1.2.3 - Katharina Anstrup ( ?- 1882)
Sans doute moins célèbre et moins connue
que Protten et Freeman, Katharina Anstrup n'en n'est pas moins une
métisse africaine comme eux. D'elle-même, on ne sait pas
grand'chose, sauf qu'elle est née sur la Côte de l'Or (Gold Coast,
aujourd'hui Ghana). Mais à cause de son mariage avec Christian Rottmann,
elle est devenue une figure emblématique pour avoir vécu d'une
manière exemplaire sa vie de « femme de couleur »
mariée à un Blanc.
Afin de conforter leurs intérêts
commerciaux avec leurs partenaires africains, les commerçants
européens contractaient parfois des alliances avec des filles de ces
familles. C'est probablement le cas de Katharina dont le père devait
être un autre Européen (Hollandais) installé sur la
Côte ouest africaine depuis longtemps, avec une femme noire. C'est sans
doute dans le cas d'une relation d'affaires que Christian Rottmann, agent
commercial de la firme allemande J. K. Vietor en Afrique de l'Ouest, a
épousé cette « métisse hollandaise »
nommée Katharina Anstrup (illustration n° 5). Négociant
originaire d'Altona (près de Hambourg), Christian Rottmann était
agent de la firme J. K. Vietor à Kéta où il épousa
Katharina Anstrup le 4 mars 1863. Ils eurent 4 enfants : Gotthelf Samuel,
Johannes, Bertha, et Theodora24. Katharina mourut en 1882, et son
mari en 1897 (Theil 2008 :209).
Comme le fait remarquer Ilse Theil (p.209) dans sa
thèse consacrée aux femmes de missionnaires allemands, Christian
Rottmann est le seul agent commercial de la firme allemande J. K. Vietor qui
fut autorisé à épouser une « mulâtresse ».
Le couple Rottmann fut en effet un cas d'exception, car la firme Vietor,
partenaire de la « Mission de Brême », avait formellement
interdit de telles unions à ses agents en Afrique : « Tout
employé ou collaborateur de la firme devait s'engager par écrit
à s'abstenir de toute relation avec les indigènes noires
lorsqu'il s'embarquait pour les territoires d'outres mer. La firme pieuse de
J.K. Vietor recherchait avant tout des collaborateurs capables de respecter les
principes religieux auxquels elle était attachée elle-même
» (Ahadji 1976: 303). Quant à la « Mission de Brême
» elle-même qui voulait anticiper ce problème pour les
missionnaires qu'elle envoyait en Afrique, elle avait organisé un
système bien rôdé de mariage par correspondance dont traite
Ilse Theil dans sa thèse de Doctorat sous le titre Reise in das Land
des Todesschattens. Lebensläufe von Frauen der Missionare der
Norddeutschen Mission in Togo/Westafrika (von 1849 bis 1899) - eine Analyse als
Beitrag zur pädagogischen Erinnerungsarbeit25.
24 Il serait sans doute intéressant de faire
sur ces enfants, une étude similaire à la nôtre, afin de
voir ce qu'ils sont devenus et comment ils ont conduit leur vie.
25 Page 4 de la couverture: Im 19. Jahrhundert
entsandte die Norddeutsche Mission ihre Missionare nach Togo/Westafrika. Die
Problematik der physischen und psychischen Lage der Missionare veranlasste das
Komitee, Frauen als Ehefrauen nachzusenden. Ihre Mitarbeit fand innerhalb der
Missionsgesellschaft kaum Beachtung. Bewegende Briefe, die Ilse Theil aus dem
Missionsarchiv gesichtet und analysiert hat, dokumentieren dramatische
Situationen der Überfahrt, des Krankseins und des Sterbens ihrer Kinder
oder des Ehepartners, ebenso wie die Hilflosigkeit und das Alleingelassensein.
Der Autorin gelingt eine andere Sicht auf die Missions- und Kolonialgeschichte,
indem sie vergessenen Frauen eine Stimme gibt.«
Illustration n° 5a : Katharina Anstrup,
épouse Rottmann (source : Schöck-Quinteros 1986 : 29)
Illustration n° 5b : Couple mixte Rottmann avec
enfants (source: Theil 2008: 209)
29
Pour avoir une idée de la difficulté que
devait représenter - pour un Européen à cette
époque - l'union mixte avec une métisse, il faut prendre en
considération le commentaire qui accompagne une photo du couple Rottmann
dans l'ouvrage 150 Jahre Norddeutsche Missions 1836-1986:
Lucie Dahse, femme de négociant [à
Kéta], écrivait le 3 février 1869 à son amie
à Brême: C'est très difficile de mettre de l'ordre parmi
les gens d'ici, particulièrement ici à Kéta. Et
d'où vient cela? Comme la femme de monsieur R.[othmann] est une
femme de couleur, les Noirs, particulièrement ceux de sa famille, se
sentent jusqu'à présent comme les maîtres dans la ferme.
D'ailleurs, il faut bien se garder de les appeler `negro' par exemple; ils sont
plutôt des gens de couleur, et si le mot `negro' sort par hasard de notre
bouche, on a alors une réponse comme celle-ci: `Moi, je ne suis pas un
`negro', c'est vous qui êtes un `negro', un `negro
blanc'«26
Cette légende de la photo montre
déjà l'état d'esprit sur la question à cette
époque (1869) : les époux Rottmann autant que leurs voisins sont
confrontés au fait que deux couples doivent cohabiter : le couple mixte
des Rottmann (entouré de la famille africaine) et le couple «
normal » allemand des Dahse (époux allemand, épouse
allemande). La question raciale n'était donc pas la moindre dans cette
situation, mais il faut bien penser que les époux Rottmann ont su bien
gérer les problèmes, puisqu'ils avaient pu vivre la plus grande
partie de leur vie conjugale en Afrique, et qu'ils ont rejoint le pays du mari
- l'Allemagne - pour la fin de leurs jours. C'est à Hambourg que tous
deux sont morts.
Quelles conclusions peut-on tirer de ces trois cas
cités ?
A l'exemple de Christianus Jacob Protten ou de Thomas
Birch Freeman, il est aisé de constater que les métis issus
d'Européens et d'Africaines (voire d'une Européenne et d'un
Africain pour le cas de Freeman) n'était nullement une rareté en
Afrique. La place que ces deux métis avaient prise dans la
société africaine et le rôle qu'ils y avaient joué,
démontrent que les Africains comme les Européens les avaient bien
adoptés et acceptés. Avec l'exemple de Katharina Anstrup et
Christian Rottmann, on peut aussi constater de manière empirique que
c'est avec l'arrivée de missionnaires et de commerçants allemands
en Afrique de l'Ouest au milieu du 19ème siècle que
commencent les mesures d'interdiction et de réglementation des «
mariages mixtes ». Nous verrons plus loin que, par la suite, le regard
jeté sur les unions mixtes et les métis issus de ces unions
commencera aussi à
26 Die Kaufmannsfrau Lucie Dahse schrieb am
3.2.1869 an ihre Bremer Freundin : `Es ist sehr schwer, Ordnung in die Leute
hineinzubringen, besonders hier in Keta, und wo rührt es her ? Die Frau
von Herrn R. ist ja eine Farbige und daher fühlen sich die Schwarzen,
besonders die aus ihrer Verwandtschaft, bisher als Herren auf dem Hofe.
Übrigens muss man sich schon sehr davor hüten, sie etwa mal `nigger'
zu nennen ; sie sind coloured men, und wenn uns mal das Wort `nigger'
entfliegt, dann bekommt man die zornige Antwort : `I am no nigger, you are a
nigger, you are a white nigger'«. (Cité in
Schöck-Quinteros & Lenz 1986:29)
changer. Avec l'avènement de la colonisation
allemande en 1884, la question des « unions mixtes » va devenir une
affaire problématique. Le « problème » est d'abord
posé sur le plan de la morale, puis il sera un « problème de
politique raciale ». Les Allemands n'étaient pas disposés
à faire ce que les Portugais, les Danois, les Hollandais et les
Français faisaient depuis des siècles : considérer les
métis comme des hommes et des femmes à part
entière.
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