3.5 Réinsertion sociale
« Lorsqu'une personne doit justifier d'une
période de travail pour obtenir le bénéfice complet de
certaines allocations sociales ou afin de favoriser l'expérience
professionnelle de l'intéressé, le CPAS prend toutes dispositions
de nature à lui procurer un emploi à temps plein ou à
temps partiel. Le cas échéant, il fournit cette forme d'aide
sociale en agissant lui-même comme employeur pour la période
visée ». (article 60 § 7 de la loi organique des CPAS du
08/07/1976).
L'établissement observé accueille des
personnes dites « sous article 60 », pour des périodes de
prestation de 12 mois pour les moins de 36 ans ; 18 mois pour les 36 -- 49 ans
; 24 mois pour les 50ans et plus. « Aux Capucines », ces personnes
sont engagées en tant qu'aide-logistiques ou aides d'entretien. Elles
forment une population quelque peu à part dans la maison, étant
présentes pour une brève période (il s'agit souvent de
jeunes personnes), elles semblent moins investies dans l'établissement
que d'autres membres du personnel.
Encadré 4 : Un équilibre
déséquilibré (1) - Vers
l'aliénation.
Une organisation engageant du personnel salarié
trouve son équilibre via la rémunération. Etzioni (1961)
nomme cet équilibre, l'échange : le personnel est payé en
fonction du travail accompli / des heures prestées. Il se doit de
respecter les règles, Etzioni parle alors de discipline.
Néanmoins, deux types d'excès s'observent dans la maison,
s'écartant donc de cet équilibre : la participation et
l'aliénation. Je traite dans cet encadré du second
type.
Un problème récurrent dans la maison
selon le personnel soignant et le directeur est la non-fiabilité des
aides-logistiques, tous sous article 60 :
« Certains sont très motivés !
D'autres s'en foutent complètement et ils faut les chercher partout !
ils font le juste minimum !! Au moindre truc, ils sont à la maison, ils
viennent pas ! » (Mme Oste, infirmière chef) ; « ça
dépend vraiment sur qui on tombe hein, mais certains on sait jamais si
on va les voir arriver le matin ou pas, c'est toujours comme ça, on sait
pas ! » (Mireille, aide-soignante).
Ces derniers n'ont pas choisi de venir travailler en
maison de repos et de soins. Certains
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peuvent y trouver une sorte de
révélation et choisissent de continuer dans le métier (par
exemple via une formation d'aide-soignante), d'autres resteront
indifférents à la condition des personnes âgées tout
au long de leur prestation, ce qui choque certains résidents : «
Ils n'en n'ont rien à foutre hein ! ils sont là pour toucher le
chômage après ! Il y a quelques exceptions hein, comme toujours...
» (Mme Van.).
Ceux d'entre eux non-motivés par le travail
représentent l'intégration par aliénation. Et cela leur
donne énormément de pouvoir. En effet, une personne
aliénée à son travail sera découragée,
« abandon[nera] toute velléité » (Desmarez 2008 : 49),
ne trouvera aucune motivation à sortir de chez elle, si ce n'est le fait
peut-être de ne pas se faire virer (Etzioni 1961). Or, dans notre cas, Mr
Marc m'explique que, sous article 60, ces personnes dépendent des
caisses du CPAS. Cependant après leur prestation, elles sortiront de ces
caisses, seront alors en charge de l'état et toucheront le
chômage. Le CPAS a tout intérêt, pour réduire ses
coûts, à « faire sortir » ces personnes de son
financement, donc à les faire prester au plus vite ces quelques mois. Il
est ainsi demandé au directeur de ne pas virer ces dernières, de
les garder dans la maison, afin de terminer la réinsertion sociale au
plus vite.
Comment assurer alors la motivation de ces personnes,
n'ayant pas choisi leur terrain de travail (en effet, le CPAS leur propose un
travail spécifique), ne l'acceptant parfois que pour
bénéficier d'une meilleure condition par la suite, et, qui plus
est, n'étant pas sous la pression d'un potentiel licenciement
malgré un mauvais travail ou un taux d'absentéisme important non
justifié ? Difficile, me confie Mr Marc.
Ces aides-logistiques créent ce que Michel
Crozier nomme « zones d'incertitude » : « si vous êtes la
personne qui contrôle une telle zone, et bien vous aurez du pouvoir sur
ceux qui sont affectés par l'incertitude que vous contrôlez »
(1994). Ainsi, à l'instar des ouvriers d'entretien (1964), laissant
l'équipe nursing et le directeur dans le doute permanent sur leur
présence et leur motivation au travail, les aides-logistiques
détiennent un réel pouvoir dans l'organisation, obligeant la
réorganisation du travail journalier.
***
D'après ces éléments (taille
importante, contrôle externe, environnement très stable), il
semble qu'un établissement public ait tendance à la
bureaucratisation. Cette standardisation de la prise en charge des personnes
âgées serait la cause de nombreuses petites frustrations
quotidiennes, tant du côté des résidents que du personnel.
Tout au long de ce mémoire, je montre néanmoins que les acteurs,
de façon individuelle ou collective, arrivent à contourner ces
règles afin d'éviter au maximum ces frustrations, à
l'instar de Mr Marc et des friteuses. De plus, au sein de
l'établissement public, malgré une redistribution des ressources,
la sociabilité entre résidents serait assez faible, ce qui, je
pense, a des répercussions sur les relations entretenues avec le
personnel (cf. chapitre 8). Terminons le tour de la question par les
implications du caractère bruxellois de la maison.
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