RECOMMANDATIONS
Dans l?optique que cette étude serve à ses
ambitions de construction de la paix, des recommandations sont assortis au
gouvernement de la RDC, aux groupes en conflits au Nord Kivu, à la
communauté internationale et à l?UPAC.
Le gouvernement de la RDC doit :
· Créer un organe du Calcul de l?Horreur qui
échangera des informations sur la violence potentielle avec les groupes
locaux ;
· Arréter d?user de la force pour traquer les
milices, l?essentiel doit être la recherche permanente du dialogue.
Les groupes locaux doivent :
· Proposer des personnes compétentes qui seront
formées aux techniques d?analyse de la violence ;
· Accepter fournir des terres pour la réalisation
d?actions communautaires ;
· Se réunir tous les trois mois pour rendre des
données collectées sur les violences potentielles ;
· Alerter rapidement les dissidents, le gouvernement et la
communauté internationale des situations observées.
La communauté internationale doit :
? Créer un département des opérations du
calcul de l?horreur ; ? Renforcer les capacités techniques des groupes
locaux ;
· Ne pas recourir à la force en cas de violation par
une communauté des initiatives prises localement.
A l?UPAC nous recommandons de :
· Créer un cours sur la prévention de la
violence directe via l?analyse des conséquences négatives de
potentiels escalade de la violence.
CONCLUSION GENERALE
Ce travail de recherche a étudié Le Calcul
de l'Horreur comme instrument psychologique de prévention de la violence
directe : cas du Nord Kivu en RDC. Il s?est proposé de
répondre à la question centrale suivante : le Calcul de l?Horreur
est-il pertinent pour la prévention de la violence directe au Nord Kivu
? Les questions secondaires suivantes ont permis de conforter la question
centrale posée : l?évaluation systématique des
conséquences de la violence directe constitue-t-elle un facteur
dissuasif de futurs affrontements ? La perception de l?horreur permet-elle
d?établir un compromis et de redéfinir les intérêts
et enjeux liés aux conflits pour les transformer en une nouvelle
situation vivable pour tous ? Pour ce faire, nous avons émis
l?hypothèse suivante : le Calcul de l?Horreur est pertinent pour la
prévention de la violence directe au Nord Kivu. L?objectif a
été alors de proposer une stratégie de prévention
de la violence dans cette région de la RDC laquelle redéfinit les
relations pacifiques entre groupes. A travers deux principales méthodes
de collecte des données à savoir : la revue documentaire et huit
entretiens semi directifs qualitatifs réalisés, appuyée
par une grille d?analyse constructiviste, nous avons constaté que le
Calcul de l?Horreur peut créer des conditions psychologiques et des
moyens favorables à la Paix Positive. Ceci étant, il peut
permettre aux groupes de taire leurs querelles et se relancer pour la
construction de rapports harmonieux susceptibles de conforter l?état de
paix. Ce constat valide aussi nos hypothèses secondaires. En effet,
l?évaluation systématique des conséquences de la violence
directe peut dissuader de potentiels affrontements et la perception de
l?horreur permet d?établir un compromis en redéfinissant les
intérêts et enjeux liés aux conflits.
Le premier point présente les dimensions de la violence
directe au Nord Kivu, à savoir les structures qui ont produites les
violences observables dans cette région et les options de recherche de
paix relative à cette violence. En effet, deux composantes expliquent
l?escalade de la violence au Nord Kivu. Il s?agit entre autres des facteurs
politiques et économiques internes et externes à la
région.
Au plan externe, la politique de diviser pour mieux
régner et de limitation de l?éducation, les
instabilités politiques dans les Grands Lacs notamment au Rwanda, au
Burundi et en Ouganda autour des années 1994 ont favorisé le
réveil des différenciations ethniques et des replis identitaires
de par la proximité géographique et les alliances
transfrontalières. Elles ont aussi favorisé la constitution de
milices et groupes de rebellions qui désormais définissent la
paix au Nord Kivu sur les frontières ethniques.
Ces facteurs exogènes viennent renforcer un climat
interne déjà fragilisé par la mal gouvernance, et
l?instrumentalisation politique de l?ethnicité, le marasme
économique due par
l?élite dirigeante qui en plus use des questions de
nationalité pour définir l?appartenance à l?Etat congolais
dans l?optique de définir la répartition des ressources.
Les facteurs politiques et économiques endogènes
et exogènes plantent le décor pour des séries de violence
qui ont débouché essentiellement sur deux guerres en l?espace de
deux ans en RDC avec le Nord Kivu comme principal champ de guerre. Quoi que ces
guerres se soient achevées, elles continuent sous d?autres formes et
prennent des ampleurs considérables. La nouvelle attitude de guerre
s?observe à travers le contrôle des portions de territoires par
les groupes armées, les viols massifs, les actes d?agression, le pillage
et l?illégale exploitation des ressources naturelles. Ceci ne va pas
sans des conséquences sur les populations. A ce titre, l?on
relève de millions de morts181, des femmes violées,
éventrées et mutilées ; des lèvres cisailler
à la lame de rasoir, des nourrissons rôtis sur des braises, des
villages décimées, des apatrides, des réfugiés et
déplacés et l?excroissance de la pauvreté. L?Etat n?existe
pas au Nord Kivu, seule la force des armes définit les rapports sociaux.
Le danger à long terme pourrait s?observer sur de multiples
traumatismes, le syndrome de dépendance à l?aide humanitaire,
ainsi que sur la résurgence de l?idéologie de la haine
entretenant le cycle de la violence. La peur dessine le quotidien au Nord Kivu
et les familles sont toujours prétes à s?en fuir. Dans cette
optique toutes les structures économiques restent paralysées.
Cette paralysie s?explique par l?absence de ressource humaine dument
formées ainsi que par l?absence des forces aptes au travail. Car, quand
bien même elles existent, ces forces sont souvent sommées par les
milices d?aller travailler comme esclaves dans les mines d?extraction d?or, de
coltan et de cassérite. Progressivement, le Nord Kivu qui fut le grenier
des Grands Lacs perd ses capacités productives au profit de
l?activité minière sous forme d?une économie de guerre.
Dans ce cas, cette région risque de connaître le syndrome
hollandais.
Divers processus de sortie de crise et de retour à la
paix ont été élaborés pour la RDC et pour le Nord
Kivu. Au plan interne et international, plusieurs acteurs s?investissent pour
que cette région vive dans la quiétude et l?espoir de retrouver
un jour la stabilité, la sécurité et la paix comme
clamée dans les discours politiques.
Les instruments de paix majeurs et significatifs au plan
interne concernent essentiellement dans un premier temps ceux proposés
par les acteurs de la société civile qui, à travers le
plaidoyer, la recherche-action et la résolution extrajuridictionnellle
des conflits qui
181 Dans notre recherche, nous n?avons pas obtenu des chiffres
exacts sur les morts enregistrés au Nord Kivu entre 1990 et 2011. Mais,
plusieurs auteurs affirment par exemple qu?entre 1998 et 2002 la RDC dans
l?ensemble a enregistré trois millions de morts suite
à l?escalade de la violence. Cf Braeckman, op.cit, p.7. L?auteur affirme
à ce titre que l?opacité sur les drames en Afrique justifie le
fait de l?absence de données certaines sur les pertes en vies humaines
liées à la violence directe en RDC.
intègre la médiation apportent un soutien
à la paix, bien que leurs stratégies soient
désorganisées et les procédés contradictoires
à cette médiation relevée. Dans un second temps, ces
instruments de paix concernent l?apport du gouvernement congolais qui, à
travers la pression par la force sur les milices et, la volonté de
dialoguer avec les groupes armées ainsi que leur insertion dans les
FARDC, contribue à faire revenir la paix au Nord Kivu. Mais, la force et
le non respect des engagements pris par le gouvernement rendent tout effort de
paix caduc.
Au plan externe, la communauté internationale notamment
l?ONU et l?UA se sont investies pour l?effectivité de la paix au Nord
Kivu. En amenant les parties belligérantes à la signature des
accords de Lusaka et de Sun City, ils ont pu mettre un terme de façon
officielle à la guerre de 1998. Aussi, ils ont pu obtenir un retrait des
troupes étrangères de la RDC, un cessez-le-feu et l?organisation
d?un dialogue intercongolais ayant débouché sur des
élections démocratiques en 2006. Mais, ces accords ont
favorisé la continuation du contrôle des Etats étranger sur
la paix de la RDC. Il s?agit du Rwanda et de l?Ouganda qui d?après les
textes de Lusaka sont chargés de contrôler le cessez-le feu et le
retrait des groupes armées, pourtant, ils sont les principaux agresseurs
de la RDC. Ces accords ont fragilisé la RDC, légitimant
l?accaparement des ressources naturelles du pays par les forces
étrangères qui, de façon officieuse soutiennent et arment
les milices contre le gouvernement de Kinshasa. Bien plus, inspirés des
mécanismes juridictionnels de résolution des conflits, les
accords de Lusaka n?ont pas considéré la dimension locale de la
violence. Les possibilités d?implémentation en rapport avec les
cultures locales et les populations qu?elles ont totalement ignorées.
« C?était en fait des accords de partage des richesses de la RDC
», une « conférence de Berlin 2 » comme le dit Pierre
MUGANGU182 dans l?entretien qu?il nous a accordé. La
conséquence en est que, aussi bien le gouvernement, les milices que les
populations, aucun acteur en conflit en RDC n?a pu observer les effets positifs
de ces accords. C?est pourquoi le cycle de la violence est entretenu.
Il est vrai, en plus de s?investir par la médiation, la
négociation entre parties, la communauté internationale a
installé des organes d?alerte des conflits. Elle est beaucoup plus
l?oeuvre des ONG internationales. Mais, à chaque fois la violence
escalade. Ceci montre que cette alerte n?est pas en phase avec les
communautés locales plus précisément les groupes locaux
qui doivent bénéficier de la paix. En plus, ces mécanismes
d?alerte présentent juste les
182 Interviewé le 07/12/11. Voir annexe 6
possibilités d?une guerre et non la
nécessité de ne pas faire la guerre ou de ne pas entrer dans un
cycle de violence directe au vue des atrocités et des horreurs.
A partir de ces observations, nous proposons un nouveau
contenu du système d?alerte et d?information rapide de la violence
dénommé « calcul de l?horreur » qui s?appesantit sur
l?étude des conséquences négatives de potentiels
affrontements, les mesures à partir d?approches comparative ou par
l?établissement de scénarios. Ce calcul de l?horreur qui se fonde
sur la non-violence correspond à l?idée profonde de construction
de la paix par les groupes ethniques du Nord Kivu. Dans ce sens, des organes de
calcul de l?horreur doivent être établis au sein des groupes. Ceci
va satisfaire l?idée de faire participer les populations locales au
processus de construction de la paix.
Par ailleurs, le calcul de l?horreur satisfait au besoin de
communautarisme africain et des peuples du Nord Kivu en particulier. C?est
pourquoi il prévoit la constitution d?un réseau intergroupe
d?échange d?informations sur les potentialités de conflits. Ce
réseau intergroupe produit des informations sur les conséquences
négatives de potentiels affrontements, les traduits en feedback aux
groupes et au gouvernement. En plus de cela, le réseau regroupe les
besoins d?AGR des groupes et crée des projets de développement
communautaire183. Dans cette optique, la production de l?information
sur les crises potentielles et sur leurs dégâts, puis
l?ordonnancement des projets de développement communautaires par le
réseau, va permettre l?interconnexion, le développement des
activités communes et des échanges sur la paix ; ce qui à
long terme impacte positivement la paix et le développement du Nord
Kivu.
Le calcul de l?horreur constitue alors l?arme de tout acteur
faisant la paix ou la guerre, l?espoir de renaissance de la paix, l?option de
la non-violence et du développement qui agissent simultanément
pour produire la Paix Positive au Nord Kivu. Dotée d?une double
dimension, (prévention de la violence et développement), le
calcul de l?horreur obéit à la maxime kantienne de ne faire que
ce qui est bon. Le bien découle de la véritable raison ; raison
qui produit conscientisation et décourage toute tentative d?usage de la
violence. Dès lors, si l?évaluation systématique des
conséquences négatives relatives à des scènes de
violences potentielles devient palpable, la paix positive est possible.
Le présent travail à deux principaux
intérêts : théorique et pragmatique. Au plan
théorique, il constitue une plus-value dans le domaine de la recherche
sur la prévention nonviolente de la violence en particulier et des
Peace Studies en général. Cette plus-value
183 Notons ici que tous nos interviewés pensent que la
pauvreté étant un facteur aggravant des violences au Nord Kivu.
La création d?espace d?AGR peut être un facteur limitant de
nouvelles violences. Il suffit juste de laisser le soin aux parties en conflits
de « dire elles mêmes ce qu?elles veulent pour leur bien-être
» comme le dit Mr BASEMBE Jean.
s?explique par le fait qu?il propose un mécanisme de
prévention de la violence via une étude analytique des
conséquences négatives de la violence directe par les groupes qui
expérimentent les conflits d?une part. D?autre part, il propose un
graphique devant contribuer à cerner de façon palpable les
possibilités d?escalade de la violence ou, déterminer si les
parties en conflit sont prêt au dialogue ou à aller dans
l?affrontement direct. En effet, en ce qui concerne le Nord Kivu, la culture
endogène collective revient de par la prégnance de
l?ethnicité qui a des implications sur la nationalité, le
foncier, la distribution des ressources et la paix.
Au plan pragmatique, cette étude contribue à
améliorer les conditions de vie des femmes, enfants et hommes du Nord
Kivu. Dans un premier sens, elle promeut l?appropriation de la paix par ces
catégories de personnes à travers la constitution d?un
réseau intergroupe d?échange des informations sur
l?évaluation systématique des conséquences
négatives de la violence. Pour renforcer cet état de paix,
l?étude présente propose l?établissement des AGR
intergroupes coordonnées par ce réseau dont l?objectif est de
lutter contre la pauvreté, élément qui influence de fond
en comble la paix au Nord Kivu. Cette recherche fournit alors un quid de
gestion des conflits que peuvent appliquer les instances de médiations
ainsi que les bâtisseurs de la paix dans des conflits
intraétatique où, les groupes dûment identifiés
constituent les principaux obstacles à la paix.
Toutefois, cette étude ne peut prétendre
à l?exhaustivité, car comme tout travail de recherche, elle
comporte des limites. Ce sont ces limites qui nous ont empêchés
d?approfondir les facteurs culturels de production de la violence directe, le
degré d?influence psychologique que peut avoir le Calcul de l?Horreur
sur les parties en conflit et les conséquences économiques et
environnementales des violences au Nord Kivu qui pourraient sans doute
éclairer sur le cadre général de la violence. En
même temps que l?approfondissement de ces aspects et du graphique de
détermination de l?escalade de la violence intergroupe,
l?élargissement de cette étude aux pays de l?Afrique
subsaharienne parmi lesquels le Cameroun et la Côte d?Ivoire pourra faire
l?objet de recherches supplémentaires.
Quoi qu?il en soit, l?affaiblissement et l?éclatement
de la belligérance par la conscientisation via l?éducation des
acteurs sont des atouts de transformation des conflits. L?investissement pour
la paix donnerait des résultats plus heureux, moins onéreux que
l?investissement pour la guerre. Qui veut la Paix doit préparer la Paix
et non la Guerre. Le calcul de l?horreur pourrait donc rendre à
l?humanité ses valeurs, réduire les dépenses
destinées à la violence pour l?investir dans le bien-être
des individus. Il est pour cela nécessaire de l?appliquer pour juger de
sa faisabilité.
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