Si la gestion budgétaire du foncier est un volet
crucial d'une opération de renouvellement en milieu urbain, il faut
aussi se pencher sur l'approche opérationnelle que l'on désire
mettre en place. Est-il besoin de la rappeler, le renouvellement urbain est
différent d'une opération de construction, car il s'étale
sur un temps long, ponctué de périodes de constructions et
d'aménagement d'espaces publics, mais aussi de périodes en creux,
pendant lesquels les traces de la transformation du quartier sont moins
visibles. Entre l'acquisition d'une parcelle et sa réaffectation, il
subsiste souvent un temps pendant lequel le terrain ou le bâtiment n'est
plus affecté à un usage. Aussi, que l'ambition du maître
d'ouvrage soit de détruire ce qui a été estimé
comme n'étant plus réutilisable pour développer un
programme immobilier nouveau (logements, bureaux, équipement public), ou
de transformer le bâti afin d'en modifier l'usage (un entrepôt
transformé en halle accueillant des cellules artisanales par exemple),
les délais techniques et administratifs ouvrent une fenêtre de
temps pendant laquelle il ne se passe rien. Cette fenêtre, nous pouvons
l'approcher de deux manières différentes : nous pouvons la murer
et rendre inaccessible le site, créant par la même occasion une
dent creuse, un non-lieu, un espace considéré comme une vitrine
de la désaffectation du quartier pour qui passerait par là ; mais
nous pouvons aussi l'ouvrir et y faire entrer des activités temporaires.
C'est de cette seconde approche dont nous aimerions discuter ici.
Elise ROY (2004) dira que l'on observe, dans des quartiers
urbains en mutation, l'investissement de lieux laissés en suspens par
l'entreprise de « refabrication urbaine ». Dans les réserves
foncières et autres lieux en attente, s'installent ateliers d'artistes,
logements et services pour des personnes en situation de
précarité économique et sociale, activités
associatives, etc. Des territoires urbains transitoires se constituent ainsi au
sein de la ville en transformation, qui apparaît comme une configuration
urbaine particulière, lieu de pratiques spécifiques.
Ainsi nous pouvons trouver, dans l'investissement artistique,
une forme d'activité un peu alternative certes, mais qui permet de
maintenir voire d'attirer une forme d'activité artisanale et commerciale
dans le quartier. Plus encore, nous voyons dans la figure urbaine du quartier
d'artistes un rouage urbain intéressant en termes de programmation
urbaine : les activités artistiques peuvent en effet être
susceptibles d'entraîner dans leur sillage d'autres activités
relevant du secteur économique de la création, plus urbaines
peut-être, mais surtout plus durables. Par ailleurs, la mise en place
d'un tel usage temporaire des lieux en creux permettrait, d'une certaine
manière, d'influencer l'avenir du quartier en guidant sa
réanimation urbaine vers les objectifs de mixité fonctionnelle
qui ont d'ores et déjà été fixés pour le
quartier du Bas Chantenay. En autorisant et en accompagnant l'investissement
des sites en attente de projets, nous pourrions ainsi commencer à
apporter une forme de mixité transitoire, qui se superposerait à
la programmation plus formelle définie par l'urbaniste.
Dans ce contexte, une politique d'ouverture des
réserves foncières à des activités artistiques,
cadrée par des baux précaires de courtes durées
révocables « pour tout motif lié à l'opération
d'aménagement », peut être envisagée par NMA. Du fait
de sa double mission, l'aménagement mais aussi la gestion
immobilière, la SPL dispose en effet de moyens et d'expérience
pour mener à bien ce type d'initiatives. Il existe déjà,
d'une certaine
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manière, un fonctionnement similaire dans les
pépinières d'entreprises, qui proposent des baux à faibles
loyers et de courte durée à de jeunes entreprises, afin qu'elles
puissent disposer de bonnes conditions matérielles pour leur
développement.
Par ailleurs, les intérêts trouvés dans
cette forme d'ouverture sont multiples. L'aménageur y voit une
façon originale de contrer le phénomène de squat,
évitant de murer les ouvertures des constructions en attente et
d'imposer ainsi une image d'abandon potentiellement nuisible à la valeur
de ce territoire en redéfinition. Gestionnaire d'un parc immobilier
éclectique au fur et à mesure des acquisitions, ce dernier pourra
également ouvrir aux artistes ces lieux divers, sans devoir engager trop
de frais de viabilisation provisoire. Car en la matière, Roy estime que
la population d'artistes investissant les lieux montre d'importantes
compétences en aménagement de l'espace et en bricolage, et sont
donc à même de composer avec un cadre bâti
éclectique, souvent inconfortable et vétuste.
On retrouve cette philosophie dans certaines villes subissant
un phénomène important de vacance dans des immeubles
dégradés, ou de friches industrielles. Ainsi, pour redynamiser
les quartiers Est de Berlin par exemple, les autorités de la ville ont
engagé un programme de location à bas coût des
rez-de-chaussée d'immeubles, pour des activités artistiques
(ateliers et galeries), artisanales, de restauration ou de commerce de
proximité (boulangeries, épiceries, traiteurs...).
Bar en plein air installé dans une friche industrielle
à Berlin Est, personnel (2011).
Dans les immeubles d'habitation de rapport construits durant
le régime soviétique, cette stratégie visait à
contrer le phénomène important de squat qui posait des
problèmes de sécurité. Aujourd'hui nombre de ces quartiers
sont en voie de gentrification, et les loyers, dérisoires il y a une
dizaine d'années, reprennent le chemin d'un marché immobilier
plus sain.