PROMOTION : 2006-2010
SUJET
« La formation de la perception de la maison de
placement chez les enfants en domesticité entre 9 et 15 ans dans les
communautés de Turgeau et de Martissant à Port-au-Prince :
Approche matérialiste dialectique ».
Préparé par : Ricarson DORCE
OCTOBRE 2011
Sous la direction du Docteur Gérard Serge
Hyacinthe
PROMOTION : 2006-2010
SUJET
« La formation de la perception de la maison de
placement chez les enfants en domesticité entre 9 et 15 ans dans les
communautés de Turgeau et de Martissant à Port-au-Prince :
Approche matérialiste dialectique ».
Préparé par : Ricarson DORCE
Sous la direction du Docteur Gérard Serge
Hyacinthe
OCTOBRE 2011
IV
DEDICACES
Ce document rend hommage à tous ceux et à toutes
celles qui luttent contre la domination politico-sociale, l'exploitation
économique, la discrimination culturelle et qui ont foi en l'existence
d'une seule race : la race humaine.
V
TEMOIGNAGE DE RECONNAISSANCE
Remerciements à tous ceux et à toutes celles qui
ont contribué, contribuent et contribueront encore à ma
formation...
Un grand merci spécial à toute l'équipe
des enseignants (es) de la Faculté d'Ethnologie de l'Université
d'Etat d'Haiti, notamment le professeur Gérard Serge Hyacinthe qui m'a
beaucoup encadré.
Toutes les cinq secondes, un enfant meurt de faim,
alors que l'agriculture mondiale peut nourrir 12 milliards de
gens. Les enfants qui meurent de faim sont donc assassinés.
VI
Jean Ziegler
VII
LISTE DES ABREVIATIONS
DSNCRP : Document de Stratégie nationale pour la
Croissance et la Réduction de la Pauvreté
FAO : Agence de l'ONU spécialisé dans
l'Alimentation et l'Agriculture
FASCH : Faculté des Sciences Humaines
FDSE : Faculté de Droit et des Sciences Economiques
FE : Faculté d'Ethnologie
IBESR : Institut du Bien-Etre Social et de Recherche
IHSI : Institut Haitien de Statistique et d'Informatique
OIM : Organisation Internationale de la Migration
ONU : Organisation des Nations-Unies
PAM : Programme Alimentaire Mondial
P-AU-P : Port-au-Prince
PNUD : Programme des Nations-Unies pour le
Développement
UEH : Université d'Etat d'Haiti
UNICEF : Organisme des Nations-Unies pour l'Enfance
VIH/SIDA : Virus de l'Immunodéficience Humaine /
Syndrome Immuno Déficitaire Acquis
VIII
TABLE DES MATIERES
AVANT-PROPOS 1
INTRODUCTION 2
PREMIERE PARTIE : PRESENTATION
GENERALE ET CONTEXTUELLE (4 -24 ) CHAPITRE I : PRESENTATION DE
LA RECHERCHE (6 -9)
1- THEME 6
2- SUJET 6
3- NATURE ET PORTEE 6
4- JUSTIFICATION DE LA RECHERCHE 7
a)- sur le plan personnel 7
b)- sur le plan social 8
c)- sur le plan académique 8
d)- sur le plan scientifique 8
5- OBJECTIFS DE LA RECHERCHE 8
6- LIMITES 9
IX
CHAPITRE II : CADRE CONTEXTUEL (10-24 )
1- COUP D'OEIL SUR LE MONDE 10
2- CARACTERISTIQUES D'HAITI 12
3- FORMATION SOCIALE HAITIENNE 14
4- PROBLEME DE RECHERCHE 19
5- ORIGINE HISTORIQUE DU PHENOMENE ET SON DEVELOPPEMENT
22 DEUXIEME PARTIE : CADRE THEORIQUE (25 - 58)
CHAPITRE III : DIMENSION THEORIQUE (27 - 40)
1- POINTS DE VUE PHILOSOPHIQUES 27
2- THEORIE DE LA GESTALT 28
3-APPROCHE DEVELOPPEMENTALE 29
4- PERSPECTIVE PSYCHOPHYSIOLOGIQUE 30
5- DEMARCHE COGNITIVE 31
6- TENDANCE ECOLOGIQUE 33
7- CONSIDERATIONS CRITIQUES 34
8- NOTRE CHOIX THEORIQUE : MATERIALISME HISTORIQUE 36
X
CHAPITRE IV : AUTOUR DE QUELQUES
NOTIONS ( 41- 58 )
1- COMPORTEMENT ET CONDITIONS MATERIELLES D'EXISTENCE
a)- comportement 41
b)- conditions matérielles d'existence 41
2- ENFANCE ET FAMILLE
a)- enfance 42
a.1)- enfant domestique 43
b)- famille 44
b.1)- famille élargie 46
3- MAISON DE PLACEMENT 46
4- PSYCHOLOGIE EN QUESTION
a)- psychologie 47
a.1)- psychologie concrète et dialectique 48
a.2)- psychologie de la maison 50
a.3)- psychologie de la perception 51
a.4)- psychologie de l'enfant 51
a.5)- psychologie politique 52
a.6)- psychologie sociale 52
5- REPRESENTATION 53
6- REPRODUCTION SOCIALE ET STRATEGIES DE SURVIE
a)- reproduction sociale 54
b)- stratégie de survie 55
7- SENSATION, PERCEPTS ET PERCEPTION
a)- sensation 55
b)- percepts 56
c)- perception 56
c.1)- perception de l?espace 57
c.2)- perception de la maison 58
8- STIMULUS ET REACTION
a)- stimulus 58
b)- réaction 58
XI
TROISIEME PARTIE : PRESENTATION DE LA METHODE ET
DE LA RECHERCHE DE TERRAIN ( 59 - )
CHAPITRE V : DEMARCHE METHODOLOGIQUE ( 61 À 66
)
1- CHOIX METHODOLOGIQUE : MATERIALISME DIALECTIQUE 61
2- TECHNIQUES DE RECHERCHE 62
3- ECHANTILLONAGE 63
4- SEQUENCES DES ACTIVITES DE TERRAIN 63
a)- Séquence I : Observations et entretiens 63
b)- Séquence II : Choix des mots et techniques de dessin
64
5- ZONES D?ENQUETE 65
CHAPITRE VI : CADRE EMPIRIQUE ( 67- ) I-
RECHERCHE DE TERRAIN
ETUDE DE CAS
a)- cas #1 67
b)- cas #2 68 XII
c)- cas #3 69
d)- cas #4 70 II- ANALYSES
A)- À PROPOS DES ENFANTS EN DOMESTICITE
a.1)- profil social 71
a.2)- caractéristiques individuelles et comportementales
71
a.3)- quotidien de l'enfant en domesticité 71
a.4)- l'enfant en service et le jeu 72
a.5)- perception des enfants domestiques de la
domesticité 72
a.6)- enfant en domesticité et sa perception de la maison
de placement 73
a.7)- enfant en domesticité : un dessinateur de ses
conditions matérielles d'existence 74
a.8)- enfant en domesticité : un agent de la reproduction
sociale 75
B)- AU SUJET DE LA FAMILLE NATURELLE
b.1)- profil social 116
b.2)- mode de perception sur la domesticité
117 XIII
C)- AUTOUR DE LA FAMILLE DE PLACEMENT
c.1)- profil social 76
c.2)- mode de perception sur la domesticité 76
c.3)- type de communication 78
c.4)- personnalité autoritaire 78
D)- À PROPOS D'AUTRES CATEGORIES D'ENFANTS
d.1)- perception des anciens enfants domestiques de la
domesticité 79
d.2)- perception des enfants non domestiques de la
domesticité 79
d.3)- perception de la maison de placement chez les enfants
non domestiques 79
E)- MOTS ASSOCIES À LA MAISON 80
F)- PAROLE ET GESTE 80
G)- PERCEPTION DE LA DOMESTICITE AU NIVEAU DE LA POPULATION
80
H)- POINTS DE VUE DES EXPERTS 81
I)- PERCEPTION ET REALITE 81
XIV
- CONCLUSION -BIBLIOGRAPHIE
- ANNEXES ( 92-104 )
Annexe I- GRILLE D'OBSERVATION 92
Annexe II- GRILLE D'ENTRETIEN POUR LES ENFANTS EN SERVICE 94
Annexe III- GRILLE D'ENTRETIEN POUR LES SPECIALISTES 98
Annexe IV- DESSINS 99
XV
AVANT-PROPOS
Ce document constitue un rapport de recherche, non seulement
en vue de l'obtention du grade de licencié en psychologie, mais aussi
à l'intention de tout secteur s'intéressant aux catégories
de gens qui vivent dans des conditions pénibles dans le monde,
particulièrement en Haïti où cette étude a
été menée.
Ce rapport de recherche présente la formation de
la perception de la maison de placement chez les enfants en
domesticité. Notre travail prend en compte les
différents facteurs (sociaux, économiques, politiques,
psychologiques, juridiques, historiques, culturels...) déterminant
l'essentiel de notre objet d'étude.
Nous espérons que cette recherche attire l'attention
sur tous les gens qui sont exploités dans le monde, notamment ces
enfants en domesticité qui accomplissent des tâches au-dessus de
leur force. Ils ont à leur charge la plus lourde responsabilité
de la maisonnée. Ils sont victimes d'injures, de bastonnade,
d'humiliation, d'ingratitude... En Haïti, après le tremblement de
terre du 12 janvier 2010, la situation de ces enfants et de bien d'autres
devient beaucoup plus alarmante.
INTRODUCTION
Plusieurs disciplines scientifiques, dans ces derniers temps,
se penchent sur la problématique de l'enfance. Cette
problématique se situe particulièrement au carrefour des sciences
humaines et sociales. Dans ce document de recherche, nous nous
intéressons à la catégorie d'enfants en
domesticité.
D'entrée de jeu, nous soulignons que les enfants en
service sont souvent d'origine rurale et sont placés dans une autre
famille afin qu'ils soient logés, scolarisés et nourris. En
échange, ils doivent pratiquer presque tous les travaux relatifs au
fonctionnement de la maison. Souvent, ils accomplissent des tâches
capables de compromettre leur santé physique ou psychologique. Ils
connaissent à la maison l'épreuve des sévices physiques et
des mépris. C'est une pratique qui ne date pas d'hier et nous allons
l'examiner dans ses racines!
Cette catégorie d'enfants exploités a beaucoup
d'importance à nos yeux. Il est probable que des millions d'enfants
travaillent dans des résidences privées, mais la nature occulte
de cette activité fait qu'il est impossible d'obtenir des chiffres
fiables ( rapport de l'Unicef en 2005 ).
Selon le foyer Maurice Sixto 1 ( 2009 ), on estime
à plus de 300.000 le nombre d'enfants vivant en domesticité en
Haïti. La réalité est aujourd'hui encore plus criante,
surtout après le séisme du 12 janvier 2010 qui a endeuillé
et fortement fragilisé bon nombre de structures familiales en
Haïti.
Dans le cadre de ce travail, nous étudions le mode de
perception de la maison de placement chez les enfants en domesticité. Le
Matérialisme historique et dialectique nous permet de prendre en compte
les conditions concrètes d'existence qui sont fondamentales dans le
développement psychologique de cette catégorie d'enfants et qui
interviennent pour les amener à percevoir de telle ou telle
manière. Cette perspective offre les possibilités de
transformation de la
1 Cf. Au FOYER MAURICE SIXTO sont accueillis
les enfants en situation de domesticité à P-au-P. Ces enfants
jouissent de la prise en charge physique, de l'encadrement psycho social,
d'activités ponctuelles etc.
structure sociale en explorant les contradictions
matérielles qui marquent l'existence des enfants en service et qui, du
même coup, forment leur perception de la maison de placement. En suivant
ce trajet, nous tenons à poser des jalons pour une psychologie de la
maison en Haïti et pour, aussi à un certain niveau, une psychologie
politique ( car nous portons un regard critique sur le rôle du
modèle libéral et des manipulations mentales dans les conditions
pénibles de cette catégorie d'enfants ).
Ce rapport de recherche est divisé en trois (3) parties
contenant six (6) chapitres. Dans la première partie ( contenant les
chapitres I et II ), nous présentons la recherche dans sa
globalité et également nous faisons le point sur le cadre
contextuel. Dans la deuxième partie ( comprenant les chapitres III et IV
), nous situons notre objet d'étude au carrefour des théories,
puis nous présentons quelques notions relatives à notre
recherche. La dernière partie ( chapitre V et VI ) présente le
cadre méthodologique du travail, les données recueillies sur le
terrain et nous prenons le soin de les analyser.
PREMIERE PARTIE :
PRESENTATION GENERALE
ET
CONTEXTUELLE
PREMIERE PARTIE
La première partie de ce rapport fait une
présentation générale et contextuelle de la recherche.
Elle est divisée en deux chapitres. Le premier traite du thème,
de la formulation du sujet, de nature et portée du travail, de la
justification, des objectifs et des limites du travail. L'autre chapitre fait
le point sur la réalité mondiale, les caractéristiques
d'Haïti, la formation sociale haïtienne, le problème de
recherche, l'origine historique de ce problème et son
développement.
CHAPITRE I
PRESENTATION DE LA RECHERCHE
Ce premier chapitre est, en quelque sorte, un panorama de
notre rapport de recherche. Il sera ici question du thème de notre
travail, de la formulation du sujet, de nature et portée de la
recherche, de la justification, des objectifs fixés, et de limites du
travail.
1. THEME
Notre travail de recherche tend vers l'approfondissement d'un
thème associant deux concepts primordiaux : « Enfants en
domesticité et perception de la maison de placement ».
2. SUJET
Le sujet est ainsi formulé : « la formation de la
perception de la maison de placement chez les enfants en domesticité
entre 9 et 15 ans dans les communautés de Turgeau et de Martissant
à Port-au-Prince : Approche matérialiste dialectique ».
3. NATURE ET PORTEE
Dans le cadre de ce travail de recherche, nous ne chercherons
pas à déceler les relations de cause à effet, ce qui
serait le propre de la méthode expérimentale. Cette
dernière est souvent reprochée pour son caractère
d'artificialité et de généralisation abusive.
Notre démarche sera, de préférence,
descriptive et dialectique incluant, entre autres, les Etudes de cas. Ce qui
nous permettra d'identifier les composantes de notre objet d'étude dans
leurs relations dynamiques.
Cette recherche affiche l'ambition d'être de nature
théorique et empirique, ce qui lui donnera une portée
théorico-pratique. Elle aura également une portée
épistémologique, car peu de recherches en psychologie adoptent ce
choix méthodologique ( Matérialisme dialectique ) peu
connu, méconnu, inconnu ou tant combattu par le monde
universitaire qui soutient les privilèges des classes dominantes. Ce
paradigme met à nu les réalités. Il est
particulièrement instructif pour connaitre, comprendre et transformer
les problèmes du monde2... Enfin, nous procéderons,
dans notre travail de recherche, à une remise en question de quelques
travaux ayant rapport à notre objet d'étude. Ce qui, par
conséquent, donnera une portée critique à notre
recherche.
4- JUSTIFICATION
Ce travail de recherche aborde un phénomène qui
n'est pas encore ou peu traité par les spécialistes en Sciences
humaines et sociales, notamment les psychologues. Jusqu'à
présent, les bases scientifiques d'une psychologie de la maison se font
attendre.
Puis, il y a certes quelques recherches qui ont
été effectuées sur la problématique des enfants en
Haïti ( y compris ceux en domesticité ), cependant peu de
chercheurs ont abordé cette question dans sa dimension dialectique. De
plus, il y a une carence de recherches ou, dirait-on même, une absence
totale de travail scientifique sur la perception de la maison, sur la
psychologie de l'espace et sur la psychologie politique dans le pays.
-a) sur le plan personnel
La question des enfants en domesticité nous a toujours
capté l'attention, non seulement au niveau de notre entourage, mais
également dans le cadre de notre travail avec les organisations locales
ou internationales. En ce sens, ce travail scientifique est d'abord le fruit de
nos préoccupations face à un problème qui nous rappelle
l'esclavage et qui soulève notre conscience critique.
2 Cf. Georges Politzer, Principes
élémentaires de philosophie, Ed. sociales, Paris, 1977,p.93
b) sur le plan social
Le phénomène des enfants en domesticité
gangrène toute la société haïtienne. En effet, il est
un fait que certaines catégories sociales du pays exploitent, oserait-on
dire, ces petits esclaves modernes de maison issus, en majorité, des
familles défavorisées ou rurales. Ce travail de recherche se veut
une nouvelle façon d'aborder ce fléau social.
C) sur le plan académique
Ce rapport de recherche, que l'on se le rappelle, entre dans
le cadre d'un travail de fin de premier cycle d'études universitaires
pour l'obtention de grade de licencié en psychologie. C'est, en ce sens,
une exigence académique.
D) sur le plan scientifique
Ce travail, enfin, se veut une production de connaissance
scientifique sur la psychologie de la maison, sur la psychologie
concrète des perceptions, sur la psychologie politique. C'est une
tentative de présentation d'un modèle psychologique combinant
Théorie et Pratique en vue de la pleine émancipation de
l'être humain. C'est aussi une nouvelle manière d'aborder la
question de la perception au niveau de la Psychologie.
5- OBJECTIFS DE LA RECHERCHE
Nous formulons, de la manière suivante, les objectifs de
la recherche :
1. Examiner la formation de la perception de la maison de
placement des enfants en domesticité par rapport à leurs
conditions de vie;
2. Présenter tout ce qui caractérise les
conditions matérielles d'existence des enfants en domesticité,
non seulement dans leur consolidation, mais également au niveau du
façonnement de leurs stratégies de survie;
3. Identifier les moyens de dépassement de ces conditions
concrètes d'existence. 6- LIMITES
Dans ce document, nous ne visons pas à affirmer aucune
vérité souveraine sur le problème étudié. En
ce sens, notre travail se veut un essai d'analyse critique sur les conditions
concrètes d'existence des enfants en domesticité en Haïti et
sur leur mode de perception de la maison de placement.
Nous avons rapproché l'Etude de cas de notre
démarche descriptive. Ce type de procédé est parfois
critiqué pour avoir recueilli des données souvent difficiles
à comparer d'une étude à une
autre3.
D'un autre point de vue, le recours à un nombre
élevé de sujets pourrait nuire à l'obtention de
résultats valables. Toutefois, ce type de technique a le mérite
d'obtenir, avec souplesse, des données fécondes sur des cas
particuliers et est, souvent, la première méthode utilisée
lorsqu'il s'agit d'explorer un domaine nouveau4.
Des entretiens avec des experts dans le domaine de psychologie
se sont avérés très fructueux. Egalement, notre choix
théorique « le Matérialisme historique » nous permet de
cerner notre objet d'étude dans sa globalité, ce qui est
fondamental pour l'atteinte des objectifs fixés.
3 Cf. Conscient de cette critique,
nous avons jugé bon d'associer ce type de procédé à
la Méthode dialectique.
4 Cf. Michèle Robert et al. , Fondements et étapes
de la Recherche scientifique en psychologie , Edisem, Québec,
1988 ,p.49.
CHAPITRE II
CADRE CONTEXTUEL
Nous présenterons, dans ce cadre contextuel, un regard
critique sur la réalité mondiale, les caractéristiques
d'Haïti, la formation sociale haïtienne, le problème de
recherche, l'origine historique de ce problème et son
développement.
1- COUP D'OEIL SUR LE MONDE
Les disparités économiques et sociales sont l'un
des grands enjeux du monde actuel. Cette mondialisation capitaliste et
néolibérale, essentiellement régie par des
intérêts privés, entraîne un pillage
généralisé des ressources. Plus d'un milliard d'enfants
vivent dans la pauvreté5. Selon l'ONU ( 2008 ), 150 millions
d'enfants vivent dans la rue. Ces enfants s'approprient la rue en tant que lieu
de vie. Certains pays ont organisé des réactions violentes pour
faire face à la prolifération du nombre d'enfants des rues ( la
répression prend les formes les plus aigües , là où
le taux d'exploitation est le plus fort6 ).
Ces enfants exploités sont, en majorité, issus
du monde rural. La domination et l'exploitation dans le monde rural ne peuvent
pas être cernées, pensons-nous, en dehors de la question agraire
caractérisant la structure de la société globale.
Selon le rapport de l'UNICEF sur la situation des enfants dans
le monde en 2009, 51 millions d'enfants n'ont pas été
enregistrés à la naissance et n'ont pas d'existence officielle.
C'est le cas de nombreux enfants d'origine haïtienne, nés dans la
République voisine (particulièrement dans les Bateys). Ainsi, ils
sont destinés à rester marginaux toute leur vie
5 Cf. Rapport de l'UNICEF, 2005
6 Cf. Laënnec Hurbon,Comprendre HAITI, Ed.
KARTHALA, Paris, 1987, p.124
comme bon nombre d'autres enfants abusés,
emprisonnés, vendus, orphelins, violentés, victimes de
dénutrition, de VIH/SIDA, du mariage précoce.
Nous ne saurions oublier des milliers d'enfants qui sont
recrutés comme soldats ou enlevés en vue de la prostitution ou de
la servitude domestique. Il faut comprendre que ces problèmes mondiaux
ne sont pas naturels et qu'ils sont produits par une formation
économique et sociale déterminée ( par un monde de guerre,
de conquête, de pillage, d'impérialisme ... ). C'est, dirait le
leader Fidel Castro, le capitalisme globalisé avec tout ce que cela
implique : ... l'anarchie de la production, la destruction des ressources
naturelles, la faim au milieu de l'abondance, le chômage au sein des
crises de surproduction7...
Et, citons FROMM, « même si elle n'a qu'une chance
modérée de vaincre, une nation fera la guerre, non parce qu'elle
souffre économiquement, mais parce que le désir d'avoir davantage
et de conquérir est profondément enraciné dans le
caractère social »8.
Maintenant, laissons un peu Karl Marx nous livrer sa
pensée : « Poussé par le besoin de débouchés
toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut
s'implanter partout, exploiter partout, établir partout des relations...
»9.
C'est le temps de comprendre bien ces chiffres relatant que
les décès causés par la misère extrême dans
les pays du Sud se sont élevés à plus de cinquante-neuf
millions (ONU,2007) ; alors qu'en 2008, pour la première fois dans
l'histoire, les dépenses d'armement des Etats membres de l'ONU ont
dépassé les 1 000 milliards de dollars par an.10
7 Cf. Jean Edern Hallier, Fidel Castro.
Conversation au clair de lune, Ed. Messidor, Paris, 1990, p.141
8 Cf. Fromm Erich, Avoir ou être ?,
Editions Robert Laffont, Paris ,1978, p136
9 Cf. Karl Marx, OEuvres choisies, Editions du
Progrès, Moscou, 1987, p.34
10 Cf. Jean Ziegler, La haine de l'occident,
ALBIN MICHEL, Paris, 2010, p13
Entre temps, 250 000 000 d'enfants de 5 à 14 ans
travaillent (dans des conditions surtout difficiles afin de survivre) et 60 000
000 d'enfants de 5 à 11 ans effectuent des tâches dangereuses
(Rapport 2000 de l'UNICEF ). Selon Ziegler ( l'Empire de la Honte, 2007 ), deux
armes de destruction massive sont à l'oeuvre : la dette et la faim. Par
l'endettement, les Etats abdiquent leur souveraineté ; par la faim qui
en découle, les peuples agonisent et renoncent à la
liberté. Un artiste eut à chanter : la Banque Mondiale et le FMI
sont nés pour distribuer des cadeaux empoisonnés. Ils financent
la pauvreté, la privatisation meurtrière...
Les enfants en servitude domestique font partie de ceux qui
accomplissent des travaux dangereux capables de mettre en péril leur
santé. À rappeler que nous nous intéressons à cette
catégorie d'enfants et que notre attention est mise, dans le cadre de ce
rapport de recherche, sur leur mode de perception de la maison de placement.
2- CARACTERISTIQUES D'HAITI
La République d'Haïti s'étend sur une
superficie de 27 750 km2. Elle partage l'île avec la République
Dominicaine à l'Est et elle occupe la partie occidentale. L'île
entière est de 78 250 km2. Située au centre des Grandes Antilles,
Haïti est à 90 km de Cuba au Nord-Ouest et à 190 km de la
Jamaique au Sud-ouest. Elle est bordée au Nord par l'océan
Atlantique, au Sud par la mer des Caraïbes. Elle se localise dans le
continent américain.
Le pays est divisé en 10 départements, 42
arrondissements, 140 communes et 565 sections communales. La capitale est
Port-au-Prince et la monnaie, la gourde. De 140 000 habitants vers 1950,
Port-au-Prince s'approchait du demi-million d'habitants vers 1970 et atteignait
plus d'un million d'habitants vers 1985. Cette croissance rapide pose
sûrement des problèmes de logement, de circulation, de
nourriture... Déjà en 1971, 11 % de la population résidait
à la capitale (aujourd'hui, certains diriont plus d'un tiers de la
population ). Port-au-Prince a créé une «république
dans la république» par la concentration des pouvoirs
économiques, culturels, politiques11... Plusieurs îles
situées au large des côtes d'Haïti sont
11 Cf. Georges Anglade, L'espace haitien, Editions des
alizés, Port-au-Prince, 1985, p.32
rattachées au territoire : la Gonâve, l'île
de la Tortue et l'île à Vache... Le plus haut sommet de
l'île est le Pic de la Selle (2 680 m ), situé dans le massif de
la Selle, au sud-est du pays. Les côtes sont presque partout
bordées par les chaînes montagneuses. Le principal des fleuves est
l'Artibonite ( 250 km ). Haïti compte également deux grands lacs.
Notre sous-sol, selon quelques chercheurs, possède encore bauxite,
argent, cuivre, nickel, or, soufre et d'autres gisements miniers... en
dépit de la surexploitation colonialiste et impérialiste. La
faune est assez peu variée. Le climat est tropical. La côte ouest
et l'île de la Gonâve bénéficient d'un climat sec et
chaud. Les montagnes, au sud et au nord du pays, ainsi que les étroites
plaines côtières, connaissent un climat plus froid et plus humide.
L'érosion est devenue l'un des problèmes majeurs du pays suite
à la déforestation due, en grande partie, au pillage colonial.
Le Créole haïtien est la langue parlée par
toute la population et le Français est la langue dite d'apprentissage
(parlée par une minorité, surtout l'élite intellectuelle).
Les Haïtiens sont majoritairement descendants d'esclaves noirs, le reste
de la population étant constitué de mulâtres et de
créoles. Les rivalités entre ces deux communautés ont
fortement marqué la vie politique depuis même avant
l'indépendance 1804. Le pays a une culture riche de traditions
africaines, créoles.... La littérature haïtienne reste la
plus abondante de la région caraïbéenne.
Selon les données disponibles sur le site de PNUD (
rapport 2010 ) : la population haïtienne est de 9,3 millions d'habitants
dont 36% est âgée de moins de 15 ans ; l'espérance de vie
est de 59,5 ans ; le taux de chômage est de 32,62 % ( population
âgée de 15 à 64 ans ) et le taux de mortalité
infantile est 84 pour 1000.
En 2001, 56% de la population haïtienne vivaient en
dessous de la ligne de pauvreté extrême de 1 $ US PPA par personne
et par jour. Plus de la moitié de la population n'arrive pas à se
procurer la ration alimentaire minimale ( établie par la FAO ) de 225 kg
de calorie par an et par individu. 80 % de la population ne disposent que de 32
% des revenus et que les 2 % les plus riches seraient en possession de 26 % du
revenu total. Bien avant le séisme du 12 janvier 2010, le pays comptait
800 000 personnes handicapées ( soit environ 10 % de la population
totale ). En 2005, 2.7 millions d'enfants ( 0-18 ans ) n'ont pas d'accès
à au moins un des services sociaux de base. Seulement 49% des enfants en
âge de fréquenter l'école sont scolarisés et, en
2003, le taux d'analphabétisme est de 39 %. Le Président actuel
du pays (Joseph Michel Martelly) veut faire
de l'Education son point fort, mais il est encore très
loin à l'aborder dans sa complexité. Pendant notre travail de
terrain, on a rencontré dans la capitale certains
»enfants-nés de la rue»: c'est une nouvelle catégorie
qui reste invisible dans les statistiques. En milieu rural (63% de la
population), seulement 13.1 % des gens estiment pouvoir satisfaire leurs
besoins alimentaires et 9 % sont capables de faire face à leurs
problèmes de santé. La pauvreté extrême du milieu
rural (très marginalisé pendant toute l'histoire d'Haïti)
est presque trois fois plus élevée que dans l'Aire
Métropolitaine. 5 millions de la population haïtienne vivent en
milieu rural ( IHSI , 2003 ). Selon une étude du PAM ( Oct. 2004 ), les
villes, en dehors de l'Aire Métropolitaine, présentent
également des taux de pauvreté élevés, même
si leur contribution à la pauvreté est nettement plus faible
qu'en milieu rural ( source DSNCRP : 2008-2010 ).
On ne saurait traiter de la question de la domesticité
des enfants sans prendre en compte la pauvreté du milieu rural
liée au mode de formation sociale haïtienne.
3- FORMATION SOCIALE HAITIENNE
Nous sommes le premier peuple noir libre et indépendant
dans le monde. Nous étions colonisés par les espagnols, les
français. D'autres pays occidentaux nous ont aussi exploités...
Avant l'arrivée des colons, les Caraïbes, Ciboneys, Arawaks et
Taïnos ... vivaient sur le sol suivant leurs principes naturels. Le 6
décembre 1492, Christophe Colomb, arrivé sur l'île,
pillait, exploitait ces ethnies, sous prétexte de les christianiser ou
de les civiliser. Sous l'ordre de la Reine de l'Espagne, ces autochtones ont
été soumis à des travaux forcés. Ainsi, ils
dépérissent. Et depuis 1501, on commençait à
acheter des esclaves africains pour y venir
travailler12.
En 1697, l'Espagne ( suite à des batailles ) a
cédé la partie occidentale de l'île à la France
d'après le traité de Ryswick. La colonie expédiait
annuellement à la France 163.406.000 livres de sucre, 68 .152.000 livres
de café, 1.808.700 livres d'indigo, 1.978.800 livres de cacao, 52 000
livres de roucou, 6.900.000 livres de coton, 14.700 cuirs, 6 500 livres
d'écaille, 22.000 livres de
12 Cf. Emile Nau, Histoire des caciques d'Haiti,
Ed Patrimoines, Port-au-Prince, 2003, p.276
p.21
casse, 11.286.000 livres de bois de teinture, et plusieurs
autres produits ou matières premières comme : cire, tabac, sirop,
tafia, bois d'ébénisterie etc.13
Il est donc une vérité historique que le pillage
colonial a détruit nos forêts. Ces derniers temps, ce refrain est
sur toutes les lèvres : « nous sommes le pays le plus pauvre du
continent ». Cependant, ne faudrait-il pas toujours aller à
l'origine de cette pauvreté afin d'inciter à une prise de
responsabilité historique ?
En 1789, les planteurs blancs de Saint-Domingue
organisèrent des élections en vue d'une délégation
à destination de la France pour défendre leurs
intérêts, car les richesses produites dans la colonie
étaient davantage l'apanage des colonialistes métropolitains. Les
propriétaires mulâtres, considérés inférieurs
aux blancs, montèrent également au créneau. Ces facteurs
et bien d'autres ( comme des luttes entre l'Espagne, la France et l'Angleterre
dans la région ) ont été déterminants dans
l'émergence des esclaves comme acteurs de la colonie. Ainsi, le
Général Toussaint, l'un des principaux acteurs, a proclamé
la constitution de 1801 (qui consacrait l'autonomie de Saint-Domingue ). Mais,
les règlements de culture de Toussaint Louverture ( le caporalisme
agraire ) ont massacré le projet de libération de ces
travailleurs.
L'indépendance fut proclamée le 1 janvier 1804,
cependant elle n'arrive pas encore à unir les fils et filles du pays,
à éradiquer la domination et à changer la structure
sociale ( la réforme agraire, souhaitée par l'Empereur Jean
Jacques Dessalines, se fait encore attendre). Après l'assassinat de
l'Empereur par ses anciens partisans, le pays se trouve scindé en deux :
au nord, un royaume dirigé par Henri Christophe et, au sud, une
république gouvernée par Alexandre Pétion. En 1811, une
guerre éclate entre les partisans des deux camps. Pétion mourut
en 1818. Son successeur, Jean-Pierre Boyer, parvient, à la mort d'Henri
Christophe en 1820, à réunifier le nord et le sud.
13Cf. Demesvar Delorme, La misère au sein des
richesses. Réflexions diverses sur Haïti, Editions Fardins,
Port-au-Prince, 2009,
C'est le président Jean Pierre Boyer qui a payé
à la France une forte somme pour la reconnaissance de cette
indépendance conquise aux prix du sang. Les paysans ont beaucoup
été exploités à ces fins. Les lois qui
régissent le milieu paysan n'ont fait que lutter contre les pratiques de
liberté instaurées par les anciens esclaves. On y trouve deux
classes sociales : celle qui a pris possession de la terre et celle de paysans
travaillant la terre. La première a des rapports favorables avec le
marché capitaliste et le paysan emploie des stratégies de survie
dans de très petites propriétés. Reste à savoir si
cette stratégie n'est pas maintenant presque détruite par le
marché néolibéral ! Par ailleurs, tout cela occasionnait,
à plusieurs reprises, des mouvements de paysans dans toute l'histoire de
luttes haïtiennes, notamment la grande révolte, en 1844, des
paysans noirs du sud du pays, dite « révolte des piquets ».
En 1849, Faustin Soulouque se proclame empereur sous le nom de
Faustin Ier. Il règne sur le pays pendant dix ans, avant
d'être renversé, en 1859, par le mulâtre Geffrard.
En 1862, le président Fabre Geffrard a mis nos
ressources forestières à la disposition des compagnies
étrangères capitalistes. En 1910, trois compagnies
étrangères ont déjà pris le contrôle de
l'économie nationale14. Ainsi, commençons par
comprendre la dépendance économique d'Haiti !
L'éternel tort d'Haïti, aux yeux de
l'international, est d'avoir brisé les chaînes de l'esclavage.
Etats-Unis a mis soixante ans pour lui accorder la reconnaissance diplomatique.
Sous la présidence de Thomas Jefferson ( 1801-1809 ), le projet de loi
Georges Logan, introduisant l'embargo sur Haïti, a été
adopté en 1806 et reconduit par le Congrès jusqu'à
1822.
14Cf. Benoît Joachim, Les racines du
sous-développement en Haïti, Editions Deschamps, Port-au-Prince,
2009, p.215
En 1820, le sénateur Robert V Hayne a
déclaré que la position des Etats-Unis est de ne jamais
reconnaitre l'indépendance d'Haïti. Avril 1891, le président
états-unien déclara que ce pays de nègre doit être
déstabilisé et occupé pour que les autres peuples du
continent ne se rebellent pas contre nous et contre nos
intérêts15. Quant à Vatican,
jusqu'à la deuxième moitié du 19e
siècle, il a isolé Haïti16.
En fait, le milieu social haïtien, outre la
période espagnole, était marqué par trois grandes
périodes (d'exploitation ) : la période française (
1635-1801 ) ; celle de 1801-1910 et celle de l'occupation américaine (
1915-1934 )17.
L'auteur Jean Anil Louis-Juste précise et ajoute : les
crises sociales ( 1806 , 1843 ) ; les crises d'endettement ( 1825 , 1875 , 1896
, 1910 ) et les crises des occupations ( 1915 , 1994 , 2004
)18.
Il faut noter que sous la pression du gouvernement
américain (dans sa stratégie de dumping), Jean Claude Duvalier a
massacré - sous le couvert de maladies- les cochons créoles des
paysans qui valaient plus de 15 millions dollars
américains19. Rappelons que la première occupation
états-unisienne du pays avait déjà tout centralisé
et concentré politiquement et
15 Cf. Jean-Michel Lacroix, Histoire des
États-Unis, Paris, P.U.F., 2006
Cf. Paul Farmer, les Utilisations d'Haïti (Monroe : Common
Courage Press, 1993)
Cf. Matthewson Tim, Jefferson and the Non recognition of
Haïti, American philosophical society, 1996
16 Cf. Michel-Rolph Trouillot, Haïti,
L'Etat contre la Nation, Origines et Héritage du duvaliérisme :
Monthly review press, New-York 1990, p51
17 Cf. Janil Lwijis, Kalfou pwojè , ?,
Port-au-Prince, 1993, p.45
18 Cf. Jean Anil Louis-juste, ONG : Ki
gouvènman ou ye ? Asid kaye pwogresis 2, Port-au-Prince, 2009, p.29
19 Cf. Josh Dewind & David Kinley, Aide
à la migration. Impact de l'assistance internationale à
Haïti, Ed CIDHICA, Montréal,1988, p.99
économiquement dans la capitale. Les provinces
perdirent leur autonomie et la bourgeoisie locale célébra son
alliance à ces nouveaux maîtres de l'économie. Washington
met alors en place un gouvernement soumis à ses volontés. En
1916, un traité est signé entre Haïti et les Etats-Unis,
selon lequel ces derniers s'engagent à fournir au pays assistance
politique et économique pendant dix ans.
Par ailleurs, nous devons mentionner que le paysan a fait face
aussi à la discrimination culturelle : l'éducation scolaire a
été, pendant longtemps, refusée aux couches majoritaires
de la population. Sous la première occupation, l'école rurale
était destinée à former techniquement les paysans en vue
des exploitations capitalistes agricoles.
La discrimination culturelle contribue à la domination
de l'impérialisme. L'école haïtienne ne fait que reproduire
ces inégalités sociales. C'est à l'école qu'on
apprend à aimer les religions et les langues occidentales au
détriment de la religion vodou et de la langue créole ( deux
armes de résistance de nos ancêtres ).
La fin de l'occupation états-unienne, ajoutée
aux conséquences de la crise économique mondiale, engendre les
velléités dictatoriales. Trois gouvernements militaires
provisoires se succèdent alors, jusqu'en septembre 1957, date à
laquelle François Duvalier est élu président. La fin de
l'ère Duvalier ne signifie pas pour autant la fin de la dictature (ou,
disons mieux, la fin de la dictature militaire).
Le président Jean Bertrand Aristide est, en 1991,
renversé par un coup d'État militaire. Embargo des Etats-Unis sur
Haïti. En 1994, les troupes américaines débarquent.
Élu en 1995, René Préval fera, plus tard, face à
d'assassinats politiques et de crises électorales. Réélu
en 2000, Jean Bertrand Aristide va laisser le pouvoir sous les pressions
française, américaine et quelques secteurs du pays en 2004.
Depuis, les forces militaires impérialistes sont renforcées dans
le pays... Sous la protection de ces casques bleus, René Préval
reprend la tête d'un pouvoir en proie à de violents Ouragans,
cyclones et un séisme dévastateur, sans oublier les crises
socio-politiques traditionnelles... Maintenant, que peut-on espérer de
cette nouvelle équipe à la tête du pays (l'équipe du
président Michel Joseph Martelly)? Toutefois, on y assiste
déjà au renforcement des mesures néolibérales!
Tout compte fait, la formation sociale haïtienne ne peut
pas être comprise en dehors de ces injustices sociales,
spécialement dans le milieu rural. Toute la stratégie de la
reproduction de la famille paysanne est aujourd'hui fondée sur le
développement politique ou intellectuel de l'un des ses membres. C'est
surtout pour arriver à ce résultat que les enfants, issus du
milieu paysan, sont placés en domesticité. Ils accomplissent des
services dans la maison de placement et cette nouvelle famille, en retour,
devrait satisfaire quelques-uns de ces besoins : nourriture, logement,
vêtements, scolarisation... Mais, la réalité est
différente. En effet, ces enfants en service sont souvent
considérés au plus bas de l'échelle familiale,
traités comme de petits esclaves, soumis pendant toute une
journée à des tâches domestiques et on ne leur payait pas
toujours les frais de scolarité ... Retenons que la cause fondamentale
de la pratique de la domesticité est liée à l'exploitation
d'une classe possédante au détriment de celle appauvrie. La crise
politique, les caractéristiques socioculturelles haïtiennes, le
problème de migration, les carences institutionnelles en matière
de protection de l'enfant domestique renforcent cette pratique ... C'est
là toute l'importance du Matérialisme historique et dialectique
dans notre tentative de cerner concrètement notre objet d'étude
dans son évolution sociale.
4- PROBLEME DE RECHERCHE
Le problème de recherche est ainsi formulé :
« Comment se forme la perception de la maison de placement chez les
enfants en domesticité ? ». Cette question cerne les deux
concepts fondamentaux du travail ( Enfants en domesticité et Perception
de la maison de placement ) dans leurs rapports dynamiques.
Pour bien aborder ce problème de recherche, il nous
faut prendre en compte tous ces facteurs historiques, politiques,
économiques, sociaux, juridiques, culturels ... auxquels la
société haïtienne faisait face pendant toute son
existence.
Tous ces éléments et bien d'autres processus
psychosociaux servent à déterminer chez l'enfant en
domesticité le mode de perception qu'il a de la maison de placement, de
lui-même, du milieu social ou du monde extérieur etc.
De plus, notons que notre problème de recherche a
été en quelque sorte effleuré par certains travaux de
recherche qui ont été réalisés ces derniers temps
dans le pays.
À la Faculté d'Ethnologie de l'Université
d'Etat d'Haiti, on trouve certains rapports de recherche très utiles
à notre étude : Wolff Guilhène a
abordé le développement de la perception visuelle des enfants
haïtiens par rapport aux influences de leur milieu
socio-économique20 ; pour Jean Baptiste Jean Victor
Harvel, la perception dépend beaucoup de facteurs biologiques
ou culturels21 ; Pierre Marie Mika a noté,
dans ses recherches, une corrélation entre les difficultés
affectives vécues par les enfants placés en orphelinat et le fait
qu'ils perçoivent leur placement comme une exclusion22 ;
Jean Baptiste Ernst, dans son rapport d'étude sur
l'incidence de la perception de la mort sur le comportement psychoaffectif des
enfants infectés par le VIH/SIDA, a beaucoup accentué sur
l'aspect culturel en montrant comment le sida est perçu comme un sort
jeté, une vengeance des esprits mécontents, une punition ou une
volonté de Dieu...23 ; pour Chéry Jean Maxime,
la perception est liée aux tabous véhiculés par
la culture, au niveau d'étude, aux valeurs propres à l'adolescent
et à ses parents24 ; et enfin Gaity Dieuveut
a étudié, de manière originale, la formation de
la personnalité des enfants des rues par rapport à leurs
conditions concrètes d'existence25.
À la Faculté des Sciences Humaines de l'UEH, il
y a également quelques travaux relatifs à notre recherche :
Marie Jessie Alexandre a fait un travail intéressant
sur le développement
20 Cf. Wolf Guilhène, Etude
expérimentale sur la perception visuelle d'enfants haïtiens de 6
à 7 ans, FE, Port-au-Prince, 1979.
21Cf. Jean Baptiste Jean Victor
Harvel , la perception de l'image par l'adulte haitien, FE, Port-au-Prince,
1990
22 Cf. Pierre Marie Mika, Influence de la
perception des enfants du placement en orphelinat sur leur équilibre
psychoaffectif, FE, P-au-P, 2002.
23 Cf. Jean Baptiste Ernst, Incidence de la
perception de la mort sur le comportement psychoaffectif des enfants
infectés par le VIH/SIDA de 5 à 14 ans, FE, P-au-P, 2006.
24 Cf. Chéry Jean Maxime, la perception
différenciée de la sexualité chez des adolescents de 15
à 18 ans et de leurs parents, FE, P-au-P, 2007.
25 Cf. Gaity Dieuveut, la formation de la
personnalité des enfants des rues entre 10 et 12 ans , FE , P-au-P,
2009.
visuo-moteur des enfants haïtiens de milieux
défavorisés26 ; Oscar Gina, dans sa
recherche sur la domesticité juvénile en Haïti, a
entamé une démarche qui consiste à étudier le lien
entre l'esclavage et la domesticité27.
Dans certains rapports de recherche à la Faculté
de Droit et des Sciences Economiques de l'Université d'Etat
d'Haïti, le problème de domesticité est aussi traité
: Elasco Jean Eugène a approché la situation des
enfants en service au regard des normes supra-législatives28
; Fignolé Pierre Noël29 et
Coteau Alexandre30 ont étudié la
question par rapport aux différentes conventions des Nations-Unies sur
les droits de l'enfant.
On a enfin trouvé d'autres recherches qui ont
été effectuées en dehors de l'UEH et qui ont
également rapport à notre objet d'étude. C'est le cas des
trois chercheuses : Mildred Aristide, Jeanne Philippe et Norah A.
Jean-François.
Mildred Aristide, dans ses recherches, a
considéré la situation de l'enfant en domesticité en
Haïti comme le reflet d'un fossé historique31.
Norah A. Jean-François, dans la troisième partie
de son ouvrage sur les mineurs, a regroupé les conventions concernant
l'âge minimum d'admission au travail et sur les pires formes du travail
des enfants32. Jeanne Philippe, dans son
26 Cf. Marie Jessie Alexandre, Etude du
développement visuo-moteur des enfants haïtiens de 6 à 7 ans
de milieux défavorisés, FASCH, P-au-P, 1983.
27 Cf. Oscar Gina, Etude sur la
domesticité juvénile en Haïti, FASCH, P-au-P, 2001.
28 Cf. Elasco Jean Eugène, situation
de l'enfant en service au regard des normes supra-législatives, FDSE,
P-au-P, 2000.
29 Cf. Fignolé Pierre-Noël, la
convention relative aux droits de l'enfant face à la pratique de la
domesticité en Haïti, FDSE, P-au-P, 2005.
30 Cf. Coteau Alexandre, la convention des
Nations-Unies sur les droits de l'enfant et la domesticité en
Haïti, FDSE, 2006.
31 Cf. Mildred Aristide, L'enfant en
domesticité en Haïti : Produit d'un fossé historique, Henri
Deschamps, Port-au-Prince, Haïti, 2003 .
32 Cf. Jeanne Philippe, L'enfant haitien
dessinateur de ses problèmes, pages retrouvées, P-au-P,
Haïti, 2007.
33 Cf. Norah A. Jean-François, Législation
Haïtienne en vigueur sur les mineurs, Imprimeur II , P-au-P , Haïti,
2010.
travail de recherche, a montré comment l'enfant est
capable de dessiner ses problèmes vécus à la maison ou
dans d'autres lieux... 33.
Il y a également quelques recherches qui ont
été portées sur les fondements de la pratique de la
domesticité en Haïti par des Organisations étatiques,
locales et internationales comme : Coalition nationale pour les Droits des
Haïtiens, Haïti Solidarity International, Comité des Avocats
Internationaux du Minnesota, Foyer Maurice Sixto, IBESR, Ministère des
Affaires Sociales et du Travail, UNICEF, SAVE THE CHILDREN, OIM...
En dépit de tous ces efforts, le
phénomène de la domesticité reste et demeure si
présent dans le pays à un point tel qu'on se demande si
même les gens travaillant dans le domaine ne contribuent pas à sa
montée afin de justifier, par des chiffres, la raison d'être de
leurs institutions et de mobiliser des fonds en conséquence. Toutefois,
le constat est que ces organisations (particulièrement celles
internationales) deviennent une sorte de Gouvernement International
(représentant des intérêts impérialistes) sur le
territoire national.
En fait, notre rapport de recherche consiste à
étudier la formation de la perception de la maison de placement chez les
enfants en domesticité à travers la Méthode dialectique et
la Théorie du Matérialisme historique, ce qui nous évite
d'aborder notre objet d'étude de manière superficielle comme
l'ont fait certains (es) chercheurs (ses). Ce phénomène est donc
trop complexe pour être abordé de manière très
simple. C'est là toute l'importance et l'originalité de notre
travail !
5- ORIGINE HISTORIQUE DU PROBLEME ET SON
DEVELOPPEMENT
Il faut remonter à l'esclavage pour cerner la tradition
de la domesticité en Haïti. La colonie a été
régie par le code noir qui, dans son article 12, stipule : « les
enfants nés d'esclaves
34 Cf. Mildred Aristide, op. cit. , p.22
sont esclaves et sont la propriété du
maître de leurs mères »34. Ainsi s'est
développé tout un commerce d'enfants.
En 1804, le pays a pris son indépendance, mais la
révolution n'a pas vraiment éradiqué le type de
domesticité développé à l'époque coloniale.
Une indépendance sans libération totale et capitale. Les premiers
établissements primaires et secondaires visaient d'abord l'élite
urbaine. Ils étaient surtout composés d'enfants d'officiers de
l'armée, de la classe des gens de couleur... La loi de 1848 a
officiellement permis la création de la première école
publique en milieu rural, mais avec un curriculum différent de celui des
zones urbaines .
Les 150 millions de francs payés pour la dette de
l'indépendance ont ruiné le milieu paysan. Le code rural de 1826
a renforcé les contrôles des autorités civiles et
militaires sur l'agriculture. Il a régi chacun des aspects de la vie
rurale, même les enfants ont été soumis à des
travaux. Plusieurs révoltes paysannes ont forcé le
président Boyer à s'exiler, mais le fossé entre les
sociétés rurale et urbaine existe encore. C'est ce fossé
qui nous permet de comprendre l'exploitation des enfants ruraux dans les
familles urbaines.
Le pays tombe sous l'Occupation états-unienne de 1915
à 1934 après le renversement de vingt-deux gouvernements suite
à des luttes paysannes sanglantes. La grande majorité de la
population haïtienne reste encore illettrée. Les différentes
mesures prises par les Occupants ont provoqué la migration des
populations rurales (y compris nombreux enfants) vers les villes. Tout
était concentré dans la capitale : le pouvoir politique, les
activités économiques et culturelles... Ainsi Port-au-Prince
devient le lieu d'attraction principal. Cette nouvelle situation change les
données. Du début de la première occupation
états-unienne au grand mouvement politique de 1946, on assiste à
un vaste mouvement migratoire et, du coup, c'est la grande expansion de la
pratique de domesticité. Ce qui va être intensifié suite
à l'éclatement des cellules paysannes sous le règne des
Duvalier. Les enfants sont confiés dans des foyers dans l'espoir
empoisonné d'une promotion sociale et d'un meilleur avenir dans le
milieu urbain.
Dans les années 1980, des porcs furent importés
des États-Unis après le massacre des cochons créoles qui
constituaient les dernières réserves de la population paysanne.
Ainsi cette dernière tombe dans la pauvreté absolue et les
discriminations continuent jusqu'à aujourd'hui dans le maintien de deux
codes séparés : code rural et code civil. Durant tout ce
régime dictatorial duvaliériste (ayant
généré la dette que le pays est entrain de payer),
c'était un important exode rural qui, plus tard (soit après 1986
jusque dans les années 90), sera renforcé par le renversement de
ce régime et, du coup, c'est encore une fois la montée des
bidonvilles dans la capitale. Puis, les Coups d'Etat et d'autres crises
sociopolitiques jusqu'à l'actuelle Occupation de 2004 à nos jours
(sans oublier les dégâts causés par le séisme de
l'année 2010) ont tout basculé. L'Etat devient presqu'inexistant,
perdant tout le contrôle. Défaillance institutionnelle ou
anéantissement institutionnel ? Pendant ce temps , les
impérialistes renforcent leur présence sur le sol.
Donc, les politiques des oligarchies et de la
communauté internationale dégradent le milieu rural pendant toute
l'histoire du pays. Les répressions politiques, le manque de services
publics, le non-accès à l'éducation et aux services de
base, l'extrême pauvreté... alimentent encore cette tradition de
placer fort souvent l'enfant rural dans une famille urbaine, surtout dans la
capitale. De nos jours, ce phénomène prend une nouvelle forme :
des enfants sont placés même dans de familles très pauvres.
Ils ont parfois des liens de parenté élargie. Ceci dit, des
familles pauvres urbaines exploitent des enfants issus de familles pauvres
rurales : n'est-ce pas là le cercle vicieux de l'exploitation? n'est-ce
pas également la recherche d'un prestige ou d'une position
hiérarchique dans la société ?
En dépit de la création de quelques institutions
de protection, des interventions des ONGs locales ou internationales et de
nouvelles dispositions législatives bannissant toutes formes de violence
contre les enfants, la réalité de ces enfants en
domesticité et bien d'autres reste encore un grand défi. À
remarquer qu'en Haïti, diverses appellations servent à identifier
cette catégorie d'enfants : Enfant en domesticité, Enfant en
service, Restavèk (Reste avec) , « Là pour ça »,
Ti Sentaniz ...
DEUXIEME PARTIE :
CADRE THEORIQUE
DEUXIEME PARTIE
La deuxième partie présente le cadre
théorique de notre recherche. En effet, au niveau du chapitre III, nous
allons faire le point sur quelques théories dominantes dans le champ de
la psychologie de la perception, juste avant de justifier un nouveau mode
d?approche théorique : Matérialisme historique. Dans le chapitre
IV, nous ferons le point sur quelques notions relatives à notre travail
de recherche.
CHAPITRE III
DIMENSION THEORIQUE
Comment peut-on percevoir la réalité ? Le
réel est-il perçu tel qu'il est ou tel que nous l'imaginons ? Les
perceptions sont-elles toujours fiables ? sont-elles toujours conscientes et
objectives ? sont-elles perçues à partir de nos
expériences ou de nos actions sur l'environnement ? constituent-elles
une simple copie de la réalité ? de quelle réalité
s'agit-il : physique, sociale, psychologique? En d'autres termes, en quoi la
réalité pour un physicien peut-elle être différente
de celle pour un psychologue social par exemple ? Voilà autant de
questions débouchant sur des oppositions théoriques (souvent plus
complémentaires que contradictoires) au niveau de la psychologie de la
perception. Selon qu'on aura choisi l'une ou l'autre, on ne se décidera
pas pour les mêmes priorités : élémentarisme et
globalisme, nativisme et empirisme, processus perceptif direct et celui
indirect.
Dans ce chapitre, nous allons faire le point sur quelques
théories dominantes dans le champ de la psychologie de la perception,
juste après la présentation de quelques points de vue
philosophiques sur cette question. Puis, nous procéderons aux
considérations critiques avant de justifier un nouveau mode d'approche
théorique : Matérialisme historique.
I- POINTS DE VUE PHILOSOPHIQUES
Contrairement à ce que véhiculait la tradition
issue de John Locke en ce qui concerne le phénomène de la
perception, Merleau-Ponty ne voit pas en cette dernière la
résultante d'atomes causaux de sensations. Elle est, selon lui, une
ouverture au monde vécu. Le projet de ce philosophe consiste à
révéler la structure phénoménologique de la
perception.
Edmund Husserl était également l'un des tenants
du courant phénoménologique de la perception. Sa
phénoménologie influence fortement la
psycho-phénoménologie, sous-discipline de la psychologie,
élaborée par le psychologue Pierre Vermersch, qui étudie
les actes cognitifs en s'informant auprès du sujet de ce qu'il a
lui-même vécu.
Montréal, 1988, p.8.
La Phénoménologie et la Gestalt-théorie,
nous allons le voir, sont un peu sur la même longueur d'onde et
s'intéressent à l'idée de forme.
2- TENDANCE DE LA GESTALT
La psychologie de la forme n'est pas, en quelque sorte, en
désaccord avec la position de Merleau pour qui la perception s'implante
dans une subjectivité et le phénomène perceptif est vu
comme «une figure sur un fond» . L'idée de forme se retrouve
dans la phénoménologie, fondée par Edmund Husserl, qui est
l'étude de l'essence des choses.
La fondation du mouvement de la Gestalt fut l'un des
événements les plus importants dans l'histoire de la perception.
Conduit par Max Wertheimer, Kurt Koffka et Wolfgang Kohler, ce groupe de
psychologues mettaient en question l'atomisme ou l'élémentarisme
(selon ce courant, les percepts complexes pouvaient être réduits
par l'analyse à des expériences sensorielles indivisibles) et
l'empirisme ou l'associationnisme (suivant cette perspective, les atomes
sensoriels étaient liés par des associations mentales).
Le Gestaltisme a dominé la psychologie
expérimentale. C'est une théorie psychologique, philosophique et
biologique très populaire au lendemain de la Première Guerre
mondiale.
L'approche Gestaltiste est souvent associée au
Cognitivisme. C'est l'esprit humain qui structure le monde. Contrairement aux
behavioristes, les gestaltistes admettent le rôle de la conscience, mais
ils évitent de l'approcher par petits fragments. Ils défendent
l'idée que le tout est plus grand que la somme de ses parties, un point
de vue très considéré particulièrement dans
l'étude de la perception.35
35 Cf. Diane E. Papalia & Sally Wendkos Olds, INTRODUCTION A
LA PSYCHOLOGIE, Ed. McGraw-Hill,
3- APPROCHE DEVELOPPEMENTALE
L'approche développementale consiste à cerner
les changements comportementaux chez un individu au cours de sa vie. La
tendance est qu'il faut tenir compte de l'âge et de l'influence
environnementale de l'individu et que ces changements se produisent stade
après stade.
Les théoriciens des stades privilégient la
nature et la maturation. Toutefois, les théories du développement
ne sont pas toutes les théories des stades. À titre d'exemple, le
développement humain est vu comme un processus continu par les
théoriciens de l'apprentissage social.
Le Structuralisme est une école de la psychologie
développementale dont le but est de comprendre comment les connaissances
sont organisées en unités élémentaires
fonctionnelles. Ce domaine de recherche est une source d'inspiration importante
pour les informaticiens. En 1874, Wilhelm Wundt, l'un des fondateurs de ce
courant, a joint l'introspection à la méthode
expérimentale pour analyser les éléments du processus de
la perception consciente. Dans les années 1960, le structuralisme
devient un courant de pensée en sciences humaines où la
réalité sociale est vue comme un ensemble de relations
fonctionnelles.
La psychologie développementale tente de comprendre les
rôles de l'organisme et de l'environnement dans le fonctionnement
perceptif. Piaget est fondamental dans la question de l'évolution
temporelle des perceptions. À partir de sa conception, le
constructivisme s'intéresse à la construction par échanges
entre l'organisme et le milieu (dimension biologique) et entre la pensée
et l'objet (dimension cognitive). Les études de Piaget ont montré
que certains processus perceptifs sont le fait d'une évolution
strictement chronologique.
Piaget émit l'hypothèse que les processus
cognitifs des enfants se développent en une séquence
ordonnée et voyait les enfants en croissance comme des scientifiques
bourgeonnants qui souhaitent apprendre activement et prendre intellectuellement
en charge leur monde.36
36 Cf. Spencer A. Rathus, Psychologie
générale, Ed. Etudes vivantes, Montréal, 1985, p. 357
Le constructivisme, envisagé dans le cadre des
théories du développement de l'enfant, propose de
reconnaître les stades que traverse l'enfant dans son
développement : stade sensorimoteur ( 0 à 2 ans ) ; stade
pré opérationnel ( 2 à 7 ans ) ; stade des
opérations concrètes ( 7 à 11 ans ) ; enfin celui des
opérations formelles ( 12 ans et plus ) . Ce courant a été
développé, dès 1923, en réaction au
béhaviorisme qui réduit trop l'apprentissage à
l'association stimulus-réponse.
Retenons que le constructivisme piagétien est
orienté vers deux principes : principe de l'assimilation-accommodation
et celui de l'équilibration-viabilité. La mise en relief de la
dimension sociale du constructivisme est attribuée à Vygotsky.
D'où le Socioconstructivisme. Avec Bruner , on parlera de
Constructivisme à dimension cognitiviste : l'apprenant construit ses
concepts par lui-même en vue d'une meilleure compréhension et
l'information nouvelle est reçue en tant que connaissance activement
comprise.
Des moyens nouveaux transforment, ces derniers temps, la
recherche sur le développement des perceptions : la mise au point de
techniques d'enregistrement de conduites très précoces et de
techniques d'imagerie cérébrale.
4- PERSPECTIVE PSYCHOPHYSIOLOGISTE
Les modèles psychophysiologiques sont
généralement des modèles de processus organiques rendant
compte des comportements observables de l'individu et de leurs désordres
éventuels. Ils s'orientent, en ce sens, vers les processus
cérébraux et leurs localisations. Ils établissent un pont
entre la physiologie et la psychologie. Ces modèles prennent en
considération, au travers d'indicateurs physiologiques, les
éléments agissant par solidarité avec les fonctions
locales au sein d'une unité systémique singulière.
La grande perspective biologique (incluant le modèle
neuropsychologique, celui psychophysiologique ...) cherche à
établir des relations entre des événements mesurables dans
le cerveau et des processus mentaux. En plus des déterminants
biologiques du comportement, les psychologues, intéressés par ce
phénomène, étudient également l'influence des
hormones et des gènes.
L'étude du comportement et des processus mentaux en
liaison avec le fonctionnement de systèmes organiques (les hormones et
le code génétique) intéresse le psycho physiologiste. Ce
dernier, dans son approche, cerne les relations de l'organisme avec son
environnement. L'organisme est considéré comme totalité
relationnelle. Les nouvelles découvertes en physiologie survenues au
cours du XXe siècle ont modifié les idées relatives au
fonctionnement des systèmes sensoriels et du cerveau. En effet, il y a
des troubles causés par des perturbations cérébrales :
cécité chromatique, déficience de la perception du
mouvement, le trouble de la perception de la profondeur... Ceci dit, nous ne
percevons pas que par nos sens, mais surtout par notre cerveau.
Intermédiaire entre la neurophysiologie et la psychologie, la
psychophysiologie étudie les relations d'interdépendance entre
les mécanismes psychiques et les fonctions du système nerveux.
Selon la théorie classique de la perception, la
perception de la profondeur et la plupart des autres percepts résultent
de la disposition à synthétiser l'expérience du
passé et les signaux sensoriels présents. Les tenants de cette
théorie pensent que la plupart des percepts sont dérivés
de l' inférence inconsciente de sensations inaperçues. Tout
compte fait, le modèle psychophysiologiste suppose que nos
pensées, nos images mentales ... soient rendues possibles grâce au
pivot du système nerveux. Les neuropsychologues utilisent
différentes techniques d'observation pour démontrer quelles
régions du cerveau interviennent dans les réponses cognitives,
émotives et comportementales.37
5- DEMARCHE COGNITIVE
D'un point de vue général, le structuralisme, le
fonctionnalisme, le gestaltisme, la psychologie humaniste... sont inclus dans
la perspective cognitive. Les psychologues d'orientation cognitive
s'intéressent tous et toutes à ce que nous pouvons appeler les
processus mentaux : les perceptions, les représentations mentales du
monde extérieur ...
37 Cf. Spencer A. Rathus, INITIATION A LA PSYCHOLOGIE,
Ed. Ltée, Québec, 2005, p.18
38 Cf. André Delorme (dir.),
Perception et Réalité, une introduction à la psychologie
des perceptions, éditeur Gaëtan Morin, Montréal, 2003,
p.32
Le cognitivisme est un paradigme scientifique constitué
au cours des années 1950. À partir des années 1970, la
psychologie cognitive évoluera fortement sous l'influence des
neurosciences. Durant les années 1980, de nouvelles méthodes
d'imagerie cérébrale feront leur apparition, puis l'imagerie par
résonance magnétique fonctionnelle dans les années
1990.
Le cognitivisme computationnel est centré sur la
représentation du flux informationnel qui entre dans le système
cognitif et sur le traitement de celui-ci. Basé sur l'analogie avec un
ordinateur séquentiel, ce modèle tente de concevoir les processus
mentaux comme des manipulations de symbole. En ce sens, la perception n'est
qu'une étape de traitement comprise dans la démarche
d'acquisition d'information sur le monde environnant : l'enclenchement d'un
travail de stockage et d'interprétation. Et, c'est la mémoire qui
guide notre perception.
Quant aux théories connexionnistes, elles postulent que
le monde que connaît l'individu est construit par l'intermédiaire
de ses expériences à partir d'une mise en résonance de
réseaux neuronaux.
Nous avons bien compris que cette approche, s'inscrivant dans
un modèle informatique ou mathématique, adopte des termes issus
de systèmes de communication en vue de décrire la perception et
les activités de la pensée. Dans cette démarche,
l'activité cognitive est liée à des représentations
mentales décrites avec des schémas : ... les stimuli deviennent
des entrées à l'intérieur d'un système (inputs),
que les récepteurs sont souvent qualifiés de « capteurs
», que la sensation effectue un traitement d'information et que la
perception est associée à diverses unités de
mémoire, alors que la réponse est qualifiée de «
sortie » (output).38
Contrairement aux béhavioristes classiques, les
cognitivistes se mettent à comprendre par quels processus internes
l'individu est arrivé à élaborer certaines réponses
... Les approches cognitives, on l'a vu, sont basées sur
différents modèles : celui de l'ordinateur, du cerveau, celui
basé sur la théorie de l'information, sur les modèles
constructivistes ...
Le béhaviorisme est apparu en réaction aux
approches mentalistes qui défendaient l'introspection en tant que
méthode d'accès à la compréhension de l'esprit. Ce
courant fait du comportement observable l'objet même de la psychologie.
La détermination et l'explication des conduites humaines ne peuvent
être ici comprises en dehors de l'environnement. À partir des
années 1970, l'adaptation des paradigmes du conditionnement classique de
Pavlov et instrumental de Skinner aux composantes cognitives du comportement a
permis à quelques auteurs de développer les thérapies
cognitivo-comportementales en psychothérapie. La conception
béhavioriste de la psychologie plonge ses racines dans les études
sur l'associationnisme des philosophes britanniques. Elle est également
dérivée de l'école américaine de psychologie du
fonctionnalisme et de la théorie darwinienne de l'évolution qui
tendent à montrer comment les individus peuvent s'adapter à leur
environnement.
Le cognitivisme aboutit à des conceptualisations
théoriques: fonctionnalisme, néostructuralisme, cognitivisme
développemental et néocognitivisme ... La neuropsychologie
cognitive tire parti des dysfonctionnements cognitifs consécutifs
à des lésions cérébrales dans le but de comprendre
le fonctionnement cognitif du point de vue normal.
Dans l'optique cognitiviste, la perception humaine est
abordée comme une chaîne séquentielle d'opérations.
La démarche cognitive cherche à établir les liens
étroits entre les fonctions cognitives et les perceptions. Avec F.
Varela, une nouvelle voie tente de dépasser l'opposition entre
cognitivisme et connexionnisme.
6- THEORIE ECOLOGIQUE
Cette approche se veut en rupture avec le béhaviorisme
ou le cognitivisme. L'approche écologique de la perception a
été proposée par James J. Gibson.
L'idée fondamentale de ce mouvement est que la
perception consiste à extraire l'information contenue dans
l'environnement. Contrairement à l'approche physiologique, les tenants
de ce courant ne cherchent pas à cerner le rapport entre le
fonctionnement des systèmes sensoriels et les processus perceptifs.
Cette théorie est, en quelque sorte, une
continuité du gestaltisme. Ici, en plus de la forme, le réseau
optique lié à la stimulation fournie par l'espace, est une
donnée visuelle globale... Les données ne sont plus
cherchées dans le fonctionnement du cerveau, mais plutôt dans
l'environnement.
Selon ce modèle, les individus qui perçoivent
sont avant tout dans le monde. Pour comprendre comment les animaux
perçoivent, il faut prendre en compte les contraintes imposées
par leur environnement. Un animal signifie ici un être qui perçoit
et agit ( un être animé ).
Dans le cadre d'une théorie écologique, la
notion de temps et celle d'espace doivent être
reconsidérées. Le monde, pour les physiciens, est
constitué d'atomes, d'ondes, de champs de forces... Ce niveau de
description ne convient pas à l'étude de la perception. La
description écologique s'intéresse au monde en tant
qu'environnement d'un animal... Ce qui entoure un objet inanimé n'est
pas un environnement. La tendance écologique aborde le rapport entre
perception et action... Dans la perspective de Gibson, la perception se
distingue de la cognition en ce qu'elle s'appuie sur une « cueillette
» d'informations plutôt que sur un traitement
d'informations.39 Cette approche, dans un premier temps, se qualifie
de psychophysique de l'espace, puis de cueillette d'information, enfin de
théorie écologique.
7- CONSIDERATIONS CRITIQUES
D'abord, il faut noter que les théoriciens de la
Gestalt, guidés par des principes abstraits du holisme et de
l'organisation, ont du mal à expliquer de manière
cohérente et précise la perception. Wolfgang Köhler tente (
en vain? ) de remédier à cette faiblesse en considérant le
cerveau comme une "gestalt physique".
Puis, le modèle de l'escalier est remis en cause. Henri
Wallon prône déjà que le développement de l'enfant
doit être considéré dans sa totalité. Pour lui,
l'enfant vit des
39 Cf. André Delorme (dir.), op. cit., p.40
contradictions qu'il doit savoir dépasser par une
crise. On ne peut donc donner de repère d'âge très strict.
Son analyse tend à ne pas laisser de côté l'histoire de
l'individu.
Ensuite, les modèles psychophysiologiques sont ceux de
fonctionnement global, alors que nos connaissances sur les indicateurs
physiologiques sont généralement le fruit de l'étude
expérimentale d'un fonctionnement local. Le problème des
différences individuelles constitue également souvent une
difficulté réelle pour ces modèles. Ces derniers sont
très critiqués en raison de leur forte tendance naturaliste.
Enfin, la perspective cognitiviste, niant la
réalité extérieure, est très favorable à
l'idéologie de la performance et du management. C'est, en quelque sorte,
une perspective de « l'homme machine ». Les chercheurs cognitivistes
fondent leurs travaux sur une hypothèse fort contestée, selon
laquelle le psychisme doit être considéré comme une machine
de traitement de l'information, analogue à un ordinateur. C'est vraiment
difficile de dégager les modèles généraux de la
pensée par ces seuls moyens.
Ce qui fait, en résumé, l'essence de presque
tous ces psychologues évoluant dans ce domaine, c'est leur tentative de
comprendre les mécanismes perceptifs indispensables à l'adaption
de l'être humain à l'environnement ( au statu quo, dirions-nous ).
Ce sont des courants qui flattent l'état des choses existant. Ainsi, ils
cherchent à saisir le lien entre le stimulus ( instance physique ), le
processus sensoriel ( instance physiologique ) et le percept ( psychologique ),
sans oublier les activités multiples de sélection des
informations sensorielles et les interactions entre les perceptions et les
actions.
D'une manière générale, nous devons noter
qu'il existe deux grands courants en psychologie : métaphysique (
entendons par là « anti-dialectique ») et dialectique. Le
premier aborde les problèmes ou les phénomènes
psychologiques de manière superficielle, dans leur immobilité, en
isolant les choses et en établissant des divisions infranchissables.
L'autre tient compte des lois générales du mouvement et du
développement de la nature, de la société humaine et de la
pensée : l'interdépendance des choses et des faits, le changement
dialectique, la contradiction, la transformation de quantité en
qualité ... La psychologie concrète et dialectique serait une
psychologie libératrice, contrairement au modèle
métaphysique aliénant et
40 Cf. Jean-François LE NY, Matérialisme
dialectique et Psychologie scientifique, Ed. le pavillon-Roger Maria, Paris,
1970, p.23
manipulateur. Elle serait conçue autour des groupes
sociaux défavorisés et produirait des interactions psychosociales
capables de transformer les structures de la société. C'est un
modèle psychologique qui consiste à connaitre la
réalité, à agir sur elle et à la transformer. Ce
qui fait la spécificité de ce modèle en Haïti, c'est
que la psychologie concrète et dialectique doit prendre en compte le
projet philosophique et politique du mouvement révolutionnaire des
esclaves de Saint-Domingue. C'est un projet de liberté et de
bien-être.
Mémorisons bien ceci : les modèles en
psychologie se divisent suivant leur projet (politique et autre ...) soit en un
modèle qui défend la cause des groupes dominants, soit en celui
qui agit pour et avec les groupes sociaux exploités.
Nous choisissons d'étudier (à travers les
lunettes du Matérialisme historique et dialectique) la formation de la
perception de la maison de placement chez les enfants en domesticité en
prenant en compte les réalités socio-économiques (les
conditions concrètes) qui sont fondamentales dans leur
développement psychosocial.
8- NOTRE CHOIX THEORIQUE : MATERIALISME HISTORIQUE
Selon le Matérialisme historique, les conditions
sociales - et fondamentalement la manière dont les gens maintiennent et
renouvellent leur existence, dont ils établissent entre eux un certain
type de relations, parmi lesquelles les rapports de classe sont les plus
importants - déterminent leur conduite sociale et
historique40.
Suivant ce paradigme, le psychisme est certes le produit de
l'activité du cerveau, mais il est déterminé par les
conditions extérieures, c'est-à-dire par le monde réel et
par la façon dont l'individu entre en rapport avec lui. Le
Matérialisme historique est littéralement une conception
matérialiste de l'histoire, inspirée des écrits du
philosophe Karl Marx. Contrairement au philosophe Hégel, les marxistes
considèrent le mouvement de la pensée ou de la conscience comme
un produit du cerveau humain et la personne humaine comme un produit de la
nature,
développée dans et avec son milieu. Les
conditions concrètes de vie de l'individu façonnent son
être biologique, politique, social, psychosocial... Elles commandent
toutes ses stratégies de survie et définissent ou reproduisent
les mêmes modes de vie.
Le Matérialisme se propose de saisir l'homme concret
comme produit de son activité, déterminée par les
conditions économiques : Le mode de production de la vie
matérielle conditionne le processus de vie sociale, politique,
psychologique, intellectuelle... La mise en place de nouveaux modes de
production est l'un des principaux enjeux de la lutte des classes que Marx
identifie à l'histoire de l'humanité. Le Matérialisme
ainsi défini est ce qu'il appelle le Matérialisme historique.
L'action consciente de la classe favorable à un nouveau rapport de
production détermine le changement social en tant que
phénomène durable.
Les classes résultent d'un mécanisme très
général de division du travail, qui s'est développé
en même temps que l'appropriation privée des moyens de
production.
Le Marxisme, selon Lénine, né de trois sources
qui sont la philosophie classique allemande, l'économie politique
anglaise et le socialisme français, n'est réductible à
aucune discipline universitaire existante41. Il repose sur le
principe que, dans la production sociale de leur existence, les gens entrent en
des rapports déterminés qui correspondent à un
degré de développement de leurs forces productives
matérielles. L'ensemble de ces rapports de production,
répétons-le, constitue la base concrète sur quoi
s'élève une superstructure juridique et politique et à
laquelle correspondent des formes de conscience sociale
déterminées. C'est l'être social qui détermine la
conscience. À un certain stade de leur développement, les forces
productives matérielles de la société entrent en
contradiction avec les rapports de production existants. Alors, s'ouvre une
époque de révolution sociale.
Etant donné que notre rapport de recherche concerne les
enfants en service, c'est-à-dire ceux ou celles qui sont placés
à la maison pour travailler'' ( sans
rémunération ) et pour être
41 Cf. Pierre Fougeyrollas, Sciences
sociales et Marxisme, Editions l'harmattan, 1990, paris, p.175
exploités, il serait intéressant de faire le
point sur la théorie marxiste du travail. Ceci nous permet d'explorer le
mode de traitement auquel fait face l'enfant en domesticité dans la
maison de placement.
Selon Marx, le travail est, de prime abord, un acte qui se
passe entre l'homme et la nature.42L'être humain se
réalise grâce à son travail. Ce dernier constitue
l'élément essentiel de la lutte pour la survie dans la nature.
Dans certaines circonstances, l'individu peut être aliéné
tout aussi bien du produit de son travail que de son travail lui-même.
Dans les produits du travail, l'individu devrait trouver une
part de son identité, car le travail serait non seulement de l'avoir,
mais également de l'être. Marx accuse le mode de production
capitaliste d'aliéner les travailleurs. Dans son travail, l'ouvrier ne
s'affirme pas, mais se nie. Plus l'ouvrier produit d'objets, moins il
possède et plus il tombe sous la domination de son produit.
L'organisation sociale du travail comprend deux aspects : les forces
productives et les rapports sociaux de production. Les forces productives sont
constituées de l'ensemble des moyens de production. Le
développement des forces productives est indissociable de
l'évolution de la division du travail et de la forme de la
propriété. Les rapports sociaux sont à la base des grandes
classes sociales qui forment les sociétés humaines. Ce sont des
rapports établis dans le travail entre des individus ayant des
intérêts objectivement contradictoires. Ces rapports
débouchent sur la lutte des classes. Cette dernière est
l'affrontement qui se produit entre deux classes antagoniques lorsque celles-ci
luttent pour leurs intérêts de classe.43
Selon l'analyse marxiste, la classe dominante organise la
société en protégeant du mieux possible ses
privilèges. Pour cela, elle instaure l'instrument politique de sa
domination. Elle est porteuse de l'idéologie dominante. Ces idées
dominantes imprègnent les esprits, et ainsi les exploités ont
souvent une vision du monde allant contre leurs intérêts
réels. « Ce fut Karl Marx qui découvrit le premier la loi
d'après laquelle toutes les luttes historiques, qu'elles soient
42 Cf. Karl Marx, Economie et Philosophie, Tome II, Gallimard,
Paris, 1972, p.727
43 Cf. Marta Harnecker, Les concepts élémentaires
du matérialisme historique, Contradictions Bruxelles ,1974, p184
menées sur le terrain politique, religieux,
philosophique ou dans tout autre domaine idéologique, ne sont en fait
que l'expression plus ou moins nette des luttes des classes sociales
».44 La position de l'individu dans les rapports de production
(travailleur ou exploiteur) est, selon lui, le principal élément
qui permet la définition de la classe sociale. En même temps, Marx
considère que, pour qu'il y ait véritablement une classe, il doit
y avoir une conscience de classe : la conscience d'avoir en commun une place
dans la société. La lutte de classe est fusionnée en des
luttes économique, idéologique et politique... Ces luttes peuvent
être légales ou illégales, pacifiques ou violentes. Il faut
que le terrain soit stratégiquement préparé pour
réaliser les intérêts de classe et que les masses soient
mobilisées. Toute révolution sociale résulte d'un ensemble
de facteurs objectifs et subjectifs. Ceci dit, à la situation
révolutionnaire, admet-on, doit s'ajouter un changement qualitatif.
Revenons à Lénine qui a fait un travail
intéressant sur le capitalisme moderne. Selon lui, ce dernier
établit entre les groupements capitalistes certains rapports
basés sur le partage économique du monde et, parallèlement
et conséquemment, il s'établit entre les groupements politiques,
entre les Etats, des rapports basés sur le partage territorial du monde,
sur la lutte pour les colonies, la « lutte pour les territoires
économiques »45. Les impérialistes, pour
solutionner les problèmes de leurs sociétés,
conquièrent des terres nouvelles afin de trouver de nouveaux
débouchés.
Maintenant, comment parvenir à une
société libre et égalitaire, débarrassée des
rapports de hiérarchie, des États, des frontières et de
toute forme d'aliénation ?
Dans le manifeste du parti communiste, Marx prévoit
deux grandes étapes : le socialisme naîtra du renversement
révolutionnaire de la bourgeoisie par le prolétariat ; le
communisme consacrera la fin des sociétés divisées en
classes en créant une Société sans Etat qui comblera
les
44 Cf. Engels, Préface au 18 brumaire de Louis Bonaparte,
in Marx-Engels, OEuvres choisies, tome 1, p.413
45 Cf. Lénine, l'impérialisme, Stade suprême
du capitalisme, Editions du progrès, Moscou, 1979, p.123
besoins de tous les individus.46 Donc, le
Matérialisme historique est un instrument d'analyse de la
société ou des rapports humains... Ces derniers sont des rapports
déterminés, nécessaires, définis en dehors des
individus et de leur conscience... Ce déterminisme des rapports humains
prend racine dans « les conditions matérielles de la vie ». Le
déterminisme social est donc à base matérielle, à
base économique.47
Ce paradigme nous est très utile dans le cadre de ce
travail de recherche. Il nous permet de cerner le psychisme en rapport avec les
conditions concrètes d'existence. Ceci dit, le Matérialisme
historique exige qu'on prenne en considération la manière dont
les conditions économiques, politiques, psychosociales, culturelles,
idéologiques ... interviennent pour amener un individu ou un groupe
à agir, à penser ou à percevoir de telle ou telle
manière.
46 Cf. Pierre Després & Jean-Luc Guilbert,
L'être humain, conceptions et débats, Ed. CEC Inc., Québec,
1997, p.46
47 Cf. Pierre Bréchon, les grands courants de la
sociologie, presses universitaires de Grenoble,2000, p.27
CHAPITRE IV :
AUTOUR DE QUELQUES NOTIONS
Dans ce chapitre, nous tâcherons de faire le point sur
quelques notions ayant rapport, directement ou indirectement, à notre
travail de recherche.
1- COMPORTEMENT ET CONDITIONS MATERIELLES
D'EXISTENCE
A) comportement
Carl Rogers définit le comportement comme l'effort
intentionnel de l'organisme pour satisfaire ses besoins comme il les
expérimente dans la réalité telle qu'il la
perçoit.48 L'organisme doit être ici compris comme le
lieu psychologique où se produit toute expérience. Il englobe
toutes les dimensions de la personne (physique , émotive ,
intellectuelle ...).
Le comportement serait l'ensemble des réactions ou
attitudes objectivement observables d'un être humain dans un milieu et
dans un temps donnés. Il dépend du sujet, du milieu ... Il a
toujours un sens. Retenons que le comportement est fortement influencé
par les conditions matérielles d'existence.
B) conditions matérielles d'existence
Les conditions matérielles d'existence constituent
l'ensemble des facteurs concrets déterminant l'existence, le mode de
vie... Ce sont toutes les conditions environnementales, économiques,
sociales, politiques, psychosociales, idéologiques, culturelles...
(celles de logement, de vêtements, de travail, de santé, de
nourriture, d'éducation, de loisir...) qui façonnent les
conduites des individus.
48 Cf. Jean-Louis Bergeron et all., Les aspects
humains de l'organisation, Ed. Gaëttan Morin, Québec, 1986, p.40
3- ENFANCE ET FAMILLE
a)- enfance
L'enfance est la période de la vie qui s'étend
de la naissance à l'adolescence. Généralement, on parle de
la première enfance jusqu'à 3 ans, la deuxième enfance (de
3 à 6-7 ans) et la troisième enfance qui se termine à la
puberté.
Une multitude de sciences s'intéresse à
l'enfance et à son évolution. En effet, la médecine a
apporté de nombreuses connaissances sur la croissance corporelle et
neurologique de l'enfant, sur les variations physiologiques au cours de la
croissance. La psychologie de l'enfant aborde la vie psychique de l'enfant. Les
premières applications du droit à l'enfance ont vu le jour au
XIXe siècle et concernaient le travail des enfants. La
Convention internationale des droits de l'enfant adoptée par l'ONU en
1989 a lancé un grand débat révélant deux
conceptions antagonistes de l'enfance : l'idée de protéger
l'enfance (l'enfant doit bénéficier d'une série de
créances afin de devenir un adulte responsable) ; l'idée de
libérer les enfants (l'enfant devient une personnalité
juridique). Les historiens ont établi que la notion de « l'enfance
» s'était lentement constituée à travers les
siècles depuis le Moyen Âge. La société
traditionnelle se représentait mal l'enfant. La sociologie
s'intéressait aussi à la place de l'enfant dans la famille
transformée avec l'arrivée de l'industrialisation et la migration
des campagnes vers les villes. Il y a l'ethnologie qui étudie, entre
autres, la place de l'enfant dans d'autres sociétés que celle du
modèle occidental. La place accordée à l'enfant est
variable suivant les sociétés.
Il fallait attendre le 17e siècle pour que les enfants
ne soient plus considérés comme des adultes en miniature auxquels
il manque le jugement. L'enfant est un être qui apprend et qui innove
...
L'enfant a des nécessités particulières.
Il éprouve le besoin d'être en relation avec d'autres personnes,
de recevoir de l'affection et d'en donner à autrui, de
bénéficier de soins de santé, d'eau potable, de
nourriture, de logement, de vêtements... Il a besoin de développer
un sentiment de valeur personnelle et de confiance en soi, de communiquer avec
les membres de son entourage, de s'affirmer, de s'exprimer et de
s'épanouir. L'enfant est très sensible au climat
affectif dans lequel vit la famille. Il est important que ses
besoins physiques, émotionnels, affectifs, sociaux et psychologiques
soient satisfaits. Il a droit à : la santé, une famille, une
identité, l'épanouissement, l'éducation... Il faut
toujours prévoir pour l'enfant un système de protection
adapté. Des millions d'enfants demeurent exploités, forcés
... Bon nombre d'entre eux restent dans la misère, sont rabaissés
au rang d'esclaves ou de marchandises des réseaux de
pédophilie.
D'une manière bien considérée, la notion
de l'enfance ne peut pas être définie de façon rigide. Il
ne faut pas l'appréhender en dehors du milieu, de la culture... Elle est
liée à l'âge, au sexe, à la famille, à la
culture, à l'école, à la société, au
travail... L'enfance est donc une construction sociale qu'il faut cerner
suivant l'époque et l'espace géographique. Toutefois, la
convention des Nations-Unies relatives aux droits de l'enfant considère
comme enfant tout être humain âgé de moins de 18 ans. Dans
ce rapport de recherche, nous ciblons les enfants de 9 à 15 ans en
situation de domesticité.
a.1)- enfant domestique
L'enfant domestique vit dans un foyer avec des gens qui ne
constituent pas sa famille naturelle. C'est donc une résidence
privée à laquelle il rend toutes sortes de services dans des
conditions extrêmement difficiles, sans rémunération. Il
est souvent issu d'une famille rurale, pauvre, non-scolarisée,
surpeuplée. En grande majorité, l'enfant en domesticité
est de sexe féminin. Ceci s'explique, dans une large mesure, par le
rôle joué par les femmes dans la structure familiale
haïtienne : les fillettes doivent être laborieuses comme leur
mère. L'enfant en domesticité est une force de travail et sa
participation aux travaux est souvent très loin de lui permettre
d'assurer sa subsistance. C'est de l'exploitation !
La pauvreté rurale, l'incapacité de satisfaire
les besoins fondamentaux de l'enfant dans son milieu naturel, le statut de
l'enfant dans la culture haïtienne, le cadre des relations entre villes et
campagnes, le désir d'intégration de l'enfant dans le monde
urbain pour un meilleur avenir, l'étendue de la famille paysanne...
constituent, pour une large part, les fondements de la pratique de la
domesticité des enfants en Haïti. D'un autre point de vue, ajoutons
que la plupart des enfants en domesticité se trouvent dans des familles
qui connaissent elles aussi des difficultés
économiques. Les parents, même imbus des
conditions difficiles de l'enfance en service, choisissent parfois de placer
leurs enfants vu qu'ils ne peuvent pas répondre à leurs
besoins.
Les enfants domestiques mangent de manière
irrégulière, souffrent parfois de problèmes sanitaires
très graves, sont exposés à l'agression sexuelle. Ils ne
se sentent pas du tout en sécurité. Pour la moindre erreur, ils
sont l'objet de fouets, de mépris... Ils n'ont presque pas de temps
à jouer, car trop concentrés sur les tâches à
accomplir. Ils éprouvent rarement un sentiment d'appartenance à
la famille de placement.
Nous devons rappeler que, dans le cadre de notre travail,
notre attention est portée sur la formation de perception de la maison
de placement chez les enfants en domesticité entre 9 et 15 ans dans les
communautés de Turgeau et de Martissant à Port-au-Prince.
b)- famille
Par là nous entendons la famille naturelle de
l'enfant. Elle constitue le premier milieu de l'enfant répondant
à ses premiers besoins, donnant sens à sa vie. L'enfant a besoin
d'un environnement familial propice afin d'acquérir un sentiment de
sécurité, d'apprendre par le jeu, par l'éducation... C'est
bien malheureux que, même dans sa propre famille naturelle, l'enfant se
trouve souvent victime de négligence des adultes, de violence (de
mauvais traitements, de dures punitions corporelles), d'un manque d'attention
...
Sur les 3.8 millions d'enfants de moins de 18 ans en
Haïti, 1.4 millions sont victimes de violence de tous genres en famille,
dans les communautés et dans les écoles. Beaucoup sont
associés aux groupes armés. La pauvreté pousse de
nombreuses familles à encourager leurs enfants à travailler
parfois à de très jeunes âges. Ces enfants sont
estimés 173.000 , dont au moins 150.000 sont des fillettes. Certains de
ces enfants sont placés en domesticité dans des familles en
milieu urbain, et parfois dans des familles pauvres pour travailler dans des
conditions voisines de l'esclavage.49
49 Cf. Agenda politique pour les enfants,
République d'Haiti, Février 2006
La sociologie, d'un point de vue général,
définit la famille comme un groupe social uni par les liens de
parenté ou du mariage, présent dans toutes les
sociétés humaines. C'est une institution sociale dont la forme
varie d'une culture à l'autre, d'une société à
l'autre... La famille, idéalement, sert à fournir protection,
sécurité et socialisation à ses membres...
La famille moderne diffère de ses formes
traditionnelles par sa composition, par son cycle de vie, par les rôles
dévolus aux pères et aux mères... Le
phénomène des « familles recomposées »
intéresse tant les sociologues depuis la fin du XXe
siècle. Beaucoup d'enfants ne sont donc pas élevés par
leurs géniteurs.
On voit dans la famille le principal agent capable de garantir
l'intérêt de l'enfant, le moyen d'épanouissement des
individus à travers une exigence normative en matière de
comportements éducatif, conjugal, sexuel...
Par ailleurs, pour les marxistes, la famille est un lieu
d'imposition d'un ordre. En tant que subordonnée à l'Etat
bourgeois, la famille veille à la reproduction de l'ordre établi.
Elle se trouve aliénée dans la qualité de ses liens.
La famille peut exercer une influence déterminante sur
le développement de l'enfant. Une telle influence, lorsqu'elle est
canalisée vers l'atteinte d'objectifs sains, ne peut qu'être
soutenue par la société, mais elle peut aussi être
très nuisible à l'épanouissement de l'enfant. C'est le cas
des familles qui traitent mal physiquement, sexuellement ou psychologiquement
l'enfant.50
Les mauvais traitements physiques et psychologiques, l'abus
sexuel, les négligences physique et émotionnelle, le manque
d'accord entre les parents... constituent des actes violents dans la
famille.
50 Cf. Richard Cloutier & André Renaud,
Psychologie de l'enfant, Editeur Gaetan Morin, Quebec, 1990, p.630
b.1)- famille élargie
La famille avec qui l'enfant a de lien de parenté
direct ou indirect est considérée comme élargie. Dans les
pays en développement, la famille nucléaire est
subordonnée à une famille étendue, qui comprend
également les grands-parents et d'autres membres de la parenté.
Les lois haïtiennes ou la société en général
font un grand silence sur les différentes formes de domesticité
enregistrées dans ces types de famille. Il y a, en ce sens, une forme
d'aliénation dans la pratique domestique.
Les problèmes économiques et socio-politiques
majeurs, qui affectent la famille haïtienne, ont de fortes incidences sur
le développement de l'enfant se trouvant dans des situations
difficiles.
3- MAISON DE PLACEMENT
La maison de placement signifie la famille dans laquelle
l'enfant est placé. Souvent une famille urbaine de classe sociale plus
ou moins aisée, instruite. Toutefois, ces derniers temps, les enfants
sont de plus en plus placés dans quelques familles urbaines pauvres ou
relativement pauvres qui, vivant dans des quartiers populaires, n'ont pas de
quoi se payer les services d'un domestique à gages. En effet, à
partir des années 1960 ou 1970, les élites ( en grande partie
responsables de cette pratique pour avoir accaparé toute la richesse du
pays ) ne recourent plus aux services des enfants domestiques sans,
malheureusement, même tenter d'éradiquer cette pratique.
De nombreux enfants sont confrontés de manière
continuelle pendant la totalité de leur enfance à un
environnement social ou familial traumatisant.51
51 Cf. Karen Sadlier, l'état
de stress post-traumatique chez l'enfant, PUF, Paris, 2001, p.106
4- PSYCHOLOGIE EN QUESTION
a)- psychologie
La psychologie est, en quelque sorte, le fruit de la
philosophie et de la physiologie. Les fondateurs de la psychologie «
scientifique » ont presque tous reçu une formation de philosophe,
de médecins ou de physiologiste.
L'histoire de la psychologie remonte jusqu'aux temps
lointains de questionnements philosophiques sur la nature humaine.
Dans sa vieille définition, la psychologie est
l'étude de l'âme ou de l'esprit. Dans sa définition
actuelle, elle est l'étude scientifique du comportement et des processus
mentaux. Etude scientifique implique Méthodes, techniques... Dans son
sens large, le comportement englobe non seulement les manifestations
directement observables, mais également les processus mentaux comme la
perception, les émotions... Donc, la psychologie passe de la science de
la vie mentale, de ses phénomènes et de ses conditions à
la science de la conduite. Sous ce vocable, il faut entendre, insistons-nous,
non seulement le comportement objectivement observable, mais encore l'action
sur l'entourage, l'interaction de l'organisme et de son milieu, l'action sur le
corps propre.52
La psychologie contemporaine, dit-on d'une manière
classique, s'est développée à travers quatre grandes
perspectives : biologique (ayant démontré que certaines parties
du cerveau sont directement responsables d'un grand nombre de réponses
émotionnelles, de comportements et que les hormones ou les gènes
influent sur les comportements) ; cognitive (tentative d'explication des
processus mentaux : la façon dont on perçoit et se
représente mentalement le monde extérieur) ; psychanalytique
(l'importance des motifs et des conflits inconscients dans la
52 Cf. Nobert Sillamy, dictionnaire de la
psychologie, Librairie Larousse, paris, 1965, p.234
détermination du comportement) et béhavioriste
(l'étude du comportement strictement observable, des relations entre
stimuli et réponses).
Aussi classiquement, il y a trois axes d'étude qui
structurent le psychisme humain : axe des conduites (les conduites sont
étudiées par les sciences neuropsychophysiologiques, en tant que
conduites naturelles. Selon cet axe, se sont développées
traditionnellement les études des réflexes, de la perception, de
l'émotion, du caractère) ; axe de la personnalité (les
théories de la personnalité font partie du champ des sciences
psychologiques et nous informent sur : le degré de satisfaction des
besoins personnels ; les contradictions entre les divers besoins au sein de la
société et de la vie personnelle et leurs possibilités de
satisfaction qui donnent une forme à la personnalité, favorisent
ou bloquent son développement) ; axe du sujet (l'analyse de la formation
et du développement du sujet se construisant dans le cadre
proposé par : la langue, les structures de parenté, les conflits
inconscients, la conscience de soi, du genre, de sa place dans la famille et
dans la société).
La psychologie humaine étudie chez l'être humain
les fonctions psychiques et les processus mentaux tels que la perception, la
mémoire et l'intelligence. En d'autres termes, la façon
consciente ou inconsciente dont les êtres humains sentent,
perçoivent, pensent, apprennent et connaissent... On parle aussi de la
psychologie animale s'intéressant aux autres animaux
supérieurs.
a.1)- psychologie concrète et dialectique
La psychologie concrète est en rapport avec la
réalité. Le fait psychique se rapporte au milieu dans lequel se
déroule la vie humaine et également à l'individu en tant
que sujet de cette vie. Georges Politzer a fondé, en 1929, une Revue de
Psychologie concrète. Cette revue remet en question la psychologie qui
étudie l'homme dans le cadre du laboratoire, indépendamment de
ses conditions de vie. Pour Politzer, les défenseurs de la psychologie
classique n'adaptent pas « les institutions à la
vérité », mais veulent « adapter la
vérité aux institutions ». La psychologie
concrète est un dépassement externe entre
l'opposition de la psychologie subjective et celle objective. Elle est une
synthèse dialectique qui vise un matérialisme
scientifique.53
Le comportement, dans la perspective de la psychologie
concrète et dialectique, est cerné en rapport avec les
activités intérieures de l'individu et de l'ensemble des
conditions dans lesquelles il se trouve. La psychologie concrète et
dialectique considère l'humain comme sujet, non comme un simple
organisme (un sujet intégré dans le paysage réel). Elle
étudie la formation psychique d'individus dans des contextes sociaux
donnés tout en tenant compte des contradictions sociales. L'individu est
ainsi vu comme l'ensemble des relations sociales. Cette démarche, en
fait, ne tient pas à isoler l'individu des réalités
sociales dans lesquelles se forme son psychisme. C'est une psychologie radicale
(entendons par là celle qui approche la réalité par la
racine). Elle sert à étudier plus profondément et plus
complètement possible la formation psychique ou le comportement d'un
individu. La question est située dans un cadre historique
déterminé tout en tenant compte des particularités
concrètes.
Pour Wallon, le fait psychique (de l'enfant) est au carrefour
de différentes influences : celles biologiques, celles du milieu ou de
l'expérience de l'enfant dans son milieu et les influences
sociologiques...54
La psychologie concrète et dialectique est capable de
nous permettre d'analyser les conditions dans lesquelles l'enfant prend
conscience et juge le monde bâti qui l'environne. Pour comprendre
l'individu, nous devons l'envisager dans toute sa complexité, dans ses
relations avec tout son environnement passé et présent.
53 Cf. Clara Lecadet et Micheline Mehanna, Histoire de la
psychologie, Ed. Belin, France, 2006, p.146
Belgique, 2001
54 Cf. Michael Hesselnberg, Etudiants du secteur
social. Psychologie de l'enfant et de l'adolescent, Tournai,
a.2)- psychologie de la maison
Cette branche serait une réflexion sur la
conquête sensorielle et intellectuelle de la maison. Maintenant, il
importe de souligner que la maison peut être vue comme un bâtiment
destiné à l'habitation, notamment d'une ou de plusieurs
famille(s). La maison peut également être considérée
comme : l'ensemble des membres d'une famille habitant le même logement;
l'établissement privé ou public où l'on travaille;
l'ensemble des activités relatives à la bonne marche du
foyer...
La maison se vit comme un lieu dans lequel on
pénètre. Elle nous habite autant que nous l'habitons. C'est le
territoire d'expression de soi, de son goût personnel, de son
identité... La maison serait un intérieur qui abrite tout ce qui
est intime. C'est une intimité envers soi-même et un objet de
profond attachement, comme le montrent par exemple les expériences de sa
perte (ce fut le cas chez certaines gens lors du séisme du 12 janvier
2010 en Haiti).
La maison cependant ne se limite pas à son
intériorité, son sens d'abri et sa nature d'espace de
«chez-soi». L'intérieur, comme la maison, désigne aussi
la vie familiale, le cercle des proches, un espace de relations, un lieu
d'accueil, un espace social ... Donc, la maison a une fonction sociale . Elle
sert à reproduire les valeurs dominantes de la société.
L'espace familial est la reproduction du système oppressant mondial qui
rend l'enfant mal à l'aise.
Pour l'enfant, l'espace familial est fondamental. C'est
l'espace englobé dans le vaste espace de la société. Nous
avons tous et toutes un souvenir très marquant de la maison de notre
enfance ou de notre petite enfance. L'enfant est influencé par la
qualité de l'espace social qui l'environne. Il prend possession de
l'espace comme il prend possession de lui-même. Il se sert de ses sens et
de son intelligence pour se situer par rapport aux choses qui l'entourent, pour
tenter de se représenter objectivement l'espace tout en intégrant
les points de vue des autres.
La psychologie de la maison serait un questionnement sur le
mode de perception de la maison : À quoi fait penser la maison ?
symbolise-t-elle vraiment un espace protecteur, aimable, agréable ? En
quoi peut-elle servir d'un lieu accueillant et ouvert à tous ?
A.3) psychologie de la perception
La psychologie perceptuelle porte sur des questions comme la
façon dont un animal distingue un objet parmi les milliers d'autres
objets de son environnement. Mais à un niveau de complexité plus
élevé, elle cherche à élucider comment le cerveau
traduit certaines réalités, la manière dont les
informations sont tirées de l'environnement et dont elles sont
traitées, organisées...
La psychologie de la perception est l'une des questions
clés de la psychologie cognitive s'intéressant à notre
façon de prendre des décisions, de résoudre certains
problèmes, de faire usage du langage ...
La représentation perceptive est construite par
l'interaction de plusieurs processus. Le psychisme n'est pas un reflet passif
de la réalité. Le reflet est approximatif. C'est à travers
l'évolution de la vie humaine historiquement déterminée
que ce reflet se rapproche peu à peu de la réalité
extérieure de façon plus adéquate.
A.4) psychologie de l'enfant
La psychologie de l'enfant est cette branche de la
psychologie générale s'intéressant à l'étude
psychologique du développement ou de l'évolution (physique,
intellectuel, émotionnel...) de l'enfant. Elle distingue des
périodes sensibles au cours desquelles de nouveaux caractères
sont acquis. Elle vise les besoins de l'enfant, la manière dont il
grandit et dont il se représente le monde.
En dehors de ses conséquences pratiques, la
psychologie de l'enfant possède un intérêt majeur pour la
psychologie générale... Elle permet de suivre la complication de
la perception, notamment celle qui fait de l'objet perçu un être
indépendant de la perception.55
55 Cf. Paul Cesari, Psychologie de l'enfant ,PUF,
1960, p.125
La psychologie de l'enfant étudie le
développement de l'enfant. Selon Jean Piaget, le développement de
l'enfant peut constituer soit un objet d'étude, et l'on parlera alors de
psychologie de l'enfant, soit une méthode d'étude, et l'on
parlera alors d'une psychologie génétique qui, notamment, «
cherche à expliquer les fonctions mentales par leur mode de formation,
donc par leur développement chez l'enfant ».56
A.5) psychologie politique
La psychologie politique est l'articulation de plusieurs
approches de : psychologie, sociologie, politologie, histoire, philosophie
politique, économie politique, communication sociale, anthropologie...
Elle se veut au coeur des sciences sociales et des sciences politiques. Par
ailleurs, ce serait intéressant de se poser la question de savoir si la
psychologie politique est une discipline autonome, si elle est une
sous-discipline de la psychologie, de la politologie ou si elle fait partie,
d'une manière générale, des sciences politiques.
La psychologie politique serait une réflexion
scientifique sur : les sources du pouvoir, le leadership dans les
organisations, la personnalité des hommes et femmes politiques, la
construction de la mémoire socioculturelle, les discours politiques, les
modèles économiques et politiques, la religion et la politique,
le rôle de la propagande et les mass medias dans les processus
électoraux, l'influence de la technologie dans les nouvelles formes de
pouvoir ...
A.6) psychologie sociale
La psychologie sociale est l'étude scientifique de la
façon dont les gens se perçoivent, s'influencent et entrent en
relation les uns avec les autres.57 Elle est au carrefour de la
psychologie, la sociologie, l'anthropologie culturelle et de nombreuses autres
disciplines. Le
56 Cf. Maurice Reuchlin, les Méthodes en psychologie, que
sais-je, PUF, 2004, p.4
57 Cf. David G. Myers & Luc Lamarche , Psychologie sociale ,
Editeurs McGraw-Hill , Québec , 1992, p.4
psychologue social cherche à élucider la
façon dont les groupes sociaux, les mesures institutionnelles et les
cultures influencent le comportement de l'individu. Il s'intéresse
à l'étude scientifique du comportement des individus comme
faisant partie d'un groupe, d'une société. Le comportement de
l'individu est ici envisagé dans l'espace social, influencé par
lui, mais l'individu peut réagir et transformer cet espace.
5- REPRESENTATION
La représentation est toujours représentation
d'un objet. Elle construit la réalité sociale. Elle a un
caractère symbolique, constructif, créatif. Elle a des fonctions
de cognition, d'interprétation, de symbolisation, d'orientation des
conduites... En psychologie, la représentation est une image mentale se
rapportant à une situation du monde dans lequel vit le sujet. On parle
aussi de représentation sociale.
Cette dernière est un construit de connaissances
socialement partagées qui participe à la façon de saisir
notre réalité quotidienne, les objets qui nous entourent et notre
rapport à ces deux composantes. Pour se construire, la
représentation sociale implique aussi bien l'intégration de
données collectives et culturelles que des données relevant de la
vie personnelle de l'individu et de son vécu.58
Les représentations sociales nous permettent de
communiquer, de comprendre l'autre, d'agir ensemble... Nous ne pouvons
assimiler de l'information sans une représentation préalable. Une
représentation sociale naît dans des conditions historiques et
très complexes. C'est un processus permettant de recadrer nos propres
conduites à l'intérieur des interactions sociales.
Les représentations constituent un guide pour
l'action. Leur analyse permet de prédire non pas les comportements
individuels, mais les règles de conduite collectives d'un groupe
58 Cf. Camilo Charron et all., La Psychologie
de A à Z, Dunod, Paris, 2007, p.165
d'individus.59 Tous les aspects des
représentations sociales doivent être étudiés en
articulant: éléments psychologiques, sociaux, culturels,
cognitifs, affectifs, communicationnels...
Différentes approches envisagent la façon dont
s'élaborent les représentations sociales. Dans une
première optique, l'activité cognitive du sujet est
particulièrement valorisée dans l'activité
représentative. Puis, d'un autre point de vue, le sujet est porteur de
modèles qu'il tient de son groupe d'appartenance. Une troisième
approche envisage les représentations sous l'angle du discours. La
pratique sociale de la personne est valorisée dans une quatrième
perspective et, par conséquent, la représentation du sujet
reflète les normes institutionnelles découlant des
idéologies liées à la place qu'il occupe.
L'avant-dernière approche souligne l'aspect dynamique des
représentations sociales (les interactions contribuent à la
construction des représentations). Un dernier point de vue postule que
l'individu est déterminé par les idéologies dominantes de
la société dans laquelle il évolue.
5- REPRODUCTION SOCIALE ET STRATEGIES DE SURVIE
a)- reproduction sociale
La reproduction sociale est une pratique sociale consistant
à transmettre un patrimoine en vue de maintenir une position sociale
d'une génération à l'autre. Elle a été
étudiée par Karl Marx s'intéressant
particulièrement à la reproduction du capital. Pierre Bourdieu a
également travaillé sur le phénomène de
reproduction sociale. Pour lui, le rapport de force à l'origine des
hiérarchies sociales est légitimé par le pouvoir de
violence symbolique du système d'enseignement.
La reproduction sociale se fait à travers le
développement communautaire, la culture, la communication, la famille,
le droit, l'éducation... Elle fait que chacun accepte sa position comme
le résultat de son mérite. Elle légitime les
inégalités de classe.
59 Cf. F. Askevis-Leherpeux , La Psychologie, Nathan, 2009,
p.98
Les groupes sociaux sont en conflit et emploient des
stratégies en vue d'améliorer leur positionnenment social. Chaque
groupe cherche à reproduire son capital économique, culturel et
social. Les stratégies de reproduction servent à renouveler les
positions sociales des agents. La communauté prépare à la
vie et conditionne la reproduction de la société. Cette
reproduction est celle de la domination sociale, du modèle dominant, des
valeurs dominantes. Dans la médiation néo-coloniale,
l'école et l'université occupent une place
prépondérante.
b)- stratégies de survie
Nous entendons par là les moyens utilisés par
quiconque pour assurer sa survie. Nous pouvons prendre l'exemple du paysan qui
emploie des stratégies de survie dans de très petites
propriétés ou celui de certaines fillettes en domesticité
qui sont souvent obligées d'avoir de rapports sexuels. C'est parfois une
contrainte exercée par l'adulte de la maison ou le garçon de sa
maîtresse et c'est également parfois une forme de consentement
à des rapports sexuels avec quelqu'un du voisinage en vue de l'obtention
de nourriture, d'argent ou d'autres nécessités de base. C'est le
sexe de survie. Le sexe en vue de combler, en quelque sorte, les besoins de son
existence et cela débouche, fort souvent, sur la grossesse
précoce, sur l'atteinte du VIH / Sida...
Les stratégies de survie des enfants domestiques se
manifestent à travers la mendicité, le mensonge, la fuite des
agressions des adultes, l'échange de services contre de l'argent, le
larcin à la maison sous peine de recevoir toutes sortes de coups
violents.
6- SENSATION, PERCEPTS ET PERCEPTION
a)- sensation
La tradition occidentale, depuis les philosophes grecs,
postule qu'il y a cinq sens (la vue, l'ouïe, le goût, l'odorat et le
toucher), mais la réalité est plus complexe. Par exemple, le
toucher se décompose en trois sens cutanés : sensations de
pression, de température et de douleur. Il existe aussi des sens
proprioceptifs (nous renseignant sur la position de nos membres et de notre
corps dans l'espace). Toutes les activités de notre vie quotidienne
reposent sur la participation interactive de nos différents sens. De
même la plupart des objets et des événements de notre
environnement nécessitent, pour être
perçus, la mobilisation de plusieurs de nos modalités
sensorielles. La sensation est l'instance physiologique. C'est tout ce que nous
éprouvons en réponse à l'information qui nous parvient par
l'intermédiaire de nos organes sensoriels. C'est la stimulation des
récepteurs sensoriels. C'est la transmission de l'information
sensorielle au système nerveux.
La sensation est attachée à d'autres modes de
connaissances tels la perception, l'expérience, la conscience. Elle ne
doit pas être détachée de la représentation ou de
l'interprétation.
B) percepts
Les percepts eux-mêmes, produits de l'expérience
passée, s'organisent à leur tour, augmentant ainsi la
précision et la vitesse de la perception de l'individu.
Ils constituent l'instance psychologique. Nous devons
souligner que la perception ne consiste pas simplement à organiser les
stimuli sensoriels directs en percepts.
C) perception
La perception renvoie à l'objet saisi par les sens ou
par l'opération mentale. Il y a la perception visuelle, auditive,
olfactive, tactile, gustative... On parle également de perception
temporelle, de perception de l'espace... La perception relie l'action de
l'individu aux mondes par l'intermédiaire des sens et des
idéologies individuelles ou collectives. C'est donc les significations
que nous donnons à nos sensations ou l'organisation des informations
parvenant de nos sens par notre cerveau. Ceci dit, le mot perception peut
désigner à la fois la capacité sensitive, le processus de
traitement de l'information sensorielle et la prise de conscience qui en
découle. Ce processus psychologique permet d'élaborer les
sensations en une représentation de l'univers. La manière dont
nous percevons telle chose dans tel contexte n'est pas nécessairement la
même à un autre moment donné. Egalement, nous apprenons
à percevoir comme on perçoit autour de nous.
La perception joue un grand rôle dans
l'évolution intellectuelle de l'enfant. Elle relève d'un certain
aspect de la connaissance du réel. Certains facteurs sont
déterminants dans la perception: ceux externes (relatifs à
l'objet perçu : mouvement, intensité, répétition,
dimension...) et internes (relatifs à celui qui perçoit :
attentes, motivations, sentiments, influences culturelles...). Soulignons que,
dans l'usage classique, la perception a pour fonction de prise d'information
des événements du milieu extérieur ou intérieur par
la voie des mécanismes sensoriels. Pour Henri Piéron, la
perception est une prise de connaissance sensorielle d'objets ou
d'événements extérieurs qui ont donné naissance
à des situations plus ou moins nombreuses et complexes. Piaget voit dans
la perception la connaissance que nous prenons des objets, ou de leurs
mouvements, par contact direct et actuel.60 A. Moles voit dans la
perception une construction d'images reconnaissables à partir d'un
ensemble d'éléments correctement reçus
séparément.
Pour Fisher, la perception est un processus interactif qui
fournit à la fois des informations et des sensations sur un espace. Les
psychologues sociaux parlent de perception sociale: un processus a l'oeuvre
dans la perception et le jugement d'autrui, individuels ou collectifs. En
d'autres termes, c'est la représentation (l'image ou l'impression) que
l'on se fait des gens et de leur environnement social et c'est aussi le
jugement que l'on porte sur eux.61
c.1)- perception de l'espace
Pendant des milliers d'années, on a
considéré que l'espace avait trois dimensions. Cerné par
les règles de la géométrie euclidienne, ce type d'espace
correspond à notre perception quotidienne de la distance et du volume.
Les investigations modernes ont montré que l'espace et le temps font
partie du même continuum, l'espace-temps, ou continuum
spatio-temporel.
60 Cf. Jean Piaget, Psychologie de
l'intelligence, Armand Colin, Paris, 1998, p.75
61 Cf. Encyclopedia Universel, vol17, p.883
La perception de l'espace désigne les processus
sensoriels et autres permettant de repérer un objet dans l'espace.
L'espace vécu se construit psychosocialement et fait l'objet d'un
apprentissage. C'est le lieu de la coexistence d'un ensemble de relations
sociales. L'organisation de l'espace contraint à un type de mode de vie.
L'espace est une réalité psychosociale vivante . L'enfant le vit
avant de le percevoir, de le représenter. Le besoin d'intimité de
l'enfant se traduit par un besoin d'espace. L'enfant a besoin des espaces
d'intimité autant qu'il a besoin des espaces de vie commune au sein de
l'espace familial.
c.2)- perception de la maison
Quelle est la signification de la maison aux yeux des enfants
? La maison sert-elle à protéger, à établir des
relations, à éveiller le sens civique ? La maison
symbolise-t-elle le repos, le confort, la liberté, l'hospitalité,
l'attachement au chez soi ?
La maison est à la fois espace physique, familial,
social, culturel, historique, psychologique, spirituel ou religieux... La
maison comme espace familial ou social loge l'affirmation du sujet. La maison a
le sens du secret. C'est un espace à la fois intérieur et ouvert
au monde.
La signification de la maison aux yeux de l'enfant varie
suivant l'âge, le milieu social, le sexe, l'influence des autres, les
conditions du logement... Cependant, tout enfant a besoin de
sécurité, de chaleur, d'intimité, de se rassembler en
famille ou entre amis, de participer à des jeux collectifs...
7- STIMULUS ET REACTION
a)- stimulus
Le stimulus constitue l'instance physique. C'est toute forme
d'énergie à laquelle nous pouvons réagir. En d'autres
termes, le stimulus est un facteur qui provoque une réaction, une
conduite spécifique, une réponse de l'organisme.
b)- réaction
De manière très succincte, la réaction
est un acte en réponse à un stimulus, un agent ou une situation.
La réaction peut être une activité réflexe,
volontaire... et la réponse peut être physiologique ou
psychologique.
TROISIEME PARTIE :
PRESENTATION DE LA METHODE
ET
DE LA RECHERCHE DE TERRAIN
TROISIEME PARTIE
C?est la dernière partie de notre travail. Elle
englobe, comme les parties antécédentes, deux chapitres. Le
chapitre V fait une présentation de la Méthode et de quelques
techniques de recherche utilisées. Le chapitre VI comporte quelques
données recueillies sur le terrain et leurs interprétations.
CHAPITRE V :
DEMARCHE METHODOLOGIQUE
Ce chapitre est une présentation de la Méthode
et de quelques techniques de recherche utilisées dans le cadre de ce
travail. Nous en profiterons pour décrire la zone et la population
d'enquête. Notons, par ailleurs, que notre démarche est
qualitative tout en prenant en compte les instruments quantitatifs
1- CHOIX METHODOLOGIQUE : MATERIALISME DIALECTIQUE
Le Matérialisme a traversé trois grandes
périodes : le Matérialisme de l'Antiquité (théorie
des atomes), le Matérialisme du 18e siècle
(mécaniste et métaphysique) et le Matérialisme
dialectique. Ce dernier affirme que la nature est occupée par ce
processus dialectique de contradictions et de dépassement et que c'est
à partir de là que l'on peut étudier la dialectique de
l'Histoire et de la pensée.
À l'époque antique, la dialectique était
surtout une méthode d'argumentation visant à destabiliser
l'adversaire en faisant danser les mots. Chez Platon, par exemple, la
dialectique était un processus de pensée par lequel on
remédiait aux différends idéologiques dans un dialogue ou
un monologue. La réflexion sur la dialectique franchit une étape
importante avec Hégel. Pour ce dernier, la dialectique est le processus
par lequel toute chose dans le monde se développe. C'est le
développement des idées logiques qui crée le monde.
Hégel met au point la logique dialectique comme élargissement de
la logique formelle. Le terme de la dialectique est ici l'Esprit. C'est
l'esprit qui influence la matière, c'est à dire le monde
réel. Marx prend le contre-pied de cette position. C'est le monde
réel qui influence la vie et l'esprit. Ces derniers sont des parties
inaliénables du monde réel. C'est par l'étude du monde
réel que la logique du monde se découvre. Il faut donc
considérer les idées de l'esprit comme les reflets plus ou moins
abstraits des processus réels. Ceci dit, à l'idéalisme de
la dialectique hégélienne, Marx oppose le Matérialisme
dialectique conçu comme moyen de transformer le monde.
La Méthode dialectique appréhende les choses
essentiellement dans leur naissance, leur enchaînement et leur fin. Elle
est une méthode d'investigation rigoureuse. Toutefois, elle ne sert pas
à découvrir des vérités éternelles, car les
choses ne sont pas en repos. Marx et Engels utilisent la Méthode
dialectique comme Méthode générale de pensée
philosophique, puis comme Méthode scientifique.
Cette Méthode a plusieurs champs d'application : la
Nature, l'Histoire et la Pensée... Elle repose sur certaines lois : la
loi du changement brusque de la quantité en qualité et vice versa
( il y a toujours interaction entre une nouvelle qualité et les
changements quantitatifs ) ; la loi de la compénétration des
opposés ( la contradiction est une condition de l'existence de la
matière ) ; la loi de la négation de la négation ( il y a
ici à la fois négation, conservation sous-entendant
dépassement ). Le principe fondamental de la Méthode dialectique
est l'unité de la théorie et de la pratique.62
La Méthode dialectique est fondamentale dans le cadre
de notre recherche. Elle nous permettra d'avoir les informations sur les
contradictions matérielles qui marquent l'existence ou la survie des
enfants en domesticité et qui, du même coup, forment leur
perception de la maison de placement. Elle offre les possibilités de
transformation de cette structure sociale qui engendre le
phénomène des enfants en domesticité.
2- TECHNIQUES DE RECHERCHE
Selon les principes liés à la Méthode
dialectique, nous ne devons pas nier la dimension empirique de notre objet
d'étude. Ainsi, nous mobilisons des techniques d'entretien semi-directif
avec les enfants, d'entretien non-directif avec les experts dans le domaine et
quelques adultes concernés en vue de collecter des données
suffisantes. Nous procédons donc à l'analyse de contenu.
62 Cf. MAO TSE-TOUNG, Reformons notre
étude, Ed. en langues étrangères, Pékin,1967,
p.5
Des observations sont également utilisées au
cours de la réalisation de l'entretien avec les enfants afin d'enrichir
les réponses fournies. Elles nous permettent de prendre possession du
milieu concret de vie de ces enfants. Toutefois, nous ne quantifions pas les
données recueillies.
3. ECHANTILLONAGE
D'abord, rappelons que notre travail de recherche vise la
population des enfants en domesticité. Notre échantillon de choix
est : 20 enfants en domesticité entre 9 et 15 ans (10 enfants de sexe
masculin et 10 autres de sexe féminin).
Puis, nous avons également pour sujet : deux anciens
enfants domestiques (1 de sexe féminin et l'autre, masculin), deux
enfants non domestiques (1 de sexe féminin et l'autre, masculin), deux
parents naturels d'enfants en domesticité (1 père et 1
mère) et deux autres familles de placement.
À souligner que des informations utiles sont
également recueillies auprès de cinq jeunes qui travaillent dans
la protection de l'enfance et deux experts dans le domaine de psychologie.
4. SEQUENCE DES ACTIVITES DE TERRAIN
Nos activités de terrain sont divisées en deux
séquences, réparties en plusieurs stades pendant trois mois
(février, mars et avril 2011) :
a)- Séquence I : Observations et entretiens
Stade 1 : Observations
- générales
- spécifiques
Stade 2 : Entretiens
- les enfants en domesticité
- les anciens enfants domestiques
- les enfants non domestiques
- les familles naturelles
- les familles de placement
- les experts et autres
b)- Séquence II : Choix des mots et techniques de
dessin Stade 1 : Choix des mots appropriés à
l'appellation de la maison
[ Nous faisons participer à un jeu de choix des mots
appropriés à l'appellation de la maison tous les enfants en
situation de domesticité et ceux non domestiques constituant notre
échantillon. Il est question de choisir tous les mots (joie,
hospitalité, sécurité, confort, repos, souffrance,
fatigue, travail, violence, affection, amour...) conformes à la
représentation de l'espace familial ou de la maison de placement ].
Stade 2 : Techniques de dessin
- dessins libres (Chaque enfant dessine ce qu'il veut, c'est le
dessin libre)
- dessins à thème (Nous demandons aux enfants de
dessiner leur rêve, leur famille naturelle ou leur famille de
placement... Ce que les enfants disent à propos de leur dessin,
l'ensemble de l'expression et de leur comportement seront beaucoup plus
importants pour nous).
5- ZONES D'ENQUETE
L'enquête se déroule d'abord à P-au-P dans
deux communautés : Turgeau et Martissant. Rappelons que
Port-au-Prince, en 1749, fut retenu comme capitale des Iles sous le vent pour
des raisons militaires, administratives et économiques.63
Durant presque toute la période esclavagiste,
c'était une ville prospère pour les colons en dépit de
nombreuses catastrophes naturelles (cyclones, tremblements de terre...) et de
guerres. Sous la première occupation états-unienne, toutes les
activités (économiques, culturelles, administratives...)
étaient centralisées à P-au-P. Ce qui débouche sur
une ville dégradée, densifiée... Des zones d'habitat
très fragiles (avec des constructions anarchiques) se
prolifèrent. Le dernier séisme du 12 janvier 2010 a
dévasté la capitale et quelques autres villes de province.
Tous les ministères du pays y sont logés. Il y
existe une forte concentration des écoles privées ou publiques,
des universités, des établissements sanitaires, administratifs,
commerciaux et économiques du pays. Environ une cinquantaine de partis
politiques et un nombre élevé des stations de radio et de
télévision se trouvent à P-au-P.
Port-au-Prince a trois sections communales : Martissant, Morne
de l'hôpital et Turgeau. À Martissant 23, nous travaillons sur dix
enfants en domesticité et une famille de placement; et au bas de
Turgeau, sur dix autres cas d'enfants en domesticité et une famille de
placement.
Puis, notre collaboration, pendant des mois, dans le domaine
de la protection de l'enfance avec une institution internationale, nous permet
d'enrichir notre connaissance sur la problématique de la
domesticité des enfants en Haïti.64
63 Cf. Prophète Joseph, Dictionnaire
historique et géographique des communes d'Haiti, Editions Konbit,
Canada, 2008, p.170
64 Cf. Les entretiens que nous avons eus
n'entraient pas dans le cadre de notre accord avec cette institution
internationale bien qu'on ait profité de cette opportunité
d'emploi dans le domaine de la protection de l'enfance en vue d'enrichir notre
rapport de recherche académique. De ce fait, on n'est pas
autorisé à citer le nom de l'institution.
En effet, nous en avons profité pour collecter des
informations utiles à Jérémie auprès de deux
familles naturelles, à Maniche auprès de deux enfants non
domestiques, à Petit-Goâve auprès de deux anciens enfants
domestiques et, enfin, à Gros-Morne auprès de quelques jeunes et
leaders communautaires travaillant dans le domaine de la protection de
l'enfance.
Parlons un peu de ces quelques villes de province. D'abord, la
ville de Jérémie. Chef-lieu du département de Grand-Anse,
elle est fondée en 1760, ayant un quartier et neuf sections communales.
La ville et deux de ses sections communales sont côtières. Seule
la ville est électrifiée. Quant à la ville de Maniche,
elle fut élevée au rang de commune en 1979. Située dans le
département du Sud, cette commune n'a presque pas de
représentants des ministères de la santé publique et de la
population, de l'éducation nationale et de la formation professionnelle.
Pas d'électricité, ni journaux, ni stations de
télévision ou de radio. Presque pas non plus d'infrastructures
économiques, financières. Une commune sans bibliothèque,
sans musée, sans salle de cinéma. Puis, il y a Petit-Goâve,
connu également sous le nom de la cité Soulouquoise. C'est une
ville fondée en 1625. Petit-Goâve fut élevé au rang
de commune en 1663. Il y existe douze sections communales. Cette commune n'est
pas du tout bien équipée au niveau des infrastructures
économiques et financières. Le tremblement de terre du 12 janvier
2010 a aussi causé des dégâts énormes à cette
ville. Enfin, la commune de Gros-Morne. Autrefois appelée cité de
Poltron, cette commune possède huit sections communales. Gros-Morne n'a
presque pas d'infrastructures sanitaires, culturelles...
CHAPITRE VI
CADRE EMPIRIQUE
C'est le dernier chapitre du travail. Nous ferons, dans les
lignes qui suivent, la présentation de quelques données
recueillies sur le terrain. Puis, nous procéderons à des
analyses.
1- RECHERCHE DE TERRAIN ETUDE DE
CAS
L'individu est un être pluridimensionnel. Il faut le
comprendre comme une réalité vivante. L'enfant en service comme
tout individu ne doit pas être séparé de son histoire, de
la situation de sa communauté ou de sa famille, de ses
représentations du monde social qui l'entoure... Nous allons, à
partir d'étude de cas, laisser l'enfant en domesticité parler de
son histoire et, du même coup, tenter de comprendre en quoi la formation
de sa perception de la maison de placement est liée à ses
conditions concrètes d'existence.
Nous présenterons ici l'histoire de quatre enfants
domestiques (2 filles au bas de Turgeau et 2 garçons à Martissant
23). Cela suffit à faire ressortir une compréhension globale de
notre objet d'étude, car la réalité des autres cas
rencontrés n'est pas trop différente de celle des autres que nous
choisissons de faire connaitre. À noter que, par souci d'anonymat, les
prénoms des sujets ont été modifiés.
a) - Cas # 1
Je suis Natacha, née à Jérémie en
2001 dans une famille paysanne de sept enfants : trois (3) garçons et
quatre (4) filles. Je suis la troisième de la famille. Ma mère,
en proie à des difficultés économiques, a
décidé de m'envoyer en 2009 à P-au-P en compagnie d'une
amie de sa voisine. Je vis dans cette maison à Turgeau depuis. C'est moi
qui prends en charge tous les travaux domestiques, fais le marché,
prépare la nourriture, cherche de l'eau, lave les vêtements,
baigne les autres enfants de la maison, les emmène
à l'école... Moi, je ne suis plus à l'école et
j'étais arrivée à la deuxième année
fondamentale.
À la maison, je n'ai pas le droit de m'impliquer dans
les conversations des autres. Quand les autres enfants regardent la
télévision, j'ai toujours des travaux à faire. Souvent,
les gens m'offensent gravement et ils ne me donnent jamais raison. Cela me fait
honte lorsque même les autres enfants de la maison me traitent de
restavèk'' et se moquent de mes vêtements
troués.
La tristesse, les pleurs et les souffrances m'accompagnent
presque chaque jour à cette maison de placement, mais il y a, dans peu
de cas, des moments de réjouissance. C'est ainsi la vie !
Je n'aime pas les conditions dans lesquelles je vis (cette
maison de placement est comme un enfer pour moi), mais je suis obligée,
car mes parents n'ont pas les moyens pour prendre soin de moi et des autres
enfants. Nous sommes trois dans la famille placés en domesticité
à P-au-P. Mon rêve, c'est d'arriver à aider ma famille,
à exercer une profession. Jamais je ne souhaiterai que mes enfants, si
j'en aurai, mènent une vie pareille.
b)- Cas # 2
Je suis Valérie, née à Gros-Morne en
1997. J'ai deux soeurs et deux frères. Ma mère est morte deux ans
après ma naissance. Mon papa est cultivateur. C'est une tante qui nous a
élevés. En 2005, pendant la période du carnaval, une
cousine de ma mère m'a conduite à Turgeau. Mon grand-frère
était déjà là-bas chez un ami de mon
père.
Je vais à l'école du soir, car je dois m'occuper
pendant la journée des tâches domestiques. À la maison, je
suis responsable de tous les objets perdus. On me torture. Mon frère a
quitté la maison dans laquelle on l'a placé parce qu'il ne
pouvait pas accepter les maltraitances. Ainsi, il est devenu un enfant de la
rue. Un jour, je l'ai croisé, il m'a donné quelques sous et il
m'a expliqué que non seulement on le maltraitait là où il
était, mais également on le forçait à mendier dans
les rues pour apporter de l'argent à la maison.
Je n'ai pas du temps pour m'amuser. Je suis très
soumise : j'obéis à tous les ordres. À plusieurs reprises,
on a abusé de mon innocence. Je n'ai pas d'autres choix, car c'est ainsi
que je peux assurer ma survie. Je n'ai aucune fierté d'être une
fille domestique. À l'école, les autres enfants critiquent mes
chaussures, mes vêtements...
Souvent, je me demande pourquoi Dieu m'a créée,
mais je n'ai jamais eu la moindre idée de me suicider. J'aspire à
être médecin et avoir des enfants qui ne connaîtront pas
toutes ces difficultés.
c)- Cas # 3
Je suis Joseph, né à Maniche en 1999 dans une
famille de huit enfants. J'ai laissé Maniche en 2008 en compagnie d'un
jeune homme pour venir vivre à P-au-P. Ce jeune homme a fait savoir
à mes parents qu'il y a beaucoup plus d'avenir pour un enfant
élevé dans la capitale que dans un milieu paysan. Mon papa lui a
donné 500 gourdes pour assurer les frais de voyage. Arrivé dans
la capitale, j'étais d'abord placé dans une famille à
Cité soleil qui m'a expulsé pour avoir été trop
rebelle. Puis, le jeune homme m'a mis chez quelqu'un à Martissant.
J'ai compris bien vite qu'il faut être obéissant
et tout accepter quand on est placé chez une personne inconnue. Chaque
matin, je me lève de très tôt afin de me rendre disponible
pour tous les services réclamés par quiconque. Après, je
dois aller au marché avec la dame afin de l'aider à vendre ses
produits comestibles. Je n'ai pas du temps pour aller à l'école.
Il me faut attendre que tout le monde dorme avant de me coucher par terre dans
un petit coin. Parfois, je meurs de faim, mais je ne peux m'en plaindre.
Je ne me sens pas du tout bien dans cette maison de placement.
Un jour, pendant le mois de décembre, on m'a emmené voir ma
famille et je disais à ma mère : mon plus beau cadeau de
Noël serait de me retirer de cette maison de placement. Elle m'a
répondu ainsi : « c'est une chance que tu as parmi ses autres
enfants de vivre à la capitale qui peut, dans bien des cas, t'offrir de
meilleurs possibilités ».
Je me résigne et je fais montre de docilité afin
de jouir d'une meilleure considération dans cette maison de placement.
Je souhaite être un jour capable de répondre aux différents
besoins de mes parents.
d)- Cas #4
Je suis Jérôme, né à la
dixième section communale de Petit-Goâve en 1998. Mon père
est mort. Ma mère se débrouillait toute seule avec quatre
enfants. Elle avait l'habitude de venir acheter à P-au-P à
meilleur prix pour revendre. C'est moi qui l'accompagnait toujours. Un jour,
une commerçante, qui était son amie, lui a demandé de me
laisser vivre avec elle parce qu'elle me trouvait très intelligent.
Depuis, mon destin se déroule ici dans ce quartier de Martissant.
Je suis devenu son esclave, l'esclave de sa maison. C'est ma
force de travail qui l'intéressait quand elle disait à ma
mère que je suis très intelligent. Cette maison est pour moi,
dans une certaine mesure, un espace de dur labeur. Je ne me sens pas du tout
bien traité, bien considéré. Toutefois, c'est une chance
pour moi de pouvoir aller à l'école. Parfois, je passe toute une
journée à trimer sans donner le signe de la moindre fatigue.
Paradoxalement, je ne compte pas retourner vivre avec ma mère, car ici
je regarde la Télévision et j'ai beaucoup d'amis avec qui je
discute des parties de foot-ball. Ces amis allègent certaines
souffrances que j'endure dans la capitale.
Je veux devenir ingénieur et c'est pour cela que je
fais des efforts. Ainsi, ma mère, mes frères et soeurs auront un
autre sort. Jamais je ne souhaiterai voir en domesticité un enfant
à qui j'aurai donné naissance.
2- ANALYSES
A) - À PROPOS DES ENFANTS EN DOMESTICITE
A.1) - profil social
Généralement issu de famille rurale pauvre et
analphabète, l'enfant en domesticité est placé à
tout âge et est en grande majorité de sexe féminin. C'est
un enfant dépourvu en quelque sorte de ce qui est fondamental à
l'être humain.
Nous avons rencontré un cas d'une famille à
Jérémie ayant choisi de se séparer de son enfant pour le
protéger contre les maléfices. Le retrait de l'enfant de sa
famille naturelle provoque de nombreuses difficultés trop souvent
insurmontables : angoisses d'abandon, sentiment de rejet, stress
insécurisant...
- a.2) caractéristiques individuelles et
comportementales
Les enfants en domesticité ayant constitué notre
échantillon ont de grandes ambitions et poursuivent parfois des
objectifs très nobles. Ils ont un certain sentiment d'efficacité
personnelle. Parfois, ils croient pouvoir réussir certaines tâches
même très dures. Par ailleurs, ils font montre de faible estime de
soi, de sentiment d'inquiétude ou de rejet par la famille de placement
(parfois toute la communauté), ce qui les pousse à accepter le
tort même quand ils ont raison. Par stratégie de survie, ils
développent un sens de compromis ou se mettent à l'écart
pour éviter d'être réprimandés.
A.3) - quotidien de l'enfant en domesticité
L'enfant en domesticité, c'est l'enfant vivant et
travaillant dans un foyer qui n'est pas celui de ses parents. Les enfants
domestiques présentent des nuances très importantes selon leur
lieu de placement. Toutefois, l'enfant placé travaille
généralement à la longueur d'une journée, accomplit
des corvées ménagères (nettoyage, lessive,
préparation des repas, garde des enfants...)
ou toute autre tâche requise par les parents d'accueil,
assure la vente dans le petit commerce de la famille de placement, accompagne
les enfants à l'école, s'occupe des animaux domestiques...
L'enfant en service fait face à de nombreux
problèmes : difficultés nutritionnelles, sanitaires et
éducatives, rapports sexuels précoces, discrimination... On le
voit souvent mal coiffé, habillé de vêtements en loques,
pieds nus, traits émaciés...
Il subit un traitement différent des autres enfants de
la maison : violences physique, verbale et psychologique... Il est privé
des services essentiels à son développement et à sa
survie. Il y en a même qui arrivent à laisser cette
cellule familiale d'enfer'' en vue de reconnaitre les rues comme un
milieu de vie (c'est le cas du frère de Valérie que nous avons
interrogée à Turgeau).
A.4) - l'enfant en service et le jeu
Le jeu est pour l'enfant en service aussi essentiel que la
nourriture et le sommeil.65 Il constitue un instrument de conception
de la réalité des choses. À travers le jeu, l'enfant
développe son agilité, l'habilité de ses mains, son sens
de l'équilibre, son caractère.
L'enfant en service est, dans de nombreux cas
rencontrés, bousculé par le travail domestique et, par la
même occasion, privé de cette opportunité ludique. Aussi
devient-il un enfant sans enfance.
-a.5) perception des enfants domestiques de la
domesticité
Notre recherche de terrain nous laisse comprendre que la
perception des enfants en service de la domesticité varie suivant le
milieu, l'âge, le contexte... Pour certains, c'est une option entre deux
possibilités critiques : vivre dans la misère chez soi (dans le
milieu paysan) ou accepter les maltraitances chez l'autre (dans le milieu
urbain) tout en caressant le rêve de
65 Cf. Georges Mesmin , L'enfant ,
l'architecture et l'espace , Ed. Casterman , Belgique , 1971 , p.157
mobilité individuelle. Cette catégorie d'enfants
en service ne considèrent pas leur situation de manière
totalement négative. Pour d'autres, l'enfant placé en
domesticité n'est l'objet d'aucun élément positif
supplémentaire. Le meilleur espace pour l'épanouissement d'un
enfant n'est autre que celui de sa famille naturelle. C'est là qu'on se
sent plus à l'aise. Cependant, nous devons souligner qu'il existe
certains enfants qui sont maltraités même dans leur famille
naturelle.
Les situations concrètes d'existence influent sur le
mode de perception. Ainsi, chaque enfant en service a une perception un peu
différente de la domesticité.
Toutefois, ce qui a constitué le dénominateur
commun de notre enquête, c'est qu'aucun enfant en domesticité
interrogé ne souhaite voir son propre enfant, s'il en aura, en situation
de domesticité.
a.6) - enfant en domesticité et sa perception de
la maison de placement
L'enfant en domesticité est considéré au
plus bas de l'échelle familiale en dépit des services rendus dans
des conditions extrêmement difficiles. Il mange de manière
irrégulière et n'a presque pas de temps au repos.
À la maison de placement, il fait face aux mauvais
traitements physiques et psychologiques, aux abus sexuels, aux
négligences physique et émotionnelle...
Généralement, la maison d'accueil devient à ses yeux un
lieu d'imposition de l'ordre où il se sent mal à l'aise,
privé de toutes formes de sécurité.
Les enfants, que nous avons abordés dans le cadre de
cette étude, éprouvent rarement un sentiment d'appartenance,
d'aisance, de liberté, de confortabilité, d'hospitalité,
d'attachement, de familiarité ou de relations à cette nouvelle
famille qui les accueille.
Les situations de logement, de vêtements, de
santé, de nourriture, de loisir ... ou les conditions concrètes
d'existence forment la perception de l'enfant en domesticité de la
maison de placement.
a.7) - enfant en domesticité : un dessinateur
de ses conditions matérielles d'existence
Nous avons demandé aux enfants domestiques soumis
à notre enquête de dessiner la famille ou la maison de placement.
Nous avons pu constater que les conditions concrètes d'existence
influent beaucoup sur la représentation graphique de ces enfants. Les
dessins produits présentent une maison peu accueillante, très
repoussante. Nous y ressentons les différences de traitement, le manque
de sonorité affective. Ceci dit, la maison ne signifie pas toujours
refuge, chaleur familiale, objet d'amour, nid affectionné...
Ces mêmes enfants ont eu également la
possibilité de dessiner tout ce qu'ils veulent. Ce qui nous a permis de
comprendre que le dessin libre est un mode d'expression très efficace
où se dessinent les aspirations de l'enfant, ses états
d'âme, ses impulsions profondes, ses sentiments les plus
enracinés, ses désirs voilés...
La couleur choisie pour dessiner a une signification
psychologique très profonde. La personnalité de l'enfant
s'exprime à travers le choix de couleur, l'objet décrit...
L'absence de couleur dans certains dessins dénote un grand vide chez
l'enfant.
L'interprétation des couleurs dépend de
l'âge de l'enfant, des traditions du milieu. La couleur, suivant la
culture, peut exprimer la joie, la tristesse, le courage, l'énergie, le
conflit, le sentiment d'infériorité ou de
supériorité... Le dessin constitue le mode
privilégié de connaissance de l'enfant.66
Le dessin de l'enfant est en relation permanente avec son
développement psychologique. Il nous renseigne beaucoup sur les
représentations de l'enfant et son rapport au monde extérieur.
L'enfant dessine ce qui est significatif pour lui.
66 Cf. Alain Rideau, Comment connaitre son
enfant, Ed. Marabout, Paris, 1975, p. 197
Le dessin est donc un acte de connaissance, d'identification,
de communication, de désignation et d'appropriation, d'affirmation de
l'existence ou d'auto-évaluation par rapport à la
société. Il est aveu de soi-même aussi bien que de
systèmes de figuration reçus et
répétés.67
).68
L'enfant dessine tout ce qui est en rapport avec son
vécu. Dans le dessin, il y a le désir de raconter, de connaitre,
d'interroger le milieu social et culturel dans lequel il vit. À travers
les dessins, on a pu déceler l'angoisse de ces enfants placés en
domesticité, leur peur face à un système répressif,
autoritaire et inégalitaire. Les dessins des enfants peuvent s'examiner
sous de nombreux aspects (évolutif, projectif, narratif, artistique,
cognitif...
Le dessin n'est pas un moyen d'appréciation en soi. Ce
qui est important, c'est autant et plus ce que l'enfant dit à propos de
son dessin, les associations qu'il donne, et la situation du dessin dans
l'ensemble de l'expression et du comportement.69
a.8) - enfant en domesticité : un agent de la
reproduction sociale
Dans son milieu de placement, l'enfant en domesticité
reproduit sa capacité laborieuse pour survivre. Les conditions
matérielles d'existence définissent ses rapports avec son
environnement social, ses pratiques quotidiennes, son mode de perception de la
maison de placement et orientent ses comportements. L'enfant en service a de
grandes aspirations. Prenons l'exemple de Jérôme, le dernier cas
présenté dans ce rapport de recherche, qui nous a confié
son rêve de devenir ingénieur. Il aspire à se faire une
place de prestige dans la société.
67 Cf. Jean Rudel, Technique du dessin, PUF,
Paris, 1979, p. 4
68 Cf. Anna Oliverio Ferraris, Les
dessins d'enfants et leur signification, Nouvelles éditions Marabout,
1980,
Belgique, p. 60
69 Cf. J. CHAZAUD, Précis de psychologie
de l'enfant, Dunod, 2007, p. 58
Avec les efforts consentis par certaines institutions dans le
pays, quelques enfants en domesticité jouissent d'une certaine
mobilité individuelle. Mais, cela n'a rien changé au niveau
global des conditions de vie socio-économique de la classe
exploitée, notamment la catégorie d'enfants placés en
domesticité. Chose encore grave : ce petit nombre d'enfants domestiques,
qui deviennent des professionnels, professeurs, ouvriers, universitaires...,
sont souvent conditionnés à rejoindre les rangs des
dominés et leurs actes servent, dans bien des cas, la cause de la classe
favorisée. Donc, ces cas isolés ne doivent pas passer pour des
changements collectifs. Le phénomène de la domesticité des
enfants s'ancre encore dans la société.
B) - AU SUJET DE LA FAMILLE NATURELLE b.1) -
profil social
Les cas des enfants en domesticité, que nous avons
étudiés, proviennent, en grande quantité, du milieu rural,
d'une famille pauvre, analphabète...Ce n'est pas par hasard !En effet,
la paysannerie haïtienne a toujours été sous contrôle
: d'abord des colons, des grands propriétaires et des prêtres,
puis de petits bourgeois politiciens, et enfin des fonctionnaires locaux de la
communauté internationale...
Dans le milieu rural, les gens ont souvent beaucoup d'enfants.
La procréation est valorisée : l'enfant est vu comme une
richesse, un don divin. Ils se mettent à croître et à
multiplier la terre.
Donc, la pratique de la domesticité a des fondements
sociaux, économiques, politiques et culturels : la pauvreté
endémique dans le milieu rural, les facteurs démographique et
migratoire ou le désir d'intégrer l'enfant dans le milieu urbain
pour un meilleur avenir, la problématique de l'accès à des
services de base dans le milieu paysan, les carences de mesures
institutionnelles...
Les parents que nous avons interrogés sont un peu
conscients de la forte probabilité pour que leurs enfants respectifs
placés en domesticité soient abusés, mais ils se plaignent
de leurs
b.2) - mode de perception sur la
domesticité
difficultés économiques et du manque
d'opportunités qui existent pour un enfant élevé dans les
régions rurales. Par conséquent, ils se résignent.
Joseph, le 3e cas présenté, nous a
raconté qu'il a été voir sa mère pendant le mois de
décembre. Il en a profité pour dire à sa mère que
son plus beau cadeau de Noël serait de le retirer de cette maison de
placement. Et la mère a ainsi répondu : « c'est une chance
que tu as parmi ses autres enfants de vivre à la capitale qui peut, dans
bien des cas, t'offrir de meilleurs possibilités ».
C)- AUTOUR DE LA FAMILLE DE PLACEMENT c.1) -
profil social
La famille de placement est généralement
urbaine, plus ou moins fortunée ou instruite par rapport à la
famille naturelle de l'enfant en domesticité. Souvent, cette famille
maltraite l'enfant qu'elle prétend aider. La maltraitance domestique est
banalisée. Cette banalisation entraîne l'enfant en
domesticité vers une adaptation fragile à cet espace de placement
qui rend continuellement son développement psychologique
façonné par des expériences brutales.
Le mode de traitement donné à l'enfant en
domesticité varie suivant l'appartenance religieuse, le niveau
d'éducation, la capacité financière, les valeurs
partagées par la famille d'accueil...
Le chercheur Legrand Bijoux a porté un regard critique
sur l'usage arbitraire du pouvoir ou le complexe du tigre dans les moeurs
haïtiennes.70
D'un autre point de vue, il faut mentionner que, dans le
langage populaire, l'enfant est représenté comme une petite
bête ( on dit : Timoun se ti bèt ). Tout ceci influe sur la
façon d'accueillir l'enfant et de se comporter avec lui.
7°Of. Legrand Bijoux , Des moeurs qui blessent un
pays (Haïti) , Media-texte , P-au-P, 1997
c.2) - mode de perception sur la
domesticité
Nous avons rencontré deux familles d'accueil qui nous
ont laissé comprendre que c'est un sacerdoce quand elles choisissent
d'aider certains enfants dont les parents sont démunis en dépit
des difficultés économiques qu'elles affrontent elles-même
souvent. Elles reconnaissent que placer l'enfant en domesticité est
parfois le seul choix qui se présente à ces parents incapables de
répondre aux besoins essentiels de leurs enfants.
Elles avouent que l'enfant confié à une maison
de placement doit être bien traité comme tout le monde, mais selon
elles pour qu'un enfant soit bien élevé, il faut le fouetter
dès qu'il commet l'excès. Enfin, elles confessent que, dans
certaines familles, l'enfant placé est parfois maltraité de
manière excessive.
C.3) - type de communication dans la maison de
placement
Dans la famille de placement, il existe une forme de
communication verticale. L'enfant en domesticité n'a pas le droit de
faire valoir son point de vue. Il est battu constamment et très souvent
humilié ou agressé continuellement. Il regarde rarement les
autres dans les yeux. Il reste tête baissée quand on lui parle. La
communication, dans ce cas, n'est pas un exercice d'ouverture à l'autre,
de compréhension mutuelle, de respect réciproque... et ne tend
pas vers l'autonomie.
La grande docilité de l'enfant placé en
domesticité est une stratégie de survie en face de
l'autoritarisme du propriétaire de la maison de placement. Son repli sur
soi et son sentiment d'infériorité doivent être
interprétés comme le résultat du processus chronique
d'exploitation. Ses rapports avec les membres de la famille de placement sont
fondés sur la domination.
C.4) - personnalité autoritaire
La dialectique maître-esclave nous permet de comprendre
la culture de chef commandeur dans la maison de placement. La formation sociale
du pays est porteuse des traces de l'autorité, de l'intolérance,
de l'exploitation, des traitements inégalitaires... Des causes
économiques forment des bases matérielles prêtant leur
concours au développement de la personnalité
autoritaire. L'héritage de la culture coloniale
autoritaire considère l'ouvrier, les paysans, les enfants (voire la
femme) comme des êtres immatures. C'est ainsi que le développement
de l'enfant devient le reflet du bon vouloir du maître de la maison de
placement.
D) - À PROPOS D'AUTRES CATEGORIES D'ENFANTS
D.1) - perception des anciens enfants domestiques de
la domesticité
Nous avons eu des entretiens avec deux anciens enfants en
domesticité. La première a témoigné de son enfance
blessée, gaspillée... Par contre, l'autre se voyait porteur de
prestige social le fait qu'il réside dans la ville en dépit de
toutes les difficultés. À chaque occasion, raconta t-il,
où il avait la chance de rendre visite à ses parents dans le
milieu rural, les gens de la communauté (particulièrement les
enfants) l'accueillaient tel un prince, l'entouraient pour le questionner sur
tout et on le voyait éclairé'',
civilisé''.
D .2) - perception des enfants non domestiques de
la domesticité
Nous avons recueilli des propos de deux enfants non
domestiques qui nous laissaient comprendre que les enfants en service sont des
êtres réduits à l'état d'épave humaine. Ce
sont des bonnes à tout faire. Ils sont des « Reste avec». On
ne prend pas soin d'eux. Ils n'auraient pas souhaité que l'un de leurs
frères ou soeurs soient placés en domesticité.
D.3) - perception de la maison chez les enfants non
domestiques
Les enfants non domestiques observés, contrairement aux
enfants placés en domesticité, développent un rapport plus
ou moins attachant à leur maison. Toutefois, nous ne cesserons de
souligner que la signification de la maison aux yeux de l'enfant varie suivant
l'âge, le milieu social, le sexe, l'influence des autres, les conditions
du logement...
Tout enfant a besoin de sécurité, de chaleur,
d'intimité, de se rassembler en famille ou entre amis, de participer
à des jeux collectifs...
E)- MOTS ASSOCIES À LA MAISON
Il était question pour certains enfants de choisir tous
les mots (joie, hospitalité, sécurité, confort, repos,
souffrance, fatigue, travail, violence, affection, amour...) conformes à
leur représentation de l'espace familial ou de la maison de
placement.
Les enfants en domesticité, que nous avons
abordés dans le cadre de cette recherche, ont tendance à se
représenter la maison de placement par les mots affectés d'une
valeur défavorable, alors que chez les enfants non domestiques auxquels
on s'adressait, l'espace familial tend à être
représenté par les mélioratifs. Toutefois, nous devons
préciser que chaque cas présente des nuances. Donc, le choix des
mots pour se représenter la maison est justifié suivant
l'âge de l'enfant, ses propres réalités de vie, sa
façon de comprendre l'espace qui l'entoure...
F) - PAROLE ET GESTE
Cette recherche nous a révélé
l'importance du langage de l'enfant dans sa façon de se
représenter le milieu dans lequel il vit. Particulièrement dans
la société haïtienne, on refuse de porter l'attention
à la parole et aux gestes de l'enfant, alors qu'ils sont porteurs de sa
souffrance ou de sa joie.
Le langage introduit l'enfant à l'existence sociale. Il
peut être passif, actif, parlé, non verbal. Il permet à
l'enfant d'évoquer et surtout de partager ses représentations.
Les gestes, les attitudes de l'enfant, les mimiques de son visage transmettent
des significations. La parole de l'enfant a un sens et reflète la
vérité de l'enfant dans toute sa diversité.
G)- PERCEPTION DE LA DOMESTICITE AU NIVEAU DE LA
POPULATION
La perception de la domesticité varie d'une personne
à l'autre au niveau de la population. Elle est fondée
généralement sur des préjugés négatifs.
L'enfant en domesticité est représenté
sous des termes dépréciatifs «Tyoul kay, Ti moun kay madanm,
Restavèk, Ti bòn...»
Par ailleurs, certaines personnes travaillant dans le domaine
de la protection de l'enfance pensent même que la maison de placement est
un cadre inapproprié pour l'épanouissement des enfants. Pour
d'autres, elle est une alternative aux difficultés familiales, un lieu
possible de survie, un cadre d'accompagnement des enfants en situation
difficile.
h) - POINTS DE VUE DES EXPERTS
À la faculté d'Ethnologie, dans les
différents échanges que nous avons eus avec le spécialiste
Serge Hyacinthe, il n'a jamais hésité à pointer le doigt
sur ce système de pouvoir et de représentation qui ne cesse
d'engendrer des problèmes sociaux, notamment la domesticité des
enfants. C'est un système, dit-il, qui aliène les droits
fondamentaux des autres. On ne peut récolter le service et la
participation là où l'on sème le pouvoir et la
représentation. D'où l'urgence d'un nouveau modèle de
société !
En ce qui concerne le professeur Junot Joseph, il se plaint
des conditions douloureuses de vie des enfants en domesticité
révélant ainsi un gaspillage des ressources humaines futures du
pays. Il est temps d'avoir, insistait-il, une politique nationale
générale et effective de protection de l'enfance en Haïti
portant sur les structures sociales et économiques du pays.
I) - PERCEPTION ET REALITE
La réalité objective influence la perception
qui, elle-même à son tour, influence le comportement. La
perception est déterminée par les conditions sociales
d'existence, l'expérience vécue et l'état actuel de celui
qui perçoit.
Aussi souvent que nous aurons pris le soin d'éduquer et
d'utiliser correctement nos sens et de renfermer notre action dans les limites
prescrites par nos perceptions correctement obtenues et correctement
utilisées, aussi souvent nous trouverons que le résultat de notre
action démontre la conformité de nos perceptions avec la nature
objective des objets perçus.71
71 Cf. Friedrich Engels , Socialisme utopique et
socialisme scientifique , introduction , p. 24
CONCLUSION
Pouvons-nous, au terme de ce parcours, apporter une conclusion
? Nous partageons l'avis que le processus de la recherche scientifique sur un
domaine précis est toujours à reprendre. En fait, ce n'est jamais
fini !
En guise de conclusion, nous voudrions énoncer
l'hypothèse que la formation de la perception de la maison des
enfants en domesticité serait liée à leurs conditions
réelles d'existence qui, par la même occasion, façonnent en
partie leurs stratégies de survie.
Nous insistons sur le fait que la situation des enfants en
servitude ne tombe pas du ciel. Elle s'inscrit dans un système mondial
d'exploitation, cherchant à masquer les inégalités, la
division de la société en dominants et en dominés. Le
chemin à prendre, c'est l'analyse scientifique du monde et l'action pour
sa transformation. Ceci dit, le psychologue a le choix entre une psychologie
révolutionnaire et celle conservatrice. La psychologie
révolutionnaire serait celle qui partage les besoins réels des
couches exploitées et qui conteste l'hégémonie de la
classe dominante sur toute la société.
Les psychologues révolutionnaires doivent inviter les
exploités du monde entier à se mettre ensemble afin de lutter
pour une nouvelle société mondiale. En ce sens, la mission ne
serait autre que de les préparer à la conscience de former un
groupe spécifique afin qu'ils puissent faire fi des leaders populistes
(agissant contre leurs intérêts). Ainsi, ils ne seront plus
dépossédés ou exclus des choix politiques.
Tant que les conditions sociales de la classe exploitée
demeurent, la situation des enfants en domesticité ne changera pas. Il
faut une insurrection des consciences et de l'opinion publique. Il ne suffira
pas de clamer : une politique nationale de protection de l'enfance et de la
famille, l'amélioration de la situation économique dans le milieu
rural, la création des infrastructures... Il importe aux dominés
de s'unir et de combattre pour la transformation des structures
psycho-socio-économico-politiques..
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ANNEXE I
GRILLE D'OBSERVATION
I- PROFIL DES SUJETS
a) âge
b) sexe
c) niveau d'étude
d) aspects physiques
II- MAISON
a) conditions de logement
b) types de travail domestique
c) nombre d'heures de travail
d) conditions de nourriture
III- ACTIVITES LUDIQUES
a) milieu récréatif
b) types de jeu
c) nombre d'heures de convivialité
IV- STRATEGIES DE SURVIE
a) mode de gestion de la faim et de la soif
b) attitudes par rapport aux autres besoins réels de
survie
c) types de comportements à l?égard des
autres
ANNEXE II
GRILLE D'ENTRETIEN POUR LES ENFANTS EN
SERVICE
Remarque : Les questions ont été traduites en
créole haitien et l'entretien a été mené dans cette
langue première des enfants.
1- Comment tu t'appelles ?
2- T'es né où ? Quel âge as-tu ?
3- Quel est le nom de votre mère ? votre père ?
4- Où sont-ils nés ?
5- Sont-ils encore vivants ? Ils ont quelles professions ?
6- Combien d'enfants ont-ils ?
7- Où sont ces enfants ? Qu'est-ce qu'ils deviennent ?
8- Peux-tu nous parler de la situation économique de ta
famille naturelle ?
9- Qu'est-ce qui t'a amené à P-au-P ? En quelle
année ?
10- Depuis quand tu es placé en domesticité ici
?
11- Combien de fois par jour manges-tu ?
12- Combien de fois par jour tu te baignes ?
13- T'as assez d'habits neufs ?
14- Tu dors où ? quand ? comment ?
15- T'as assez de temps pour jouer ? où joues-tu ?
16- Quelles sont tes activités de loisirs ?
17- Quel est ton niveau d'étude ? Tu vas toujours
à l'école ?
18- Tu sais lire assez bien ? compter ? écrire ?
19- Tu te sens en bonne santé ? Tu n'as jamais
été malade ?
20- Tu vas toujours à l'hôpital quand tu es
malade ?
21- Quel type de travail domestique fais-tu ? Pendant combien
d'heures par jour travailles-tu ?
22- Quelle est la plus grosse difficulté à
laquelle tu fais face ?
23- Quelle stratégie emploies-tu en vue de
résoudre tes problèmes ?
24- T'as l'habitude de mendier dans les rues ?
25- Tu ne souhaites pas retourner vivre avec tes parents
naturels ?
26- T'as déjà un amant ?
27- T'as déjà eu des rapports sexuels ? Tu
utilises des préservatifs ?
28- T'es déjà victime des agressions sexuelles
ou de viol ?
29- Depuis quand tu reçois une visite de tes parents
?
30- T'as un groupe d'amis ?
31- Quel type de rapports as-tu avec les autres enfants de la
maison de placement ou de la zone ?
32- Font-ils parfois des plaisanteries désobligeantes
à ton égard ?
33- Te souviens-tu au moins d'une lutte physique que t'as
engagée avec l'un d'eux ?
34- Quel type de rapports as-tu avec la maison de placement
?
35- Comment es-tu traité par les adultes de la maison
de placement ? Ils te battent souvent ?
36- Eprouves-tu un sentiment de fierté par rapport aux
traitements subis ?
37- Qu'est-ce que tu penses que les autres pensent de toi
?
38- Comment te sens-tu quand on te traite de restavèk
? de Ti bòn ?
39- Il t'arrive parfois de pleurer tout seul ?
40- Qu'est-ce que tu aimes et détestes en toi ?
41- Tu n'as jamais eu l'idée de te suicider ?
42- Tu n'as jamais eu un sentiment de peur ? T'as peur de
quoi ?
43- Quelle est la signification que tu donnes à la
maison de placement ?
44- Quel sentiment que tu éprouves ? C'est douloureux
de vivre dans une maison de placement ?
45- Quel est ton rêve le plus précieux ?
46- Tu souhaiterais avoir un enfant vivant dans ces
mêmes conditions ?
47- Combien d'enfants désires-tu avoir ? Où
voudrais-tu vivre ?
48- Voudrais-tu me parler beaucoup plus de toi ? me raconter
une histoire de ta vie qui t?as marqué ?
ANNEXE III
GRILLE D'ENTRETIEN POUR LES
SPECIALISTES
I- QUID DE L'ENFANT EN DOMESTICITE
a) l'enfant en domesticité, c'est qui ?
b) les conditions de vie de cette catégorie
d'enfants
II- RACINES DU PHENOMENE DE LA DOMESTICITE
a) l'historicité du phénomène de la
domesticité des enfants
b) l'émergence du phénomène
III- EXPLORATION DES SOLUTIONS
e) les possibilités de dépassement
f) les mesures à prendre à court, moyen et long
termes
ANNEXE IV
DESSINS
EXEMPLE D'UN DESSIN LIBRE D'UN ENFANT EN
DOMESTICITE
EXEMPLE D'UN DESSIN À THEME D'UN ENFANT EN
DOMESTICITE
EXEMPLE D'UN DESSIN SANS COULEUR D'UN ENFANT EN
DOMESTICITE
EXEMPLE D'UN DESSIN LIBRE D'UN ENFANT NON
DOMESTIQUE
EXEMPLE D'UN DESSIN A THEME D'UN ENFANT NON
DOMESTIQUE
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