Cette analyse en trois pôles oublie toutefois
une dimension les contraignant toutes trois : le fait de vivre en
communauté dans un établissement fermé, à
l'architecture spécifique, au nombre élevé de personnes,
etc. Bref le fait de prendre place dans une institution.
« Au début, je me dis « je dois, je
dois,... [me forcer à m'adapter]) On est plus chez soi hein, on est
libre mais on n'est pas libre à 100% hein, faut manger c'que l'on nous
donne, il faut suivre le règlement, ... il faut s'adapter à tout
le monde ! Y a de tout ici ! Mélange de classes, et de tout ! »
(Mme Co.) ; « Vous savez dans les maisons de repos, il faut pas trop
demander hein ! Il faut aller à la douche, il faut se lever tôt,
il faut faire ceci, il faut faire cela, ... ! » (Mme Ve.).
J'appelle cette dimension « les contraintes
institutionnelles » et la schématise comme suit :
![](La-negociation-de-la-prise-en-charge-dans-une-maison-de-repos-et-de-soins-bruxelloise20.png)
Ou en terme de mots du brainstorming de départ
:
![](La-negociation-de-la-prise-en-charge-dans-une-maison-de-repos-et-de-soins-bruxelloise21.png)
74
La vie en collectivité implique
l'établissement de règles pour assurer le déroulement
pacifiste de cette dernière. Mme Oste, infirmière chef, explique
ainsi :
«ils sont chez eux hein ici... mais ce que je
leur rappelle tout le temps, c'est qu'on vit en communauté, faut savoir
respecter les autres. Si vous agressez les gens ou injuriez le personnel, ou si
vous aimez trop les femmes, ça ne va pas hein, il faut trouver une
solution ! » (Mme Oste)
Ainsi par exemple, l'article 19 du règlement
d'ordre intérieur, intitulé « Mesures d'intérêt
général », stipule que les résidents ne peuvent nuire
à autrui en montant trop haut le son de la radio ou la
télévision et qu'ils veilleront à la propreté de
leur chambre et des abords. Le résident se conduira avec courtoisie tant
envers les autres résidents qu'envers le personnel et aidera la personne
dans le besoin (art. 3). Les repas seront servis à partir de 7h30 ;
11h30 et 17h30 (art. 13). L'article 20 stipule qu'« il est essentiel que
le résident prenne toutes les dispositions nécessaires pour
éviter ce qui peut causer un incendie ». Ainsi, aucun appareil
chauffant n'est accepté (sauf exception, voir
supra) ; seules les télévisions
à écrans plats sont permises (sauf accord de la direction) ; il
est « strictement interdit de fumer dans la chambre »75 et
dans la maison de repos (sauf accord de la direction) ; de brûler des
bougies ; de boire de l'alcool à outrance ; ... Bref, interdit de nuire
à autrui. Ceci rappelle la théorie de Michel Foucault concernant
le déplacement du droit de punir, passant « de la vengeance du
souverain à la défense de la société » (1975 :
107). L'individu est puni lorsqu'il porte atteinte à la
collectivité. Le personnel également se voit soumis aux
mêmes impératifs.
Ces contraintes, les résidents doivent s'y
faire et le plus gros effort semble être l'adaptation aux horaires,
certains ne s'y habituant pas : Mme Va. ramène son repas du soir dans sa
chambre considérant que l'on mange trop tôt ; Mr R. va directement
au magasin acheter sa nourriture (baguette et charcuterie) car il ne mange
jamais à midi et préfère manger plus tard. D'autres
plaintes prennent place notamment concernant la nourriture, la
sécurité excessive (cf. couteaux non tranchants) ou
l'hygiène excessive (alors qu'il s'agit d'un intérêt
général : les résidents doivent être propres pour ne
pas incommoder leurs voisins).
Mr Bou. fut carrément puni par le directeur
car il injuriait l'aide-ménagère venant faire sa chambre,
considérant qu'elle n'avait pas besoin de nettoyer aussi souvent. De
plus, il aurait nui au régime alimentaire d'une autre résidente
et n'aurait pas respecter les heures de soins. Aujourd'hui, il lui est
demandé de sortir de sa chambre tous les jours entre 14h et 15h pour
le
75 Je rencontrai néanmoins plusieurs
résidents fumant dans leur chambre. Ces derniers sont alors
demandés de fermer leur porte et d'ouvrir leur fenêtre
régulièrement. Le stock de cigarettes de certains
résidents (4 ou 5) est géré par le bureau administratif
qui les leur fournit régulièrement.
75
ménage ; il lui est interdit de passer dans
l'aile Imperial pour ne plus avoir accès à la chambre de
« sa grande amie » comme il dit ; il lui est demandé de
descendre manger au restaurant tous les jours. Mr Bou. m'explique
qu'aujourd'hui il respecte les règles scrupuleusement, ne voulant pas
être renvoyé « où irais-je alors ? » ! En effet,
« en cas de non-respect du règlement ou de troubles graves au bon
ordre, la direction en avertit le gestionnaire qui a la faculté de
prendre les mesures qui s'imposent, y compris le transfert ou l'expulsion
» (art. 21 du ROI).