La privatisation de la ressource
La diminution des stocks d'eau et la mainmise d'une
minorité de propriétaires sur les stocks disponibles ont
provoqué l'émergence d'un marché de l'eau. Bien que
l'activité reste informelle et qu'il n'y ait pas de données
précises disponibles, le volume des transactions semble très
important et devient comparable aux volumes d'autres marchés agricoles
(Janakarajan, 2002). La plupart des transactions s'effectuent entre paysans
d'un même ayacut afin de faciliter le transport de la ressource. Les
modes de paiement varient selon les propriétaires de puits, soit en
argent, soit en reversant une partie de la production. Les règles des
marchés officiels s'appliquent ici selon l'offre et la demande : les
prix fluctuent dans une fourchette qui peut varier selon la saison, le moment
dans le cycle cultural, et la source d'approvisionnement
énergétique des pompes utilisées. Des prix trop
élevés décourageront les acheteurs alors que des prix trop
bas ne seront pas intéressants pour le vendeur. Cette privatisation pose
des questions éthiques sur le devenir de cette ressource
considérée comme un bien public. Elle est aussi significative
d'un changement de valeur ; c'est, en effet, l'accès à l'eau qui
est aujourd'hui synonyme de prospérité, alors que pendant
très longtemps, l'accès à la terre était central.
La terre reste cependant le support nécessaire à la pratique de
l'agriculture mais rare dans une région fortement peuplée ; elle
a un prix en tant que facteur de production (Landy, 1994).
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Les facettes sociales et physiques du monde rural
indien
Les opportunités de travail
Les ouvriers agricoles sont des employés
saisonniers, et l'adoption des cultures de rente comme la canne à sucre
a limité les opportunités de travail. Une des conséquences
est l'augmentation des migrations en ville pour des emplois mieux
rémunérés ou vers les industries sucrières qui
tendent à se développer. Ces migrations concernent principalement
les hommes durant les périodes d'inactivité agricole. Les
ouvriers agricoles sont donc en situation de sous-emploi chronique et
d'insécurité (Ramachandran, 2001). Le rôle des femmes tend
aussi à se marginaliser. La mécanisation de certaines
opérations agricoles, comme le décorticage des fruits de
tamarinier, leur enlève des travaux qui leur étaient
réservées dans le partage des tâches. Les cultures dans les
thottam (zones irriguées par puits) créent aussi moins
d'emplois que les cultures précédentes tel que le coton ou les
légumes. Enfin, beaucoup n'ont de travail qu'environ six mois de
l'année, ce qui engendre des situations d'angoisse et de conflits au
sein même des familles.
Le maintien des
inégalités
Les inégalités sociales liées au
système de castes sont maintenues dans ce processus de modernisation
agricole. Malgré une meilleure représentativité politique,
le désavantage financier de départ s'est accru et n'a pas permis
de rattraper le retard accumulé. La financiarisation de l'agriculture
n'a pas été accompagnée d'une augmentation des salaires
journaliers, ce qui tend à creuser l'écart de salaires entre la
ville et la campagne. Les migrations résultantes de ces
différences de salaire engendrent dans certains cas le départ des
hommes, qui laissent leurs femmes seules au village avec les enfants. La
conséquence directe de ces départs est une dégradation de
la santé des femmes restées au village, qui font passer les
besoins de leurs enfants avant les leurs. Il existe de manière
générale des inégalités entre les castes, entre les
sexes, entre les individus, entre les villages, suivant la disponibilité
de ressources souterraines, et entre les villes et les villages qui sont en
voie de paupérisation.
On peut ainsi s'apercevoir que les bouleversements
récents du monde agricole indien n'ont pas eu d'effets
bénéfiques sur l'ensemble de la population. Le
développement des puits a été rendu nécessaire pour
faire face à la croissance démographique et à
l'insécurité de la fourniture en eau des tanks. Cependant,
l'exploitation sans limite des nappes phréatiques
déséquilibre le système que maintenait tant bien que mal
le tank. Il semble qu'aujourd'hui, un abandon généralisé
des tanks n'est pas souhaitable; mais se pose néanmoins la question de
la stratégie à adopter pour le maintien de ce système
d'irrigation. Il convient dès lors, à l'échelle d'un
bassin versant d'abord, de comprendre comment s'organise l'irrigation par
tanks, si des dynamiques générales se dégagent ou si au
contraire une certaine hétérogénéité
caractérise le système.
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Le bassin versant de la Vaigai-Periyar,
unité régionale d'analyse spatiale et sociale des
tanks
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