ii : LIMITATION DU SUJET
Dans un travail scientifique, limiter le sujet de recherche
est essentiel pour l?appréhension du contexte dans lequel se produit
notre analyse. A cet égard, notre sujet présente une triple
délimitation : temporelle, géographique et théorique.
Au plan temporel, cette étude porte sur le calcul de
l'horreur comme instrument
.
1990 marque le début de la démocratisation dans
les Grands Lacs en général et en RDC en particulier ;
démocratisation qui a entraîné les tensions sociales dans
cette région. Cette date marque aussi le début des recherches des
modèles de paix devant être appliqués en RDC et au Nord
Kivu après le triomphe de l?idéologie du free market.
Tandis que, 2011 marque la date de la tenue de la seconde élection
présidentielle en RDC après les catastrophes humaines du
début des années 2000. Cette élection est d?un enjeu
déterminant pour le climat sécuritaire et se pose comme potentiel
facteur d?escalade de la violence d?autant plus que les plaies issues des
déchirements et des scènes de violences passées n?ont pas
encore étépansées.
Au plan géographique, le choix du Nord Kivu vient du
fait que, cette région connaît des cycles de violence permanents
et abrite un des foyers de tensions les plus importants en Afrique
subsaharienne. Le Nord Kivu est écartelé entre plusieurs pays
dont le Rwanda,
l?Ouganda et le Burundi et, en plus, possède
d?énormes réserves en coltan, or, cassérite et en
wolframite très prisée dans le développement des
industries de télécommunications28.
Au plan théorique, nous nous situons dans la
perspective de la transformation des conflits qui asserte qu?on peut
résoudre voire prévenir la violence en changeant le violent en
humaniste29. Selon cette perception, les conflits doivent être
transformés de façon pacifique pour la réalisation de la
paix. Cette transformation nécessite toute une action non seulement sur
les structures, les comportements, les attitudes et les interrelations, mais
surtout sur la psychologie des parties en conflit qui favorisent la violence.
La transformation intègre la résolution et la prévention.
C?est elle qui est susceptible de créer les conditions d?une paix
positive. Notre option est donc orientée vers la prévention de la
re-escalade de la violence dans l?optique de la transformation à long
terme des conflits au Nord Kivu.
iii : REVUE DE LA LITTERATURE
Réaliser un travail scientifique nécessite la
consultation d?ouvrages centraux dans lesquels le problème a
déjà été traité. Raymond Quivy et Luc Van
Campenhoudt précisent que « les lectures aident à faire
le point sur les connaissances concernant le problème de
départ...il s'agit en quelque sorte d'un premier tour de piste avant
d'engager des moyens plus importants »30. Ainsi, pour
mener à bien notre recherche nous nous sommes situés dans le
sillage de plusieurs publications afin de mieux comprendre l?objet de notre
étude et de proposer des pistes nouvelles de réflexion pour la
prévention de la violence directe au Nord Kivu.
Jean Emmanuel Pondi31 présente les causes
historiques, militaires, politiques et les dimensions stratégiques qui
ont débouché sur la crise congolaise de 1996-1997. L?auteur
soutient l?idée selon laquelle l?absence d?une élite
intellectuelle dès l?indépendance est la cause du chao que vit la
RDC. Par ailleurs, il propose la transition démocratique et une bonne
gestion de la chose publique pour résoudre le conflit à ce stade.
Dans notre travail, nous allons souligner que la transition démocratique
telle que proposée par l?auteur n?a fait qu?accroître
28 Braeckman, Colette : Les Nouveaux
prédateurs, politiques des puissances en Afrique Centrale. Fayard,
Paris, 2003
29 L?approche de la transformation des conflits se
situe dans une longue tradition dans la pensée et les plans de paix.
Elle prend véritablement corps de façon pratique avec Ghandi dans
l?application de sa stratégie de nonviolence à travers l? «
ahimsa », qui est l?amour du violent en vue de le transformer. Des auteurs
tels Galtung Johan et John Paul Lederach viendront en fournir une
conceptualisation épistémologique.
30 Quivy, Raymond et Van Campenhoudt, Luc : Manuel
de Recherche en Sciences Sociales. DUNOD, 2è Edition
entièrement revue et augmentée, Paris, 1995, p.63
31 Pondi, Jean Emmanuel : Du Zaïre au Congo
Démocratique : les fondements de la crise. Les éditions du
CRAC, Yaoundé, 1997
les conflits de façon générale en RDC et
plus particulièrement au Nord Kivu. Nous insisterons sur le fait que
rechercher une voie de paix positive au Nord Kivu exige le dépassement
de la démocratie libérale et impose aux acteurs une transcendance
en vue de transformer le conflit en une nouvelle situation.
Colette Braeckman32 analyse la guerre qui
éclate en RDC en 1998. Elle relève que l?escalade de la violence
dans ce pays à cette période précise peut être
comprise comme le désir de prédation des richesses naturelles de
la RDC par ses Etats voisins avec la bénédiction des Etats
occidentaux. Ces nouveaux prédateurs tels que Braeckman le
précise utilisent des arguments sécuritaires sous régional
pour foisonner la RDC afin de s?accaparer des ses richesses naturelles pour
construire leur développement. Mais, l?analyse de l?auteur se limite
à l?année 2002. Il n?en ressort pas non plus une proposition de
sortie de crise ou de prévention de nouvelles violences. Nous allons
montrer dans notre travail que les ressources naturelles expliquent en partie
la violence et que, la prise de conscience de leurs effets négatifs par
les parties en conflits peut établir les préalables d?une paix
durable.
Stephen Jackson33 présente les facteurs
psychologiques qui nourrissent la guerre aux Kivu. La « Rumeur » est
considérée comme le principal instigateur de la violence. Cette
rumeur à travers les tracts et affiches dont on ne connaît les
auteurs dénonce l?annexion des ressources de la RDC par le Rwanda et
appellent les autochtones à éliminer tous les Tutsis. Il est
vrai, la rumeur peut accentuer la violence, mais dépasse-t-elle les
facteurs historiques socio-économiques et/ou politiques pour ne citer
que ces cas, pour que l?auteur l?érige comme facteur principal ? Nous
relèverons dans notre travail que tous les facteurs alimentant une crise
se valent et s?enchevêtrent et, qu?aucun n?explique mieux le conflit sans
les autres. L?auteur a fait recours à la psychologie des violences comme
cause. Mais nous allons en faire recours comme instrument de gestion et de
prévention.
Joseph Gahama34 analyse les violences
répétitives dans les Grands Lacs comme étant dü aux
facteurs historiques (lié à la manipulation coloniale et à
l?action de l?élite) aux problèmes structurels (liés au
sous-développement), aux facteurs psychologiques (entretenant le cycle
de la violence) ainsi qu?à la dégradation des valeurs
socioculturelles (liée à la perte des notions relatives à
la paix). L?auteur soutient l?idée que le mythe hamitique35
est le
32 Braeckman, Colette, op.cit
33 Jackson, Stephen : « Nos richesses sont
pillées ! Economies de guerre et Rumeurs de crime au Kivu » in
: politique Africaine no 84, décembre 2001
34 Gahama, Joseph : Les causes des violences
ethniques contemporaines dans l'Afrique des grands lacs : une analyse
historique et sociologique. CODESRIA, Paris, 2006
35 Les hamites selon la table des peuples figurant
dans l?ancien testament en Genèse 10 sont les descendants de Cham fils
de Noé. La théorie hamitique émerge à partir du
XIXe siècle comme thèse raciale de différenciation
fondement des violences actuelles que vivent la région
des Grands Lacs et l?Est de la RDC particulièrement. Or, avec la
dynamique de l?évolution du conflit dans le Nord Kivu, l?on constate la
présence de nouveaux facteurs qui alimentent la guerre à l?instar
du développement technologique nécessitant une plus grande
alimentation en colombo tantalite (coltan), ressource dont la RDC regorge d?une
immensité. De ce fait, le cycle de violence est aussi bien une question
d?intérêts économiques qu?identitaires. L?on ne pourrait
donc penser que le mythe hamitique explique seul toute la violence que
connaît actuellement le Nord Kivu ; ce que nous allons relever dans notre
travail en y ajoutant l?élément de l?oubli des horreurs
antécédents.
Georges Berghezan et Félix Nkundabagenzi36
présentent les causes du raidissement des relations entre le
régime de L.D.Kabila, le Rwanda et l?Ouganda. En effet les auteurs
soutiennent l?idée selon laquelle les questions relatives aux droits de
l?homme constituent les facteurs de l?agression rwando-ougandaise contre la RDC
de L.D.Kabila qui pourtant quelques années plus tôt étaient
des alliés dans la guerre de libération du Congo de 1996 qui
marqua la fin du règne Mobutu. Nous allons relever dans notre travail
que les questions identitaires et les ressources naturelles sont aussi des
enjeux de cette agression dont les atrocités sur le plan humains sont
incommensurables.
Jean François Ploquin37 explique les raisons
de la pénibilité à ramener la paix en RDC. En effet, pour
lui, la société civile censée jouer un rôle
pacificateur au lendemain de la première guerre internationale africaine
présente « l?image confuse d?un corps divisé
»38 car beaucoup de ses leaders sont instrumentalisés
par les partis politiques. Ceci va battre en brèche le dialogue
intercongolais. Or, que comprendre par société civile ? À
quoi se ramène ce concept ? Dès lors que l?auteur ne peut nous
dire concrètement ce qui rentre dans la catégorie «
société civile », l?analyse reste biaisée sur les
acteurs qu?il nomme comme primordiaux devant jouer un rôle essentiel dans
le processus de construction de la paix en RDC. Dans notre étude, nous
allons déterminer les éléments entrant dans la
société civile pour juger des potentialités de
construction de la paix endogène au Nord Kivu et surtout le rôle
de la société civile dans la conscientisation des populations sur
les atrocités du passé.
entre les peuples. La théorie hamitique suggérait
que la race hamite est supérieure à celle noire d?Afrique au Sud
du Sahara et que, toutes les avancées technologiques, les innovations
voir la civilisation que l?on retrouve en Afrique est l?oeuvre des Hamites. Par
conséquent, le Hamite est un seigneur dotée d?une
supériorité absolue.
36 Berghezan, Georges et Nkundabagenzi, Félix :
La guerre du Congo-Kinshasa, analyse d'un conflit et transfert
d'armes vers l'Afrique Centrale, GRIP, 99/2, 1999
37 Ploquin, Jean François : « Dialogue
intercongolais : la société civile au pied du mur »in :
Politique Africaine no 84, décembre 2001
38 Id p.11
Ludo Martens39 présente les limites de
l?accord de Lusaka. L?auteur ressort que les USA sont en grande partie
responsables d?une négociation perdue pour la RDC au profit du Rwanda,
du Burundi et de l?Ouganda. Il tente donc de persuader que la
perpétuation de la guerre en RDC et au Nord Kivu est l?oeuvre
américaine. De facto, les USA sont pointés comme responsables du
mal que vit la RDC. Il s?agit là d?une approche explicative basée
sur la théorie du complot40 car l?auteur
néglige la part de responsabilité de la RDC dans le conflit et la
présente uniquement que comme victime. De là nous
relèverons dans notre travail que c?est la confluence des actions des
acteurs en même temps internes qu?externes qui produit la guerre en RDC
et donc au Nord Kivu, tous n?étant pas conscients au même
degré des conséquences de la violence directe.
Philipe Biyoyo Makutu41 propose un nouvel ordre
politique et institutionnel comme voie de sortie de crise et de retour à
la paix en RDC. Pour lui, cet ordre est susceptible de redonner espoir,
fierté et prospérité à un peuple dont l?histoire a
toujours été dramatique. Mais notre auteur présente juste
cet idéal qu?est le nouvel ordre politique et institutionnel, ses
atouts, vante ses mérites sans toutefois en présenter les
mécanismes et les modalités de mise en oeuvre. Est-ce un nouvel
ordre basé sur la démocratie, l?autoritarisme ou une monarchie
pour ne citer que ceux-ci ? L?auteur n?en dit pas mot. Dans notre travail, nous
allons proposer une contribution de prévention non-violente de la
violence pouvant conduire à cet avenir de paix, cet idéal que
décrit Makutu.
Célestin Kengoum42 analyse la dynamique du
conflit en République Démocratique du Congo sous les
régimes Mobutu et Kabila Laurent Désiré. L?auteur
présente la mauvaise gestion des affaires politiques et
économiques comme facteurs ayant accentué et
débouché sur ce qu?il appelle la première guerre
internationale africaine43. Il pense toutefois que le conflit dans
les Grands Lacs n?est pas la conséquence de la fin de la guerre froide
car dans cette région, des tentatives de prise de pouvoir se dessinaient
depuis les années 1960. De plus, pour
39 Martens, Ludo : $cents76il RIi
7rffRERIIRIIRIXiIAMERIe iei SIalli, les plans américains pour
la division et la mise sous tutelle du congo. 2000
40 L?approche basée sur le complot
désigne la croyance en l?existence d?une conspiration secrète,
criminelle ou politique en vue de détenir un pouvoir politique,
économique ou culturel. Celles-ci interprètent les
événements selon un plan concerté et orchestré par
des groupes malveillants. Ainsi, une approche du complot discrédite les
informations officielles et présume l?avènement d?un fait par la
conspiration en vue d?une domination. Dans ce cas précis, le complot que
Martens relève voudrait montrer que les USA veulent s?accaparer des
richesses
minières de la RDC. C?est pourquoi en soutenant le Rwanda
et l?Ouganda, ils fragilisent la paix, donc n?ont aucun intérêt
à ce que ce pays retrouve la stabilité et le
développement.
41 Biyoyo Makutu, Philipe :
Pour un autre Avenir congolais de paix. CEDI, Kinshasa,
2002
42 Kengoum, Célestin : La dynamique du
conflit congolais(RDC) : crise et sortie de crise. Mémoire
présenté en vue de l?obtention du DEA sécurité
internationale et défense, Université Pierre Mendes France,
Grenoble II, 2002-2003
43 Id,p.13
notre auteur, le conflit dans les Grands Lacs donc au Nord
Kivu est essentiellement la cause des européens qui viennent y
reproduire leurs antagonismes. Kengoum conclut que les congolais ne sont pas
responsables de la guerre qu?ils vivent. Nous allons montrer dans notre travail
que les Congolais ont bel et bien une part de responsabilité dans les
cycles de violence qui les embrasent. Ils en sont les principaux auteurs.
Richard Borigas et Bouguil Jewsiewicki44
présentent la part des jeunes (cadets sociaux) dans la guerre en RDC.
Ils expliquent que pour les jeunes, la guerre est une forme de
résistance ainsi qu?un moyen de survie car d?elle découle les
moyens financiers pour assurer le quotidien. Ce sont eux qui constituent pour
le plus grand nombre les milices. Mais nos auteurs ne déterminent pas ce
qui encourage ces jeunes à entrer dans l?activité
guerrière. Ainsi, dans la présente étude, nous allons
relever les facteurs déterminants l?implication des jeunes dans les
scènes de violences et surtout leur ignorance des horreurs du
passé.
Ayafor Emmaculate Mefor45 examine les facteurs
liés à l?implication des jeunes dans les conflits en tant que
combattants et comment le programme de démobilisation et de
réintégration essaie d?apporter une contribution pour
réintégrer les ex-enfants soldats dans la société.
L?auteur est d?avis que la réintégration des ex-enfants soldats
mettra fin à l?insécurité et promouvra le
développement économique de la RDC. Elle détermine ainsi
seuls les enfants soldats comme facteurs d?insécurité, ignorants
d?autres acteurs internes et externes qui motivent ces enfants à entrer
en guerre. De là, la recherche d?une solution pour la crise en RDC doit
se trouver dans une perspective globale, éclectique, prenant en compte
de manière transversale tout ce qui constitue un obstacle à la
paix.
Ces différents ouvrages, articles et mémoires
consultés sont focalisés sur trois aspects : les causes des
conflits, les stratégies de résolution et les enjeux et
intérêts y relatifs en RDC en général et au Nord
Kivu en particulier. Ils n?expliquent cependant pas deux choses :
· Qu?une option pour la non-violence est
déterminante pour le retour à la paix au Nord Kivu ;
· Que si les parties prenantes aux conflits au Nord Kivu
avaient été amenées à calculer
systématiquement le poids des pertes et les atrocités de
potentiels affrontements, ils s?abstiendraient de s?enrôler dans
l?activité belligérante.
44 Borigas, Richard et Jewsiewicki, Bouguil :
Vivre dans la guerre : Imaginaires et pratiques populaires de la violence
en RDC in : Politique Africaine no 84, décembre 2001
45 Ayafor, Emmaculate Mefor: The social
reintegration of demobilised child-soldiers as a means of peace and development
in central Africa: the case study of DR-Congo. master thesis presented and
defended for the obtention of the academic diploma of master of arts in peace
and Development, Yaoundé, October 2009,protestant University of Central
Africa
En plus d?avoir créée le concept du Calcul de
l?Horreur comme instrument psychologique de prévention non-violente de
la violence directe, c?est en ces deux éléments que notre
étude est novatrice de celle des auteurs que nous avons lu et dont les
idées nous ont fortement orientées.
Bien plus, dans toute la littérature par nous
parcourue, nous n?avons pu trouver d?auteur proposant l?évaluation des
conséquences négatives de potentiels escalades des conflits comme
moyen de prévention de la violence directe. D?où, la
nécessité pour nous d?explorer cette nouvelle piste de
reflexion.
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