizières. L'image TM a été acquise à la fin du mois d'avril. En règle générale, au Tamil Nadu, la moisson des cultures de saison navarai s'opère entre avril et mai. Cela dit, dans la vallée de Cumbum, les mois les plus pluvieux sont de septembre à décembre, ce qui laisse présager d'un avancement des saisons d'environ un mois. Les cultures navarai doivent donc être moissonnées entre mars et avril, d'autant plus que les pluies apportées par les mango showers peuvent être bénéfiques aux opérations de labour et de repiquage.

En observant plus finement la carte, on peut s'apercevoir que les zones de rizières occupées en 1973 ne sont pas en cultures en 1990. Cela signifie que la récolte de la saison navarai a été effectuée et que les terres sont laissées à nu, en attente de la saison samba. Ce qu'on a répertorié en tant que rizières irriguées doit donc correspondre à une troisième culture irriguée de paddy de saison kuruvai/sornavari. Elles ne présentent pas une forte continuité spatiale, mais forment plutôt quelques amas, dispersés pour certains le long du cours d'eau et pour d'autres un peu plus éloignés voire très éloignés. Ces derniers qui ne sont à proximité ni d'un tank ni d'un canal doivent donc être alimentés par des puits. Les autres cultures irriguées à la même date se localisent, comme en 1973, au nord-ouest de la vallée, parallèlement aux versants abrupts. Cet espace correspond à des sols argileux profonds et bien drainés en zones de piémont, qui sont non seulement favorables aux activités agricoles en général, mais aussi à la constitution de nappes phréatiques et donc à l'irrigation par puits. Le second espace présentant une forte densité de cultures irriguées se situe aussi dans la partie nord-ouest, dans la continuité du précédent, et lui aussi en bordure des versants escarpés de la vallée. Il épouse la forme arrondie du versant, ce qui laisse supposer une conclusion similaire à la précédente à propos de la disponibilité en eaux souterraines.

L'analyse de la carte représentant la situation en 2001 s'inscrit dans la même logique que précédemment. L'image a été acquise, selon le calendrier annuel, trois semaines après la précédente. La saison culturale est donc identique, soit la saison kuruvai. Les espaces cultivés présentent le même agencement spatial, à la différence près qu'elles ont augmenté en superficie, que ce soit pour les cultures de paddy, ou pour les autres cultures irriguées. On peut faire l'hypothèse que c'est grâce à la multiplication des puits qu'un tel phénomène est possible. A saison similaire, on est ainsi passé de 7863 ha à 11362 ha, soit une augmentation de 3500 ha. Notons enfin que l'on ne dispose pas de données pluviométriques précises pour la vallée. Nous pouvons cependant utiliser les données sur les 34 stations du Tamil Nadu dont nous disposons afin d'avoir une idée du contexte environnant. Sur la base de ces informations, l'année 1972 peut être qualifiée de bonne année dans le sens où toutes les stations, sauf une, présentent des excédents pluviométriques supérieurs à la moyenne sur 60 ans. Les deux années 1989 et 1990 accusent au contraire des déficits. Enfin, les données pluviométriques de Teni* montrent qu'en 2000 et 2001, les précipitations se situent dans la moyenne. Ces informations révèlent une période de déficits hydriques marqués en 1989-1990 pouvant influencer à la baisse les surfaces irriguées.

3.1.2 L'évolution des systèmes agraires

Tentons de croiser l'interprétation faite des cartes réalisées avec les informations sur les activités agricoles dont on dispose.

Quelques traits de l'évolution agricole

On nous indique tout d'abord une multiplication des puits dans les années 1950 et 1960 suite à l'électrification des campagnes (Ramachandran, 1983). Cette multiplication s'est poursuivie les années suivantes et, dès les années 1970, certains paysans ont pu constater une baisse de la nappe phréatique.

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10 00.0 N

10 00,0 N

F

w

,75

N

950,ON .~x `.. ;~jF" :- 950,0N

23/04/1990

r

9,0.0V ,.ÿ. :.mei:' 0 5 10 940,0 N

Kiiomètres

u

Période des "Mango showers"

w

9442 ha 11362 ha

w M1

Période des "Mango showers"

0

5 10

Kilométras

5724 ha 7863 ha

Cartes de l'occupation du sol dans la vallée de Cumbum

_ Tanks

Rizières irriguées Cultures irriguées

/V1 Cours d'eau

10 00.0 N

9 50,0 N

09/02/1973

Kilomètres

Deux mois aprés la saison des pluies

§ 7858 ha

§ 5905 ha

Source: Landsat MSS 154-053, Landsat TM 143-053 & Landsat ETM+ 143-053

Conception: Mialhe François

Figure 27 -- Cartes de l'occupation du sol dans la vallée de Cumbum

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Cette électrification a aussi engendré un remplacement progressif des motopompes par des pompes électriques plus puissantes. Durant la même décennie, il y eut une chute de la superficie des cultures vivrières passant de 66% à 55% par rapport à la superficie des terres cultivées (avec une réduction plus forte en terres irriguées). Ce changement n'a cependant pas affecté toutes les cultures de la même manière ; la surface de paddy irrigué a, quant à elle, augmenté. On peut d'ailleurs noter qu'à partir des années 1980, toutes les variétés de paddy cultivées sont issues des variétés hybrides à hauts rendements diffusées lors de la Révolution verte et qu'elles sont très majoritairement irriguées par les eaux de surface. La forte réduction des cultures vivrières tel que le ragi ou le cholam, principalement en terres nanjai et thottam, l'ont été au profit des cultures de rente. Ceci a abouti à une diversification prononcée des cultures. Cette diversification ne s'est cependant pas soldée par une forte extension des terres irriguées ; on a, la plupart du temps, tout simplement remplacé les cultures existantes.

Les cultures de rente

Parmi les cultures de rente irriguées, les cocotiers1 sont les plus représentés. Ils sont majoritairement irrigués par les eaux souterraines et sont associés à des légumes les deux premières années de culture (Ramachandran, 1983). Ils nécessitent généralement des investissements de départ importants, mais leur rentabilité économique à moyen et long terme est élevée. De plus, ils ne sont pas des gros consommateurs d'eau au regard d'autres cultures. Néanmoins, le capital de base nécessaire à leurs exploitations ne peut être réuni que par les plus grands propriétaires terriens. La canne à sucre est, elle aussi, bien représentée. Sa culture exige de grands besoins en eau et doit donc être irriguée. Cela dit, étant donné qu'elle s'étend sur plus d'une année, en termes de besoins quotidiens, le paddy se montre par exemple plus exigeant (Landy, 1994). Les bananeraies ont connues dans la vallée une augmentation substantielle et récente de leurs surfaces. A partir de l'introduction de deux variétés, la Dwarf Cavendish et la Robusta, respectivement en 1966 et 1972, les surfaces plantées ont été multipliées par dix en moins de six ans, de 1969 à 1975, principalement grâce aux riches familles de la caste des Udaiyars. Cette caste, d'assez bon rang, est formée de paysans, souvent catholiques (Deliège, 1997). D'autres cultures sont bien implantées, comme le coton, le blé ou encore les arbres fruitiers (les manguiers en particulier).

Cette diversification, par le biais des cultures de rente, engendre donc un processus en direction d'une financiarisation accrue de l'agriculture et d'une commercialisation plus large de ses produits. Les conséquences d'un tel processus sont, une hausse des investissements agricoles (et donc un capital de départ plus important), une plus grande dépendance à l'égard des prix fluctuants du marché (comme pour le coton par exemple), une augmentation de la consommation d'eau et d'intrants, et des nouvelles opportunités de travail, aboutissant, au final, à une mutation de l'ensemble de la filière agricole.

Croisement des données

De nombreux éléments confirment les hypothèses émises précédemment. D'après ces informations, il est possible d'établir un lien direct entre les cultures de rente et les cultures irriguées détectées sur les images satellites. Il y a effectivement un processus d'intensification de l'agriculture qui se matérialise par une augmentation des surfaces irriguées, et tout particulièrement par les cultures de rentes et de paddy. Il est malgré tout difficile de quantifier spatialement ces augmentations du fait des précipitations médiocres de 1989 et 1990, qui sont susceptibles de biaiser les résultats. On voit néanmoins que les deux sources d'irrigation

1 Kalpa Vriksha en Sanskrit qui signifie « arbre qui fournit toutes les nécessités de la vie » (Wikipedia). Les noix de coco sont régulièrement utilisées dans les rites rattachés à la religion Hindoue : en offrandes par exemple.

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principales de la vallée, que sont les puits et les canaux, rendent disponible l'eau en quantité suffisante pour répondre aux besoins d'une agriculture moderne. Il faut toutefois s'interroger sur la viabilité à long terme, alors que les premiers signes d'une baisse des nappes dans les années 1970 peuvent être annonciateurs d'une crise future. En attendant, la vallée est considérée comme relativement prospère au regard de la situation des contrées voisines. Malgré cela, et comme on l'a déjà dit, la mutation agricole commencée depuis maintenant 50 ans a bouleversé certaines méthodes et certains rythmes de travail.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard