MINISTERE DE L'ENSEIGNEMENT REPUBLIQUE
TOGOLAISE
SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE
Travail-Liberté-Patrie
UNIVERSITE DE LOME
FACULTE DE DROIT (FDD)
MEMOIRE POUR L'OBTENTION DU DIPLOME
D'ETUDES APPROFONDIES (D.E.A.)
OPTION : Droit Public
Fondamental
LA CONSTITUTION A L'EPREUVE
DES ACCORDS POLITIQUES DANS LE
NOUVEAU
CONSTITUTIONNALISME
AFRICAIN
Présenté par : Sous la Direction
de :
Pihame BARBAKOUA Prof. Adama KPODAR
Agrégé de Droit et de
Sciences Politiques
Vice-Doyen de la Faculté
De Droit de l'Université de Lomé
1
Année universitaire :
2008-2009
AVERTISSEMENT
2
« La Faculté de Droit n'entend donner
aucune
approbation ni improbation aux opinions
émises
dans ce mémoire. Ces opinions doivent
être
considérées comme propres à
leur auteur ».
DEDICACE
3
Ames chers parents, je dédie ces
prémisses.
Avous aussi, mes enseignants, qui
m'avez ofert l'opportunité d'explorer cete voie,
Et à vous mes amis, pour ce lien qui
nous est cher.
4
REMERCIEMENTS
Au terme de cette étude, nous adressons nos
sincères remerciements :
A notre Directeur de mémoire, le Professeur Adama
KPODAR, Agrégé de Droit et de Sciences Politiques, Vice Doyen de
la Faculté de Droit de l'Université de Lomé. Nous sommes
comblé de votre parrainage scientifique et c'est la marque de notre
profonde gratitude.
Au Doyen de la Faculté de Droit de l'Université
de Lomé le Professeur Akoueté SANTOS et à travers vous, le
corps enseignant et tout le personnel administratif. Vous nous avez permis
d'étudier dans votre temple.
Au Professeur Dodzi Komla KOKOROKO, Agrégé de
Droit et de Sciences Politiques. C'est pour nous un devoir moral de vous dire
merci car, tout au long de ce travail, vous avez été pour nous
plus qu'un père.
A vous tous qui avez contribué de près ou de
loin à l'aboutissement de cette entreprise. Trouvez en ce
mémoire, l'expression même de notre sincère
reconnaissance.
5
PRINCIPAUX SIGLES ET ABREVIATIONS
APG : Accord Politique Global
Art. : Article
CEDEAO : Communauté Economique des Etats de
l'Afrique de l'Ouest
CEI : Commission Electorale
Indépendante
CENI : Commission Electorale Nationale
Indépendante
Ed. : Edition
FMI : Fonds Monétaire International
G8 :Groupe des Huit
LGDJ : Librairie Générale de Droit et de
la Jurisprudence
ONU : Organisation des Nations Unies
Op.cit. : ouvrage cité
précédemment
PIPD : Procédés d'Intervention Populaire
Directe
RDP : Revue de Droit Public et de la science politique
en France et à
l'étranger
RPT : Rassemblement du Peuple Togolais
RTSJ : Revue Togolaise des Sciences
Juridiques
RUF : Front Révolutionnaire Uni
Suiv. : Suivant
UE : Union Européenne
UFC : Union des Forces du Changement
UNESCO : Organisation des Nations Unies pour
l'Education, la Science et la
Culture
6
SOMMAIRE
INTRODUCTION 1
PARTIE I : LA CONSTITUTION SECOUEE DANS SES PRINCIPES
8
CHAPITRE 1 : L'INSTAURATION DES REGIMES DE FAIT 10
Section 1 : Les accords politiques : un instrument non
juridique 11
Section 2 : Les accords politiques : un instrument
régissant le fonctionnement des
institutions 20
CHAPITRE 2 : LA REMISE EN CAUSE DE LA SUPREMATIE DE LA
CONSTITUTION 29
Section 1 : Un pouvoir constituant mis entre parenthèse
30
Section 2 : Un juge constitutionnel impuissant 39
PARTIE II : LA CONSTITUTION COMPLETEE DANS SES
FONCTIONS 48
CHAPITRE 1 : UN COMPLEMENT AVERE 50
Section 1 : Un complément établi 50
Section 2 : Un complément à juridiciser 59
CHAPITRE 2 : UN COMPLEMENT JUSTIFIE 66
Section 1 : Un droit constitutionnel impuissant 66
Section 2 : Un droit constitutionnel perfectible 74
CONCLUSION 85
BIBLIOGRAPHIE 88
TABLE DES MATIERES 95
7
INTRODUCTION
« Dans le but d'assurer que la constitution de la
Sierra Léone traduise les besoins et les aspirations du peuple sierra
léonais et qu'aucune disposition constitutionnelle ou juridique ne
constitue une entrave à la mise en application du présent accord,
le gouvernement sierra léonais prendra toutes les mesures
nécessaires pour créer un comité de révision de la
constitution, chargé d'examiner les dispositions de la constitution
actuelle et lorsqu'il jugera nécessaire, le comité recommandera
des révisions et amendements »1. Cette disposition
de l'article 10 de l'accord de Lomé illustre de façon parfaite,
le bras de fer qui oppose, depuis pratiquement deux décennies, la
constitution de certains Etats d'Afrique à la réalité des
accords politiques.
En effet, « au frontispice des nouvelles
démocraties africaines ayant vu le jour à compter des
années 1990, est inscrit en lettre d'or, le concept de l'Etat de droit
»2. Celui-ci postulait à travers « un
usage effervescent tant, dans les discours politiques que dans la dogmatique
»3, l'instauration de la démocratie par le
truchement de l'affirmation, ou du moins, la proclamation constitutionnelle des
libertés et droits fondamentaux, du multipartisme et de la soumission de
l'Etat au droit. « Aussi, des mécanismes juridictionnels
parfois sophistiqués sont-ils institués »4,
pour garantir la suprématie de la constitution qui en est le
socle5. À l'instar de leurs soeurs d'Europe dont elles sont
inspirées, ces constitutions s'identifient comme la source d'où
jaillit constamment l'autorité de toute autre norme
juridique6. Elles ne peuvent donc être modifiées que
dans le respect d'une procédure rendue solennelle par le constituant
originaire, dans la perspective d'ériger une véritable parade aux
tentatives malveillantes de les modifier « pour soi
»7. C'était, pour ainsi dire, l'expression la
plus
1 Article 10 de l'accord de Lomé du 7
juillet 1999 dans le cadre de la résolution du conflit en Sierra Leone,
cité par KPODAR (A.), « Politique et ordre juridique : les
problèmes constitutionnels posés par l'accord de Linas Marcoussis
du 23 janvier 2003» Revue de la recherche, Droit prospectif d'Aix
Marseille, p.2504.
2 BOUMAKANI (B.), « l'Etat de droit en Afrique
», Revue juridique et politique, 2003, p. 445.
3 Ibidem.
4 Idem.
5 KOKOROKO (D.), « L'apport de la
jurisprudence constitutionnelle africaine à la consolidation des acquis
démocratiques : cas du Benin, du Mali, du Sénégal et du
Togo », Revue béninoise des sciences juridiques et
administratives, n°18, juin 2007, p.87.
6 Voir à ce propos G .BURDEAU, F. HAMON,
M.TROPER, Droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 1997.
7 BOLLE (S.), « Des constitutions « made
in » Afrique », WWW droit
constitutionnel.org,
consulté le 6 novembre 2011, p.12.
8
achevée du renouveau constitutionnel en Afrique, connu
sous le nom du nouveau constitutionalisme africain. Mais en
réalité, que faut-il entendre par nouveau constitutionnalisme
africain?
Pour le Professeur KOKOROKO, « le syntagme de
`'nouveau constitutionnalisme» africain doit être
appréhendé à l'aune des nouvelles constitutions qui ont
essaimé à travers l'Afrique noire francophone, à l'image
d'une nuée de sauterelles, dans les années 1990, rompant avec le
constitutionnalisme d'avant 19908 ». Le
constitutionnalisme quant à lui, est appréhendé, selon
l'expression du Professeur PACTET, comme « le mouvement qui est apparu
au siècle des lumières et qui s'est efforcé, d'ailleurs
avec succès, de substituer aux coutumes existantes, souvent vagues et
imprécises et qui laissent de très grandes possibilités
d'actions discrétionnaires aux souverains, des constitutions
écrites, conçues comme devant limiter l'absolutisme et parfois le
despotisme du pouvoir monarchique »9. Seulement, pour
Olivier DUHAMEL et Yves MENY, le constitutionnalisme ne se résume pas
à l'adhésion diffuse au texte constitutionnel ou à ce qui
en tient lieu (par exemple les conventions et autres règles
traditionnelles qui, en Grande Bretagne, servent de substitut à une
constitution écrite inexistante). Encore faut-il que la
suprématie déclarée de la constitution soit juridiquement
garantie10 . Le constitutionnalisme découle donc du concept
de constitution qu'il semble nécessaire de définir.
La constitution, dans son sens matériel, est
considérée comme un ensemble de règles concernant
l'organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics. Dans ce sens, elle
organise les compétences au sein de l'Etat11. Dans son sens
formel, elle désigne un instrument énoncé dans la forme
constituante et par l'organe constituant, et qui ne peut être
modifié que par une opération de puissance constituante et au
moyen d'une procédure spéciale de révision12.
Mais cette définition ne semble pas refléter les
réalités actuelles du concept de constitution. En effet, pour
Charles DEBBASCH, Jacques BOURDON, Jean Marie PONTIER et Jean-
8 KOKOROKO (D.), « L'apport... »
Op.cit., p.2.
9 PACTET(P), institutions politiques et droit
constitutionnel, Paris, Masson, 1996, p.65.
10 DUHAMEL (O.)-MENY (Y.), Dictionnaire
constitutionnel, PUF, p.213.
11 BURDEAU (G.), Traité de science
politique, le statut de l'Etat, T.4, Paris, LGDJ, p.181.
12 CARRE DE MALBERG (R), Contribution à
la théorie générale de l'Etat, Paris, Sirey, T.II,
1922, p.571 et suiv.
9
Claude RICCI, « si la finalité d'une
constitution est unique, domestiquer le pouvoir politique, son objet est double
: déterminer l'organisation des pouvoirs publics, fixer la liste des
droits et libertés individuels des citoyens. »13.
Les droits et libertés fondamentaux constituent donc un second pendant
indispensable à la notion de constitution. Cette dernière peut
être rigide ou souple.14 Seulement, comme pour obéir
à la pensée de D. ROUSSEAU15, tous les Etats
africains, du moins d'Afrique noire francophone, ont adopté à
partir des années 1990, des constitutions rigides.
On aurait donc pu croire la prospérité de la
démocratie définitivement acquise depuis lors. Malheureusement,
quelques années plus tard, le continent bascule dans un tourbillon de
crises qui semble remettre en cause les vertus proclamées du nouveau
système. Le Doyen KPODAR en tire alors une conclusion en ces termes :
« l'apparition et l'institution d'un nouvel ordre constitutionnel dans
les Etats Afrique ou d'ailleurs, n'ont pas forcément eu pour effet de
les stabiliser du point de vue politique »16 . En effet,
l'institution du multipartisme a eu comme un effet d'épine dans la gorge
des personnes et formations alors au pouvoir ; et qui voudraient conserver leur
position par tous moyens et à n'importe quel prix. Les constitutions,
qui avaient pour piédestal le compromis17 - le consensus
devant souder le tissu social lézardé par « le vent de
l'Est »18 - deviennent à leur tour source
d'inquiétude, de dysfonctionnement des institutions,
d'instabilité et au pire des cas, de véritables poudrières
dégénérant, au moindre mouvement, en crise
cristallisée par des conflits armés19.
13 DEBBASCH (C.) et alii, Droit constitutionnel et
institutions politiques, Paris, Economica, 2001, p-p.82-83.
14 On dit qu'une constitution est rigide
lorsqu'elle est dotée d'une certaine immutabilité du fait des
procédures particulières dont l'observation est requise pour la
modifier. Elle est par contre souple lorsqu' « aucune forme
spéciale n'est prévue pour sa révision », lire
à ce propos BURDEAU (G.), Droit constitutionnel et institutions
politiques, Paris, LGDJ, 1969, p.75. Pour Charles CADOUX, cette
distinction doit être faite à l'abri des phénomènes
politiques. Pour lui en effet, une constitution souple peut devenir, sous
l'effet des phénomènes politiques une constitution rigide et
vice-versa. CADOUX (C.), Droit constitutionnel et institution politiques
théorie général des institutions politiques,
3em éd. Cujas. p.37
15 D'ailleurs les vraies constitutions ne
sont-elles pas les constitutions rigides? S'interrogeait-il dans son article
«une résurrection : la notion de constitution », RDP,
1990, numéro 1, p.15 ; cité par ATANGANA (J-L.), « Les
révisions constitutionnelles dans le nouveau constitutionnalisme
africain », www
afdc.fr, consulté le 6
novembre 2011, p.4
16 KPODAR (A.), « Les problèmes
constitutionnels posés par l'accord de Linas Marcoussis du 23 janvier
2003 »op.cit., p.2503.
17 DEBBASCH (C.), L'Etat du Togo, 1967-2004,
Paris, 2004, p.30.
18 Avec le déclin du communisme
couronné par la chute du mur de Berlin, on a assisté en Afrique,
au déclanchement du séisme des conférences nationales,
avec pour épicentre le Benin.
19 Le cas de la Côte d'Ivoire en dit long.
10
Pour expliquer ce paradoxe, les théoriciens
évoquent plusieurs phénomènes.
Pour certains, il s'agit de l'effet de boomerang, de
l'extranéité de l'ordre constitutionnel ainsi implanté,
essentiellement marqué par conditionnalité
démocratique20, avec pour tuteur le phénomène
de l'Etat importé21. D'autres pointent plutôt du doigt
le contexte de son implantation, matérialisé par la pression de
la population, atteinte du « vertige de la liberté
»22, et impatiente de voir l'éclosion de la
démocratie ; et dont les répliques se traduisent par «
une inflation paradoxale des révisions constitutionnelles
»23, qui ont fini par faisander les constitutions
déjà malades de manque d'originalité. Par ailleurs,
d'autres évoquent parfois la main de l'armée qui, se
considérant comme l'âme et la conscience du peuple, a envahi le
terrain politique qui ne lui était pas a priori
destiné24. D'autres encore pensent à la nature
multiethnique et hétéroclite des Etats hérités de
la colonisation25.
En tout cas, il semble acquis que pour juguler ces crises, le
recours aux moyens politiques parait inévitable. Autant les crises sont
d'origine diverse et variée, autant les moyens politiques appelés
au secours sont nombreux et diversifiés. Tout compte fait, ces
procédés conduisent à l`adoption d'une feuille de route,
d'un ensemble de principes et de recommandations dont la mise en oeuvre
conduirait à calmer les ardeurs et, à terme, à
éteindre la braise. C'est du moins ce qu'on appellerait volontiers un
»accord politique».
On entend donc par accord politique, un compromis entre les
acteurs politiques (opposition et parti au pouvoir ou entre régime en
place et rébellion), souvent si non le plus souvent, sous l'égide
de la communauté internationale26 (Nations Unies, Union
Africaine, CEDEAO). Pour le Professeur KPODAR, ils (les
20 Sur cette question voir BOUMAKANI (B.), «
l'Etat de droit... » op.cit. p 449. KOKOROKO (D.), «
Régimes politiques et Communauté internationale », Revue
de la Recherche juridique et Droit prospectif, Presse universitaire d'Aix
Marseille, p.1009 ; KPODAR (A.), « Communauté internationale
et le Togo, réflexion sur l'extranéité de l'ordre
constitutionnel », RTSJ, p.38.
21 BADIE (B.), L'Etat importé :
l'occidentalisation de l'ordre politique, Paris, Fayard, 1992.
22 TCHATCHIBARA (Y.), le Togo face à
lui-même 1990-1994, Lomé, EDITOGO, p. 9.
23 ATANGANA (J-L.), op.cit., p.14.
24 Or, pour le président Oluségun
OBASANJO le régime militaire en Afrique a donné au malade une
thérapeutique pire que la maladie qu'il est censé guérir.
Cité par le Professeur VIGNON, « Les coups d'Etat en Afrique noire
francophone » in Mélanges en l'honneur de Dominique
BREILLAT, Paris, LGDJ, p.616.
25 AHADZI-NONOU (K..), « Réflexion sur
un tabou du constitutionnalisme négro-africain » in
Mélange en l'honneur de Dominique BREILLAT, Paris, LGDJ, pp.
19-20.
26 Lire utilement MELEGE DJEDJRO (F.) Droit
constitutionnel, Abidjan, ABC, p.231-239.
11
accords politiques) visent à réadapter le
fonctionnement des différents pouvoirs aux intérêts et aux
forces en présence du moins, jusqu'à l'organisation des
élections27.
Du coup, on se retrouve devant un véritable
classico entre la norme juridique suprême et l'expression de la
volonté des acteurs politiques, laquelle semble conférer à
l'accord politique une force, au mieux semblable, et au pire, supérieure
à la constitution. Le paysage politique malgache, togolais, ivoirien et
kenyan de ces dernières années en est une parfaite
illustration.
On sent alors le besoin d'opérer un arrêt, de
reprendre son souffle pour s'interroger sur la nature juridique des accords
politiques. En effet, les accords politiques ont un contenu et une
portée qui varient selon les parties en place et leurs revendications.
Aussi constate-t- on, qu'alors que certains de ces accords exigent, ou
prévoient une révision de la constitution28, d'autres,
plus téméraires, restent silencieux à ce propos, mais
tordent véritablement le coup à la constitution par la
prescription de dispositions absolument contraires et immédiatement
exécutoires29. Ces types d'accords tiennent désormais
lieu de loi fondamentale et font passer la constitution aux fourches caudines
de loi d'exception. On bascule donc ipso facto, dans un régime
sui generis qualifié de « partitocratie
»30.
Comme toutes les disciplines, la science du droit
constitutionnel utilise des classifications nombreuses et très
variées quant à leur objet ou quant aux critères sur
lesquels elles se fondent31. Relativement aux accords politiques, on
peut retenir, par rapport à leur attitude vis-à-vis de la
constitution, des accords qui composent avec la constitution, parce qu'ils
reconnaissent la suprématie de celle-ci et stipulent la
nécessité d'une révision en vue de leur application d'une
part, et les accords qui sont contre la constitution d'autre part.32
Par ailleurs on peut retenir une autre classification ayant pour repère
l'origine de la crise. Aussi pourrait- on avoir d'une
27 KPODAR (A.), « Politique et ordre juridique...
» op.cit, p. 2504.
28 Art.10 de l'accord de Libéria, voir aussi
l'article 32 de l'accord politique global de 2006 du Togo
29 L'accord de Linas Marcoussis.
30KPODAR (A.), « La communauté
internationale et le Togo : réflexion sur l'extranéité
d'un ordre constitutionnel », RTSJ, 2011, p.42.
31 TROPER (M.), « La classification en droit
constitutionnel », RDP, 1989, p.954.
32 La typologie semble ressortir de l'analyse faite
par le Professeur Adama KPODAR dans son article sur l'accord de Linas
Marcoussis, p.2504-2505. Mais il faut reconnaitre avec le Professeur. MELEDJE
DJEDJRO qu'une telle classification n'est pas aisée tant, les accords
font souvent référence les uns aux autres. Il distingue pour sa
part, les arrangements politiques conventionnels d'une part et les arrangements
politiques autoritaires d'autre part.
12
part les accords issus des crises postélectorales et
d'autre part les accords issus des crises dues à la contestation de la
gestion des affaires publiques
Devant cette situation, il devient impérieux de se
poser les questions suivantes : Quelle est la légitimité des
accords politiques ? Quelle sont leur incidences juridiques et politiques ?
Quels sont leurs effets, leurs avantages et inconvénients sur la
constitution ? Celle-ci est-elle encore la norme fondamentale au sein de l'Etat
? Les accords sont-ils un procédé de révision
constitutionnelle ? Comment composent-ils avec l'ordre constitutionnel en
vigueur ?
En d'autres termes, quelle est la physionomie de la
constitution au prisme de la réalité des accords politiques dans
le nouveau paysage du pouvoir ainsi ratissé?
En réalité, il ne fait aucun doute que les
accords politiques sont devenus un impératif presque axiologique dans la
résolution des crises au sein de l'Etat. Ce faisant, ils portent un
secours inestimable aux constitutions dont les mécanismes ont de la
peine à prévenir et à juguler les crises politiques. En ce
sens, on peut dire que les accords politiques consolident le nouveau
constitutionnalisme. Certains y voient d'ailleurs l'apparition des modes
alternatifs de résolutions des crises en droit
constitutionnel33. Seulement, leur mise en application porte un coup
dur à la quintessence même de la constitution : sa
suprématie et sa rigidité.
Une réflexion relative aux effets des accords
politiques sur la constitution est intéressante à plus d'un
titre. Sur le plan théorique, l'analyse consiste à remettre au
goût du jour un triple débat. D'abord sur l'effectivité du
nouveau constitutionnalisme, ensuite sur la relativité de la distinction
classique » constitution souple et constitution rigide»34,
et enfin les effets de l'incursion du politique dans le juridique. Sur le plan
pratique, il s'agira de montrer, d'une part, la place du nouveau
constitutionnalisme dans les crises au sein de l'Etat et d'autre part les
dangers inhérents aux accords politiques incessamment appelés au
secours. Ce qui révèle la nécessité de les
encadrer. Ce faisant, elle apporte sa contribution au nouveau droit
constitutionnel qui porte l'empreinte contradictoire de la souveraineté
et celle de leur dépendance vis-à-
33 DU BOIS DE GAUDUSSON (J.), « Accords de
Marcoussis entre droit et politique », Afrique contemporaine,
1992, p.47
34ATANGANA (J-L.), « Les révisions...
» op.cit., p.26.
13
vis des vieilles démocraties35 et appelle
à la révision des paradigmes fondamentaux du droit
constitutionnel, lorsqu'on envisage de les appliquer au continent
noir36. Par ailleurs, il faut relever d'entrée de jeu qu'il
ne s'agira pas d'une étude généralisée, d'autant
plus que tous les Etats d'Afrique ne sont pas en crise et toutes les crises,
même si elles ont toujours un rapport avec la constitution, n'ont pas
forcement celle-ci pour origine.
Loin de prétendre épuiser la
problématique des rapports entre la constitution et les accords
politiques dans le nouveau constitutionnalisme africain, l'analyse consistera
à exhiber le constat sans appel selon lequel, les accords politiques
constituent une panacée aux lacunes du nouveau constitutionnalisme.
Cependant, ce semblant de belle amitié entre constitutions et accords
politiques ne parvient pas à masquer l'érosion de la
première du fait du second. Les méfaits de l'incursion du
politique dans l'ordonnancement juridique sont alors
révélés au grand jour.
Fort de ce qui précède, il paraît opportun
d'inscrire cette étude dans une approche dynamique qui consisterait
à analyser la constitution à l'épreuve des accords
politiques comme une constitution secouée dans ces principes
(Première partie), avant de démontrer qu'elle est, du même
coup, complétée dans ses fonctions (Deuxième partie)
35 KOKOROKO (D.), Contribution à
l'étude de l'observation internationale des élections,
Thèse de doctorat en Droit, Université de Poitiers, p.19-20.
36 ATANGANA (J-L.), « Les révisions...
» op.cit., p.26.
14
PREMIERE PARTIE :
LA CONSTITUION SECOUEE DANS SES PRINCIPES
A la question de savoir quelles sont les
caractéristiques des constitutions contemporaines, Philippe ARDANT
répond que l'innovation des constitutions écrites, c'est qu'elles
ont pour vocation à régler entièrement le statut des
institutions et qu'elles supplantent la coutume. Elles sont volontaristes,
abstraites et générales, c'est-à-dire qu'elles sont
rédigées a priori pour fournir des solutions
(procédures, principes à respecter) à tous les
problèmes que peuvent poser dans l'avenir, l'organisation et le
fonctionnement du pouvoir. Charte fondamentale de la nation, la constitution
est faite pour durer. Elle s'impose aux citoyens comme aux organes du pouvoir.
Comme cela, il sera difficile de la changer. On doit bien sûr,
prévoir la possibilité de la modifier pour l'améliorer,
l'adapter à l'évolution de la société. Mais la
procédure de révision doit garantir l'acceptation de ces
retouches par les citoyens et éviter qu'elle ne soit pas imposée
de façon arbitraire par le pouvoir37. Charles EISENMANN
retient quant à lui, le `'principe de
constitutionnalité»38. Pour lui en effet, «
tout comme le principe de la légalité qui signifie que seule la
loi peut déroger à la loi, le principe de
constitutionnalité signifie que seule une loi constitutionnelle peut
déroger à une loi constitutionnelle ». De cet
argumentaire, découlent deux éléments : la
suprématie et l'exclusivité. La suprématie de la
constitution postule qu'elle est la norme première, celle à
laquelle se soumettent toutes les autres pour leur salut. D'où la
nécessité d'en garantir le respect par un juge.
L'exclusivité quant à elle, prescrit qu'elle seule régit
le phénomène du pouvoir dans l'Etat en organisant son
acquisition, son exercice et sa dévolution.
Or, à l'analyse, tous ces postulats du
constitutionnalisme semblent être battus en brèche par les accords
politiques. Au demeurant, ils instaurent des régimes de fait (Chapitre
premier), mettant du coup à l'épreuve la suprématie de la
constitution (Chapitre deuxième).
15
37 ARDANT (P.), Institutions politiques et droit
constitutionnel, Paris, LGDJ, 2003, p54-55.
38 Cité par FAVOREU (L.), Droit
constitutionnel, Paris, Dalloz, 1998, p.141.
16
CHAPITRE I : L'INSTAURATION DE REGIMES DE FAIT
Avant de rejeter la « propension fâcheuse
à assimiler trop rapidement les régimes a-constitutionnels
à des pouvoirs inorganisés, n'obéissant pratiquement
à aucune règle digne de ce nom et ainsi soumis au bon plaisir et
au caprice du prince militaire, détenteur illégal du pouvoir
»39, le Professeur AHADZI s'interrogeait sur ce que serait
un `' régime de fait `'. Pour répondre, il emprunte la
définition que George BURDEAU donne au `'gouvernement de
facto» en ces termes : « on entend par gouvernement de
facto, un gouvernement créé, soit en contradiction avec la
constitution existante, soit ipso facto dans le cas de la non existence d'un
ordre étatique préalable. L'originalité du gouvernement de
fait est qu'il exerce l'autorité gouvernementale en l'absence de tout
fondement constitutionnel. Il s'oppose au gouvernement de jure, où le
pouvoir s'exerce conformément à un statut préexistant
»40.
Dans le cadre du nouveau constitutionnalisme africain,
l'instauration des régimes de fait résulte du basculement d'un
système constitutionnel à un système (quasi)
a-constitutionnel41 ou inconstitutionnel, que la doctrine identifie
sous le nominatif de « coup d'Etat politique »42. Dans le
meilleur des cas, on assiste à une cohabitation tumultueuse entre la
constitution et l'accord, le second prenant souvent, si non le plus souvent, le
dessus (cas de la Côte d'Ivoire). Dans le pire des cas, la
première est tout simplement délaissée, suspendue ou
abrogée par le second43.
La preuve que les accords politiques mettent sur pied des
régimes de fait, découle tout simplement du fait qu'ils sont
dépourvus de caractère juridique (Section
I) mais régissent pourtant le phénomène du
pouvoir (Section II).
39 AHADZI-NONOU (K.) : Essai de
réflexion sur les régimes de fait, le cas du Togo,
Thèse de doctorat d'Etat en droit, T I, Université de Poitiers,
1985, p.8
40 BURDEAU (G.), Traité de science
politique op.cit., p.610
41 Un système a- constitutionnel est, un
système sans constitution .Il ne doit pas être confondu avec le
système inconstitutionnel qui désigne un système mis sur
pied en violation de la constitution qui existe pourtant. 42KPODAR
(A.), « Communauté internationale et le Togo ...»
op.cit., p 42
43 Le cas du Madagascar.
17
SECTION I : LES ACCORDS POLITIQUES : UN INSTRUMENT NON
JURIDIQUE
Certains constitutionnalistes ont essayé d'attribuer
aux accords politiques une valeur juridique en se fondant sur la
possibilité de les rattacher à la constitution ou d'en faire une
norme internationale. Pour eux, les accords politiques sont juridiques parce
qu'ils résolvent des crises dont l'acuité n'est plus un secret
pour personne. Or, « loin d'être étrangère ou
opposée au droit, la crise lui est consubstantielle et familière
puisqu'il a précisément pour fin de la prévenir, de la
figer, de la circonscrire ou de la maîtriser... parfois d'en sanctionner
les effets inéluctables, sinon à l'extrême de s'y adapter
»44 . À y voir de près, on se rend à
l'évidence que les accords politiques ont difficilement un lien avec la
constitution (Paragraphe I). Par ailleurs, ils ne peuvent avoir le label de
normes internationales (Paragraphe II).
Paragraphe I : Le rattachement des accords politiques
à la constitution : une logique difficilement défendable
L'existence d'un quelconque lien entre la constitution et les
accords politiques, découlerait forcément de leur rattachement
aux mécanismes constitutionnels de résolution des crises au sein
de l'Etat (A), ou du moins, de leur compatibilité avec la constitution
dans son ensemble(B). Malheureusement, il n'en est rien.
A : Impossibilité de rattacher les accords
politiques aux mécanismes constitutionnels de résolution de
crises
Les constituants africains, comme leurs confrères des
vieilles démocraties, ont
refusé de considérer l'Etat comme un lieu
où règne la perfection, la liberté, la paix, le bonheur,
l'abondance, l'absence de contraintes, de tensions et de conflits. Ils ont donc
prévu des mécanismes pour juguler les crises qui naitraient. De
ce point de vue, on pourra distinguer les mécanismes juridictionnels
faisant donc appel au juge constitutionnel et des mécanismes extra
juridictionnels. S'il semble évident que les accords politiques sont par
nature incompatibles avec les mécanismes juridictionnels(1), la
tentative de les rapprocher aux modes extra juridictionnels semble avoir du
plomb dans l'aile(2).
44 ARDANT (P) et DABEZIE (P), « Les pouvoirs de
crise », Pouvoirs n° 10, 1979, p.3
18
1 : Les mécanismes juridictionnels et les
accords : deux modes de résolution des crises naturellement
répulsifs
On entend par mécanismes juridictionnels de
résolution des crises, ceux qui connaissent l'intervention du juge
constitutionnel. En effet, on observe aujourd'hui que la
politique est saisie par le droit, et il en résulte une «
juridisation » de la vie politique45. Aussi, certaines
constitutions font-elles des juridictions constitutionnelles, les organes
régulateurs du fonctionnement des institutions et de l'activité
des pouvoirs publics. Les juridictions constitutionnelles se trouvent ainsi
investies d'un rôle de pacification et d'encadrement de la vie politique,
qui est par nature, tumultueuse46. Ce rôle se
matérialise essentiellement à travers le contentieux
constitutionnel. Il s'agit en réalité des trois variantes du
contentieux constitutionnel à savoir le contentieux électoral, le
contentieux des libertés et le contentieux des normes et des
institutions47. Cette mission assignée à la
juridiction constitutionnelle n'est pas à négliger. Les
juridictions constitutionnelles sont, à cette occasion, amenées
à édicter des normes dont la force juridique et la portée
ne sont plus un secret pour personne48. Ce faisant elles permettent
de juguler les crises au sein de l'Etat.
Ici, la question fondamentale qui se pose est de savoir si les
accords politiques peuvent avoir un quelconque lien avec le juge
constitutionnel ? Si a priori, cette interrogation semble
dépourvue de tout intérêt, dû au fait
qu'originellement la jurisprudence et accord politique ne font pas bon
ménage, il se pose néanmoins une question qui est relative
à la nature d'un accord expressément visé par la
juridiction constitutionnelle. En effet, il arrive que le juge constitutionnel
fasse référence aux accords politiques, surtout dans le
contentieux électoral. En 2007, la cour constitutionnelle togolaise a
fait référence à l'esprit de l'Accord Politique Global
(APG) pour trancher le contentieux préélectoral49. Il
s'agit peut-être d'un cas isolé, mais qui nécessiterait
d'être approfondi. Hormis cette hypothèse, il semble acquis que
les accords politiques, eu égard à leur mode d'érection et
à leur effet, sont
45 FAVOREU (L.), Droit constitutionnel....
op.cit. p.331
46 Vè congres d'ACCPUF tenu à Cotonou du
22 au 25 juin 2009
47 FAVOREU (L.), Droit
constitutionnel...op.cit.pp.299 et suiv.
48 Ce qui conduit certains auteurs comme L.
FAVOREU, à parler de l'émergence d'un droit constitutionnel
jurisprudentiel
49 Décision n°E00107/ du 25 septembre
2007, JORT, n° spécial, p.3.
19
incompatibles avec les modes juridictionnels de
résolution des crises. Ce qui semble ne pas être le cas avec les
modes extrajudiciaires.
2 : Les accords politiques et les pouvoirs de crise : une
convergence étouffée
S'il est clair, dans le premier cas, que les accords
politiques ne peuvent acquérir une juridicité par le biais des
mécanismes juridictionnels de résolution des crises au sein de
l'Etat, les pouvoirs de crises semblent, quant à eux, plus
généreux.
Le droit constitutionnel appréhende la notion de
pouvoir de crise comme des procédés de nature et de portée
très différentes, destinés à faire face à
des situations d'exception de caractère national ou local, mais se
traduisant tous, par l'assouplissement ou la mise à l'écart, pour
une durée plus ou moins longue, de la légalité. Il s'agit
fondamentalement de l'état de siège, l'état
d'urgence50 et de la dictature constitutionnelle51.
On entend par état de siège, un régime de
temps de crise résultant d'une déclaration officielle et qui se
caractérise par la mise en application d'une législation
exceptionnelle de prévoyance, soumettant la liberté individuelle
à diverses restrictions et à une emprise renforcée de
l'autorité publique. L'état d'urgence, quant à lui,
désigne une situation dans laquelle les pouvoirs de police
administrative se trouvent renforcés et élargis pour faire face
soit, à un péril imminent résultant d'atteinte grave
à l'ordre public, soit d'événements présentant par
leur nature et leur gravité, le caractère de calamité
publique pouvant ou non résulter des circonstances exceptionnelles.
Prenant ses origines dans la dictature romaine, la dictature constitutionnelle
est, pour sa part, le point culminant des pouvoirs de crises. Elle postule que
toutes les fois que les troubles menacent la sûreté de l'Etat, le
Chef de l'Etat peut prendre toutes les mesures exigées par les
circonstances. Il s'agit en substance, d'une situation de crise si
poussée que le Président de la République, dans sa stature
de garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du
territoire, du
50 La doctrine de l'état de siège et
de l'état d'urgence ont pris naissance aux Etats Unis sous l'impulsion
de Abraham LINCOLN qui déclarait à ce propos « j'aime mieux
méconnaître une disposition de la constitution et de sauver
l'union que de respecter strictement la constitution et de la voir s'effondrer
». Voir TUNC (A.), « Droit des Etats unis », Paris,
PUF, p.18.
51 Presque tous les Etats africains ont
adopté ces modes de résolution constitutionnelle des crises
à l'exception du Togo n'a prévu à cet effet que
l'état de siège et l'état d'urgence. Il n'a donc pas
adopté la dictature constitutionnelle. Peut-être que le
constituant togolais de 1992 l'a considéré comme
superfétatoire ou plutôt semble faire confiance à
l'intelligence et à l'imagination du Chef de l'Etat qui comprendrait que
son rôle de garant de l'indépendance et de
l'intégrité du territoire lui confère automatiquement ce
pouvoir.
20
respect des accords de communauté et des
traités, dispose de tous les moyens, à condition que ceux-ci
soient justifiés par les circonstances.
Il résulte donc de ce qui précède que,
dans tous les cas, il appartient à l'autorité compétente
d'apprécier la situation et de choisir la modalité idoine.
Dès lors, on pourrait tenter un rapprochement entre les accords
politiques et ces procédés, surtout la dictature
constitutionnelle. En effet, pourquoi ne peut-on pas considérer que les
accords politiques soient la mesure imposée par les circonstances ?
Malheureusement plusieurs éléments fondamentaux
empêchent que l'on s'aventure sur ce terrain. En effet, le recours aux
pouvoirs de crise est soumis à des conditions aussi bien de forme que de
fond52. Dans tous les cas, les accords politiques semblent ne pas
supporter ce formalisme. Ce qui conduit encore une fois, à leur refuser
une valeur juridique. Cette situation est d'avantage renforcée lorsqu'on
envisage une certaine compatibilité avec la constitution dans son
ensemble.
B : La difficile compatibilité des accords
politiques avec la constitution
L'incompatibilité des accords politiques à la
constitution peut être démontrée de deux façons.
D'une part, en se fondant sur une analyse substantielle(1) et d'autre part,
à travers une analyse fonctionnelle(2).
1 : Une incompatibilité substantielle
Certains auteurs ont prétendu reconnaître une
certaine compatibilité des accords politiques avec la constitution, en
prônant une approche compréhensive des textes53. Pour
ce faire, ils proposent la technique de l'interprétation
fonctionnelle54 et
52 L'article 36 de la constitution française
de 1958 relatif à l'état de siège, dispose que celui-ci
est pris en conseil des ministres. Sa prorogation au-delà de 12 mois ne
peut être autorisée que par le Parlement. Relativement à la
dictature constitutionnelle l'article 16 de la même constitution dispose
« lorsque les institutions de la République, l'indépendance
de la nation ou l'exécution de ses engagements internationaux, sont
menacées d'une manière grave et immédiate et que le
fonctionnement régulier des institutions publiques constitutionnelles
est interrompu le Président de la République, prend les mesures
imposées par les circonstances, après consultation officielle du
Premier ministre, des présidents des assemblées ainsi que du
Conseil constitutionnel. Il informe la nation par un message. »
53 Relativement à l'accord de Linas
Marcoussis, le Professeur. J.DU BOIS DE GAUDUSSON les a présenté
en ces termes « moyennant l'adoption d'une approche compréhensive
des textes, les modifications recommandées par l'accord ne sont pas
incompatibles avec la constitution ». « Accord de Marcoussis entre
droit et politique », Afrique contemporaine, pp.45-46.
54 Le Professeur KPODAR distingue trois
méthodes d'interprétation qui répondent mieux à la
fonction de volonté: il y a en premier lieu l'interprétation
génétique par laquelle l'on recherche la volonté
réelle de l'auteur du texte, à travers par exemple les travaux
préparatoires ; en second lieu l'interprétation
systémique, dont l'objectif est d'éclairer un fragment de texte
par un autre, et enfin l'interprétation fonctionnelle ou de l'effet
utile par laquelle on donne au texte la signification qui lui permettra de
remplir la fonction qu'on lui avait attribuée.
21
la voie des conventions constitutionnelles55.
Seulement, « il reste (...) que cet exercice de juriste, quel que soit
le talent et la capacité d'imagination de ce dernier, se heurte à
des limites qui épuisent les vertus de sa poursuite sur le plan
politique »56. En effet, le Professeur KPODAR a
rejeté, dans son célèbre article sur l'accord de Linas
Marcoussis, toute compatibilité dudit accord à la constitution
fondée sur une telle démarche. Pour le grand théoricien
des accords politiques, si le recours au principe de l'interprétation de
l'effet utile est un argument inconsistant pour établir la
compatibilité de l'accord avec la constitution ivoirienne57,
il est également impossible de faire rentrer ce compromis dans les
catégories des conventions de la constitution58. En tout cas,
il n'est pas prudent d'étendre cette analyse à tous les accords
politiques, puisque pour le Professeur DU BOIS DE GAUDUSSON, sur le plan
juridique, la conciliation des deux textes passe par la révision de la
constitution59. Autrement dit, les accords politiques qui
prévoient une révision peuvent être qualifiés de
`'compatibles» après celle-ci. En réalité, s'il est
vrai qu'une telle révision créerait une compatibilité
entre la constitution et l'accord, il s'agirait tout simplement d'une
conformisation de la constitution à l'accord politique. Comment admettre
juridiquement de soumettre le pouvoir constituant à une « grande
mésintelligence »60, organisée par quelques
individus à la poursuite de leur intérêt personnel ?
Même jusque-là, on peut encore refuser le nom de régime de
droit au système installé, puisque la révision pourrait
être substantiellement déniée de validité pour deux
raisons. La première est relative à la procédure. En
effet, on se trouverait en présence d'une simple formalité
d'adaptation de la constitution à l'accord politique. Elle serait donc
complètement vidée de sa substance61. La seconde est
relative aux institutions qui y interviendraient. L'hypothèse est la
suivante : à supposer que le Président Laurent GBAGBO
révise la constitution, notamment
Au -delà, il faut rappeler que l'interprétation
est une opération par laquelle l'on attribue une signification à
quelque chose. Voir KPODAR (A.), « Politique et ordre juridique... »
op.cit., p.2512.
55 Une convention constitutionnelle constitue une
révision politique de la constitution, ou à tout le moins une
interprétation plus ou moins laxiste qui impose grâce à
l'accord des acteurs politiques comme norme obligatoire tant le consensus
persiste ou qu'une révision juridique expresse ne s'y est pas
substituée. Voir DUHAMEL (O.) et MENY (Y.), Dictionnaire de droit
constitutionnel op.cit, p.232. Tel que défini, on pourrait
valablement penser à y faire entrer les accords politiques. Il faut donc
préciser qu'il s'agit des acteurs constitutionnels.
56 DU BOIS DE GAUDUSSON (J.), « Accord de
Marcoussis... » op.cit., p.46.
57 « Politique et ordre juridique... »
op.cit., pp.2512-2516.
58 Idem.
59 KPODAR (A.), « Politique et ordre juridique...
», op.cit., p.2515.
60 Ibidem.
61 On le verra, les révisions sur
l'initiative des accords politiques semblent ne pas respecter l'esprit la
procédure prévue à cet effet.
22
l'article 35, pour permettre à OUATTARA de
présenter sa candidature aux élections présidentielles de
2010. Cette révision serait irréfutablement contraire à la
constitution. Parce que l'exercice du pouvoir par Laurent GBAGBO est
inconstitutionnel62. Il est donc difficile, voire impossible, de
trouver une compatibilité entre les accords politiques et la
constitution, même au prix d'une contorsion voire d'une
`'alchimie»63 de la constitution.
2 : Une incompatibilité fonctionnelle
Quelle est en réalité la fonction des accords
politiques ?
On proclame souvent les avantages des accords politiques,
surtout lorsqu'il s'agit de résoudre une crise politique d'envergure
militaire. On pense souvent que ce genre de crises dépasse le cadre
juridique et ne pourrait donc pas être résolu par des
mécanismes juridiques ; et qu'il faudrait chercher ailleurs la solution
à une telle situation. Les accords politiques sont alors
considérés comme la panacée. Seulement, derrière
cette idée de bon sens encore à vérifier64, se
cache une véritable volonté de redistribuer le pouvoir aux forces
en place65. Dès lors, on se demande comment deux textes
contradictoires, ayant une finalité commune peuvent être
compatibles.
Par ailleurs, si une telle compatibilité est
prouvée, on se demande comment serait contrôlée son
effectivité. En effet, on peut s'interroger sur l'attitude du juge
constitutionnel. Comment gèrerait-il la contradiction entre les deux
énoncés ?
Il semble donc acquis que les accords politiques sont
difficilement compatibles avec la constitution. Comme tel, leur
positivité est difficilement démontrable sur le plan interne. Le
droit international semble, lui aussi, leur dénier toute
juridicité.
62 S'il est vrai qu'on pût soutenir que
Laurent GBAGBO a été élu Président de la
République, on peut valablement soutenir qu'à partir de l'Accord
de Linas Marcoussis son règne a progressivement perdu de sa
constitutionnalité pour finir par disparaître en 2005.
63 KPODAR (A.), « Politique et ordre juridique
... », op.cit., p. 2513.
64 Encore faut-il se rassurer que les accords
mettent fin à la crise. Cette inquiétude est légitime
puisque le Professeur KPODAR constate avec regret que l'accord de Marcoussis
n'est pas parvenu à pacifier le pays et qu'il a fallu l'intervention des
forces licornes qui ont créé une zone de tampon entre les
rebelles et les forces officielles pour arrêter les affrontements.
65 Certains auteurs désignent les accords
politiques par un nom évocateur : « accords de partage de
pouvoir et de gestion consensuelle ». Voir MOYEN (G.), « Les
accords de sortie de crises politiques et constitutionnelles en Afrique : les
cas de la République démocratique du Congo et de la Côte
d'Ivoire », inédit, p.2.
23
Paragraphe II : L'internationalisation des accords
politiques : une logique
contestable
Faute de trouver en droit interne un moyen pour offrir une
valeur juridique aux accords politiques, certains auteurs et hommes politiques
vont se réfugier dans les méandres du droit international, en
entretenant l'illusion de l'internationalisation des accords politiques (A).
Seulement cette logique ne semble pas résister au test de la rigueur
scientifique (B).
A: L'illusion de l'internationalisation des accords
politiques
On entend par internationalisation des accords politiques, le
fait de considérer
que ceux-ci sont des normes internationales. Cette
prétention (1), à y penser, n'est pas dépourvue de tout
fondement (2).
1 : La prétendue internationalisation des accords
politiques
La prétention selon laquelle les accords politiques
seraient des normes
internationales prend sa source aussi bien dans la doctrine
que dans la jurisprudence. Plusieurs éléments peuvent l'attester.
En effet, le 6 mai 2011, le Président du Conseil Constitutionnel
ivoirien Paul Yao N'DRE, après avoir proclamé quelques mois
auparavant, la suprématie de la constitution66 pour proclamer
vainqueur de l'élection présidentielle de décembre 2010
(résultats contraires à ceux donnés par la Commission
Electorale Indépendante (CEI), dont le fonctionnement est soumis au
chapelet d'accords qu'a connu la Côte d'Ivoire), déclare ALASSANE
OUATTARA vainqueur et reçoit la prestation de serment de ce dernier. Il
déclare à cette occasion que « les normes et
dispositions internationales acceptées par les organes nationaux
compétents, ont une autorité supérieure à celle des
lois internes »67.
Relativement à la doctrine, on peut rappeler la
position du Professeur Charles DEBBASCH dans son ouvrage intitulé
`'L'Etat togolais de 1967 à 2004». Dans cet ouvrage, après
avoir qualifié l'accord de Ouagadougou de 1999 d' « engagement
politique », l'éminent juriste, soucieux de lui
conférer une valeur juridique, déclare : « placé
dans le cadre des négociations internationales, l'accord modifie
66 « Les accords de Linas Marcoussis sont nuls et non
avenus » avait-il déclaré à la presse. Ces propos ont
été rapportés par J.DU BOIS DE GAUDUSSON dans son article
sur l'accord de Linas Marcoussis p.44.
67 Cité par DENGUENVA (K.V.) dans Togo presse
du 6 mai 2011, n°8531, p.13.
24
plusieurs dispositions constitutionnelles et
légales en vertu du principe de la suprématie du droit
international sur le droit interne »68.
On le voit bien, les exemples peuvent se multiplier. Il semble
donc opportun de chercher le fondement d'une telle prétention.
2 : Le fondement de la prétention
Un tel montage n'est pas dépourvu de tout fondement. En
effet, lorsqu'on
analyse le processus de formation des accords politiques, on
se rend compte qu'il ressemble curieusement au processus de formation des
traités. Il s'agit en majorité, des pourparlers suivis de la
signature.
Par ailleurs, la présence de représentants de
plusieurs Etats et
l'implication sans cesse croissante des Organisations
Internationales, semblent être de nature à couvrir les accords
politiques du caractère de normes internationales.
En réalité, si tous ces éléments
militent de façon incontestable en faveur de l'internationalisation des
accords politiques, il reste cependant, qu'une analyse minutieuse des deux
phénomènes semble dérouter les accords politiques de la
voie commune.
B : L'impertinence de l'internationalisation des accords
politiques L'impertinence de la logique de
l'internationalisation découle essentiellement
du fait que les accords politiques ne répondent pas
à la définition et finalité des normes internationales
auxquelles on les assimile (1). Par ailleurs, les juridictions internationales
semblent denier aux accords politiques un tel caractère (2).
1 : Les accords politiques et les normes
internationales
Les accords politiques se distinguent nettement des normes
internationales
notamment les traités et les actes
unilatéraux69.
Relativement aux traités, le droit international leur
reconnaît deux définitions complémentaires. Il s'agit d'une
définition coutumière et d'une définition écrite.
Selon la définition coutumière, le traité désigne
tout accord entre deux ou plusieurs sujets de droit international,
destiné à produire des effets de droit et régi par le
droit
68 L'Etat du Togo 1967-2004, Paris, p.29.
69On pourrait volontiers considérer les
accords politiques comme des actes unilatéraux conçus comme la
manifestation de volonté d'un sujet de droit international. Cependant il
ne fait aucun doute qu'ils ne sont pas des actes unilatéraux d'autant
plus que les actes unilatéraux font généralement appel
à une volonté unique.
25
international70. La définition écrite
quant à elle, conçoit le traité comme un accord
international conclu par écrit et régi par le droit
international, qu'il soit consigné dans un instrument unique ou dans
deux ou plusieurs instruments connexes et quelle que soit sa
dénomination71. De ces définitions, découlent
deux éléments fondamentaux : d'une part, que le traité
suppose un concours de volonté entre deux ou plusieurs sujets de droit
international. D'autre part, que le traité crée des obligations
à la charge des parties et est régi par le droit
international.
Or, lorsqu'on appréhende les accords, il est clair
qu'ils ne sont pas signés entre des sujets de droit international,
puisque les partis politiques ne sont pas des sujets de droit international.
Par ailleurs, les accords politiques n'ont pas vocation à juguler une
crise internationale et donc ne peuvent être régis par le droit
international. Ce que semble d'ailleurs corroborer la jurisprudence
internationale.
2 : Les accords politiques et la jurisprudence
internationale
Les juridictions internationales semblent dénier toute
valeur juridique aux accords politiques.
La meilleure illustration en ce domaine reste le cas sierra
léonais. En effet, le 7 juillet 1999 fut signé dans la capitale
togolaise, I `accord de paix de Lomé dans un difficile et laborieux
équilibre entre la paix et la justice en Sierra Leone. Cet acte accorde
l'amnistie c'est-à-dire la liberté et le `'pardon absolu» au
chef du Front Révolutionnaire Uni (RUF) le défunt Foday SANKOH et
aux autres parties prenantes au conflit72. L'accord de Lomé
fait suite à celui d'Abidjan du 30 novembre 1998 instaurant un
cessez-le-feu entre les belligérants et envisageant déjà
cette amnistie.
Poursuivis par le Tribunal Spécial pour la Siéra
Léone dont l'article 10 ne reconnaissait pas cette amnistie, les
nommés Kallou et Kamara font savoir que toutes les amnisties ne sont pas
illégales au regard du droit international et que l'amnistie en question
s'imposait aux autorités siéra léonaises en tant que
partie
70 SALMON (J), dir., Dictionnaire de droit
international, Bruylant, 2001, pp.1688-1689 ;DIHN(N.Q) Droit
international public, Paris, LGDJ, 2009, p.118.
71 Ibidem.
72 Art 10 de l'accord `'pardon absolu»
26
intégrante de l'accord de Lomé, traité
international au regard de la Convention de Vienne sur le droit des
traités.73
Examinant la requête des sieurs Kallou et Kamara, la
chambre d'appel du Tribunal Spécial a passé en revue deux
questions à savoir d'une part, la qualité des parties à
l'accord de Lomé et la conséquence juridique de l'article 10 des
statuts, et d'autre part, les limites des amnisties en droit international.
Sur la première question (et c'est elle seule qui
retiendra notre attention), la chambre estime que l'accord de Lomé qui a
été signé, entre autres, par l'ONU et un Etat tiers, ne
suffit pas pour en faire un traité international, créateur
d'obligations à la charge des signataires. L'ONU et les tiers Etats n'en
seraient que des cautions morales. Par ailleurs, le RUF ne disposerait pas du
« treaty making power » au regard du droit international et ne serait
reconnu, comme tel, par aucun Etat membre de la communauté
internationale.
Il en découle donc que les accords politiques ne sont
pas des normes juridiques, mais régissent pourtant les institutions au
sein de l'Etat.
SECTION II : LES ACCORDS POLITIQUES : UN INSTRUMENT
REGISSANT LES INSTITUTIONS AU SEIN DE L'ETAT
Dans la perspective de résoudre la crise, les accords
politiques éditent un ensemble de normes, de principes, en feuille de
route, souvent immédiatement applicables. Pour le Professeur DU BOIS DE
GAUDUSSON, les accords définissent une nouvelle constitution et que leur
objectif est précisément de réviser les dispositions
institutionnelles et de contenir des recommandations non conformes à
celles toujours en vigueur74.
S'il est vrai que le plus souvent, « le constituant de
fait »75 édite des règles qui régissent le
fonctionnement de l'exécutif par la mise sur pied d'un gouvernement
d'union nationale avec à la clef un programme, il vise aussi le
législatif qui est ainsi
73AGOKLA (K.M.) Cours polycopié de droit
pénal international. Université de KARA, quatrième
année, droit public, 2008, p.40 et suiv.
74« Accord de Marcoussis... » op.cit.,
p.46.
75 KPODAR (A.) « La communauté
internationale et le Togo... » op.cit., p.42
27
mis sous perfusion. Au-delà, des pouvoirs
exécutif et législatif (Paragraphe I), les accords politiques
instituent plus généralement des organes ad hoc, ou
irriguent ceux déjà existants (Paragraphe II).
Paragraphe I : Des bouleversements institutionnelles
Les accords politiques ont souvent pour principal objectif de
mettre sur pied des gouvernements de crise totalement déconnectés
des prescriptions constitutionnelles (A). Par ailleurs, ils soumettent le
parlement à une véritable corvée, consistant à
l'enregistrement des lois préalablement établies par eux. Ce qui
a fait dire de celui-ci, qu'il est mis sous curatelle (B).
A : Des exécutifs inconstitutionnels
Les exécutifs mis sur pied par les accords sont souvent
connus sous le nom de gouvernements de crise. Gouvernement d'union nationale,
gouvernement d'ouverture ou de large ouverture, gouvernement de mission,
gouvernement de transition, une générosité terminologique
et sémantique pour désigner une seule réalité au
double plan originel(1) et fonctionnel(2).
1 : L'instauration des gouvernements de crise
Dans la théorie du droit constitutionnel, le
gouvernement apparaît comme la clé de l'existence de l'ordre
public, la réalité de la conception anthropologique de l'Etat.
C'est lui qui incarne le pouvoir exécutif que Montesquieu qualifiait
« puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit
des gens »76, et c'est lui qui « en Afrique,
représente le pouvoir tout court »77. Selon les
principes fondamentaux de la théorie de la démocratie
représentative majoritaire en vogue dans le nouveau constitutionnalisme
africain78, seule la majorité gouverne. Cependant, les
accords mettent sur pied un composite multiforme en violation flagrante des
constitutions.
En effet, si on peut relever que dans certains cas, il y a la
majorité et l'opposition, comme au Togo et en Côte d'Ivoire du
moins jusqu'en 2005, il s'agit le plus souvent, d'un partage de portefeuilles
ministériels aux belligérants, en dehors et au mépris des
règles constitutionnelles préétablies. L'exemple le plus
en vue et peut-être le plus illustratif se trouve être le cas du
Kenya et du Zimbabwe. Dans le premier
76 MONTESQUIEU, L'esprit des lois, Livre XI,
Chapitre VI.
77 FALL (I.M.) Le pouvoir exécutif
dans le constitutionnalisme des Etats d'Afrique, L'Harmattan, 2008,
p.310
78 KPODAR (A), « La communauté
internationale et le Togo... », op.cit., p.45.
28
cas, il s'agit de l'accord du 28 février 2008 qui
consacre le partage du pouvoir entre Mwai KIBAKI (qui gagne le poste de
président) et Railla ODINGA qui s'en sort avec la primature. Il en est
de même au Zimbabwe, où les résultats des élections
sont tout simplement mis de côté, avec pour finalité, la
nouvelle version de la « conférence de Berlin »79.
Robert Mugabe conserve le fauteuil présidentiel et son éternel
rival Morgane Swinguerai, la primature. On se trouve là en
présence de la matérialisation de l'approche consociationnelle,
chère à Pierre MOUKOKO MBONJO80.
L'inconvénient majeur de ces gouvernements est en
réalité le nombre exorbitant de ministres qu'ils
contiennent81. Au-delà, ils sont composés sans aucune
considération de compétences. Or faut-il le rappeler, ce
gouvernement a un programme à mettre en exécution.
2 : La prescription d'un programme
Les gouvernements de crise ont le plus souvent deux missions
fondamentales. Il s'agit d'une part, de pacifier le pays et d'autre part, de
conduire à l'organisation des élections libres et transparentes.
Ce rôle se retrouve essentiellement dans la mission qu'il a, d'assurer
l'effectivité de l'accord. Dans le cas ivoirien par, l'art. 3a
résume la mission du gouvernement de réconciliation en ces termes
: «il sera chargé de renforcer l'indépendance de la
justice, de la restauration de l'administration et des services publics et du
redressement du pays. Il appliquera le programme de la table ronde qui figure
en annexe et qui comporte notamment des dispositions dans le domaine
législatif et règlementaire ». Et à l'art. 3b
d'ajouter qu' « il préparera les échéances
électorales aux fins d'avoir une élection crédible et
transparente et en fixera les dates ». On le voit bien, ce
gouvernement aura à mettre en application l'accord en usant des moyens
mis à sa disposition par celui-ci (notamment la constitution), pour
atteindre les objectifs fixés. La constitution devient alors
fidèle servante de l'accord politique qui désormais tient lieu de
loi fondamentale. En outre, le parlement passe lui aussi sous le règne
de l'accord politique.
79 Il s'agit en réalité une
retrouvaille de partage du pouvoir semblable à la conférence de
Berlin organisée par le Chancelier allemand Bismarck de novembre 1884
à Février 1885 qui établit les règles d'occupation
coloniale que les historiens considèrent comme la table de partage de
l'Afrique.
80 MOUKOKO MBONJO (P.), « Pluralisme et
démocratie en Afrique : l'approche consociationnelle ou du «
POWER-SHERING » », Afrique 2000, p.39 et suiv.
81 Or le Professeur VIGNON avait déjà
déploré ce fait qui atteste d'ailleurs de la mal administration
des pays africains. « Les aspects structurels de la mal administration au
Togo », Annales de l'Université du Benin. T XVII,
1997-1998. Par ailleurs, on peut s'interroger sur l'effet d'une telle
débilité sur les budgets nationaux.
29
B : Un parlement sous curatelle
Lorsqu'il n'est pas suspendu, comme c'est le cas au
Madagascar82, le Parlement est tout simplement transformé en
chambre d'enregistrement des textes nécessaires à
l'accomplissement de la mission assignée à l'exécutif. Il
s'agit pour ainsi dire, de la confiscation pure et simple de la fonction
parlementaire(1) qui conduit à conclure à la remise en cause du
mandat parlementaire(2)
1 : La confiscation de la fonction
parlementaire
Le pouvoir législatif désigne l'organe qui au
sein de l'Etat, a la compétence de faire les lois.
Généralement connu sous le nom de parlement, cet organe se voit
doté de deux missions essentielles à savoir celle de voter les
lois et celle de contrôler l'action du gouvernement83. Si
théoriquement, à l'épreuve des accords politiques, les
Parlements africains peuvent se vanter de continuer par exercer leur mission,
la pratique révèle une véritable confiscation du pouvoir
législatif par les accords politiques.
En effet, dans le pire des cas, les dispositions de l'accord
se substituent tout simplement aux législations en vigueur. C'est le cas
par exemple de l'APG au Togo dont l'annexe I est intitulée `'Des
attributions, de la composition et des démembrements de la Commission
Nationale Electorale Indépendante (CENI)», se substitue aux
dispositions du code électoral en vigueur84. Dans le meilleur
des cas, l'accord lui laisse le soin de légiférer ; mais pas
n'importe comment. Dans ce cas, le Parlement devient destinataire d'une
véritable « feuille de route » à transformer en lois.
L'accord politique devient alors un acte de puissance législative ou de
participation à la fonction législative en prenant l'initiative
des lois. Or, pour le Professeur KPODAR, « il parait inconcevable dans
le cadre de la théorie constitutionnelle, qu'un accord puisse influencer
la fonction législative même d'un point de vue procédurale
(et ceci) en dehors des prescriptions constitutionnelles
»85.
82 L'Accord de Maputo dissout toutes les institutions
notamment le parlement.
83 Voir sur ce point SOMALI (K.) : Le parlement
dans le nouveau constitutionnalisme africain Essai d'analyse comparée
à partir des exemples du, Benin Burkina Faso et du Togo,
Thèse de doctorat, Université Lille II, 2008, p.11.
84 Adopté par la loi n° 2000-007 du 05
avril 2000 portant code électoral
85 « Politique et ordre juridique... »
op.cit., p.2511.
30
Par ailleurs, la fonction de contrôle86 de
l'activité gouvernementale perd toute sa substance. En effet, elle se
matérialise par le vote de confiance et des questions. Or, pour entrer
en fonction, le gouvernement de crise n'a aucun programme à
présenter que celui qui lui a été imprimé par
l'accord. Dès lors, on est en droit de crier à la confiscation du
pouvoir législatif, celui-ci se trouvant diminué dans toute sa
nature, dans les profondeurs de son essence ; et on se demande si le mandat
parlementaire lui-même peut encore se prévaloir de sa superbe
d'antan.
2 : La remise en cause du mandat
parlementaire
Le mandat parlementaire est la pierre angulaire de la
démocratie représentative. Historiquement, la conception de
mandat parlementaire comme fonction publique résulte de la
transformation de la représentation assurée par les
assemblées médiévales auprès du souverain. Les
membres de ses assemblées étaient députés,
c'est-à-dire envoyés par les communautés pour être
des porte-paroles et notamment, exprimer les doléances en échange
de leur consentement aux subsides demandés par le souverain. Ils
tenaient donc leur pouvoir de ceux qui les avaient élus et ne pouvaient
l'engager que dans les limites du mandat qu'ils avaient reçu. Pour cette
raison, ce mandat était impératif, ce qui signifiait que les
députés étaient liés par les instructions de leurs
commettants. Mais très tôt, les députés cessent
d'être considérés comme les représentants de leur
bourg et comité pour devenir des représentants du Royaume tout
entier. A partir de ce moment, le mandat parlementaire devient
représentatif, c'est-à-dire que l'élu jouit juridiquement
d'une indépendance à l'égard des électeurs. C'est
d'ailleurs ce qu'exprimait Condorcet en ces termes : « Mandataire du
peuple, je ferai ce que je croirai conforme à ses intérêts.
Il m'a envoyé pour que j'expose mes idées, non les siennes.
L'indépendance absolue de mes opinions est le premier de mes devoirs
envers lui »87. Aussi l'élu ne saurait-il recevoir
d'ordre de personne. Or, les accords politiques imposent aux parlementaires un
ensemble de principes qu'ils ne peuvent concrètement pas refuser
d'adopter. Dès lors, on est en droit de dire que le principe du mandat
parlementaire est juridiquement et pratiquement vidé de son contenu.
86 Le terme de contrôle désigne les
activités politiques des Assemblés par opposition à leurs
activités législatives et regroupe une grande diversité
d'opérations qui vont de la mise en jeu de la responsabilité du
gouvernement aux activités purement informatives. Par extension, la
responsabilité pénale du Président de la République
et des membres du gouvernement figure en également sous cette rubrique
dans le règlement intérieur de l'Assemblé Nationale. Voir
AVRIL (P.) et GICQUEL (J.), Droit Parlementaire, Paris, Montchrestien,
2004, p.32.
87 Cité par JOHNSON (Y.) dans son cours de
Droit parlementaire (cours polycopié) dispensé en 3è
Année de licence option droit public à l'Université de
KARA en 2007.
31
Il ne fait donc plus aucun doute que les accords politiques
régissent les principaux pouvoirs de l'Etat, mais ils mettent aussi sur
pied des institutions spécialisées ou du moins régissent
celles déjà existantes.
Paragraphe II : L'institution d'organes ad' hoc
Ces organes sont aussi nombreux que diversifiés. En se
référant à leur mission, on pourrait les regrouper
volontiers en deux entités. D'une part, les organes à mission
générale (A) et des organes à mission
spécialisée(B) d'autre part.
A : Les organes à vocation
générale
Les organes à mission générale sont
généralement ceux qui doivent veiller à
l'effectivité de l'accord politique et permettre la continuation du
dialogue. Il s'agit entre autre d'un organe de suivi(1) et d'un cadre permanent
de dialogue et de concertation(2).
1 : Les organes de suivi
Ensemble de normes devant régir les institutions, du
moins jusqu'à l'organisation des élections libres, transparentes
et démocratiques, les accords politiques ont besoin d'un « gendarme
», d'un organe qui assure la régulation du fonctionnement organique
et l'effectivité programmatique de la feuille de route. Comme les
constitutions qui prévoient toujours, ou presque toujours, une
juridiction constitutionnelle pour en garantir la suprématie et surtout
l'effectivité, les accords politiques prévoient toujours un
comité de suivi. En effet, l'art 4 de l'accord de Linas Marcoussis
dispose : « la table ronde décide de la mise en place d'un
comité de suivi de l'application des accords de Paris sur la Côte
d'Ivoire chargé d'assurer le respect des engagements pris.
»88. L'art. 5.2 de l'APG prévoit quant à lui, que
« les parties prenantes du dialogue conviennent de la mise en place
d'un mécanisme de la bonne application89 ».
Sa composition ne semble obéir à aucune norme et
a seulement pour règle d'or de contenir les membres de toutes les
parties signataires et d'être présidé, soit par un
facilitateur90, soit par une personne de haute dignité et de
moralité.
88 Art 4 de l'accord de Linas Marcoussis.
89 Point 5.2 de L'APG.
90 Cas du Togo.
32
Quoi qu'il en soit, il dispose des moyens d'action parfois
imperceptibles, oscillant entre faire des propositions ou des recommandations
au gouvernement, qui a la lourde mission d'exécuter le
`'programme»91 de l'accord, et saisir « les instances
régionales et internationales de toute obstruction ou défaillance
dans la mise en oeuvre des accords afin que les mesures de redressement
appropriées soient prises ». Corrélativement, les
discussions continuent au sein d'un cadre permanant de dialogue.
2 : Cadre permanent de dialogue et de
concertation
Etant entendu qu'ils ne peuvent tout prévoir, les
accords politiques laissent la porte ouverte pour la continuation des
négociations et surtout pour maintenir la concertation.
Rarement prévu dans le corps de l'accord, il s'analyse
plutôt comme un répondant au principe même de l'obligation
de négocier. Au Togo, sa composition a fait l'objet de vifs
débats. Au départ, il était censé regrouper les
partis signataires de l'APG. Par la suite, on a plutôt fait valoir la
représentativité des partis politiques en se fondant sur les
résultats des élections législatives de 2007.
Quoi qu'il en soit, il faut reconnaître que, s'il est
vrai que ce cadre a l'avantage de garantir la continuation des
négociations, il est rapidement devenu un simple moyen de distraction
aux mains du Rassemblement du Peuple Togolais (RPT) pour empêcher les
autres, autant que faire se peut, de se concentrer sur les problèmes
cruciaux contenus dans l'accord, à savoir la question du
découpage des circonscriptions électorales et celle de la
révision de la constitution entre autres92.
Hormis ces organes à vocation générale,
les accords prévoient souvent d'autres organes dotés d'une
mission particulière et bien déterminée.
91 Annexe de l'accord Linas Marcoussis.
92 Il faut pourtant relever que la constitution
togolaise a été modifiée un an après la signature
de l'accord. Cette révision visait l'adoption d'un nouveau mode de
scrutin pour les élections législatives, mais elle n'a pas
touché le point essentiel du régime électoral
c'est-à-dire le découpage électoral, ni celui de la
limitation du nombre de mandats pourtant très chère à
l`APG. D'ailleurs cette réforme a pu être possible grâce au
fait que l'Assemblée Nationale était monocolore à cette
époque. La preuve, la récente tentative de révision qui
avait pour visé le Conseil Supérieur de la Magistrature a
rapidement été reléguée aux oubliettes.
33
B : Les organes spécialisés
Les organes spécialisés sont ceux qui se voient
dotés d'une mission particulière. Pour les analyser, il faut
distinguer ceux qui ont pour mission d'organiser les élections(1) et les
autres(2).
1 : Les organes concernant les
élections
Il s'agit essentiellement des `'commissions électorales
et leurs démembrements d'une part, et l'organe de supervision ou
d'observation d'autre part.
Les commissions électorales sont celles-là qui
sont chargées de conduire le processus électoral. Dans une
atmosphère aussi tumultueuse que celle du contexte de crise, cette
mission dénote d'une difficulté particulière au point de
s'assimiler à une véritable gageure. Pour rendre cette
tâche plus supportable, les accords politiques substituent à
celles en vigueur, des commissions électorales plus aguerries. Aussi,
leur consacrent-ils un ensemble normatif souvent généreux.
Celui-ci est relatif à la composition et aux compétences.
Relativement à la composition, les accords politiques
prévoient une distribution des postes aux partis signataires. Sa
présidence est souvent une question épineuse allant
jusqu'à fragiliser la stabilité de l'entente. Pour y
remédier, des solutions souvent originales et diversifiées sont
expérimentées. La plus intéressante semble sans doute,
celle de la Guinée, lors des élections présidentielles de
2010, qui a consisté à faire appel à un étranger.
Relativement aux compétences, elles sont parfois très larges,
parfois relativement restreintes.
En outre, pour garantir le caractère
démocratique, libre et transparent de l'élection, les accords
politiques instituent parfois un organe d'observation ou de
supervision93, qui dénote en réalité d'une
intervention de l'extérieur dans le processus électoral. C'est le
cas de l'accord de Pretoria qui prévoyait que les résultats des
élections présidentielles de 2010 en Côte d'Ivoire
devraient être soumis à la certification. Nul n'ignore le
rôle qu'a joué cet organe dans le processus ayant conduit Alassane
Ouattara au fauteuil présidentiel.
93 Relativement à cette intervention de
l'extérieur dans le processus électoral, le Professeur Dodzi
KOKOROKO distingue la supervision dont le répondant pratique est la
certification, la vérification qui consiste en la validation de certains
aspects du processus électoral par la mission ; l'organisation et la
conduite des élections et l'observation. Relativement à la
supervision il tient à rappeler que ce mécanisme n'a pas
été prévu pour les Etats indépendants ou du moins
qui jouissent encore de la plénitude de leur souveraineté.
Contribution à l'observation des élections op.cit.,
pp.23-24.
34
Par ailleurs, les accords politiques peuvent prévoir
d'autres organes. 2 : Les autres organes
Ces organes sont très divers et multiformes. Ils ont
chacun, une mission particulière.
On peut noter tout d'abord l'organe de réconciliation.
Il jouit d'une nomenclature enviable : Conseil National de
Réconciliation94 au Madagascar, Commission
Vérité Justice et Réconciliation chargée du
`'pardon et réconciliation nationale»95 au Togo.
Pour la révision de la constitution, on peut noter le
comité de révision de la constitution en Sierra Leone
chargé d'examiner les dispositions de la constitution actuelle et
lorsqu'il le jugera nécessaire, le comité recommandera des
révisions et amendements96.
Pour les réfugiés, le point 2.3.2 de l'APG
dispose que « les parties prenantes au dialogue conviennent de la mise
en place d'un comité ad `hoc pour appuyer les efforts du
Haut-Commissariat chargé des Rapatriés et de l'Action humanitaire
dans sa mission d'organisation et de coordination du processus de rapatriement
et de réinsertion des réfugiés et des personnes
déplacées... »97. Dans sa manifestation,
elle a pris le nom de Haut-Commissariat pour les Réfugiés.
Il est donc clair que les accords politiques instaurent des
régimes de fait. Curieusement, malgré ce paysage aussi
ratissé que celui-ci, la constitution (sauf dans de très rares
cas où elle est tout simplement abrogée)98 reste
encore en vigueur. D'où la nécessité d'analyser le sort
qui lui est alors réservé.
94 Point 3.3 de l'accord de Maputo.
95 Point 2.4 de l'APG
96 Art. 10 de l'accord de Lomé
97 Point 2.3.2 de l'APG
98 Le cas de Madagascar ou de la République
Démocratique du Congo
35
CHAPITRE II: LA REMISE EN CAUSE DE LA SUPREMATIE DE
LA CONSTITUTION
Le mérite fondamental du nouveau constitutionnalisme
africain est de porter la marque de constitution rigide et donc suprême.
Cette rigidité témoigne de la volonté du constituant,
c'est-à-dire le peuple souverain, de s'imprimer des principes et de
valeurs dont la durée dans le temps garantit la stabilité de la
vie en société. C'est elle en réalité qui
confère à la constitution son caractère suprême,
faisant d'elle le sommet de toutes les normes devant régir les
institutions. Ces dernières doivent donc se soumettre à elle pour
leur validité. C'est aussi cette rigidité qui justifie
l'institution d'un juge constitutionnel, dont la fonction première est
de garantir et de protéger la suprématie postulée par le
sacro-saint principe de la constitutionnalité de Charles EISENMANN.
Cependant, depuis un certain temps, de véritables
`'monstres» entrent par `'effraction légalisée ou
légitimée» dans ce `'temple constitutionnel», y
installent du désordre, pour finir après tout, par causer son
implosion.
A côté des `'révisions pirates» qui
s'affichent comme la voie royale pour le président de la
République et sa `'congrégation» de se pérenniser au
pouvoir par l'ablation de la clause limitative du nombre de mandat99
et peut être, pour se garantir une hyper-présidence en rompant le
cou au crédo de Montesquieu100 en s'attribuant tous les
pouvoirs ; apparaît un nouveau démon : les accords politiques.
Selon l'expression du Professeur KPODAR, ceux-ci permettent à ceux qui
sont sûr de ne jamais parvenir à accéder légalement
au pouvoir, de s'offrir les privilèges de la noblesse pour goûter,
à défaut de la saveur sucrée de la présidence,
à la soupe angélique du gouvernement.
A partir de ce moment, on assiste impuissant, à
l'érosion de la suprématie de la constitution par deux
phénomènes majeurs. D'une part, l'humiliation du constituant
(aussi bien originaire que dérivé) (Section première), et
l'impuissance du juge constitutionnel (Section deuxième) pourtant
chargé de protéger la volonté du souverain d'autre
part.
99 LOADA (A.), « La limitation du nombre de
mandats dans le nouveau constitutionnalisme africain »,
Afrilex.
100 La théorie de la séparation des pouvoirs.
36
SECTION I : UN POUVOIR CONSTITUTANT MIS ENTRE
PARENTHESE
Le pouvoir constituant est l'organe qui a la compétence
d'éditer a priori et sans contestation majeure, les normes
constitutionnelles101. Seul le peuple souverain a la
compétence pour se doter d'une constitution ou de la modifier.
Naturellement, il arrive qu'il l'exerce par ces représentants. Les
mécanismes prévus à cet effet sont divers et varient selon
qu'il s'agit de l'adoption d'une nouvelle constitution ou de la révision
d'une constitution déjà existante.
En tout cas, l'humiliation du pouvoir constituant par les
accords politiques présente un diagramme à double entrée.
D'une part, elle consiste en une usurpation de celui-ci par les partis
politiques, laquelle se traduit par la mise en sourdine des dispositions
constitutionnelles. Ces dernières sont laissées en
vigueur102 pour servir de couvert, évitant ainsi à
l'Etat de basculer dans la situation de régime de fait qui pourtant,
s'est déjà révélé. D'autre part, il s'agit
de la prescription d'une révision constitutionnelle qui en
réalité, ne servirait qu'à juridiciser un « coup
d'Etat politique » déjà orchestré par l'accord.
C'est donc une véritable mise à l'écart
de la constitution (Paragraphe I), accentuée par l'hypothèque du
pouvoir constituant dérivé (Paragraphe II).
Paragraphe I : La mise à l'écart de la
constitution
La mise à l'écart de la constitution n'a pas
d'autres noms que ceux que l'hypocrisie politique veut bien lui donner en
exhibant une apparente cohabitation entre l'accord politique et la
constitution(A). En outre, les accords politiques peuvent se
révéler être une véritable violation des droits de
l'homme(B).
A : Une cohabitation apparente entre la constitution et
l'accord politique
La cohabitation entre l'accord politique et la constitution
semble acquise. Le quiproquo vient du fait que, malgré
l'existence de la constitution (1), on constate un rayonnement de l'accord
politique au point de la surplomber (2).
101 DUHAMEL (O.), MENY (Y.), Dictionnaire de droit
constitutionnel, Paris, PUF, 1992, p.777.
102 Sauf le cas malgache et celui de la République
Démocratique du Congo. Sur ce denier exemple lire MBILAMPINDO (W.)
« Un nouvel acte fondamental pour une nouvelle transition
démocratique au Congo », inédit, p. 2
37
1 : Une constitution encore en vigueur
Contrairement à ce qui découle de
l'expérience des régimes de fait des années
1965103, la version nouvelle parait très curieuse. En effet,
la plupart des coups d'Etat qui ont propulsé les militaires au pouvoir
à cette époque, se sont illustrés par `'la mise hors
d'état de nuire» de la constitution. Les auteurs du forfait la
suspendaient purement et simplement sinon, l'abrogeaient. On a sans doute pu
justifier la nullification des textes constitutionnels par le fait qu'ils
n'étaient pas adaptés aux nécessités du moment, et
qu'ils avaient servi de base et de fondement aux méfaits des leaders
alors au pouvoir. En réalité, le `'nouveau roi» souhaitait
tout simplement ne pas être dérangé dans ses actions par
des principes et des procédures que contiendrait une constitution et qui
ralentiraient forcément la mission qu'il se serait assignée. Il
pourrait donc gouverner, légiférer et juger sans d'autre forme de
procès et selon son bon vouloir.
Curieusement, les accords politiques adoptent une figure
pratiquement
inversée. la constitution
subsiste, on feint d'en respecter les lignes directrices104
notamment la séparation des pouvoirs avec la mise sur pied d'un
exécutif contractualisé, la survivance d'un parlement en attente
de dissolution pour être substitué aux termes d'une
élection législative, conformément à l'accord
politique par un nouveau. L'exemple le plus plausible est le cas de
l'élection anticipée de 2007 au Togo.
Il n'y a donc ni suspension, ni abrogation de la constitution,
mais celle -ci ne sert plus qu'à décorer juridiquement un
ordonnancement politique. Corrélativement la régie des
institutions change de main.
2 : Le surplomb de l'accord politique
De l'impérialisme constitutionnel, on passe à la
partitocratie, et la gestion des institutions passe progressivement sous la
gouverne d'un « acte politique ». L'accord politique s'installe
royalement et de façon tentaculaire.
En réalité, cette situation n'est pas innovante.
En effet dans les années 1970, certains Etats notamment le Bénin
de 1968 à1977 et le Togo de 1967 à 1979
103 Celui-ci s'est traduit par la suspension de la
constitution par les militaires qui venait de prendre le pouvoir. Voir à
ce propos AHADZI-NONOU (K.), Essai sur les régimes de
fait...op.cit p. 6.
104C'est l»exemple de l'accord de Linas
Marcoussis qui mentionne expressément la nécessité de
respecter la constitution.
38
avaient déjà connu une situation similaire, mais
avaient explicitement renoncé au constitutionalisme105. A la
différence de ce tableau, le paysage nouveau décrit une
survivance de la constitution, laquelle est soumise à une
véritable torture. Il n'est donc pas étonnant d'entendre parler
de « coup d'Etat politique »106. Seulement, que reste-t-il
alors de la constitution dans les pays ayant adopté cette voie ? Dans
tous les cas, il est loisible de constater que l'ordre juridique
(constitutionnel) s'est incliné en présence de l'ordre politique.
Cette manière de faire ressemble à certains égards,
à une pratique par laquelle les chefs d'Etats africains
considéraient la constitution comme un « chiffon de papier
»107.
Si le principal avantage du surplomb des accords politiques
est la sauvegarde de l'Etat de droit comme le démontre Albert BOURGI en
parlant de la situation de la Côte d'Ivoire en ces termes : «
ces péripéties qu'ont connues les institutions ivoiriennes ne
sauraient toutefois faire oublier que l'un des principaux acquis du mouvement
constitutionnel engagé à partir de 1990-1991 est bel et bien
l'Etat de droit... »108, l'inconvénient qui le vaut
est sans nul doute, l'anéantissement de la suprématie de la
constitution et par conséquent, le recul du constitutionalisme
d'ailleurs accentué par la violation des droits de l'homme.
B : Un mépris vis-à-vis des droits de
l'homme
L'un des acquis fondamentaux du nouveau constitutionnalisme
est, sans nul doute, sa générosité à l'égard
des droits de l'homme. En effet, les constitutions africaines de 1990 ont eu le
mérite de proclamer les droits et libertés fondamentaux des
citoyens et surtout, de mettre sur pied un arsenal de mécanismes pour en
garantir le respect. Au rang de ces droits et libertés, figurent en
bonne place les libertés politiques auxquelles s'en prennent
sérieusement les accords politiques. Il s'agit essentiellement de la
violation du droit des citoyens de choisir leurs dirigeants (1) et de celui de
certains citoyens de postuler à être dirigeants (2).
1 : La violation du droit des citoyens de choisir leurs
dirigeants
En matière de la gestion des affaires publiques,
Montesquieu ne reconnaissait aux citoyens que la capacité de choisir
leurs représentants par l'exercice de leur droit
105 Voir GONIDEC (P.-F.), Les systèmes politiques
africains, Paris, Vançon, 1978.
106 KPODAR (A.), « Politique et ordre juridique : Les
problèmes constitutionnels posés par l'accord de Linas Marcoussis
de 23javier 2003 » op.cit, p.2522.
107 Idem, p.2521.
108 BOURGI (A.), cité par KPODAR (A.), « Politique et
ordre juridique... » op.cit., p.2521.
39
du suffrage109. Ce palliatif aux difficultés
matérielles de la démocratie directe trouve sa source
essentiellement dans la théorie du contrat social110
chère à ROUSSEAU. En effet, les gouvernants ne peuvent gouverner
que parce qu'ils ont la légitimité des urnes, c'est-à-dire
qu'ils ont été choisis par les citoyens ; et ces derniers
n'obéissent que parce qu'ils ont consenti à être
gouvernés par ceux qu'ils ont choisis.
Cette réalité incontournable du régime
représentatif est purement et simplement méconnue par les accords
politiques et ceci selon deux cas de figure.
La première figure est tirée des
précédents du Kenya et du Zimbabwe. Dans ce cas, il est fait
appel au peuple pour choisir ces représentants (à savoir le
président de la République et les parlementaires). Vers la fin du
processus électoral, la crise éclate, suite à la
contestation de la transparence des élections et donc de la
validité des résultats. Comme solution à la crise, des
accords sont intervenus entre les belligérants sous la pression de la
communauté internationale, lesquels accords ballaient du revers de la
main tout le processus électoral et instituent un régime de
transition au mépris du droit des citoyens à choisir leurs
dirigeants.111
La seconde figure est celle de la Côte d'Ivoire
où une « guirlande » d'accords ont gracieusement offert
à l'ex Président Laurent GBAGBO, presque une demi-décennie
de règne (2005-2010)112, au grand dam du droit des citoyens
qui pourtant sont obligés de se soumettre113. La logique du
contrat social est définitivement rompue.
Par ailleurs, de façon plus globale, le droit du peuple
à se doter d'une constitution, d'une loi fondamentale qui
régirait la vie en société, les rapports entre gouvernants
et gouvernés passent sous la bannière de l'accord politique. Les
citoyens perdent automatiquement leur droit de contrôler la gestion des
affaires publiques, et le principe de participation du citoyen agonise, sinon
disparaît.
109 Variable interne du principe du droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes, le pouvoir du suffrage est en réalité
la manifestation du principe de participation à travers lequel le peuple
exerce sa souveraineté. Voir à ce propos LOADA (A.), « La
limitation... », op.cit, pp.153 et suiv. COULIBALEY (B.), «
Le pouvoir du suffrage dans le nouveau constitutionnalisme africain » ;
Annales de l'Université du Benin, 1997-1998, p.122 et suiv.
110 En philosophie politique le contrat social désigne
l'accord par lequel les êtres humains décident de quitter un
état de nature originel pour former une collectivité
politiquement organisé. Par extension le terme est employé pour
désigner les principes qui justifient le consentement des
gouvernés au pouvoir des gouvernants. Voir NAY (O.), MICHEL (J.) et
ROGER (A.), Dictionnaire de la pensée politique, Paris, Armand
Colin, p.37
111 Les élections présidentielles de 2010 en
Côte d'Ivoire ont failli emprunter cette voie.
112 Nous estimons que constitutionnellement le mandat de LAURENT
GBAGBO devrait prendre fin en 2005.
113 Or, c'est à travers les élections que le peuple
exerce son contrôle sur la gestion des affaires par les élus.
40
Emmanuel SIEYES peut alors s'écrier : « c'est
révoltant, c'est monstrueux. La volonté du peuple exprimée
dans la constitution est bafouée »114.
Cette violation des droits de façon collective ne
parvient pas à noyer une violation individualisée des droits de
l'homme.
2 : La violation du droit de se faire
élire
En plus du droit de choisir ses représentants, les
citoyens disposent du droit de se faire élire, dès lors qu'ils
remplissent les conditions prévues par la loi au sens
générique du terme. Cependant, il arrive souvent, dans la
pratique des accords politiques, que certains citoyens, jouissant pourtant de
tous leurs droits et remplissant par ailleurs les conditions requises, soient
tout simplement écartés de la course au pouvoir.
Le phénomène semble incroyable, mais il existe.
En effet, le point 3-c de l'accord de Linas Marcoussis dispose que «
le gouvernement de réconciliation nationale sera dirigé par
un Premier ministre de consensus115 qui restera en place
jusqu'à la prochaine élection présidentielle à
laquelle il ne pourra pas participer ». De même, l'accord
d'Ouagadougou du 15 janvier 2010, dans le cadre de la résolution de la
crise guinéenne d'après Lassana CONTE, contiendrait une
disposition similaire qui interdit aux membres du comité de transition,
de poser leur candidature aux élections
présidentielles116.
Si au départ, on peut objecter que ces dispositions ne
visent nommément personne et que celui qui décide d'occuper ces
postes de « disgrâce », sait à quoi il s'expose, cela ne
fait l'ombre d'aucun doute que tout le monde ne fait pas le consensus et que si
personne n'accepte occuper ces postes, les fondamentaux de l'accord seraient du
coup ébranlés, et la crise aurait encore de beaux jours devant
elle. C'est donc un honnête citoyen, celui-là même que les
parties à l'accord choisissent comme pouvant juguler la crise, c'est lui
qui est évincé de la course. Il est vrai que cela pourrait
permettre de garantir la crédibilité du scrutin, mais cela ne
semble pas du tout équitable. Peut-être, aurait-t- on dû
écarter tous les signataires
114 Cité par CHANTEBOUT (B.) « Sur la coutume :
deux contes et un proverbe », in Mélange en l'honneur de Jean
GICQUEL, Paris, Montchrestien, 2008, p.115
115 Sur la notion de consensus lire utilement RIGAUD (J.),
« Réflexions sur la notion de consensus », Pouvoir,
1978, pp.7-14.
116 Nous l'avons appris sur les médias notamment sur la
Radio France International. Mais nous ne sommes pas parvenus à nous
procurer une copie dudit accord.
41
des accords qui instituent une telle interdiction. Cela ne
ferait que renforcer le constat de la violation des droits de l'homme par les
accords politiques.
En définitive, il est clair que les accords politiques
narguent sérieusement le pouvoir constituant originaire. Ils ne semblent
non plus épargner le pouvoir constituant dérivé.
Paragraphe II : L'hypothèque du pouvoir constituant
dérivé
L'hypothèque du pouvoir constituant
dérivé procède par la remise en cause de la
procédure de révision (A). A partir de ce moment on peut
légitimement se demander si la distinction « constitution-souple
constitution rigide » est encore de mise (B).
A : La contorsion de la procédure de
révision
Le nouveau constitutionnalisme africain est marqué par
la rigidité des constitutions (1). Cette rigidité est
matérialisée par la solennité et la complexité de
procédure de révision qui sont rompues par les accords politiques
imposant une révision (2).
1 : Une procédure de révision pourtant
rigide
La complexité de la procédure de révision
constitutionnelle consiste dans le nécessaire recours à une
procédure exceptionnelle, différente de la procédure
législative ordinaire. Une constitution rigide doit donc donner
priorité aux lois constitutionnelles sur les lois ordinaires. A ce
titre, les constitutions africaines paraissent bien répondre à la
définition de la constitution rigide.117
En effet, elles sont jalonnées d'un ensemble de normes
instituant une procédure à trois temps. L'initiative, la prise en
considération et l'adoption118.
En droit constitutionnel, l'initiative est le droit reconnu
aux parlementaires ou au Gouvernement ou aux deux concurremment, de
déposer une proposition de lois (parlementaire) ou des projets de lois
(Gouvernement). Par ailleurs, elle peut
117 Ce choix est motivé par la recherche de la
stabilité et la solennité. Voir ATANGANA (J.L.), « Les
révisions... »op.cit, p.4 et suiv., BATSELE (D.), MORTIER
(T.) et SCARCEZ (M.), Initiation au droit constitutionnel, Bruylant,
p.17.
118 Voir à ce propos CHANTEBOUT (B.), Droit
constitutionnel et institutions politiques, Paris, Armand colin, 2007, p.
36-37.
42
désigner le procédé de la
démocratie semi directe permettant au peuple, sous forme d'une
pétition comportant un nombre déterminé de signatures, de
soumettre à l'Assemblée législative, un projet qu'elle est
contrainte d'examiner (selon une autre modalité, le projet est soumis
à la votation populaire). C'est ce qu'on appelle initiative
populaire119. Dans le cadre de la procédure de
révision, il s'agit de la prérogative reconnue au
Président de la République et à un nombre
déterminé de députés (1/5 par exemple au
Togo)120 de déposer respectivement un projet ou une
proposition de révision de la constitution.
La prise en considération est l'acte parlementaire qui
consiste à statuer sur le bien-fondé du projet ou de la
proposition de révision et au final « lui donner suite
».121
Enfin l'adoption du projet ou de la proposition de
révision. Elle peut prendre deux formes. Soit par voie parlementaire
soit par voie référendaire122.
Malheureusement, tout cet arsenal est descendu en bloc par les
accords politiques.
2 : La rupture de la rigidité de la
procédure de révision
La solennité dans la procédure de
révision remonte au XVIIe siècle. Les hommes de cette
époque considéraient volontiers une nouvelle constitution comme
un véritable renouvellement du contrat social. D'où la
nécessité d'en rédiger dans la forme la plus solennelle et
la plus complète. La solennité peut aussi découler du
nombre plus ou moins important de personnes appelées à se
prononcer, ou du moins à participer à l'entreprise de la
révision.
En réalité, la solennité va
au-delà et couvre la conviction du peuple et confiance qu'il accorde aux
organes intervenant dans la révision.
C'est justement cet élément fondamental que
vient mettre en difficulté les accords politiques. En effet, les accords
politiques peuvent désormais s'analyser comme faisant partie des organes
qui composent le pouvoir constituant dérivé, sinon
119 Sur ce point on peut utilement consulter l'article du
Doyen COULIBALEY sur le pouvoir de suffrage publié dans les Annales de
l'Université du Benin ,1997-1998, p. 157.
120 Art. 144 al 1de la constitution togolaise du 14 octobre
1992.
121 CHANTEBOUT (B), Droit constitutionnel ...op
cit, p.36.
122 Art. 144 al 2 et 3.
43
comme l'organe principal dans la révision
constitutionnelle. Plusieurs éléments le démontrent.
D'abord les accords politiques s'octroient le pouvoir de
l'initiative, soit en indiquant directement les réformes exigées,
soit en instituant un organe ad `hoc, chargé de les identifier
et de faire des recommandations au gouvernement au moment opportun.
Ensuite, on peut emprunter au Professeur KPODAR, son analyse
démontrant les atteintes au principe de fonctionnement du
législatif123. Il part des deux théories de Raymond
Carre de Malberg sur la nature de l'initiative pour conclure qu'à
l'épreuve de l'accord de Linas Marcoussis « le pouvoir
législatif se trouve diminué dans toute sa nature, dans les
profondeurs de son essence aussi bien dans sa fonction de représentation
que celle de législation »124.
Partant de là, on peut affirmer que la procédure
de révision, sa complexité et sa solennité deviennent une
véritable farce, sinon une formalité pour traduire en de termes
constitutionnels les désirs, soit des partis politiques, soit de la
rébellion, dénotant sans difficulté de la rupture du
contrat social.
Dès lors, on se demande si on n'est en présence
de constitutions souples ou de constitutions rigides ?
B : La remise en cause de la distinction `'constitution
souple ou constitution
rigide»
Longtemps consacrée en doctrine (1), la distinction
`'constitution rigide
constitution souple» est définitivement remise en
cause par les accords politiques(2).
1 : Une distinction consacrée en
doctrine
Née de la différenciation effectuée par
l'Abbé Sieyès entre le pouvoir
constituant et les pouvoirs constitués, la distinction
« constitution souple constitution rigide » trouve son origine dans
le fait que la constitution est un acte de nature législative. Le
distinguo entre pouvoir constituant originaire et pouvoir constituant
dérivé de nature législative permet donc d'éviter
toute confusion125. En réalité, en se basant sur la
solennité et la complexité de leur procédure de
révision, la doctrine a
123 KPODAR (A.), « Politique et ordre juridique ... »
op.cit, p.2510.
124 Idem
125 ATANGANA (J.L.), « Les révisions... »
op.cit, p.7.
44
mis sur pied une dichotomie, qui a jusqu'alors fait
école. En effet, selon le schéma, on a d'une part, les
constitutions souples qui sont marquées par la facilité avec
laquelle elles peuvent être révisées. On compare souvent
cette procédure à celle de l'adoption des lois ordinaires.
Cependant, il faut noter que seuls quelques rares Etats ont encore des
constitutions souples. Il s'agit notamment de la Grande Bretagne, de la Chine,
de la Nouvelle Zélande et de l'Israël126. D'autre part,
il y a les constitutions rigides dont la procédure de révision
est dotée d'une complexité débordant largement le cadre de
l'adoption d'une loi. Et c'est ce modèle qu'ont choisi les Etats
africains. En effet, le nouveau constitutionnalisme africain, marqué
essentiellement par la philosophie du « plus jamais ça», a
adhéré au processus de généralisation qui s'est
enclenché depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Ce choix
est principalement motivé par la recherche de la stabilité
institutionnelle et constitutionnelle, galvanisé par la recherche des
gardes fous contre les potentiels excès des détenteurs du
pouvoir.
En tout cas, ce beau château doctrinal semble
s'ébranler à l'épreuve des réalités
africaines notamment les accords politiques.
2 : Une distinction atteinte par les accords
politiques
Par l'assouplissement de la procédure de
révision des constitutions, les accords politiques rompent presque
définitivement la distinction « constitution souple constitution
rigide ». En effet, dans ce cas précis, on se retrouve devant des
constitutions théoriquement rigides et pratiquement très
souples.
Par ailleurs, il faut relever que certains auteurs postulaient
déjà la relativisation de cette opposition, qui n'est autre chose
que l'expression d'une réalité ontologique127. En
effet, au constat selon lequel, dans la pratique, les constitutions africaines
ne sont ni souples ni rigides, le Professeur ATANGANA déclare : «
quoi qu'il en soit, le droit constitutionnel classique cède du
terrain ou plutôt, est obligé de faire des concessions
considérables »128. Il n'en prend pour preuve que
la « hardisation »129 des constitutions souples comme en
Grande Bretagne, avec le
126 CHANTEBOUT (B.), Droit constitutionnel op.cit
p.35
127 ATANGANA (J.L.), « Les révisions »
op.cit. , p.26 128Idem
129 C'est-à-dire la « rigidification »
45
recours au référendum pour la dernière
révision, et la « softification »130 des
constitutions rigides131 comme c'est désormais le cas en
Afrique depuis quelques années132, et que vient confirmer le
modus operandi des accords politiques.
En réalité, s'il est vrai comme le remarque le
Professeur Henry
ROUSSILLON, que la multiplication des révisions
constitutionnelles souvent interprétée comme une atteinte
à la rigidité constitutionnelle, ne constituent en fait qu'une
atteinte à la stabilité constitutionnelle, la rigidité
formelle n'étant nullement en cause, il est aussi vrai qu'il faut
dépasser cette hypocrisie intellectuelle qui consisterait à
prendre les choses pour ce qu'elle paraissent, au détriment de ce
qu'elle sont réellement.
Seulement, ce qui est encore plus écoeurant, c'est que
cette torture de la constitution se passe sous les yeux d'un protecteur
pratiquement impuissant.
SECTION II : UN JUGE CONSTITUTIONEL IMPUISSANT
Devant cette humiliation du pouvoir constituant, le juge
constitutionnel, protecteur avéré du temple constitutionnel, se
révèle impuissant. Cette impuissance provient du fait que,
relativement à la révision, le principe de la souveraineté
du pouvoir constituant affaiblit sérieusement son action et le
réduit en un véritable spectateur, même si de temps en
temps, il s'efforce avec une relative réussite, à sortir de son
incompétence. Par ailleurs, il se voit investi de la mission de
régulateur du fonctionnement des institutions qui ne sont qu'en
apparence sous l'égide de la constitution. Il souffre donc d'un
affaiblissement sur le principe (paragraphe I) et d'une véritable mise
à l'écart qui ne dit pas son nom (paragraphe II).
Paragraphe I : Un juge déjà affaibli sur le
principe
Le juge constitutionnel peut-il contrôler la
constitutionnalité d'une loi constitutionnelle surtout lorsqu'elle est
exigée par les accords politiques ? En effet, dans le contexte singulier
du néo-colonialisme libéral constamment menacé de
130 Ou l'assouplissement.
131 Pour Pierre PACTET, la rigidité de la constitution
a disparu avec l'effacement du parlementarisme notabiliaire ou atomiste (chaque
député formant un noyau isolé) et l'apparition de grands
partis politiques.
132 Lire à cet effet ATANGANA (J.L.), « Les
révisions... » op.cit.
46
manipulation progressive, il se pose en Afrique la question
fort controversée de la contrôlabilité de la « sans
réserve » ou « sous réserve » du pouvoir de
réviser la constitution133.
Si dans les faits, quelques éléments semblent
conduire à répondre par l'affirmative134, d'autant
plus que ce contrôle s'analyse comme une nécessité (A), la
réalité semble opter pour une impossibilité de
contrôle(B).
A : La prétendue nécessité du
contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles
La nécessité de contrôler la
constitutionalité des lois constitutionnelles dérive
du fait que les constituions africaines semblent consacrer une
supra constitutionnalité(1). Par ailleurs, ce contrôle servirait
de garde-fou contre les dérives des détenteurs du pouvoir(2).
1 : Une nécessité fondée sur le
principe de supra constitutionnalité
La théorie de la supra constitutionnalité est celle
qui postule l'existence d'un
ordre juridique au-dessus de la constitution135.
Si a priori, cette théorie semble se rattacher
au jus naturalisme qui proclame l'existence de normes intemporelles et
immuables, et auxquelles nul ne peut déroger qu'il soit roi ou
constituant ; elle peut aussi avoir un fondement dans le positivisme juridique
d'autant plus que le constituant peut lui-même, inscrire dans la loi
fondamentale un ensemble de règles susceptibles d'aucune révision
et ceci est récurrent dans le nouveau constitutionnalisme africain
d'expression française.
En effet, séduits par l'article 89 alinéa 1 de
la constitution française de 1958, les constituants
béninois136, togolais137
nigérien138, ont épousé à coeur joie
cette tradition, en inscrivant dans le corps même de la constitution, un
ensemble de règles immuables, et donc que le pouvoir constituant
dérivé ne pourrait, sous quelque prétexte que ce soit,
toucher. Il s'agit globalement de la forme républicaine du
133 BOLL(S.), « Le contrôle prétorien de la
révision au Mali et au Tchad : un mirage ? » Revue
béninoise des sciences juridiques et administratives 2006, p.3
134 ibidem
135 Sur ce point lire utilement BRAMI (C), La
hiérarchie des normes en droit constitutionnel français Essai
d'analyse systémique, Thèse de doctorat en droit public
soutenu le 4 décembre 2008 à l'Université de Cergy
Pontoise, p.9
136 Art 154 de la constitution béninoise du 11
décembre 1990
137 Art 144 de la constitution togolaise du 14 octobre 1992
138 Art 134 de la constitution nigérienne du 18 juillet
1999
47
gouvernement, la laïcité de l'Etat, la limitation
de nombre de mandats et même l'amnistie accordée aux auteurs de
mutinerie.
Par ailleurs, le juge constitutionnel peut découvrir
lui-même des normes supra constitutionnelles, tel que l'a fait le juge
constitutionnel béninois en ce qui concerne le consensus
national139.
Le contrôle de la constitutionnalité garantirait
alors l'effectivité de cette supra constitutionnalité. Il
pourrait en outre, contenir les émotions des gouvernants qui seraient
atteints du syndrome d'anti constitutionalité.
2 : Une nécessité fondée sur la
mauvaise foi des pouvoirs constituants
Le contrôle de la constitutionnalité des
révisions constitutionnelles semble devoir s'imposer en l'absence de
textes organisant l'intervention du juge constitutionnel dans le processus de
révision à titre contentieux ou même consultatif. Que le
juge décline sa compétence serait catastrophique dans un paysage
étatique ou le législateur constitutionnel ou le
législateur ordinaire peut « errer », commettre un
excès de pouvoir140. Dans cette mesure, seul un
contrôle juridictionnel parait à même d'éviter une
religion liberticide.
Par ailleurs, le droit comparé enseigne que les
juridictions ont affirmé et exercé, à des degrés
divers, un contrôle de la révision, que ce soit en Allemagne, en
Autriche, à Chypre, en Inde, en Italie, en Turquie ou encore dans
certains Etats postcommunistes141. Tout récemment, des
exemples foisonnent, contre toute attente, en Afrique. Il s'agit de la cour
constitutionnelle malienne142, béninoise, du conseil
constitutionnel tchadien143 et nigérien qui se sont reconnus
compétents pour se pencher à titre contentieux ou consultatif sur
la constitutionnalité de la révision constitutionnelle alors
même que les conseils constitutionnels
sénégalais144 et français145
s'étaient proclamés incompétents.
139 DCC 06-074 du 8 juillet 2006 confirmé par DCC 10-049
du 5 avril 2010
140 BOLLE (S.) « Le contrôle prétorien...
» op.cit., p.4
141 Idem
142 Arrêt n°01-128 du 12 décembre 2001.
143 Décision n°001/CC/SG/04 du 11 juin 2004.
144 Décision du 9octobre 1998 sur l'affaire
n°9C/C/98 confirmée par la décision du 18 janvier 2006 sur
l'affaire n°3/C/2005.
145 Décision 2003-469 DC 26 septembre 2003, Rec.,
p.293.
48
Quoi de plus normal quand on jette un coup d'oeil panoramique
sur un continent africain, qui avait pourtant fait montre du «
fétichisme » constitutionnel. On constate avec regrets une
véritable inflation de révisions constitutionnelles au point d'en
faire « un chiffon de papier ».
Vestale146 du temple constitutionnel, le juge se
doit d'intervenir. Mais, on s'interroge sur la constitutionnalité d'une
telle intervention.
B : La constitutionnalité du contrôle de
constitutionnalité de la révision constitutionnelle ?
S'il est vrai que « le pouvoir constituant
dérivé n'est pas un pouvoir d'une autre nature que le pouvoir
constituant initial », sa souveraineté ne pourrait faire
l'ombre d'aucun doute et comme cela, postule une certaine exclusivité(1)
et une plénitude(2).
1 : L'exclusivité du pouvoir constituant
dérivé
S'il est vrai que soumis à l'épreuve du temps,
la constitution peut perdre des plumes et ne plus correspondre, de ce fait, aux
réalités du moment, il est aussi nécessaire que le peuple
souverain confie à un organe, le soin et surtout, les compétences
nécessaires pour adapter la constitution à ses nouvelles
aspirations.
A l'accoutumée, le pouvoir constituant
dérivé est composé de trois éléments,
à savoir le gouvernement, le parlement et dans une certaine mesure, le
peuple, par le biais du referendum. Admettre une quelconque possibilité
de contrôle de révision, reviendrait à faire du juge
constitutionnel, l'un des organes du pouvoir constituant dérivé.
Il occuperait d'ailleurs une place fondamentale dans la procédure,
puisqu' il pourrait ébranler, à lui seul, un processus de
révision consenti par le gouvernement, sur le fondement d'une
hypothétique absence de conformité à la constitution.
Il y a lieu de se demander à quelle constitution la
révision constitutionnelle doit être conforme. En effet dès
lors que la révision est amorcée, la légitimité et
l'adaptabilité de la constitution initiale devrait être remise en
cause. Contrôler la conformité de la loi constitutionnelle
nouvelle à la constitution ancienne semble contraire à la
constitution puisqu' il répondrait à la loi de « deux pas en
avant et trois
146 KESSOUGBO (K.), « La cour constitutionnelle et la
régulation de la démocratie au Togo », Revue
béninoise des sciences juridiques et administratives, 2005, p.63
49
pas en arrière » ; et contredirait le principe
selon lequel un peuple a toujours le droit de revoir, de reformer et changer sa
constitution. Par ailleurs, il s'agirait d'une auto habilitation qui serait
forcément taxée, et ceci à raison, de « gouvernement
de juge ».
En plus d'être exclusif, le pouvoir constituant
dérivé jouit d'une plénitude de compétence.
2 : La plénitude de compétence du pouvoir
constituant
La théorie selon laquelle le juge devrait
contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles,
semblent postuler une certaine supra constitutionalité à laquelle
devrait se soumettre le pouvoir constituant. Les tenants de cette
théorie se fondent sur le constat selon lequel, réviser la
constitution est le travail d'un pouvoir institué, qui a reçu
cette compétence du pouvoir constituant originaire. Le premier serait
donc subordonné au second : « son exercice n'est pas libre,
mais conditionné par les différentes règles de fond et de
forme, posées par le constituant originaire pour la révision de
la constitution. Il peut dès lors être contrôlé
»147. Pour autant, disent-ils, le contrôle
prétorien de la révision est assurément raisonnable,
souhaitable et praticable dans un Etat de droit en démocratisation.
Le pouvoir constituant aurait donc une compétence
relative. Ceci semble a priori justifié dans un paysage
africain où le législateur constitutionnel comme le
législateur ordinaire (pris sous le joug d'un président
monarque), peut errer et commettre des excès de pouvoirs.
Malheureusement, ce remède semble absolument inefficace
lorsqu'on appréhende la réalité et la pratique. En effet
cette supra constitutionnalité, aussi rigide qu'elle soit,
n'échappe pas à la loi du temps et n'est pas à l`abri de
toutes critiques.
Le temps a toujours montré son importance en droit. La
théorie générale de droit ne consacre-t-elle pas
l'influence du temps sur le droit ? A l'épreuve du temps les principes
considérés comme supra constitutionnels (notamment le consensus
national au Bénin), peuvent perdre leur primauté, dû aux
nouvelles aspirations du peuple. Ces « pourritures constitutionnelles
» resteraient-elles encore intouchables?
147 ROUSSEAU (D.), Droit du contentieux constitutionnel.
Paris, Montchrestien, 1994, p.12
50
La pratique de la double révision148 semble
répondre par la négative. En effet le pouvoir constituant
dérivé peut d'abord, supprimer l'interdiction de réviser,
avant de réviser ce qui était censé ne pas être
révisable. Le pouvoir constituant dérivé dispose donc
d'une plénitude de compétence. « La constitution lui
donne sa procédure, mais elle ne borne point son étendue
»149.
Paragraphe II : La mise à l'écart du juge
constitutionnel
La mise à l'écart du juge constitutionnel semble
se justifier par la nature des normes et le domaine des normes applicables (A).
Ce qui justifie sa substitution par un autre organe (B).
A : La nature et le domaine des normes applicables
Quelle est la nature des dispositions contenues dans les
accords politiques ?(1) A quelle situation et institutions s'appliquent-ils ?
Le juge constitutionnel a-t-il sa place dans ce domaine ?(2).
1 : La nature des normes applicables
Les normes applicables sont issues de l'accord politique. Ce
sont donc des normes politiques. Comme telle, le juge constitutionnel est
étranger à ce corpus normatif. Cela justifie par-dessus
tout, son comportement mitigé, et en faisant tantôt des normes
supra constitutionnelles ( cour constitutionnelle béninoise fait du
consensus national issu des conférences nationales, donc acte politique,
un principe immuable et intemporel), tantôt des normes internationales,
comme l'a fait le Conseil Constitutionnel ivoirien, ou peut-être des
normes législatives applicables au contentieux électoral comme ce
fut au Togo en 2007 où la cour constitutionnelle épuise le
contentieux préélectoral selon l'esprit de l'APG. Il
s'égare donc dans ce domaine.
2 : Le domaine des normes applicables
S'il est vrai que le juge s'invite souvent dans les pouvoirs
de crises applicables aux crises ordinaires ou juridiques, les crises qui font
appel aux accords politiques semblent transcender son domaine de
compétence.
148 SALAMI (I.), « le pouvoir constituant
dérivé à l'épreuve la de la justice
constitutionnelle béninoise », RTSJ, p.57, voir aussi,
BRAMI (C.), la hiérarchie des normes constitutionnelle op.cit.,
p.9
149 VEDEL (G.), cité par BOLLE (S.), « Le
contrôle prétorien... » op.cit.p.3
51
En effet, il n'est pas étrange de voir le juge
constitutionnel intervenir dans l'état de siège, l'état
d'urgence ou même la dictature constitutionnelle.
Seulement, il importe d'opérer un distinguo
entre une crise juridique et une crise politique. Pour le Professeur
Martin BLEOU, une crise juridique est celle qui menace les institutions au sein
de l'Etat. On pourrait penser à un conflit de compétences entre
le gouvernement et le parlement, ou entre un administré et une
administration. Une crise politique est par contre celle qui menace le
phénomène du pouvoir lui-même, et qui est de ce fait, en
dehors du juridique. Elle requiert donc des solutions extra juridiques. Il
conclut que les conflits juridiques se résolvent par des
mécanismes juridiques et les conflits politiques par des moyens
politiques150.
Il est donc clair qu'en période de crise ce sont les
accords politiques qui s'appliquent et le juge semble du coup ne rien avoir
à faire dans un monde qui a priori n'est pas le sien. Il ne
saurait donc contrôler la constitutionnalité d'une révision
constitutionnelle initiée par un accord politique. Son rôle de
régulateur du fonctionnement des institutions lui est tout simplement
ravi par le conseil de suivi.
B : La substitution implicite du comité de suivi
au juge constitutionnel
« A bon chat, bon rat ». Ce vieil adage
semble justifier de fort belle manière la situation du juge
constitutionnel. Pour assurer l'effectivité d'un accord politique, il
faut forcément un organe politique dont le rôle est
précisé par ledit accord (1). Ce qui explique la non saisine du
juge constitutionnel (2).
1 : Le rôle du comité de suivi
Le comité de suivi est l'organe qui chapeaute le
processus de pacification. C'est lui qui est chargé d'assurer
l'effectivité des exigences de l'accord politique. Il prend alors les
manettes de la gestion du pays et transcende du coup, toutes les institutions
juridiques virtuellement laissées en vigueur. Sa composition est
significative. Dans le cadre de l'accord de Linas Marcoussis, il est
composé comme suit :
« ...- le représentant de l'Union Européenne
-le représentant de l'Union Africaine
150 C'est du moins ce qu'il soutenait à l'occasion de
la conférence doctorale organisée par le Centre de Droit Public
de l'Université de Lomé le 14 mars 2011.
52
- le représentant du Secrétaire de la CEDEAO
-le représentant spécial du Secrétaire
Général qui coordonnera les organes des Nations Unies
- le représentant de l'Organisation Internationale de la
Francophonie
- les représentants du FMI et de la Banque Mondiale
-un représentant des pays du G8 -le représentant de
la France ».151
Pour l'APG, « il sera composé d'un
représentant de chaque composante du dialogue ainsi que des
représentants du facilitateur, de l'Union Européenne (UE), de la
Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO)...
Il sera présidé par le facilitateur ou son
représentant ».152 Cette posture lui donne une force
inégalable. Il peut ainsi exercer une pression particulière,
sinon très efficace sur toutes les composantes du dialogue. Il peut
d'ailleurs saisir les instances nationales, régionales et
internationales.153 Ce qui fait de lui une personne morale. La
confiance que lui confère tout cet arsenal justifie le manque
d'intérêt à saisir le juge constitutionnel.
2 : La non saisine du juge constitutionnel
On ne le dira pas assez, le juge constitutionnel est dans un
Etat de droit démocratique, l'institution chargée de la
régulation du fonctionnement des institutions et constitutionnelles, et
de la pacification de la vie politique. Par ailleurs, il s'est récemment
révélé comme protecteur des droits de l'homme. Comme cela,
il est celui qui devrait être saisi lorsque le fonctionnement des
institutions bat de l'aile, ou lorsque les droits fondamentaux, notamment les
droits politiques, sont violés. Cependant, il semble de
notoriété publique que cette voie de recours ne présente
aucun intérêt, ni pour les protagonistes, ni pour les victimes.
Ils semblent orienter la recherche de leur salut vers d'autres cieux. Les
multiples voyages des acteurs politiques togolais au pays du facilitateur
Blaise COMPAORE et les innombrables
151 Art.4 de l'accord de Linas Marcoussis.
152 Art. 5.2 de l'APG.
153 Art. 4 de l'accord de Linas Marcoussis.
missions de l'ancien Secrétaire Général
de Nations Unies Kofi ANNAN et de l'Ex-président Sud-africain Tabo
M'BEKI à travers le continent, attestent de façon
irréfutable de l'émergence et du renforcement des modes
alternatifs de résolution des crises au sein de l'Etat, donc en droit
constitutionnel. Le Professeur Francisco MELEDJE DJEDJRO ne parlait-il pas
déjà de l'importance des mécanismes politiques dans le
contentieux électoral154.
Le juge constitutionnel se trouve alors définitivement
mis «hors-jeu » par les accords politiques. Ce qui ne fait que
renforcer l'humiliation du pouvoir constituant. Cependant ce tableau aussi
alarmiste qu'il puisse paraître, ne parvient pas à noyer les
avantages, les bienfaits des accords politiques.
53
154MELEDJE DJEDJRO (F.), « le contentieux
électoral en Afrique », Pouvoir, 2009, p.153
54
DEUXIEME PARTIE :
UNE CONSTITUTION COMPLETEE DANS SES FONCTIONS
55
Pour amorcer l`analyse des certitudes théoriques de
l'incursion de la communauté internationale dans la vie
constitutionnelle togolaise, Le Doyen
KPODAR se posait la question suivante: « Accords
politiques: déconstitutionnalisation ou constitutionnalisation
?»155 Et pour répondre, il adopte une
démarche à double détente. La première atteste
d'une déconstitutionnalisation consommée, résultant, selon
les termes mêmes de MOYEN Godefroy156, de la conception
formelle de la constitution, et la seconde consiste à avoir une vision
réaliste et pratique (de la constitution) surtout dans une jeune
démocratie. Il s'agit là d'une approche matérielle de la
constitution.157
Il apparait dès lors, une conception optimiste, sinon
utilitariste des accords politiques qui postule leur caractère salutaire
et complémentaire ; et qui témoigne d'ailleurs, de la
nécessité d'en faire des normes du droit positif. Cette
conception se base sur l'incapacité de l'ordre constitutionnel ou du
moins juridique, à juguler à lui seul, les crises au sein de
l'Etat158. Par ailleurs, certains évoquent la nature
même de la crise laquelle, serait au-delà du débat
juridique, parce que relatif à la source même du droit,
c'est-à-dire au phénomène du pouvoir.
En tout cas, il semble établi que le complément
de la constitution est une nécessité dans la mesure où, il
constitue pour elle, une sorte d'avant-garde et un podium de perfectionnement.
Cette nécessité semble être justifiée par les
lacunes inhérentes à la constitution elle-même, par
l'urgence de corriger celles-ci et surtout de rétablir un certain
consensus sur le fondement même de la gestion des affaires publiques.
Dans cette perspective, on peut affirmer que les accords
politiques sont non seulement un complément avéré
(Chapitre I) à la constitution mais, en plus le fruit d'une
nécessité bien comprise. En d'autres termes, il s'agit d'un
complément justifié (Chapitre II).
155 KPODAR (A.), « La communauté internationale et le
Togo... » op.cit. p.42
156 MOYEN (G.), « Les accords de sortie de crises... »
op.cit., p.
157 Idem
158 Le principal tenant de cette vision est le Professeur Jean DU
BOIS DE GAUDUSSON qui la rappelle dans
plusieurs de ces écrits notamment l'accord de Linas
Marcoussis, « constitution sans culture constitutionnelle n'est que rune
du constitutionnalisme ».
56
CHAPITRE I : UN COMPLEMENT AVERE
S'il est « vrai que les normes constitutionnelles ne
peuvent assurer à elles seules la régulation des rapports
politiques»159, il est aussi vrai que «
trop d'évènements qui ont placé l'Afrique au premier
rang de l'actualité parfois tragique, confirment la pertinence de ces
propos »160. Pour Jean du Bois de GAUDUSSON, la
révolution de ces nouvelles crises, suscite et nécessite de
nouvelles approches et procédures. Elles sont un dosage subtil et
véritable de légalité, de recours au droit et à des
négociations politiques. Elles s'accompagnent en général,
mais pas nécessairement, de l'intervention d'un tiers,
personnalité ou institution, organisation internationale, sous
régionale ou spécialisée, jouant le rôle de
médiateur161 ou de facilitateur162. Pour lui en
effet, l'histoire récente permet de conclure que l'Afrique offre
plusieurs exemples de modes alternatifs de règlement de crise qui
attestent véritablement d'un complément établi de la
constitution (Section I). Seulement, il faut, selon les termes du Professeur
KPODAR, « au pire des cas, soit constitutionaliser ce recours aux
accords politiques en cas de crise (...), soit à les considérer
comme le résultat d'un véritable processus coutumier qui
répond à tous les acabits caractéristiques d'une telle
démarche »163. Ce qui exhibe une véritable
urgence d'attribuer aux accords politiques le caractère de normes de
droit positif (Section II).
SECTION I : UN COMPLEMENT ETABLI
Le complément de la constitution par les accords
politiques s'est matérialisé par l'émergence d'un droit
constitutionnel spécial (Paragraphe I), lequel parvient à
protéger l'ordre constitutionnel en vigueur (Paragraphe II).
159DU BOIS DE GAUDUSSON(J) cité par
CONAC(G), « Succès et crises du constitutionnalisme africain
», in
Les constitutions africaines publiées en langue
française, Paris, Bruylant, 1998, p.12. 160Idem.
161 La médiation peut être nationale ou
internationale. Pour plus de précision lire utilement TCHIGNOUMBA (P.),
« Aperçu historique de la situation sociopolitique au Congo
après la guerre du 5 juillet 1997 et avant les accords de cessez-le feu
et la cessation des hostilités du 15 novembre et décembre 1999
»in Mélanges en l'honneur de Jean GIQUEL, Paris,
Montchrestien, 2008, p.376
162 OULD LEBATT (M.E.H.) « Les facilitateurs, nouveau
mécanisme de règlement des crises: l'exemple des
négociations de paix inter burundaises »,
Francophonie et démocratie, Paris, Pedone, 2007, pp. 336 et
suiv.
163 KPODAR(A) « La communauté internationale et le
Togo... » op.cit.p.42.
57
Paragraphe I : L'émergence d'un droit
constitutionnel spécial
Il n'est sans doute pas aisé de songer aux modes
alternatifs de règlement des différends lorsqu'on aborde le champ
constitutionnel. Cela parait d'ailleurs redondant dans la mesure où il
s'agit du droit des droits. On constate donc avec la pratique des accords
politiques(B) qu'il y a une transcendance de l'incompatibilité
originelle entre constitution et négociation(A).
A : La transcendance de l'incompatibilité entre
constitution et négociation
L'incompatibilité entre la constitution et les modes
alternatifs de règlement des différends tient à la nature
même des deux mécanismes(1), cependant la nature et
l'environnement de la crise semblent ne pas laisser le choix(2).
1 : L'incompatibilité originelle entre
constitution et négociation
Le droit constitutionnel est le droit des droits. Il peut
même être considéré comme un droit sacré.
C'est le droit où tout ce qui se passe est a priori
établi. En effet, la constitution contient des règles
péremptoires qui régissent l'acquisition, l'exercice et la
dévolution du pouvoir. Pour Pierre AVRIL, « lorsqu' une norme
constitutionnelle prescrit un comportement déterminé, il n'y a
plus de place pour un quelconque jeu du pouvoir. Les acteurs sont tenus de se
conformer à la prescription, sans possibilité d'en moduler
l'application. »164 Ainsi présenté, le droit
constitutionnel ne semble présenter aucune porte ouverte à la
médiation, à la facilitation, à la conciliation et a
fortiori à la transaction. Tous ces mécanismes qui postulent
la négociation ouvrent la voie à la notion de volonté
contractuelle en matière de pouvoir. Or, celui-ci est soumis de
façon pérenne, à un ensemble de règles quasi
intangibles. La séparation des pouvoirs, le fonctionnement de
l'exécutif, les élections. Chacune de ces institutions a un
régime bien défini, qui présente d'ailleurs un
caractère impératif et erga omnes165. Le
régime même de la résolution des crises est un
régime rigide et de force. L'essence de l'état de siège,
l'état d'urgence et la dictature constitutionnelle atteste cet
état de choses. Dès lors, on conçoit difficilement comment
pourrait se produire une négociation dans un domaine de
164 AVRIL (P.) « Une convention contra legem la
disparition du « programme » de l'article 49 de la constitution
» in Mélanges en l'honneur de Jean GIQUEL, Paris,
Montchrestien, 2008, p.10
165 On dit d'une règle qu'elle est « erga omnes
» quand elle s'applique à tout le monde. En droit international ce
sont des règles qui s'appliquent aux Etats en dehors de leur
consentement.
58
puissance publique et surtout, dans un domaine qui requiert de
l'intransigeance telle que la résolution de la crise.
Certes, on pourrait songer à une négociation
officieuse entre le gouvernement et le parlement, entre les candidats à
une élection, mais pas en tout cas en matière de
résolution de crise. Cependant la situation est telle, qu'on semble
obliger d'assouplir cette rigidité.
2 : La nature et l'environnement de la crise
Il est clair que dans un Etat stable les mécanismes
constitutionnels de résolution des crises, semblent inviolables. On se
souvient encore de la guerre déclenchée en juillet 2011 par le
gouvernement britannique contre les mouvements sociaux166. Comme
preuve, on peut brandir la quasi inexistence des accords politiques dans les
grandes démocraties. Il semble donc s'agir d'un syndrome propre à
l'Afrique167. Ceci suscite inévitablement de la
curiosité. Pourquoi l'Afrique semble se présenter comme le
terreau de ces nouveaux modes ? Parce que, c'est justement là, que les
crises sont imputables à ceux qui sont au pouvoir. En effet, lorsque on
jette un regard panoramique, on se rend à l'évidence que les
causes de la crise se retrouvent soit, dans la contestation de la
régularité des élections (l'opposition, ou plutôt
les perdants, accusent les vainqueurs d'avoir truqué les
résultats), soit dans la gestion même des affaires publiques, tel
que le témoigne le printemps arabe.
En d'autres termes, les dirigeants font appel au droit mou ou
souple168, parce qu'ils ont quelque chose à se
reprocher169. En 1999, le président togolais de
l'époque, le Général Gnassingbé Eyadema, a
accepté les négociations de
166 On oppose cette situation à celle du Togo où
devant le soulèvement des étudiants, le Gouvernement et les
autorités universitaires ont dû recourir à la signature
d'un accord tripartite dans le courant du mois de Juillet 2011.
167 Pour MOYEN Godefroy, les accords de sortie de crises
politiques et constitutionnelles montrent un certain génie du continent
africain en matière de création de normes constitutionnelles.
Voir MOYEN (G), « Les accords de sortie de crises politiques et
constitutionnelles en Afrique : le cas de la République
Démocratique du Congo... » op.cit. p.1
168 Sur ce point on peut lire utilement Le droit
souple, les actes du colloque organisé par l'association Henry
CAPITANT, Paris, Dalloz, 2009
169HERING n'avait-il pas vilipendé la
transaction en soutenant que « transiger sur un droit bafoué afin
de s'épargner les ennuis et les frais d'un procès, c'est
déserter devant un combat nécessaire ». MALAURIE (P) AYNES
(L), Droit civil les contrats spéciaux, Paris, Cujas, 1997,
p.579
59
Ouagadougou parce qu'un an plutôt, il a gagné les
élections dans des circonstances mystérieuses170.
En Côte d'Ivoire, personne n'ignore les circonstances
qui ont conduit à la crise et à la signature de l'accord de Linas
Marcoussis et de son contingent de successeurs. Il en est de même au
Kenya et au Zimbabwe.
La situation maghrébine est plus complexe. Là,
les gouvernants règnent sans partage. Par ailleurs, ils s'entourent
d'une minorité exclusivement composée des membres de leur famille
et prennent le pays en otage, s'appropriant tous ses biens et arrachant du coup
à leur peuple, la qualité de souverain. Il n'y a pas de citoyens
mais tout simplement des sujets.
Des lors, pour éviter d'être emportés par
les révolutions, ils sont obligés de négocier. Quand la
négociation ne marche pas, la dynastie régnante tombe en
décadence. Souvent en débandades, ces monarques et leur suite
laissent derrière eux un pays presque en déliquescence, comme
l'atteste la situation en Tunisie et en Egypte. Par contre, quand les
négociations sont fructueuses, on aboutit aux accords. C'est ce qui
s'est passé avec les conférences nationales en Afrique noire
francophone en 1990. Dès lors, on aboutit à la transcendance de
l'incompatibilité originelle entre constitution et
négociation.
B : Les accords politiques : des modes alternatifs de
résolutions des crises
Partis du droit privé avec la
transaction171, les modes alternatifs de règlement des
différends sont entrés dans le droit public par le biais du droit
international public qui consacre aux cotés des modes juridiques de
résolution de différends, des modes politiques essentiellement
basés sur la négociation. Ils irriguent ensuite le droit
administratif par des institutions comme le Médiateur de la
République avec pour point culminant la transaction. Avec les accords
politiques, le droit constitutionnel ouvre finalement ses portes à la
négociation (1), avec à la clef, une place au principe du respect
de la parole donnée et surtout de bonne foi (2).
170 On se souvient que la Présidente de la CENI AWA
NANA avait dû quitter le pays quelques heures avant la proclamation des
résultats par le ministre de l'intérieur le Général
SEYI MEMENE. Pour plus d'information sur cette crise, lire livre blanc :
Les élections présidentielles de 1998 au Togo pp. 1et
Suiv
171 La transaction est une convention synallagmatique par
laquelle les parties se consentent des concessions réciproques afin de
mettre fin à un procès ou de l'éviter. Voir MALAURIE (P.)
AYNES (L.), Droit civil, les contrats spéciaux, Paris, Cujas,
1997, p.579
60
1 : La négociation
La négociation est l'ensemble des démarches
entreprises pour conclure un accord, un traité, ou pour rechercher une
solution à un problème social ou politique. C'est la base des
modes alternatifs de résolution des crises. Contrairement au droit
international où la négociation revêt une l'obligation
d'engager et de poursuivre, autant que faire se peut les pourparlers, elle se
décline en droit constitutionnel, en une liberté (comprenant
naturellement deux variables : négocier ou ne pas négocier).
Fondement de tout mécanisme alternatif de
règlement des différends, la négociation peut être
mue par le gouvernement qui appelle les autres partis à venir dialoguer.
Elle peut aussi être l'oeuvre du facilitateur (lorsque la
négociation est interrompue par exemple), ou imposée par la
communauté internationale.
C'est une étape très importante qui permet aux
protagonistes de faire des offres, d'étudier les propositions de l'autre
partie et d'accepter ou de refuser de signer.
Elle se fait le plus souvent, sous le patronage du
facilitateur ou médiateur, qui a un rôle très important
à jouer. C'est lui qui essaie de calmer les ardeurs, de rapprocher les
points de vue. C'est pourquoi, il doit faire preuve de diplomatie et de sagesse
pour maintenir les partis à la table de négociation. Ce qui fait
de lui le levier de la négociation.
Avec la négociation, on aboutit à la
contractualisation de la production normative172 qui fait apparaitre
de ce fait, une obligation de respecter la parole donnée, à la
charge des parties.
2 : Le respect de la parole donnée
Une fois signé, l'accord devient la loi des parties. Il
acquiert force de loi sur le fondement du principe de la parole
donnée173. Chacune des parties s'engage à respecter
sinon, à mettre en application sa part du contrat, et ceci de bonne foi.
Seulement il arrive très régulièrement que tout juste
après la signature, certains signataires, remettent en cause toute
l'économie de l'accord, soit en déformant les clauses, soit en
déniant à l'accord, toute valeur juridique. Ce qui est d'ailleurs
très
172 CHASSANGNARD-PINET (S.) et HIEZ (D.), dir., La
contractualisation de la production normative, Paris, Dalloz, 2008, p. 1
et suiv.
173 Ne dit-on pas qu'on lie les boeufs par les cornes et les
hommes par la parole ?
61
regrettable. En effet, cela constitue, en droit privé,
la violation du principe du respect de la parole donnée et devrait
soumettre l'auteur au payement des dommages et intérêts. En droit
international on parlerait volontiers de l'effet d'Estoppel174 qui
interdit aux Etats, de souffler à la fois du chaud et du froid. Mais en
droit constitutionnel, cette situation replonge le pays dans les profondeurs
d'une crise sans issue. Cependant il convient de relativiser cet état de
fait pour reconnaître que généralement les accords
politiques protègent véritablement l'ordre constitutionnel.
Paragraphe II : La protection de l'ordre
constitutionnel
La protection de l'ordre constitutionnel procède par la
stabilisation des institutions (A) qui permet de maintenir le processus de
démocratisation (B).
A : La stabilisation des institutions
Dès la signature de l'accord, les tensions retombent.
Ce qui témoigne que le consensus a été retrouvé (1)
et que la constitution est désormais mise hors d'atteinte (2).
1 : Le consensus retrouvé
Le nouveau constitutionalisme africain dans son ensemble, ou
du moins dans sa majorité, a pour socle le consensus175.
Matérialisé par les conférences nationales qui auraient
servi de base aux dites constitutions, le consensus a irrigué la vie
politique des Etats africains jusqu'à ce que la nostalgie de «
président dinosaure »176 vienne le faire
disparaître. C'est cette rupture unilatérale du contrat social qui
a conduit dans la majorité des cas, à la crise. Au Togo par
exemple, après avoir appelé à adopter la constitution de
1992, le Président Gnassingbé Eyadema qui s'était vu
transformé en un ersatz administratif, n'a ménagé aucun
n'effort pour éroder peu à peu, les pouvoirs du Premier ministre
pour conduire au final à la révision du 31 décembre 2002.
Cet évènement, associé à la mascarade
électorale de 1998, a fracturé de façon inédite, le
tissu social ; fracture qui s'est perpétuée
174 Sur ce point consulter utilement le Dictionnaire de droit
international public op.cit., pp.45O-451
175 Selon le lexique des termes juridiques, le consensus en
droit constitutionnel peut s'entendre d'un accord général sur les
valeurs sociales essentielles et spécialement sur le régime
politique établi. Ce qui a pour effet de modérer les antagonismes
politiques (lutte dans le cadre d'un régime et non sur le régime
lui-même). Il peut aussi désigner la méthode d'adoption des
décisions consistant dans la recherche d'un accord mutuel sans que l'on
procède à un vote formel (ou même pour éviter de
recourir à un tel vote), GUILLIEN (R.) et VINCENT (J.), dir. ,
Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 2003, p.152
176 LOADA (A.), « La limitation ...» op.cit.,
p.147
62
jusqu'à ce jour. En Côte d'Ivoire, c'est
plutôt le concept d'« ivoirité »177 qui a
fait basculer le pays dans les affres d'une crise profonde, dont les effets ne
sont pas prêts d'être oubliés.
Les accords politiques viennent donc rendre
l'atmosphère moins tendue. Ils conduisent à un certain apaisement
qui dénote d'un certain consensus trouvé sur la vision nouvelle
de la vie en société. Le consensus retrouvé, la vie de
l'Etat reprend normalement ou du moins apparemment. Ce qui met la constitution
hors d'atteinte.
2 : La constitution mise hors d'atteinte
Le propre de tout système de crise est de
protéger le statu quo. Il s'assimile volontiers à la
mise au frigo du système normal, permettant de le conserver et de le
faire sortir une fois la menace vaincue. De même, les accords politiques
constituent une sorte de rempart qui protège la constitution et sur
laquelle viennent s'écraser toutes les menaces trimbalées par les
crises. Il s'agit au premier chef de la menace de l'armée.
En effet l'armée s'est toujours
considérée comme la conscience du peuple. Elle s'arroge
volontiers la mission de protéger les institutions, de les stabiliser ou
de les rentabiliser davantage. Le Colonel BOKASSA l'avait
systématisé en ces termes : « Si un jour il y a de la
pagaille ici, je n'hésiterais, je prends le pouvoir pour y mettre de
l'ordre »178. Cette théorie fut traduite dans les
faits par l'armée nigérienne en 1995 qui s'imposa par un coup
d'Etat, comme arbitre du conflit de compétence entre le conseil
constitutionnel, dont la décision a été violée par
la nomination du premier ministre HAMA Amadou, et le Président MAHAMAN
Issifou. Tout récemment, c'est l'armée togolaise qui s'est
illustrée en nommant au poste de Président de la
République par intérim Faure Essozimna GNASSINGBE, au
mépris des règles constitutionnelles prétextant le fait
que le pays était en passe de basculer dans une phase sombre de son
histoire. Or, le Président Oluségun OBASANJO rappelait volontiers
que « le régime militaire en Afrique a donné au malade
une thérapeutique pire que la maladie qu'il est sensé
guérir »179.
177 TOULOU (L.), « Election de la peur ou peur des
élections : dilemme et contretemps de la sortie de crise en Côte
d'Ivoire », inédit, p.5
178 GBEOU-KPAYILE (N.), L'armée et la
démocratie en Afrique, Mémoire de DEA Droit Public
Fondamental, Lomé 2004-2005, p .14
179Cité par VIGNON (Y.B.), « Coup
d'Etat... »op.cit., p.616
63
Les accords politiques évitent donc « qu'il y ait
de la pagaille ici » et que l'armée se sente obliger d'intervenir
dans un champ qui a priori n'est pas le sien. Par ailleurs ils
permettent de renforcer le processus démocratique en branle depuis
quelques années.
B : Le maintien du processus démocratique
« Les représentants du pouvoir acceptent de
nombreuses concessions pour ré embrayer le processus
démocratique. Ceux de l'opposition retrouvent la voie de la
participation aux élections, obtiennent des garanties d'un traitement
équitable, les conditions d'un processus électoral pluraliste
sont mises sur pied. » Écrivait le Professeur Charles
DEBBASCH180.
Le processus démocratique en Afrique, contrairement
à ce qui se passe dans les vieilles démocraties, semble
procéder par le partage du pouvoir(1), qui garantit à
défaut d'une alternance politique et démocratique, la circulation
des élites(2).
1 : Le partage du pouvoir
L'un des traits marquants du phénomène des
accords politiques est le partage du pouvoir. Pour Pierre Moukoko Mbojo, la
multiplication des crises politiques, au lendemain des élections
pluralistes et compétitives, semble donner l'impression que la plupart
des partis politiques qui vont aux élections, refusent d'intégrer
la défaite dans leur démarche politique. Aussi, soutient-il que
rares sont les partis qui, après une défaite électorale
acceptent facilement l'idée d'avoir à passer encore quatre ou
cinq années dans l'opposition comme le prescrit la démocratie
normative. Il conclut à la volonté et au désir de la
plupart de ces partis de participer activement au gouvernement. Il bâtit
ainsi la célèbre théorie de la démocratie
consociationnelle181 qui à l'inverse de la démocratie
pluraliste, postule le privilège du consensus au détriment de la
concurrence chère à la théorie de la démocratie
majoritaire182.
Dans le cadre des accords politiques, elle se
matérialise concrètement par la pratique des gouvernements
d'union nationale. Il s'agit du gouvernement de crise, chargé de la
mission de stabiliser l'Etat, dit le Professeur KPODAR. Du point de vue
constitutionnel, on peut soutenir que la caractéristique essentielle
d'un gouvernement d'union nationale qui est de renfermer, dans une large
mesure, les représentants
180 L'Etat du Togo op.cit., p.28
181 « Pluralisme socio politique et démocratie en
Afrique... » op.cit., p.40
182 KPODAR (A.), «la communauté internationale et le
Togo... » op.cit., p.44
64
des forces politiques nationales, révèle le
rejet du greffon de l'Etat importé. Mais l'essentiel, c'est qu'il
garantit la circulation des élites, en résolvant du coup, la
crise.
2 : La circulation des élites
S'il est illusoire de penser que les accords politiques
conduisent à l'alternance politique et démocratique, il semble
acquis qu'ils assurent quand même la circulation des
élites183 qui en est, pour ainsi dire, l'avatar. Issu de la
rotation des postes184, « l'alternance postule la
réunion de plusieurs conditions objectives : transparence des
élections, existence d'une opposition structurée et suffisamment
forte pour faire jeu égal avec la majorité en place. Elle
requiert par ailleurs, un consensus minimum entre les forces en
compétition, surtout, sur les institutions ; et enfin une certaine
modération et prudence de la nouvelle majorité dans l'exercice du
pouvoir et sa volonté de réformer »185. Or,
sur ces questions, on constate une déraison aussi bien du
côté de la majorité que du côté de
l'opposition. L'alternance s'analyse donc dans le nouveau constitutionalisme
africain comme un « accident de l'histoire » malgré le fait
qu'elle est juridiquement consacrée186.
Si l'accord de Linas Marcoussis et sa postérité
ont assuré, dans une certaine mesure, une alternance en Côte
d'Ivoire par l'éjection de Laurent Gbagbo du fauteuil
présidentiel, il faut reconnaître qu'il s'agit bien là d'un
cas iconographique. Dans la majorité des cas, on assiste tout simplement
à l'octroi du poste de Premier ministre, s'il en existe et de quelques
portefeuilles ministériels, parfois importants, à l'opposition.
Il en est ainsi au Togo où l'UFC s'en sort, après l'accord
RPT-UFC, avec les portefeuilles des affaires étrangères, de la
communication, de l'enseignement supérieur, longtemps jalousement
conservés par le RPT187. En Côte d'Ivoire, le chef de
la rébellion Guillaume Sorro, obtient par le biais de l'accord de Linas
Marcoussis, le poste de Premier ministre, réinventé à cet
effet188. Il ressort par ailleurs de l'accord RPT-UFC, que des
nominations seront faites conjointement à des postes de grandes
responsabilités189.
183LOADA (A.), « La limitation du nombre de
mandats présidentiel en Afrique francophone »op.cit.,
p.147.
184 Idem
185 QUERMONNE (J-L.) cité par LOADA (A.), « La
limitation... » op.cit.
186 Sur cette question lire KPEDU (Y.) « La
problématique de l'alternance au pouvoir dans le débat
constitutionnel africain » RTSJ, 2011, p.67
187 Sept portefeuilles ont été accordés
à l'UFC. Voir l'annexe de l'accord RPT-UFC
188 Il s'agit bien d'un poste d'hyper Premier ministre comme dans
les régimes parlementaires classiques.
189 Point II de l'accord RPT-UFC
65
Il est donc clair, que par l'institution d'un droit
constitutionnel d'exception, les accords politiques s'avèrent être
un complément essentiel pour ne pas dire indispensable. Seulement, leur
efficacité semble s'émousser par le reproche qu'on leur fait
d'être extra juridique. D'où la nécessité de leur
positivité.
SECTION II : UN COMPLEMENT A « JURIDICISER
»
On appelle positivité, le caractère d'une norme
adoptée conformément au droit, et qui, de ce fait, acquiert la
valeur de norme juridique et applicable en tant que tel. En
réalité, il s'agit de la matérialisation du positivisme
juridique qui établit qu'une règle ne peut être juridique
en dehors des prescriptions qui la régissent et qui se
concrétisent par la volonté de l'Etat. Perçus sous cet
angle, les accords politiques ne peuvent certainement pas s'appréhender
comme du droit positif. D'où la nécessité d'en faire des
normes juridiques (Paragraphe I), tant les modalités pour se faire sont
multiples (Paragraphe II).
Paragraphe I : Une nécessité ressentie
Les accords politiques sont souvent violés ou tout
simplement renvoyés aux oubliettes. Il n'est pas rare d'entendre dire
que les accords ne lient que leurs signataires ou de façon plus
tranchée, qu'ils n'ont aucune force juridique190. Il devient
donc impérieux de leur doter d'une nature juridique, ce qui les
sécuriserait (A) et les rendrait plus efficaces(B).
A : La sécurisation des accords politiques
Sécuriser les accords reviendrait à les
protéger contre les acteurs politiques (1) et à déterminer
leur position vis-à-vis des autres normes (2).
1 : La protection contre les acteurs
politiques
S'il est vrai que la politique est un domaine où tous
les coups sont permis, il est aussi vrai que c'est un domaine fortement
marqué de courtoisie et de mauvaise
190 C'était d'ailleurs la position de YAO N'DRE
dès la signature de l'accord de Linas Marcoussis. Voir DU BOIS DE
GAUDUSSON (J.), « Accord de Marcoussis... » op.cit.p.44
66
foi191. Et ce caractère de la politique se
répercute sur les accords politiques. En effet, il est fréquent
que les accords politiques soient dépouillés de tout effet, aussi
bien en droit interne qu'en droit international192 . Ainsi, ils sont
perçus comme des actes de courtoise comparativement aux gentlemen's
agreement193 en droit international. Les clauses ou
dispositions des accords politiques ne sont que le produit des civilités
que se font les hommes politiques entre eux. Ils les signent par respect, soit
de leur propre personnalité, soit des représentants de tel pays
ou de telle institution.
Ainsi conçu, les accords politiques héritent
d'une véritable fragilité. En effet, à la sortie des
négociations, les hommes politiques se plaisent souvent à renier
en bloc le fruit des négociations, ou à en donner une
interprétation inexacte sinon attentatoire. Cette pratique a valu au
Président GBAGBO, le nom de « boulanger ». Le président
Eyadema GNASSINGBE déplorait cette situation en ces termes : «
la tâche n'était pas facile car vous avez eu l'occasion de le
percevoir. L'opposition n'est pas unie. Un accord accepté par les uns
était aussitôt rejeter par les autres
»194.
Tout compte fait, ce constat de fragilité des accords
politiques vis-à-vis des hommes politiques, aussi bien signataires que
tiers, fait voir en réalité la nécessité de les
enfermer dans un système normatif permettant d'éviter qu'ils
soient, soit violés, soit exécutés de mauvaise foi, se
trouvant ainsi protégés des aléas dont ils sont victimes.
Cela permettrait d'ailleurs de les protéger contre les autres normes.
2 : La protection contre les autres normes
Plusieurs normes régissent au sein de l'Etat, le
phénomène du pouvoir. On pourrait citer au passage les
composantes du bloc de constitutionnalité, les normes communautaires et
internationales195. Dans cette atmosphère aussi garnie de
normes juridiques, de force et de portée différentes, les accords
politiques se retrouvent « orphelins » puisque justement, n'ayant pas
de force juridique. Aussi, n'est-il pas étonnant que les
élections présidentielles de 2010 en Côte d' Ivoire
aient
191 En en parlant justement, Montesquieu écrit : «
la politique est tout ce qu'il y'a de plus opposé à la justice,
c'est une science faite de ruse et d'artifice. Ce qui est écrit n'arrive
pas, et ce qui arrive est imprévu » CARRADO (R.), Montesquieu :
moraliste des lois au bonheur
192 Voir nos développements sur l'internationalisation des
accords politiques.
193 Les gentlemen's agreement désignent en droit
international, des amabilités, et des promesses que se font des leaders
des Etats et qui ne durent que le temps que ses hommes restent en fonction. Ils
sont dépourvus de force juridique.
194 Interview à Paris Match, cité par le par
DEBBASCH (C), L'Etat du Togo op.cit., p. 53
195 A savoir les traités, la coutume internationale, les
actes unilatéraux, les résolutions des nations unies et
autres.
67
fait couler autant d'encre et de salive, relativement à
l'applicabilité de la constitution ou de l'accord de Pretoria.
Devant cette situation, le Rwanda a opté pour une
constitutionnalisation pure et simple. En effet, à la sortie du
génocide, ce pays a connu une multitude d'accords et protocoles visant
la consolidation du tissu social profondément lézardé par
les affres de la crise.
Il est donc clair que la constitutionnalisation, ou du moins
la juridisation des accords politiques apporterait une solution adéquate
à ce conflit de normes. L'originalité vient du fait que dans ce
cas, tous les compromis ont été intégrés dans la
loi fondamentale, avec à la clef la détermination de la norme
applicable en cas de conflit. Ce faisant, on protège les accords
politiques des autres normes, ce qui garantirait d'ailleurs leur
effectivité.
B : Une effectivité assurée
Donner aux accords politiques une force juridique reviendrait
forcement à
garantir son application(1) par le biais des sanctions de leur
violation(2).
1 : Une application garantie
Inscrire les accords politiques dans le creuset des normes
juridiques implique
plusieurs éléments. D'abord, les stipulations
des accords deviendraient des règles de droit. Et comme tel, elles
seraient générales et impersonnelles, abstraites et surtout
obligatoires. A partir de ce moment, non seulement le recours aux accords
politiques serait lui-même soumis à des conditions de fond et de
forme, mais aussi, son application ne serait plus une option, mais une
obligation.
En d'autres termes, l'accord politique ne s'imposerait pas
seulement aux signataires conformément au principe de l'effet relatif
des contrats ou des traités, mais aussi à tous les citoyens, qui
se feront forcément une raison d'y obéir. Au-delà, sa
violation pourrait être sanctionnée.
2 : La sanction de la violation
Norme obligatoire, sa violation devra être
sanctionnée. La seule question qui
se pose est de savoir comment se fera celle-ci.
La modalité la plus envisageable est de soumettre les
accords politiques sous la protection du juge constitutionnel. On aurait alors
une loi fondamentale constituée
68
de « frères siamois »196 (à
savoir l'accord politique d'une part, et la constitution d'autre part) soumis
à l'autorité d'un juge « Janus »197.
Il ne fait donc l'ombre d'aucun doute que recouvrir les
accords politiques d'une coloration juridique, est une nécessité,
d'autant plus que c'est à ce prix qu'ils pourraient remplir
convenablement la mission qui est la leur. Cela ne pose pas de problème
particulier d'autant plus que les modalités pour le faire sont diverses
et variées.
Paragraphe II : Les modalités multiples
Pour offrir une nature juridique aux accords politiques, il
existe une multitude de modalités qui peuvent être
regroupées en mécanismes de constitutionnalisation
immédiate (A) et en modalité de constitutionnalisation
médiate (B).
A : Une constitutionnalisation immédiate
La constitutionnalisation immédiate comme son nom
l'indique consiste à intégrer immédiatement l'accord
politique dans la constitution. Cette constitutionnalisation peut être
expresse(1) ou tacite(2).
1 : La constitutionnalisation expresse
La constitutionnalisation expresse de l'accord politique
procède de deux façons. Soit en amont, soit en aval. En amont, il
s'agit de constitutionnaliser le recours aux accords politiques en cas de crise
insusceptible d'être régler par la constitution, en corsetant son
utilisation afin d'éviter son instrumentalisation198. En
aval, il s'agit d'incorporer à la loi fondamentale, le corps de l'accord
déjà signé, en prévoyant d'entrée de jeu,
laquelle des deux normes l'emporterait en cas de conflit. Aussi
étonnante que puisse paraître cette proposition, elle n'est pas
pour autant inédite. En effet, la loi fondamentale du Rwanda contient en
son sein, la constitution et un ensemble de protocoles qui résultent de
la résolution de la crise ayant conduit au génocide199
.
196 On appelle frère siamois des jumeaux qui naissent
attachés l'un à l'autre par une partie du corps.
197Nom d'une divinité grecque et romaine.
Connaissant le passé et l'avenir, il est représenté avec
deux visages tournés en sens contraire. Dans le cadre de cette
étude, ce qualificatif signifie que le juge sera chargé d'assurer
la protection de la constitution d'un côté, et
l'effectivité de l'accord politique de l'autre.
198 KPODAR (A.) « La communauté internationale et le
Togo... » op.cit., p. 42
199 Voir l'art.1er de la loi fondamentale
rwandaise.
69
Cette combinaison a l'avantage de sauvegarder les deux
idéaux : celui que postule la constitution et qui reflète les
rêves du peuple, d'une part, et le consensus nouveau apparemment
indispensable pour faire disparaitre les affres de la crise, d'autre part.
L'autre avantage majeur est le régime préétabli pour
juguler les incompatibilités entre l'accord et la constitution.
2 : Constitutionnalisation tacite
La constitutionnalisation tacite semble a priori
imperceptible. Elle pourrait se faire par une simple accommodation du
recours à la dictature constitutionnelle.
La dictature constitutionnelle est le mécanisme ultime
en matière de résolution de crise. C'est un mécanisme qui
permet au Président de la République de recourir à tous
les moyens nécessités par les circonstances. Comment l'accord
politique peut-il emprunter cette courroie ?
S'il est vrai qu'on peut recourir à la force pour
juguler les crises, il n'est pas exclu qu'on pût le faire par la
négociation. Assurément, il paraîtrait étonnant
qu'un président qui, devant une belle occasion de faire une
démonstration de force, fasse appel à un droit mou :
négocier. Les rébellions par exemple, sont par nature
condamnées et réprimées par la constitution. Seulement,
quand on n'a pas le choix parce que la force a échoué comme en
Côte d'Ivoire, ou que les dirigeants ont quelque chose à se
reprocher (c'est-à-dire lorsque les revendications sont légitimes
comme c'est le cas tout récemment au Maghreb), on peut valablement
recourir à la négociation.
Dès lors, on peut inscrire les accords politiques dans
la courroie de la dictature constitutionnelle en suivant tout simplement les
formalités prévues à cet effet. Ce qui jusqu'alors, n'a
jamais été le cas. Tout compte fait, au-delà de cette
constitutionnalisation immédiate, on peut songer à une
constitutionnalisation médiate.
B : La constitutionnalisation médiate
La constitutionnalisation médiate semble emprunter la
voie de la coutume200 constitutionnelle. C'est ce que le Professeur
KPODAR semblait dire lorsqu'il soutenait qu'on peut les «
considérer comme le résultat d'un véritable
processus
200 On entend par coutume une pratique
généralement acceptée comme étant du droit. Voir
GOHIN (O.), Droit constitutionnel, Paris, Litec, 2010, p.113
70
coutumier »201. Seulement, comme le
constate le grand théoricien des accords politiques, il faut qu'ils
répondent « à tous les acabits caractéristiques
d'une telle démarche »202. On doit alors faire
appel à la pratique et à l'opinio juris sive
necessitatis. Or, dans le cas des accords politiques, s'il est acquis
qu'il y règne l'ambiance d'une pratique établie(1), la flottaison
de l'opinio necessitatis semble ralentir le mécanisme de
formation de la coutume constitutionnelle (2).
1 : L'ambiance d'une pratique établie : un
diuturius usus acquis
Pour qu'il y ait coutume, il faut une pratique. Relativement
aux accords politiques, on peut soutenir volontiers qu'il y a, non seulement
une pratique établie, mais aussi répandue et prolongée
dans le temps.
D'abord une pratique établie. Dans le cas des accords
politiques, on peut considérer que sur le continent africain, il y a une
multitude d'accords. On peut citer la multitude d'accords de Ouagadougou,
l'accord de Linas Marcoussis etc. Sur le plan local, chaque pays compte
à son actif plusieurs accords. Au Togo par exemple, les plus importants
sont l'accord de Ouagadougou, l'accord cadre de Lomé, l'APG. Dans le
cadre de la crise ivoirienne, on peut citer les accords d'Accra, de
Lomé, de Lina Marcoussis, de Pretoria etc...
Dans le temps, le précédant des accords
politiques aurait commencé avec la convention du 31 octobre 1991 entre
Albert ZAFY et Didier RATSIRAKA à Madagascar203. Bien
entendu, certains auteurs pensent et ceci à raison,204 que
les conférences nationales205 peuvent être
associées à ce précédent. Elles ne seraient pas,
semble-t-il, loin de l'arbre à palabre africaine qui serait pour ainsi
dire, l'ancêtre de ces retrouvailles qui aboutissent aux accords
politiques. Tout compte fait, parlant
201 KPODAR (A.), « Communauté internationale et le
Togo... » op.cit. p.42 202Idem
203 KPODAR (A.), « Politique et ordre juridique »
op.cit, p. 2504
204 La conférence nationale au Togo a eu pour base les
accords du 12 juin 1991.Voir KPODAR (A.), « La communauté
international et le Togo » op.cit. p.38
205 Les conférences nationales sont des instances dans
lesquelles non seulement les partis et les élites politiques, mais aussi
tous les groupes sociaux, ethniques économiques, régionaux,
religieux et professionnels son représentés. Leur objectif est de
lance un processus qui soumettrait le pouvoir autoritaire (s'il n'est pas
renversé) à la volonté du peuple et enfin de compte de
réviser la constitution et d'organiser des élections
multipartites. Ce modèle de transition que l'on a appelé «
modèle jacobin » est dans le style des Etats généraux
que la France a connu au 18è siècle. Son fondement
théorique réside dans le crédo qui se fait écho de
la philosophie de JJ ROUSSEAU, selon lequel « tous les pouvoirs
émanent de la volonté générale du peuple. Voir
MEDHANIE (T.) « Les modèles de transition démocratique
», Afrique 2000, 1993, pp 61et suiv.
71
de précédent, les accords politiques semblent
remplir toutes les exigences du label. Seulement l'autre critère semble
vaciller.
2 : Une opinio necessitatis
vacillante
L'opinio juris sive necessitatis est la conviction
d'être soumis au droit. Cette conviction doit être
générale. Aussi bien les gouvernants que les gouvernés
doivent se soumettre à une norme parce qu'ils sont convaincus qu'elle
est une norme juridique. C'est cet élément qui donne une valeur
juridique à une norme, peu importe son origine, surtout lorsqu'il s'agit
de la coutume.
Seulement, il semble que c'est lui qui manque aux accords
politiques. Ils (les accords politiques) n'auraient donc pas l'assentiment, ni
de la masse, ni des signataires, qui préfèrent leur dénier
toute valeur juridique, surtout quand cela les arrange.
Pour parvenir à avoir le label de coutume
constitutionnelle, les accords politiques ont besoin de cette conviction.
Somme toute, pour pouvoir établir un droit
constitutionnel spécial, les accords politiques ont besoin de cette
force juridique. Celle-ci ne sera qu'un élément de plus qui les
aiderait à juguler la crise.
En outre il faut dire que le complément de la
constitution par les accords politiques, est justifié.
72
CHAPITRE II : UN COMPLEMENT JUSTIFIE
Acte de souveraineté fondateur d'un nouveau
régime, la constitution couronne en Afrique, une transition politique
plus ou moins radicale. Son mode de fabrication qui privilégie souvent
la recherche d'un large consensus, reflète la configuration du moment.
Teintée d'une si grande libéralité, elle présente
un aspect poreux qui laisse échapper, à l'analyse, des vices
profondément cachés et qui ne laissent guère
indifférent, lorsqu'on envisage une analyse sur les crises en
Afrique.
La justification du complément de la constitution par
les accords politiques semble justement y trouver ses racines. En effet, ayant
pour origine les résultats des élections, ou du moins la
contestation de la gestion des affaires publiques, ces crises semblent
révéler de fort belle manière, une certaine
déficience, une incapacité presque notoire desdites constitutions
à s'adapter aux nécessités du moment. Par ailleurs, il
faut rappeler que tout ceci n'est que le fruit d'un long processus de
diabolisation constitutionnelle, matérialisée par des «
révisions réactions ». Il devient donc impérieux,
à côté de la nécessité de compléter la
constitution, de songer dans une démarche concomitante, de la
débarrasser des virus qui la handicapent.
En d'autres termes, ce qui justifie fondamentalement la
floraison et le rayonnement des accords politiques, c'est en
réalité l'impuissance de la constitution vis-à-vis des
crises (Section I). Cette déficience qui a pour soubassement les lacunes
inhérentes aux constitutions africaines semble exhiber la
nécessité d'une refonte (Section II).
SECTION I : UN DROIT CONSTITUTIONNEL IMPUISSANT
Le droit constitutionnel classique a démontré
son impuissance vis-à-vis du continent africain, et ceci, depuis bien
longtemps. Tant d'éléments l'attestent. Un coup d'éclat
des coups d'Etat, une inflation des révisions constitutionnelles, une
pandémie de crises politiques, des mascarades électorales, des
violations flagrantes des droits de l'homme, la patrimonialisation de l'Etat,
des rébellions ici et là. Tous ces éléments
stigmatisent une véritable inadéquation de la constitution
à la réalité,
73
conduisant nolens volens, à un
délestage drastique entre la théorie constitutionnelle et la
pratique qui en découle.
En d'autres termes, l'ineffectivité du droit
constitutionnel classique en Afrique, du moins en ce qui concerne les
mécanismes de résolution des crises, dérivent d'une
faiblesse congénitale206 (Paragraphe I), qui lui est
malheureusement fatale207 (Paragraphe II).
Paragraphe I : Les faiblesses congénitales
La déficience du nouveau constitutionalisme africain se
retrouve fondamentalement dans les textes. Ces textes ont un caractère
particulier qui dérive des conditions qui ont conduit à leur
adoption(A). Par ailleurs, il faut relever que tout ceci a été
aggravé par des révisions pirates(B).
A : Les lacunes originelles
Soutenir que les constitutions du nouveau constitutionalisme
ont des lacunes originelles ne signifient pas fondamentalement qu'elles ne sont
pas par nature efficientes. Il s'agit de soutenir tout simplement qu'elles
semblent en déphasage avec les réalités, sinon les
aspirations du moment. Ceci émane d'un ensemble de facteurs pouvant
être scindés en facteurs extérieurs(1) et en facteurs
intérieurs(2).
1 : Les facteurs extérieurs
Le nouveau constitutionalisme africain a été
conçu dans un tourbillon d'ampleur universelle. Il est essentiellement
le fruit de la chute du mur de Berlin qui consacre le surplomb et l'expansion
du capitalisme libéral. Arrivée en Afrique par le biais du
discours de La Baule prononcé en 1990 par le Président
François Mitterrand, la démocratie libérale a
désormais trouvé sa voie: la conditionnalité
démocratique. Seul système légitime de gestion des
affaires publiques, elle postule un ensemble de principes : les libertés
publiques et droits de l'homme, les élections libres et transparentes
sensées garantir l'alternance, bref la soumission de l'Etat au droit ou
à la constitution.
206 DU BOIS DE GAUDUSSON « Constitution sans culture
constitutionnelle n'est que ruine du
constitutionnalisme », in Mélanges en l'honneur
de Slobodan Milacic, Bruxelles, Bruylant, 2008, p.339 207Idem
.
74
Sur le plan international « le principe de
légitimité » fait place au « principe de
légitimité démocratique »208. Hubert
Thierry fait observer que le « principe d'égale
légitimité des régimes politiques, envisagé comme
un corolaire de la souveraineté, tend à céder le pas
à un principe de légitimité démocratique, soit que
les Etats affaiblis dans le tiers monde et à l'Est, aient pris
conscience de l'échec des régimes non démocratiques et du
lien entre exigence du développement et celle des droits de l'homme,
soit qu'ils cèdent à la pression exercée par les
puissances démocratiques »209.
Dans les faits, la dogmatique de la conditionnalité
démocratique s'appuie sur une pratique presque conformiste, de
conditionner « le sésame de l'aide publique au
développement »210, à l'adhésion
presque platonique à l'idéologie en vogue c'est-à-dire
« le prêt à porter démocratique ». Par ailleurs,
les institutions de Breton Wood à savoir la Banque Mondiale et le FMI,
ont eu beaucoup à faire dans l'exportation de la nouvelle
idéologie. Mais, il ne faut pas minimiser les facteurs
intérieurs.
2 : Les facteurs intérieurs
A la pratique de la conditionnalité
démocratique, les Etats africains répondent par une politique de
séduction. Bousculés de l'extérieur par les bailleurs de
fonds et de l'intérieur par les revendications des peuples, atteints du
vertige de liberté et projetés dans la rue par une élite
issue de la diaspora, exigeant une démocratisation dont les tenants et
les aboutissants sont bien entendu et malheureusement mal maitrisés, les
gouvernants décident de jouer le jeu. C'est le point de départ du
séisme des conférences nationales souvent qualifiées de
souveraines, qui ont secoué le continent à partir des
années 1990. On assiste alors à une prolifération de
constitutions adoptées sous contrainte, ironiquement qualifiées
de « constitutions de compromis ou de consensus » et dont
l'effectivité n'avait d'égard pour personne. Charles DEBBASCH ne
l'avait-il pas soutenu à propos de la constitution togolaise de 1992 ?
Pour lui en effet, « fruit d'un compromis entre influences diverses,
elle contient des dispositions souvent contradictoires inspirées des
constitutions
208 Avec à la clé l'observation des
élections.
209 KOKOROKO (D.), « Régimes politiques... »
op.cit., p.1010.
210 KOKOROKO (D.), Contribution à l'observation...
op.cit., p.222.
75
étrangères et peu compatibles... A ce titre
la constitution mériterait une refonte générale qui ne
saurait être accomplie qu'après une réflexion nationale
»211 .
Si ce constat peu facilement être versé dans les
« debbascheries »212 , il n'est en réalité
que le porte flambeau des constitutions réactions que connaît,
depuis un certain temps, le continent. La constitution originaire a
été conçue dans la douleur. Elle traduit la volonté
de la nouvelle classe politique de reléguer à la
périphérie du régime, le chef de l'Etat, cheville
ouvrière de la troisième République togolaise. Encore au
pouvoir celui-ci ne reste pas inactif. C'est le point de départ des
lacunes acquises.
B : Les lacunes acquises
Déjà fragilisées par le compromis, les
constitutions africaines tombent dans une véritable mésaventure,
qui semble remettre en cause son essence même : la rigidité. Cette
mésaventure s'illustre à travers les révisions qui ont
pour objet de réintroduire dans le texte constitutionnel, des
éléments qui en étaient sortis, au rythme du cri alarmant
du « plus jamais ça ». On aboutit finalement à la
monarchisation des régimes (1) et à la constitutionnalisation de
la violation des droits de l'homme (2).
1 : La monarchisation des régimes
L'un des vices des textes constitutionnels africains est en
réalité la monarchisation des régimes africains. Ce virus
constitutionnel est matérialisé par la reconnaissance d'un «
Jupiter constitutionnel » en la personne du président de la
République, qui accumule tous les pouvoirs ou, dans le meilleur des cas,
qui y a un pouvoir tentaculaire, lui permettant de soumettre à son haut
patronage toutes les autres institutions. C'est du moins, ce que
révèle la révision constitutionnelle de 2002 au Togo. Ce
cadeau du nouvel an, offert par l'Assemblée Nationale au feu
Général, avec au Perchoir Monsieur NATCHABA Ouattara
Fambaré, fait de celui-ci un « hyper président ». Cette
révision, qui avait pour objectif avoué d'accroître les
pouvoirs du peuple, d'assurer une meilleure séparation des pouvoirs et
qui selon les termes du Professeur DEBBASCH213, visait à
mieux assurer la promotion de l'Etat de droit au Togo, faisait du
Président Eyadema, un président à vie. L'on constate
tout
211 DEBBASCH (C.), L'Etat du Togo1967-2004, Jouve,
Paris, 2004, p30
212 BOLLE (S.), « Des constitutions...
»op.cit., p.9
213 DEBBASCH (C.), L'Etat du Togo... op.cit.
76
simplement et avec amertume, que « cette
révision crée un régime inqualifiable et inexistant dans
les catégories classiques »214.
Les exemples se multiplient : Gabon, Burkina Faso etc... Mais
ce qui fait le plus mal, c'est la constitutionnalisation des violations des
droits de l'homme.
2 : La constitutionnalisation d'une violation des droits
de l'homme
La constitutionnalisation de la violation des droits de
l'homme s'est fait par l'inclusion dans le texte constitutionnel, de
l'exclusion d'une personne déterminée à la course au
pouvoir. La manoeuvre consiste à écarter d'avance, les
adversaires les plus redoutables. En Côte d'Ivoire, la révision
visait fondamentalement à écarter l'ancien Premier Ministre
Alassane OUATTARA, de la course à la magistrature suprême. Le
Général GUEI, alors Président de la République,
inséra in extrémis dans la constitution, un « virus
», à travers l'article 35 qui prévoyait en effet que les
candidats aux élections présidentielles doivent être
exclusivement de nationalité ivoirienne, né de père et de
mère ivoiriens d'origine. Cette disposition, non seulement portait
atteinte au droit fondamental d'Alassane OUATTARA de présenter sa
candidature, mais créait une véritable discrimination entre les
ivoiriens : une frange d'ivoiriens « présidentiables »,
c'est-à-dire ceux-là qui sont nés de père et de
mère ivoiriens d'origine ; et une autre frange d'ivoiriens « non
présidentiables », c'est-à-dire ceux de père ou de
mère ivoiriens. Les premiers étaient donc plus ivoiriens que les
seconds, ce qui rompt inévitablement le principe d'égalité
des citoyens.
Le Togo a emprunté la même démarche pour
exclure de l'élection présidentielle de 2003, l'éternel
opposant Gilchrist OLYMPIO, en inscrivant dans les conditions
d'éligibilité la clause de « douze mois de résidence
». Seulement par sa rétroactivité, ou du moins, son
application immédiate tronquée215, elle enlevait aux
togolais de la diaspora, qui avaient manqué de revenir au pays six mois
avant la révision, le droit de postuler à la magistrature
suprême, tout ceci avec la complicité du juge
constitutionnel216. Il est donc clair que ces révisions
quoique conformes à la complexité et à la solennité
de la procédure de révision, ont versé les pays africains
dans une situation fatale.
214 KPODAR (A.) « La communauté internationale...
» op.cit., p.42
215 KESSOUGBO (K.), « Le juge constitutionnel...
»op.cit., pp. 66-68 216Idem
77
Paragraphe II : Des faiblesses fatales
Ainsi présentée, la constitution dans sa conception
de 1990, tombe dans une
situation difficilement qualifiable : déclin ou
décès du nouveau constitutionnalisme ? En tout cas, on assiste
tout simplement à une pratique si pervertie (A) qu'elle fait dire qu'on
était en présence d'un Etat de droit à faible
densité démocratique217(B).
A : La perversité de la pratique
L'architecture constitutionnelle est belle. Elle contient des
mécanismes sensés
garantir la démocratie. Seulement la pratique
dénote une véritable manipulation (1) aggravée par le
soutien d'un juge constitutionnel diabolisé et d'une armée
politisée (2).
1 : La manipulation de la constitution
On a pris l'habitude de soutenir qu'en faisant et
défaisant les constitutions,
l'Afrique cherche sa voie. Cependant, il semble opportun de
soutenir plutôt qu'elle a trouvé sa voie. Il suffit tout
simplement d'adopter une constitution et d'avoir une pratique
contraire218. Cela se matérialise par un véritable
détournement de pouvoir, généralement soutenu par le fait
majoritaire.
Le détournement de pouvoir en droit constitutionnel
s'apparente plus ou moins à un usage peut-être excessif, sinon
abusif, des compétences conférées par la constitution dans
une perspective opportuniste, c'est-à-dire pour atteindre des objectifs
illégitimes, parfois expressément avoués. Les gouvernants
du nouveau constitutionnalisme africain semblent être champions en la
matière. Le Sénégal en est l'exemple le plus illustratif.
Après avoir passé plus de quarante ans dans l'opposition, en
prônant de toutes ses forces l'alternance au pouvoir, le Président
Abdoulaye WADE surprend le monde entier, non seulement en voulant briguer un
troisième mandat sur le fondement de la non rétroactivité
de la loi constitutionnelle219, mais aussi, en voulant par tous
moyens, se faire succéder par son fils.
217 DU BOIS DE GAUDUSSON, « Constitution... »
op.cit.p.339
218 Pour le Professeur KPODAR, « l'Afrique noire
n'est pas lunatique en matière constitutionnelle, elle a depuis,
trouvé sa voie. Celle de l'adhésion au modèle occidental
qui rapidement laisse place à un modèle africain,
tropicalisé qui s'inscrit aux antipodes de la première, pour ne
pas parler d'une « caramélisation » de cette dernière
». « Prolégomènes à une virée
constitutionnelle en Afrique francophone une approche de théorie
juridique », Mélanges en l'honneur de Dominique BREILLAT,
Paris, LGDJ, p333
219 La notion de rétroactivité est une notion
qui a commencé à alimenter les débats dans les pays
africains. Elle sert de prétexte à un chef d'Etat qui tend
à finir ses mandats pour postuler au mandat suivant, en arguant qu'une
révision qui serait intervenue au cours d'un de ces mandats
antérieurs ne pourrait pas s'appliquer à celui-là.
78
Par ailleurs, il peut se traduire par la méconnaissance
pure et simple des mécanismes constitutionnels220. Le Togo
est la preuve la plus plausible de ce scandale. Le feuilleton du 5
février 2005 en dit long221.
Tout ceci permet de conclure que « si
l'ingénierie constitutionnelle occidentale est ferme et
sédentaire, l'alchimie politique africaine est tout aussi immuable
»222.
Les hommes politiques africains n'en sont arrivés
là que parce qu'ils étaient certains d'avoir les grâces du
juge constitutionnel et de l'armée.
2 : Un juge constitutionnel diabolisé et une
armée politisée
Ici, il s'agit de démontrer tout simplement le
rôle important joué par le juge constitutionnel et l'armée
dans le processus de perversion de la pratique constitutionnelle. En effet,
lorsqu'on scrute le coup d'Etat de 2005 au Togo, on se rend à
l'évidence qu'il n'a pu être possible que grâce à
l'armée en amont, et grâce au juge constitutionnel en aval. En
effet, Faure GNASSINGBE n'a pu le réaliser que parce qu'il était
sûr du soutien de l'armée, qui avait constitué une sorte de
bouclier autour de l'héritier à protéger.
La Cour constitutionnelle quant à elle, n'a fait que
montrer ses faiblesses en félicitant le nouveau président pour sa
nomination et en le renvoyant à ses fonctions223. Il s'agit
là tout simplement, de la constitutionnalisation du coup d'Etat,
perpétré quelques jours auparavant. En Guinée, la
dictature de Lassana CONTE n'a pu être possible que parce qu'il
était certain d'avoir le soutien de l'armée. Ce qui justifie
qu'à sa mort, Dadis CAMARA et sa troupe s'emparent du pouvoir et
commettent des atrocités.
Tout ceci atteste qu'il s'agit bien, en Afrique, de la
manifestation de ce que le Professeur Jean BOIS DE GAUDUSSON appellerait
volontiers un Etat de droit à faible densité
démocratique.
220 Pour André Cabanis et Michel Louis Martin la
réautoritarisation est en réalité la manifestation du
ralentissement ou de la perversion de la démocratie, Les
constitutions en Afrique francophone Evolutions récentes, Karthala,
1999, p.
221 En effet à la mort du Général
Gnassingbé Eyadema les militaires ont perpétré un coup de
force qui a consisté à écarter le dauphin constitutionnel
Ouattara Fambaré NATCHABA et de confier l'intérim à Faure
Gnassingbé au mépris des règles constitutionnelles.
222 KPODAR (A.) « Prolégomènes...
»op.cit., p.335.
223 Puisqu'elle a reçu son serment.
79
B : Un Etat de droit à faible densité
démocratique
La faiblesse de la densité démocratique semble
en contradiction avec la philosophie de l'Etat de droit. En Afrique, on
constate une véritable splendeur théorique (1) aux antipodes
d'une réalité décevante (2).
1 : Une splendeur théorique
On appelle Etat de droit un Etat soumis au droit. Hans Kelsen
distingue trois variantes de l'Etat de droit: L'Etat de droit de police
caractérisé par la puissance de l'Etat ou tout au moins sa force,
l'Etat de droit légal marqué par la soumission de l'Etat au droit
si non à la loi, et l'Etat de droit constitutionnel224.
Valeur emblématique des Etats africains engagés nouvellement dans
le processus démocratique, l'Etat de droit y est devenu le terme
récurrent du discours politique et de la dogmatique juridique. La
proclamation solennelle d'adhésion directe ou indirecte à l'Etat
de droit dans les constitutions des Etats africains, tout comme la
référence habituelle qu'en font les hommes politiques en
constituent une parfaite illustration. Au Gabon par exemple, si dans le
préambule, le constituant semble privilégier l'idée de
légalité républicaine, il renvoie formellement à
l'Etat de droit en tant que principe de la République dans le texte de
la constitution. Il s'y réfère à nouveau dans le serment
prêté par le président de la République. Tout aussi
explicitement, il en est fait mention au Sénégal, dont le
préambule proclame le respect et la consolidation de l'Etat de droit. Il
en est de même au Tchad et en République Centrafricaine alors
qu'au Cameroun et en Côte d'Ivoire, c'est la formulation implicite qui
prévaut225. La soumission au droit que sous-tend le principe
de l'Etat de droit est ainsi principalement garanti par des
procédés juridictionnels. Bien plus, l'Etat de droit n'est plus
seulement promu au rang de référentiel incontournable dans
l'ordre interne. Il bénéficie aujourd'hui, d'une
consécration au niveau international où, il est imposé
comme nouveau label aux côtés des droits de l'homme, de la bonne
gouvernance en tant que l'une des conditionnalités de l'aide par les
bailleurs de fonds internationaux. Seulement cette vitrine extérieure
marquée par l'exhibition d'une illusion démocratique semble en
déphasage avec la réalité interne.
224 BOUMAKANI (B), « L'Etat de droit... »,
op.cit.p.446
225 Idem
80
2 : Une réalité
décevante
La déception se révèle fondamentalement
par l'absence d'intériorisation de la constitution qui marque un
distinguo entre une constitution des élites et une ignorance
des citoyens vis-à-vis de la constitution. Un tel tableau permet ainsi
de mieux appréhender l'observation du Professeur Yves GAUDEMET à
propos de l'Etat de droit lorsqu'il écrit « L'Etat de droit
n'est pas dans la législation ; il est dans les esprits et les moeurs.
Il suppose la stabilité, la conviction, adhésion aux
règles que le législateur se borne à exprimer
»226. L'Etat de droit se construit donc au sommet et
reproduit des valeurs partagées par une élite restreinte, en
décalage avec la grande majorité de la population. Le greffage
juridique ne semble donc pas fonctionner. Le juge, chargé de promouvoir
et de garantir l'effectivité de l'Etat de droit devient un
véritable « catalyseur de la crise politique
»227 en s'introduisant dans « une
relation
triangulaire où il cède le pas :
politisation, déresponsabilité et fragilité.
»228 La déception est grande, d'où la
nécessité d'une refonte.
SECTION II : UN DROIT CONSTITUTIONNEL PERFECTIBLE
Tant de difficultés et tant de lacunes dénotent
d'une nécessité criarde de repenser les régimes africains.
Les accords politiques proposent le plus souvent un déparasitage de la
constitution par le biais d'une révision, soit un perfectionnement de
fait par l'édition de normes obligatoires et immédiatement
applicables. Par ailleurs, ils proposent une véritable cure pratique en
envisageant l'édition d'un code de bonne conduite qui exhibe
l'instauration de l'éthique constitutionnelle229 et de la
culture démocratique ou citoyenne. Le perfectionnement procède
donc, par une cure systémique (Paragraphe I), traduite dans les faits
par une cure pratique (Paragraphe II).
Paragraphe I : La cure systémique
226 BOUMAKANI (B.), « L'Etat de droit... »
op.cit., p.447
227 RAJONA (A.R.), « Le juge, les urnes et les variations
juridiques autour de la crise malgache (janvier -juin
2002) », Revue juridique et politique, N°3,
2003, p.394.
228 Idem
229 ATANGANA (J.L.), « Les révisions... »
op.cit., p.22
81
La cure systémique vise fondamentalement à
donner une meilleure viabilité à l'ordre constitutionnel. Il
faudrait à cet effet procéder à un déparasitage de
la constitution(A) et l'exorcisation du juge constitutionnel chargé de
garantir sa suprématie et son effectivité. Par ailleurs il est
devenu impérieux de donner une place importante au peuple, en
renforçant son intervention(B).
A : Le déparasitage de la constitution
Le déparasitage devrait procéder par
l'éviction des dispositions « crisogènes
»230 (1).En effet, affectés par une volonté quasi
naturelle de durer au pouvoir et dont les fondements varient selon qu'ils sont
issus des régimes ayant précédé la transition
démocratique ou qu'ils ont profité de l'ambiance du
changement231, les dirigeants africains ont bourré leur
constitution de dispositions pouvant le leur garantir. Au-delà, tout
porte à croire qu'ils n'avaient égard à la cohésion
sociale qu'il est pourtant impérieux de revaloriser et de
protéger (2).
1 :L'éviction des dispositions
crisogènes
Il ne fait aucun doute que les constitutions africaines
comportent dans la majeure des cas, des dispositions susceptibles de provoquer
des crises profondes pouvant aller jusqu'à des conflits armés. Le
cas de la Côte d'Ivoire est illustratif. En effet, la constitution
ivoirienne de 2000 comporte en son sein des dispositions discriminatoires. Il
s'agit essentiellement de l'article 35 consacrant le concept d'ivoirité.
C'est cette disposition qui a mis la Côte d'Ivoire en feu. La nature
injuste d'une disposition ne se rapporte pas à l'étude du droit
en vigueur mais, se vérifie dans le mépris dont cette norme fait
montre, à l'égard de la loi morale et surtout du compromis
initial. L'article 35 de la constitution est donc injuste puisqu'il est
à l'origine de la crise politico-militaire232. Au Togo,
hormis le cas de la constitutionnalisation de l'affaire Gilchrist OLYMPIO, il y
a la prise en otage du fauteuil présidentiel par la famille GNASSINGBE,
tout ceci par le biais de la révision de 2002. La constitution perd
alors de sa majesté, parce qu'elle contient des règles
constitutionnelles injustes, qui jettent un discrédit sur tout le
système. Dès lors, pour qu'elle puisse retrouver ses lettres de
noblesses la constitution mérite d'être révisée,
230 TONTASSE (E.), La protection des droits de l'homme en
période de conflits armés, Mémoire de DEA,
2004-2005.
231 CABANIS (A.) MARTIN (L.), « La pérennisation
du chef de l'Etat : enjeu actuel pour les constitutions d'Afrique francophone
», in Mélanges en l'honneur de Slobodan Milacic, Bruylant,
2008 pp.349-350
232 Lire à ce propos KPODAR (A.), « Politique et
ordre juridique... » op.cit., p.2517
82
sinon d'être totalement fondue. Elle gagnerait davantage
en crédibilité et en effectivité, si elle accordait une
place à la cohésion sociale.
2 : La recherche de la cohésion
sociale233
Instrumentum234 du contrat social, la
constitution est sensée régir la vie au sein de l'Etat. Nation ou
peuple, le composite renfermant les individus vivant sur le territoire
étatique dispose d'une vision, d'un rêve et des principes qui
assurent son évolution. Les préambules des constitutions
africaines révèlent tant bien que mal l'idéal vers lequel
veulent tendre lesdits Etats. La constitution togolaise par exemple, affirme la
détermination du peuple « à coopérer dans la
paix, l'amitié et la solidarité avec tous les peuples du monde
épris de l'idéal démocratique sur la base des principes
d'égalité du respect mutuel de la souveraineté
». Par ailleurs le peuple togolais est décidé à
bâtir un Etat de droit dans lequel les droits fondamentaux de l'homme,
les libertés publiques et la dignité de la personne humaine
doivent être garantis et protégés. Le peuple camerounais
quant à lui, est fier de sa diversité linguistique et culturelle,
élément de sa personnalité nationale qu'il contribue
à enrichir. Bref, il s'agit d'exhiber le constat sans appel selon lequel
les visions des constituants africains des années 1990 sont
orientées vers l'extérieur. Elles ne semblent avoir aucun
égard pour la cohésion sociale. Or, nul ne peut nier aujourd'hui
la pesanteur des clivages ethniques ou régionalistes dans les crises en
Afrique. Au Togo, c'est le conflit des Kabyè contre les
Ewé235. En Côte d'Ivoire, c'est la bataille du Sud
contre le Nord. Tout ceci dénote de la fragilité de la
cohésion sociale. D'où la nécessité d'en faire une
priorité et de l'inscrire donc dans la vision des Etats par le biais des
préambules. Si on trouve qu'il serait dangereux d'aborder ce
sujet236, on ne devrait pas oublier qu'en matière de crise,
il est mieux de discuter sans tourner la page que de tourner la page sans en
avoir discuté au préalable. Ce problème pourrait
d'ailleurs être résolu en renforçant l'intervention du
peuple sur les affaires publiques.
233 Le Professeur AHADZI parle plutôt
d'homogénéité sociale, « Réflexion sur un
tabou du constitutionnalisme négro-africain : le tribalisme »
op.cit., p.21
234 KPODAR(A) « Prolégomènes... »
Op.cit. p.335
235 C'est nous qui faisons ce constat
236 Lire à ce propos AHADZI-NONOU (K.) «
Réflexions sur... » op.cit.p.19 et suiv.
83
B : Le renforcement de l'intervention du peuple
Carre de Malberg écrivait, il y plus d'un
demi-siècle déjà que, quand un peuple est parvenu à
la maturité, il doit être devenu capable de saisir et
d'apprécier la portée de ses intérêts publics et il
faut alors le plaindre si, par suite d'un défaut d'aptitude naturelle ou
à cause de l'insuffisance de son éducation politique, ou à
raison de son insouciance ou pour toute autre cause, la nécessité
s'impose pour lui de demeurer maintenu dans un régime de pure
représentation passive qui l'exclut complètement de la
possibilité de dire par lui-même son mot au sujet de ses propres
affaires. Or, on ne peut certainement pas affirmer que les peuples africains
sont immatures. L'avènement d'un constitutionnalisme libéral ne
fournit-il pas une suffisante indication de la maturité politique des
africains ? Se demandait le Doyen COULIBALEY. Tout compte fait, malgré
le fait que l'intervention du peuple est très controversée (1),
elle est devenue une nécessité (2) dans le contexte africain
d' « Etat en démocratisation »237.
1 : Une intervention controversée
Le débat sur la légitimité de
l'intervention du peuple est parti de la pensée de Montesquieu et de ses
épigones tels que Sieyès, qui proclament l'inaptitude des
citoyens à se prononcer sur les idées. Convaincu des bienfaits du
régime représentatif qui postule, pour ainsi dire, que le peuple
confie sa destinée à des représentants qui
décideraient et agiraient à sa place, Carré de Malberg
s'éclate en ces termes : « ce n'est pas la volonté du
peuple qui détermine celle des représentants. C'est au contraire
le peuple qui fait sienne par avance, la volonté que ses
représentants viendront à énoncer
»238. Pour aller plus loin, A. ESMEIN considérait
que le référendum fait partie des institutions «
contraires et antipathiques au génie du gouvernement
représentatif, parce qu'elles appartiennent au mécanisme logique
d'une autre forme de gouvernement, où elles figurent soit comme moteurs,
soit comme contrepoids. Introduites dans le gouvernement représentatif
classique, poursuit-il, elles ne peuvent que détruire un
équilibre préétabli, causer du trouble au fonctionnement
»239.
Cette position n'est en réalité pas unanime. En
effet, pour Léon DUGUIT, « le peuple, facilement aveugle
lorsque s'agit de choisir des représentants, parce qu'il se
237 RAJOANA (R.A.) « Le juge ... » op.cit.,
p.391
238 Cité par COUBALEY (B.) «Le pouvoir ... »
op.cit.p.156
239 Cité par COULIBALEY (B.) « Le pouvoir... »
op.cit., p.135
84
décide par des considérations
étrangères à leur capacité, sait au contraire
reconnaître une bonne loi »240. Au-delà, il
faut voir dans l'intervention du peuple, la voie même de son salut
puisque aujourd'hui le député est moins sensible à la
variation de la mentalité politique des gouvernés qu'à
l'orientation imposée au parti, par ces chefs. L'élu devient
alors le fonctionnaire de son parti et le citoyen devra chercher ailleurs la
voie d'expression de son opinion. D'où la nécessité de
renforcer son intervention.
2 : La nécessité du renforcement de
l'intervention du peuple
Les constitutions africaines de 1990 ont dans la
majorité des cas, reconnu au peuple ses prérogatives classiques
d'intervention dans le phénomène du pouvoir. Il s'agit notamment
de l'élection à l'issu desquelles il choisit ses
représentants, du referendum où il est plutôt appelé
à se prononcer sur une question déterminée. Seulement,
depuis lors, le peuple semble ne plus adhérer à cette conception
classique que l'on se fait à son égard et réclame de moult
manières le grand rôle qui est le sien, celui de contrôler
ou d'intervenir de façon plus participative à la gestion des
affaires publiques. En effet, depuis 1991, le peuple a eu à plusieurs
reprises, à chasser du pouvoir des dirigeants qu'il avait choisis
lui-même, insatisfait de la manière dont ces derniers
protégeaient l'intérêt général. A l'exemple
du Madagascar qui brille par la propension de la rue à défier
l'ordre constitutionnel préétabli, le Maghreb vient de
démontrer encore une fois, à travers le printemps arabe, la
portée de la nécessité de renforcer l'intervention du
peuple dans la gestion du bien public. Au demeurant, si le referendum permet au
peuple de rejeter ou d'accepter les projets émanant des autorités
(constituant ainsi une sorte de veto), l'initiative populaire formelle par
exemple, permettrait au peuple de proposer des solutions nouvelles que le
parlement aurait refusé d'adopter ou qu'il aurait même
négligé de mettre à l'ordre du jour. Au-delà,
certains vont jusqu'à écrire que « le
référendum ne doit en aucun cas, être mis à la
disposition d'un organe constitutionnel quel qu'il soit et surtout pas
l'exécutif. Le parlement n'ayant guère pour sa part, la tentation
d'en user. L'initiative de la consultation doit être laissée,
comme en Suisse et aux Etats-Unis, au seul citoyen, car les procédures
de démocratie semi directe forme un bloc
240 COULIBALEY (B.) « le pouvoir... »
op.cit.,p.135
85
indissociable et le referendum ne revêt une
signification que s'il est mis en oeuvre par l'initiative du veto populaire
»241.
Le renforcement de l'intervention du peuple peut emprunter
plusieurs voies que l'on connaît sous le générique de
Procédures d'intervention populaire directe(PIPD)242. Pour le
Doyen COULIBALEY, «les PIPD concrétisent la manifestation du
pouvoir de suffrage dans sa plénitude et visent à le rendre plus
effectif en conférant aux citoyens un pouvoir de statuer, que ne leur
reconnaît pas le régime représentatif pur ». En
outre, il considère que ce renforcement conduirait inévitablement
à l'ouverture du système politique et offrirait d'ailleurs une
réponse possible aux préoccupations fondamentales des pays
africains.
Tout compte fait, si, sous l'impact du mimétisme
constitutionnel et la
persistante tradition d'autoritarisme politique, «
l'imagination juridique et institutionnelle du constituant africain
était singulièrement absente alors que restent pendent, de
nombreux problèmes de gouvernement qui ne paraissent pas pouvoir
être résolus par de simple transfert de technologie juridique(
modalité de participation des populations, mécanismes de
contrôle du pouvoir, délimitation du rôle de l'Etat,
définition de statut pour les groupes, minorité, ethnie, caste
,familles religieuse... qui sont la clé des sociétés
africaines) »243, il gagnerait en
crédibilité en tentant de réformer le système mis
en place depuis 1990, en y intégrant des éléments
puisés de la culture de l'Afrique, culture qui ventile d'ailleurs, des
valeurs inestimables et qui aurait forcément des incidences positives
sur la pratique constitutionnelle et sur le phénomène du
pouvoir.
Paragraphe II : La cure pratique
S'il semble acquis que « l'Afrique (est) malade de
ses hommes politiques »244 Il semble nécessaire de commencer
par dire que l'Afrique est malade de ses africains. De cette triste
réalité, il ressort tout simplement qu'au-delà de toute
considération doctrinale visant à rechercher les origines de
l'érosion du
241 CHANTEBOUT (B.) cité par COULIBALEY (B.) « Le
pouvoir... »op.cit., p.141
242 COULIBALEY (B.), « Le pouvoir... »
op.cit., p.154
243 DU BOIS DE GAUDUSSON (J.) « Trente ans d'institution
constitutionnel et politique : point de repère et interrogation »,
Afrique contemporaine n°164 ; octobre-décembre 1992, p
52cité par COULIBALEY « Le pouvoir... » op.cit.,
p123
244 DUSSEY (R.), L'Afrique malade de ses hommes
politiques, Paris, Jean Picollet, 2009, pp. 1 et siuv.
86
constitutionnalisme africain dans la logique institutionnelle
avec pour postulat que « le principal danger pour l'Etat de droit
c'est l'Etat »245, il faut retenir que c'est l'homme qui
fait l'institution. La cure pratique consiste donc à une tentative
d'humanisation du phénomène constitutionnel. Il s'agira donc de
promouvoir l'acclimatation de la démocratie (B), après avoir au
préalable diagnostiqué les points de résistance à
la démocratisation (A).
A : La démystification de la résistance
à la démocratisation
Existe-il des résistances actuelles à la
démocratisation en Afrique ? S'il paraît hypocrite de
répondre par la négative, une réponse positive serait en
réalité un pari, sinon une gageure, puisqu'il ne serait pas
aisé d'en rapporter la preuve. Relevant ce défi, Mwayila
TSHIYEMBE distingue selon qu'elles viennent de la classe dirigeante (1) ou des
autres groupes sociaux (2).
1 : La résistance de la classe
dirigeante
L'enthousiasme avec laquelle les dirigeants africains ont
accueilli la démocratie, contraste avec les difficultés que
celle-ci rencontre à se traduire dans les faits. En effet, «
contrairement aux idées reçues, la démocratie en
Afrique est un phénomène antinomique au processus connu par les
pays d'Europe de l'Est au lendemain de la mise en oeuvre de la Perestroïka
et de la Glasnost. Au regard des faits que nul ne conteste aujourd'hui, la
clameur du sang des victimes innocentes, versé à Madagascar, au
Zaïre, au Mali, au Togo (...) vient, tel un écho lugubre, briser
les certitudes encore vacillantes des africains, en démontrant que la
démocratisation dans cette partie du monde est une entreprise
anti-démocratique au sens propre comme au sens figuré
»246.
En réalité, sous le joug du «
clientélisme » dans toutes ses marques, à savoir «
affairiste », « tribalo-régionaliste » et «
intellectuel », la classe dirigeante africaine a démontré
qu'elle n'avait aucun intérêt à l'aboutissement de la
démocratie. Soutenus par un « Extérieur » qui veut
ménager ses intérêts par le maintien du statu quo ante,
elle use des moyens encore nombreux : force répressive ou force
armée, fabrication de la « volonté du peuple »,
création de partis satellites. Au-delà, il devient
impérieux de s'interroger sur les motivations d'une telle
démarche. On peut a priori penser à la
245 COMY (O.) cité par LOKO (T.C.) Contribution du
droit international à l'émergence de l'Etat de droit,
Thèse de doctorat en droit Université D'Abomey Calavi,
2010,p.90
246 TSHIYEMBE (M.) « Résistances actuelles
à la démocratisation en Afrique : Mystifications et
réalités », Revue africaine de politique
internationale, p.40
87
crainte que la République nouvelle ne leur demande des
comptes. En effet, la plupart des dirigeants africains se sont rendus coupables
de tant d'atrocités qu'ils sont convaincus, à tort ou à
raison, que dès qu'ils quitteront le pouvoir, ils en répondront.
C'est d'ailleurs cette peur qui justifie, selon les termes mêmes du
Professeur LOADA, la propension actuelle à la suppression pure et simple
de la limitation du nombre de mandats247. Comme palliatif, le
Professeur Alpha CONDE proposait qu'on leur garantisse une retraite tranquille,
en prévoyant un statut digne de nom, qui leur garantirait, sous
certaines conditions, la sécurité physique, matérielle et
juridique248, permettant ainsi d'éviter « la
tragique fatalité qui veut que nos chefs d'Etats n'aient que deux portes
de sortie pour quitter le pouvoir : la prison et le cercueil
»249.
Le Professeur GONIDEC, quant à lui y trouve une
explication très simple : la pratique coloniale. En effet, après
avoir rejeté l'argumentation hypocrite qui consiste à trouver
dans la pérennité de l'autoritarisme « le prolongement
des aspects les plus domestiques des traditions ancestrales
»250, il écrit : « nous pensons que la
cause principale doit être recherchée dans l'intrusion
européenne qui coïncide avec la naissance et le
développement du capitalisme, d'abord commercial
»251. Qu'en est-il de la résistance des groupes
sociaux ?
2 : La résistance des groupes sociaux
Contrairement à la classe dirigeante qui fait montre
des ambitions perverses, les groupes sociaux s'opposent à la
démocratisation pour des motifs respectables. Victimes incontestables
des retombées de la « République bananière »,
ils refusent d'être complices d'un simulacre de démocratisation,
d'une « démocratie méthodiquement vidée de son
contenu »252, que veulent bien instaurer les gouvernants,
et dont les effets n'ont aucun secret pour personne.
Parmi ces « forces qui s'opposent à la
démocratisation (...), on peut citer celles qui ont une action
significative et sont de caractère permanant : les
étudiants,
247 LOADA (A.), « La limitation... »op.cit.,
p172
248 idem
249 Idem
250 MBEMBE (A.), cité par GONIDEC (P-F) «
Démocratie et développement en Afrique : Perspectives
internationales et nationales », Revue africaine de
Politique internationale, p.50
251 Idem
252 BEN ACHOUR (R) « Démocratie et bonne
gouvernance », in Mélanges en l'honneur de Slobodan
Milacic, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 728
88
les lycéens, les enseignants, les fonctionnaires,
les églises et les mouvements religieux, les partis politiques et
associations, et la presse écrite »253.
Souvent conduite en ordre dispersé par les forces du
changement, cette résistance contre la démocratisation ne jouit
pas de soutien de la communauté internationale, qui semble être
réservé aux pouvoirs en place. Les seules armes dont disposent
les démocrates sont le droit, la foi en la cause qu'ils poursuivent. La
traduction concrète de cette énergie créatrice
étant, les grèves, les « villes mortes », la
désobéissance civile, la non-participation à des
mascarades électorales.
Devant ce constat alarmant, l'Afrique se trouve dans un
carrefour. Poursuivre cette aventure infernale ou revenir aux empires ? Il
semble urgent de penser à une sorte d' « Africanisation » de
la démocratie qui ne tarie pas d'imaginations.
B : L'acclimatation de la démocratie
L'urgence de repenser la démocratie pour la rendre
accessible à l'Afrique est bien comprise. Des propositions originales
ont été faites (1). Mais elles méritent d'être
muries et complétées (2).
1 : Des propositions louables
Plusieurs théoriciens ont essayé de proposer des
solutions d'approches qui sont d'une richesse inestimable. On pourrait citer
entre autres, la démocratie consociationnelle, l'éthique
constitutionnelle.
Parti du constat selon lequel les sociétés
africaines ne sont pas homogènes à cause de leur
multi-nationalité et leur multiethnicité, et convaincu par la
théorie de John STUART MILL selon laquelle « des institutions
libres sont presqu'impossibles dans un pays composé de
nationalités. Une opinion publique unie nécessaire pour le
fonctionnement du Gouvernement représentatif, ne peut exister au sein de
population n'ayant pas un sentiment d'appartenance, spécialement, si
elles ont des langues différentes »254 ; MOUKOKO
M'BONJO conclut à la nécessité de la démocratie
consociationnelle. Pour LIJPHART, principal représentant du
consocialisme dans la littérature démocratique « il y a
démocratie consociative lorsque le gouvernement est assumé par
l'ensemble de l'élite, groupée en cartel afin d'assurer le
fonctionnement stable d'une démocratie à la culture
politique
253 GONIDEC (P.F.), « Démocratie... »
op.cit., p.45.
254 MOUKOKO MBONJO (P.), « Pluralisme sociopolitique...
» op.cit. p.44.
89
fragmentée »255. S'il est vrai
que cette théorie assure le déclin de la démocratie au
sens occidental du terme256 , il faut aussi reconnaitre que sa
traduction dans les faits par les gouvernements de crise, a eu pour
mérite d'avoir pacifié plusieurs Etats africains.
La nécessité de l'éthique ou la morale
constitutionnelle quant à elle, fait appel au respect de l'esprit de la
constitution par les gouvernants et surtout par le juge
constitutionnel257. Cette proposition est très
intéressante d'autant plus qu'elle met l'accent sur l'individu et la
vertu, sur l' « humanisation » du phénomène
politique.
Tout compte fait, ces propositions méritent d'être
complétées. 2 : Des propositions à
compléter
S'il est vrai que la démocratie ne se
décrète pas, il est aussi vrai que l'Afrique n'a pas besoin que
la démocratie y soit décrétée. En effet, les causes
les plus saillantes de la persistance de la dictature en Afrique sont en
réalité l'ignorance, l'absence d'une culture
politique258 et démocratique259. Par ailleurs, il
ne faut pas oublier le déclin des valeurs260. Il faut donc
promouvoir une éducation à la démocratie261 et
à la citoyenneté. Elle peut procéder par une reforme
éducative qui permettrait d'intégrer dans les programmes, ou d'y
renforcer la morale et le civisme. Ce qui permettrait au système
éducatif de produire des citoyens vertueux, qui auraient d'égards
pour les valeurs et qui pourront valablement assurer l'effectivité de la
démocratie en Afrique. Le processus démocratique en Afrique exige
donc, « au-delà du juridique et du politique (...), la culture
qui est la meilleure garantie de la bonne gouvernance, la culture comme
système de valeurs bien assimilées,
255 Cité par MOUKOKO MBONJO, « Pluralisme socio
politique... » op.cit.45.
256 Lire à ce propos DU BOIS DE GAUDUSSON (J.), «
Constitution... »op.cit.p.345 ; KPODAR (A.), « La
Communauté internationale... » op.cit.p.44.
257 ATANGANA (J.-L.) « Les révisions... »
op.cit.pp.22-23.
258 La culture politique c'est tout un ensemble d'attitudes
politiques, c'est-à-dire une disposition ou une préparation
à agir d'une façon plutôt que d'une autre. Voir KPODAR
(A.), « Prolégomènes... » op.cit., p.336.
259 « En matière de démocratie,
écrit J.KI-ZERBO, soit on dit que la démocratie qui doit
s'imposer au monde est celle conçue en Occident, l'on risque de se
heurter à des objections voir à des insurrections contre une
telle intrusion ; soit on essaie de trouver dans chaque culture quelques
prémisses, quelques points de départ à la
démocratie » Voir LOKO (T.C.) Contribution du droit
international à l'émergence de l'Etat de droit op.cit.
p.92.
260 Le Doyen DUGUIT n'a-t-il pas rappelé l'importance
des valeurs en droit ? lire à ce propos MARTIN (A.) « Le droit et
les valeurs dans la pensée de DUGUIT » in Mélanges en
l'Honneur de Dimitri Georges LAVROFF, Dalloz, p.p455 et suiv.
261 HOLO (Th.), « L'éducation à la
démocratie : l'expérience de l'UNESCO », Francophonie et
démocratie, Pedone, 2008, p.496.
induisant les attitudes et les comportements conformes aux
exigences des règles juridiques et politiques » 262.
90
262 KPODAR (A.), « Prolégomènes...
»,op.cit. p.336
91
CONCLUSION
S'il est vrai que depuis quelques années et
singulièrement depuis 1989, les Etats du continent noir sont saisis par
la fièvre constitutionnelle, ces transformations et les contextes dans
lesquels elles s'inscrivent, remettent en cause l'opinion encore
professée sur le constitutionalisme africain. Longtemps, la plupart des
chercheurs, spécialistes de droit comparé l'ont
négligé voire ignoré. Selon une présentation
répandue, l'étude des droits africains en ce domaine comme en
droit public en général, serait de peu d'intérêt car
ils ne représenteraient que de simples prolongement des droits des pays
développés et plus spécialement des anciennes
métropoles. Ils ne seraient en outre, que le produit d'une influence
générale et omniprésente des modèles et conceptions
élaborés ailleurs263.
Cependant plusieurs éléments démontrent
la légèreté de ces critiques, lesquelles
révèlent d'ailleurs chez leurs auteurs, un certain mélange
de sous information et d'absurdes préjugés. En effet, si
originellement on a pu taxer les constitutions du nouveau constitutionalisme
africain de « constitutions clonées », « constitutions
livrées clef en mains » par des « pèlerins ou des
sorciers constitutionnels », multiples facteurs permettent de
reléguer une telle analyse à la préhistoire de la
pensée constitutionnelle. En réalité, depuis leur
adoption, plusieurs mécanismes attestent leur originalité et
semblent méprendre, avec une certaine rigueur, la thèse du
mimétisme dans le nouveau constitutionalisme. Celui-ci devient plus que
jamais euristique, eu égard à la richesse dogmatique et pratique
naguère ignorée des analystes classiques, surtout de
l'extérieur qui pour autant, préfèrent évoluer dans
une tour d'ivoire, peut-être atteints du syndrome de
l'occidentalocentrisme264. Les accords politiques l'attestent
véritablement. Imbus de leur spécificité, ils marquent
l'originalité du droit constitutionnel africain et démontrent
selon l'expression du Professeur KPODAR que l'Afrique est fidèle
à ses principes. Elle semble accorder une importance particulière
au consensus (matérialisé déjà dès
l'origine, par les conférences souveraines), au mépris des
mécanismes rigides des constitutions occidentales, qui semblent se
révéler inefficaces dans un espace en démocratisation. Des
réflexions foisonnent et se poursuivent pour doter l'Afrique des
263 DU BOIS DE GAUDUSSON (J.), « Le constitutionnalisme en
Afrique » op.cit., p.9
264 Jean Pascal Dalloz cité par LOADA (A.), « La
limitation... » op.cit., p.164
92
institutions qui correspondent aux réalités
locales. Le récent colloque de Lomé portant sur les tabous du
constitutionalisme africain265 en est une preuve. C'est pourquoi,
après avoir constaté que les accords politiques portent un coup
dur à la constitution dans son sens classique, les auteurs font vite, de
relativiser pour mettre un accent particulier sur les bienfaits d'une telle
réalité, laquelle dénote d'ailleurs de la
nécessité de sa positivité et surtout de sa
théorisation. C'est cette noble ambition que s'est fixée cette
réflexion, laquelle après avoir mis en relief cette
nécessité, postule la révision des paradigmes du droit
constitutionnel au prisme du vécu africain. Le droit constitutionnel
africain serait une véritable galerie d'art, marquée par une
imitation consciente et une créativité
séduisante266.
Cependant, il faut rapidement étouffer cette joie. En
effet, la place qu'occupe la communauté internationale dans
l'élaboration de ces accords peut être révélatrice
d'un certain néocolonialisme, cachant mal les objectifs de certains
Etats occidentaux, lorsqu'ils s'ingèrent avec acharnement dans la
résolution d'une crise. Bienvenu OKIEMY révélait
déjà « les doutes suscités par l'accord de Linas
Marcoussis »267 lorsqu'il écrivait : « l'accord de
Linas Marcoussis n'est pas simplement un arrangement qui vise à
réconcilier les Ivoiriens et à éviter une propagation
transnationale d'un conflit qui embraserait une région
déjà marquée par des guerres civiles. En effet,
poursuit-il, c'est un modus vivendi à travers lequel, on devine
déjà une reformulation de la politique africaine de la France qui
n'est rien de moins que le dépassement de « doctrine Jospin »,
ni indifférence, ni ingérence. »268
Au-delà, on peut se poser des questions sur
l'effectivité de ces accords, qui eux-aussi, portent la marque
incriminée d'internationalisation ou du moins d'extranéité
de l'ordre ainsi établi, surtout lorsqu'on sait qu'il appartient aux
hommes de les mettre en pratique.
En tout cas, s'il est établi que les accords politiques
ne sont, ni des conventions constitutionnelles, ni des traités ; ils
constituent non seulement une pratique répandue, mais aussi
répétée, qui pourrait facilement faire partie de ce que
265 Ce colloque a été organisé par le
Centre de Droit Publique et a eu lieu dans la sale CEDEAO du CASEF les 14 et 15
Juin 2011
266 Ces propos sont de nous.
267 OKIEMY (B.), « L'accord de Linas Marcoussis : La France
de retour », Revue juridique et politique,
n°4,2003, p.481 268Idem
93
Georges BURDEAU appellerait « les types de faits
producteurs de droit »269 et ceci pourrait valablement
s'expliquer par la théorie du système des variables
déterminantes270. Au-delà, la postérité
et la prospérité des accords politiques, dénotent d'une
certaine contractualisation de la régie du phénomène du
pouvoir et qui fait déjà poindre à l'horizon la
nécessité d'entreprendre une étude sur les modes
alternatifs des crises dans le nouveau constitutionnalisme africain.
En outre, il faut reconnaître que le salut du
constitutionnalisme et de la démocratie en Afrique dépend en
grande partie des Africains, et que, « s'il est vrai que la graine
mise sous terre est d'abord soumise à la loi de la putréfaction
et doit ensuite donner la vie, il est aussi claire que le
néo-constitutionnalisme africain peut renaître sous certaines
conditions »271. Il s'agit bien des conditions juridiques,
politiques et culturelles.
269 BURDEAU (G.), cité par KPODAR (A.) «
Communauté internationale... », op.cit.p.42
270 On entend par système des variables
déterminantes « l'ensemble des éléments qui seul
ou combinés, peuvent avoir une incidence sur la formation et
l'interprétation de la règle de droit ». COHENDET
(M.-A.) « Le système des variables déterminantes » in
Mélanges en l'honneur de Jean GICQUEL, Paris, Montchrestien,
2008, p.121.
271 KPODAR (A.), « Prolégomènes...
»op.cit, p.335.
94
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A : TEXTES JURIDIQUES
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· Constitution béninoise du 11 décembre
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· Constitution togolaise du 14 octobre 1992
· Constitution nigérienne du 18 juillet 1999
· Constitution ivoirienne du 24 octobre 2000
· Loi fondamentale de la République rwandaise du
26mai 1995
B : TEXTES NON JURIDIQUES
· Accord cadre de Lomé du 29 juillet 1999 (Sierra
Léone)
· Accord de Linas Marcoussis du 23 janvier 2003 (Côte
d'Ivoire)
· Accord politique global du 20 Août 2006 (Togo)
· Accord de Maputo du 10 janvier 2009 (Madagascar)
· Accord de Ouagadougou du 13 juillet 1996 (Togo)
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V : AUTRES DOCUMENTS
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TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION 1
PREMIERE PARTIE :LA CONSTITUTION SECOUEE DANS SES PRINCIPES 14
CHAPITRE I : L'INSTAURATION DE REGIMES DE FAIT 16
SECTION I : LES ACCORDS POLITIQUES : UN INSTRUMENT NON JURIDIQUE
17
Paragraphe I : Le rattachement des accords politiques à
la constitution : une logique
difficilement défendable 17
A : Impossibilité de rattacher les accords
politiques aux mécanismes
constitutionnels de résolution de crises
17
1 : Les mécanismes juridictionnels et les accords
: deux modes de
résolution des crises naturellement
répulsifs 18
2 : Les accords politiques et les pouvoirs de crise : une
convergence
étouffée 19
B : La difficile compatibilité des accords
politiques avec la constitution 20
1 : Une incompatibilité substantielle
20
2 : Une incompatibilité fonctionnelle
22
Paragraphe II : L'internationalisation des accords politiques :
une logique contestable
23
A: L'illusion de l'internationalisation des accords
politiques 23
1 : La prétendue internationalisation des accords
politiques 23
2 : Le fondement de la prétention 24
B : L'impertinence de l'internationalisation des
accords politiques 24
1 : Les accords politiques et les normes internationales
24
2 : Les accords politiques et la jurisprudence
internationale 25
SECTION II : LES ACCORDS POLITIQUES : UN INSTRUMENT
REGISSANT LES
INSTITUTIONS AU SEIN DE L'ETAT 26
Paragraphe I : Des bouleversements institutionnelles 27
A : Des exécutifs inconstitutionnels
27
1 : L'instauration des gouvernements de crise
27
2 : La prescription d'un programme 28
102
B : Un parlement sous curatelle 29
1 : La confiscation de la fonction parlementaire
29
2 : La remise en cause du mandat parlementaire
30
Paragraphe II : L'institution d'organes ad' hoc 31
A : Les organes à vocation
générale 31
1 : Les organes de suivi 31
2 : Cadre permanant de dialogue et de concertation
32
B : Les organes spécialisés
33
1 : Les organes concernant les élections
33
2 : Les autres organes 34
CHAPITRE II: LA REMISE EN CAUSE DE LA SUPREMATIE DE LA
CONSTITUTION 35
SECTION I : UN POUVOIR CONSTITUTANT MIS ENTRE PARENTHESE 36
Paragraphe I : La mise à l'écart de la constitution
36
A : Une cohabitation apparente entre la constitution
et l'accord politique 36
1 : Une constitution encore en vigueur 37
2 : Le surplomb de l'accord politique 37
B : Un mépris vis-à-vis des droits de
l'homme 38
1 : La violation du droit des citoyens de choisir leurs
dirigeants 38
2 : La violation du droit de se faire élire
40
Paragraphe II : L'hypothèque du pouvoir constituant
dérivé 41
A : La contorsion de la procédure de
révision 41
1 : Une procédure de révision pourtant
rigide 41
2 : La rupture de la rigidité de la
procédure de révision 42
B : La remise en cause de la distinction
`'constitution souple ou constitution
rigide» 43
1 : Une distinction consacrée en doctrine
43
2 : Une distinction atteinte par les accords politiques
44
SECTION II : UN JUGE CONSTITUTIONEL IMPUISSANT 45
Paragraphe I : Un juge déjà affaibli sur le
principe 45
A : La prétendue nécessitée du
contrôle de constitutionnalité des lois
constitutionnelles 46
1 : Une nécessité fondée sur le
principe de supraconstitutionnalité 46
2 : Une nécessité fondée sur la
mauvaise foi des pouvoirs constituants 47
B : La constitutionnalité du contrôle de
constitutionnalité de la révision
constitutionnel ? 48
103
1 : L'exclusivité du pouvoir constituant
dérivé 48
2 : La plénitude de compétence du pouvoir
constituant 49
Paragraphe II : La mise à l'écart du juge
constitutionnel 50
A : La nature et le domaine des normes applicables
50
1 : La nature des normes applicables 50
2 : Le domaine des normes applicables 50
B : La substitution implicite du comité de
suivi au juge constitutionnel 51
1 : Le rôle du comité de suivi
51
2 : La non saisine du juge constitutionnel 52
DEUXIEME PARTIE :LA CONSTITUTION COMPLETEE DANS SES FONCTIONS
54
CHAPITRE I : UN COMPLEMENT AVERE 56
SECTION I : UN COMPLEMENT ETABLI 56
Paragraphe I : L'émergence d'un droit constitutionnel
spécial 57
A : La transcendance de l'incompatibilité
entre constitution et négociation 57
1 : L'incompatibilité originelle entre
constitution et négociation 57
2 : La nature et l'environnement de la crise
58
B : Les accords politiques : des modes alternatifs de
résolutions des crises 59
1 : La négociation 60
2 : Le respect de la parole donnée 60
Paragraphe II : La protection de l'ordre constitutionnel 61
A : La stabilisation des institutions
61
1 : Le consensus retrouvé 61
2 : La constitution mise hors d'atteinte 62
B : Le maintien du processus démocratique
63
1 : Le partage du pouvoir 63
2 : La circulation des élites 64
SECTION II : UN COMPLEMENT A « JURIDICISER » 65
Paragraphe I : Une nécessité ressentie 65
A : La sécurisation des accords politiques
65
1 : La protection contre les acteurs politiques
65
2 : La protection contre les autres normes 66
B : Une effectivité assurée
67
1 : Une application garantie 67
2 : La sanction de la violation 67
104
Paragraphe II : Les modalités multiples 68
A : Une constitutionnalisation immédiate
68
1 : La constitutionnalisation expresse 68
2 : Constitutionnalisation tacite 69
B : La constitutionnalisation médiate
69
1 : L'ambiance d'une pratique établie : un
diuturius usus acquis 70
2 : Une opinio necessitatis vacillante 71
CHAPITRE II : UN COMPLEMENT JUSTIFIE 72
SECTION I : UN DROIT CONSTITUTIONNEL IMPUISSANT 72
Paragraphe I : Les faiblesses congénitales 73
A : Les lacunes originelles 73
1 : Les facteurs extérieurs 73
2 : Les facteurs intérieurs 74
B : Les lacunes acquises 75
1 : La monarchisation des régimes 75
2 : La constitutionnalisation d'une violation des droits
de l'homme 76
Paragraphe II : Des faiblesses fatales 77
A : La perversité de la pratique
77
1 : La manipulation de la constitution 77
2 : Un juge constitutionnel diabolisé et une
armée politisée 78
B : Un Etat de droit à faible densité
démocratique 79
1 : Une splendeur théorique 79
2 : Une réalité décevante
80
SECTION II : UN DROIT CONSTITUTIONNEL PERFECTIBLE 80
Paragraphe I : La cure systémique 80
A : Le déparasitage de la constitution
81
1 :L'éviction des dispositions crisogènes
81
2 : La recherche de la cohésion sociale.
82
B : Le renforcement de l'intervention du peuple
83
1 : Une intervention controversée 83
2 : La nécessité du renforcement de
l'intervention du peuple 84
Paragraphe II : La cure pratique 85
A : La démystification de la résistance
à la démocratisation 86
1 : La résistance de la classe dirigeante
86
105
2 : La résistance des groupes sociaux
87
B : L'acclimatation de la démocratie
88
1 : Des propositions louables 88
2 : Des propositions à compléter
89
CONCLUSION 91
BIBLIOGRAPHIE 94
TABLE DES MATIERES 101
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