2.3 Les changements d'états de surfaces des lits des
tanks
Les analyses diachroniques des états de surface
du lit des tanks portent sur ceux ayant été
détectés à partir des images satellites MSS. En raison des
dates d'acquisition variées, les analyses portent successivement sur des
portions du bassin versant.
2.3.1 La partie aval du bassin versant
La grande majorité des tanks de cette section
sont des non-sytem tanks. Ils occupent le paléo-delta de la
Vaigai sur lequel sont installés des vertisols (sols noirs), riches en
montmorillonite. Malgré leurs propriétés chimiques
favorables à l'agriculture (bonne capacité d'échange
cationique des argiles), les propriétés gonflantes des argiles en
font des sols difficiles à travailler (Duchaufour, 1997).
La caste des Maravars domine cette
région, dont les cultures principales sont le paddy et le piment,
accompagnés, mais dans une moindre mesure par le coton. Ce n'est pas une
zone dans laquelle les puits sont très développés compte
tenu de la présence de nombreux aquifères salins. Ramanathapuram
est la ville principale, et les données pluviométriques qui lui
sont associées permettront des comparaisons qualitatives et
quantitatives.
Figure 19- Diagramme par écart-types à
la moyenne des totaux annuels pluviométriques de
Ramanathapuram
Carte A (cf. figure 20)
Le premier élément remarquable est la
concentration des eaux dans les tanks les plus
grands (en particulier le Ramnad Big Tank,
ou
RBT, à l'ouest de Ramanathapuram) et dans leurs
satellites, les endal tanks, qui sont
connectés entre eux par un réseau complexe
de chenaux. L'année 1987 est considérée comme normale,
avec un total de pluviosité autour de la moyenne sur 60 ans (1941-2000)
(cf. figure 19). En raison de la date d'acquisition de l'image, la saison
samba est terminée et l'eau disponible sera utilisée
pour une seconde récolte de paddy, ou pour des légumineuses afin
de fournir du fourrage et enrichir la fertilité des sols (Seenivasan,
2003). La présence de sols humides indique une exondation plus ou moins
récente. Il est difficile d'évaluer avec précision le
moment du retrait de l'eau, en raison de la forte capacité de
rétention et du drainage limité des Vertisols qui implique un
ressuyage très lent. Il est toutefois vraisemblable que l'absorption
s'est réalisée durant une phase de la précédente
saison des pluies. Le lit des tanks situés près de la côte
est majoritairement occupé par des sols nus et secs ce qui s'explique
par la présence de sols sableux avec une capacité de drainage
très importants. Ces caractéristiques poussent les populations
alentour à utiliser l'eau du tank rapidement afin de limiter les pertes
par infiltration.
Environ 37% de la surface de l'ensemble des lits est
végétalisée, dont plus du tiers par de la
végétation à forte activité chlorophyllienne. Cette
catégorie peut regrouper des plantes aquatiques1, de la
végétation herbacée à fort taux de recouvrement ou
encore des cultures (Vaidyanathan, 2001 ; Mosse, 1997). Ce sont tout
particulièrement les tanks à l'intérieur des terres qui
sont concernés. Les portions qui correspondent à de la
végétation à faible et moyenne activité
chlorophyllienne s'assimilent, elles, à la présence d'une strate
herbacée à faible ou moyen taux de recouvrement, constituant un
pâturage pour le bétail, ou à une strate
1 Certaines comme la
jacinthe d'eau, prolifèrent dans les étendues riches en
éléments nutritifs (Agarwal et al., 2001). Ceux-ci
peuvent être d'origine humaine (effluents) ou agricole (lessivage des
terres cultivées enrichies en engrais organiques ou
minéraux).
Le bassin versant de la Vaigai-Periyar,
unité régionale d'analyse spatiale et sociale des
tanks
arbustive, dont certains représentants sont
plantés dans le cadre de la foresterie sociale (Prosopis juliflora,
Acacia nilotica) (Aiyasamy, 1982 ; Mosse, 1997). La garde du bétail
est souvent confiée aux sans-terres (Roussary, 2003). Ces derniers
appartiennent pour la majorité d'entre eux à la caste des
Paraiyars, caste d'intouchables très représentée
dans le pays tamoul.
Un peu plus d'un mois après la fin de la saison
des pluies, la majorité des tanks ont donc été
vidangés et sont occupés pour moitié par de la
végétation et pour moitié par du sédiment nu.
L'apparition de certains végétaux peut être reliée
à un manque d'entretien des structures. En dehors d'un manque de
mobilisation collective en faveurs d'actions de réhabilitation, il est
probable que les digues utilisent en partie le matériel disponible sur
place. Ces argiles des sols noirs subissent des alternances de gonflement et de
rétraction, respectivement en saison humide et saison sèche,
engendrant des fentes de retrait et des brèches qu'il faut colmater.
Ceci peut être une des raisons du mauvais état
général des digues.
Carte B (cf. figure 20)
La première information est la réduction
significative de la surface en eau, et tout particulièrement dans les
grands tanks comme le RBT.
Seuls quelques tanks littoraux ont un
approvisionnement correct compte tenu de la surface inondée.
L'année 2000 est pourtant une année plus pluvieuse que la
moyenne, mais fait suite à une année 1999
légèrement en deçà de la moyenne. Il faut noter la
couverture nuageuse, lors de l'acquisition de l'image, qui perturbe
l'interprétation.
A cette période de l'année, le stock
d'eau ne devrait pourtant pas être loin de son maximum. Les sols nus et
secs l'emportent pourtant sur les sols humides, ce qui n'indique pas une
exondation récente (cf. tableau 1). De la même manière, la
végétation à forte activité chlorophyllienne,
généralement associée à la présence
d'humidité, a disparu au profit de végétaux probablement
plus adaptés aux substrats à faible teneur en eau. Une
observation similaire à celle faite précédemment distingue
les tanks proches du littoral (sédiments
|
Surface (hectares)
|
Etats de surface
|
A
|
B
|
C
|
D
|
Végétation
|
faible
|
1550
|
1700
|
1385
|
nul
|
|
activité
|
(18%)
|
(17.8%)
|
(32.5%)
|
|
|
activité
|
460
|
1217
|
nul
|
nul
|
|
moyenne
|
(5.4%)
|
(12.8%)
|
|
|
|
forte
|
1187
|
nul
|
nul
|
nul
|
|
activité
|
(13.8%)
|
|
|
|
Sol nu
|
sec
|
1184
|
3030
|
1751
|
5133
|
|
|
(13.8%)
|
(31.8%)
|
(40.8%)
|
(75,4%)
|
|
humide
|
1502
|
2215
|
1137
|
1665
|
|
|
(17.5%)
|
(23.3%)
|
(26.5%)
|
(24.4%)
|
Eau
|
2688
|
1358
|
15
|
12
|
|
(31.5%)
|
(14.3%)
|
(0.2%)
|
(0.2%)
|
Total
|
8571
|
9520
|
4288
|
6810
|
Tableau 1 - Etats de surface dans le lit des tanks
(partie aval)
sableux) de ceux de l'intérieur des terres,
plus végétalisés.
A partir des années 1990, les
variétés hybrides de paddy (CO43, IR20, White ponni) ont
remplacé progressivement, dans cette région, les
variétés traditionnelles pour être aujourd'hui majoritaires
(Seenivasan, 2003). Il est fréquent que leur utilisation aille de pair
avec l'annonce d'une mauvaise mousson. Du fait des cycles courts, la
récolte de la saison samba est avancée, ce qui peut
avoir pour conséquence une utilisation précoce et plus intense
des eaux du tank.
D'après ces indices, et au vu des
45
situations climatiques respectives, il est probable
que l'utilisation et la maintenance des tanks aient connu une baisse
d'intensité entre 1988 et 2000. Les systèmes de cultures
récemment adoptés ont forcément fait évoluer les
pratiques agricoles ainsi que le calendrier cultural, quoique dans une moindre
mesure, pour ce dernier compte tenu de la dépendance à
l'égard de la mousson. D'autre part, la variabilité de la
couverture végétale reflète le fait que cette
végétation occupe temporairement le lit des tanks, soit à
la faveur des conditions naturelles, soit par une volonté sociale, soit
encore par manque d'entretiens continus et
46
Le bassin versant de la Vaigai-Periyar,
unité régionale d'analyse spatiale et sociale des
tanks
réguliers. Toutefois, cette variabilité
locale du type de végétation est contrastée par une
persistance à l'échelle globale d'une couverture qui occupe
environ 30% de la surface des tanks. Comme on l'a vu, le comblement important
dans cette région est aussi un facteur réduisant la
capacité de stockage, et donc l'utilisation différée de
l'eau stockée.
Carte C (cf. figure 20)
Le premier élément fondamental est la
succession d'années très déficitaires en terme de totaux
pluviométriques de 1989 à 1992. La date d'acquisition de l'image
reflète donc une situation de déficit hydrique marqué
caractéristique des périodes de sècheresse. Les chiffres
bruts sont significatifs, le tiers de la surface est occupée par de la
végétation à faible activité chlorophyllienne
(strate herbacée à faibles taux de recouvrement et strate
arbustive), alors que les deux tiers restants sont des sols. Précisons
que le dépôt de sédiments est un phénomène
qui accompagne les phases d'inondation et donc de ruissellement ; un tri
sélectif s'opère durant ces phases entre les particules de
diamètres distincts. Il en résulte un classement
granulométrique entre les particulières grossières (sable,
gravier) et les particules fines (limon, argile) respectivement de l'amont vers
l'aval. Ces particules fines représentent un fertilisant pour les terres
agricoles (aussi bien punjai que nanjai), mais leur
utilisation se restreint du fait de la diffusion des engrais chimiques, plus
faciles à épandre. Certains paysans, dont beaucoup de sans-terres
ponctionnent aussi ces sédiments fins pour des activités de
briquetage et de poterie. Cette activité nécessite non seulement
un effort de transport mais est aussi très éprouvante pour
l'organisme lorsqu'elle est fait de manière artisanale (Deliège,
1997 ; Palayan, 2003). La majorité des sols humides est ici
concentrée dans six tanks seulement, qui sont parmi les plus grands et
auxquels sont associées des aires contributives
étendues.
Carte D (cf. figure 20)
La situation avant le début la saison des
pluies est démonstrative d'un assèchement
généralisé des tanks, malgré des années 2000
et 2001 plus pluvieuses que la normale. Plus de 75% des sols sont
considérés comme secs. Il est ainsi évident que la saison
sèche et chaude, ainsi que la mousson d'été, qui n'apporte
que de faibles pluies, sont défavorables aux tanks et à leur
utilisation.
La vulnérabilité du système des
tanks provient de cette incertitude du stock d'eau disponible. Cependant, leur
avènement historique a probablement émergé en
réponse à cette variabilité pluviométrique qui
rendait l'agriculture pluviale encore plus aléatoire dans un contexte de
croissance démographique (Gunnell et al., soumis). L'apparition
récente de sources alternatives d'irrigation, tel que les puits, pose la
question aux paysans de la conciliation des différents systèmes
d'irrigation.
On peut, de plus, relier le développement
limité de la végétation dans ce secteur à la
présence relativement élevée du nombre de gestionnaires de
l'eau, dont une des missions consiste à curer les lits des
réservoirs afin d'optimiser leur capacité. Ces opérations
s'effectuent la plupart du temps de manière collective et manuelle,
à l'aide de charrettes et de boeufs. La présence des vertisols
peut aussi jouer sur le degré de propagation de la couverture
végétale. En effet, durant la saison sèche, les fentes de
retrait provoquent la rupture des racines et assèchent le profil
très profondément (Duchaufour, 1997).
Les quatre cartes sont le témoin d'une
occupation du lit des tanks changeante, avec des dynamiques dont les
résultantes s'inscrivent territorialement. À dates relativement
comparables, les deux premières cartes indiquent une réduction de
la disponibilité en eau qui peut être le fruit d'une
dégradation structurelle des tanks. Il est difficile d'incriminer
directement les acteurs locaux, comme les neerkatties, du fait de leur
nombre relativement
47
Le bassin versant de la Vaigai-Periyar,
unité régionale d'analyse spatiale et sociale des
tanks
élevé. Il faudrait plus s'interroger sur
l'efficacité des actions entreprises par le PWD ainsi que sur les moyens
financiers mis à la disposition des organisations villageoises. On peut
aussi penser que l'environnement physique local favorise le comblement des
tanks par le biais d'un ruissellement superficiel intense durant les
premières phases de la mousson (associé à une faible
couverture de végétation), mais qu'il n'est pas propice, dans le
même temps, au développement et à la multiplication de
sources alternatives, tel que les puits (aquifères salins). La
volonté de maintenir les tanks dans un bon état, et
principalement les petits, n'est peut être pas ici une priorité
pour ces populations, qui disposent en outre de sols permettant des cultures
pluviales à bons rendements (Mosse, 1997).
48
Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité
régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks
Figure 20 - Cartes des états de surface du lit des
tanks dans la partie aval du bassin versant de la Vaigai-Periyar
Le bassin versant de la Vaigai-Periyar,
unité régionale d'analyse spatiale et sociale des
tanks
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