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Documentation sur le statut des métis de pères Allemands au Togo entre 1905 et 1914. Présentation de documents allemands avec traductions ou résumés en français

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par Essosimna Tomfei Marie-Josée ADILI
Université de Lomé (Togo ) - Maà®trise en lettres allemandes 2012
  

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INTRODUCTION

Il est tout aussi évident que des enfants métis ne pouvaient jamais obtenir le statut juridique d'un citoyen du Reich.« 1

Sur tous les sentiers [au Togo], on rencontre maintenant des prostituées et des concubines. Les métis vont bientôt pousser comme des herbes sauvages«2. Ainsi s'exprimait en octobre 1899 le préfet apostolique de la Mission Catholique de la Société du Verbe Divin« (SVD) au Togo, Monseigneur Hermann Bücking, dans un rapport, adressé à sa hiérarchie (Adja 2009 :73 & Sebald 1988 :477). Il tentait ainsi de tirer la sonnette d'alarme au sujet d'une question devenue alors urgente et inquiétante pour l'évolution de la colonie allemande du Togo: le problème posé par l'augmentation vertigineuse des enfants métis nés de pères allemands et de mères togolaises. Ce faisant, Monseigneur Bückling utilisait aussi le vocabulaire de l'époque qui considérait tous les métis comme de « mauvaises plantes », des « herbes sauvages », et désignait leurs mères noires par les termes de « prostituées » et de « concubines ».

Le 16 juillet 1913, la Société de Mission de l'Allemagne du Nord adressa à son tour une lettre à l'administration coloniale impériale de Berlin. Dans cette lettre, la Mission de Brême souligne qu'au Togo le nombre des métis était plus important que celui de la population masculine européenne, et pourtant les relations entre ces enfants métis et leurs pères allemands ne sont pas cordiales, puisque les métis ne sont pris en charge de manière adéquate que par les familles de leurs mères indigènes, qui d'ailleurs manquent de moyens.

Effectivement, l'alerte sonnée par les missionnaires porta au parlement allemand (Reichstag) la question de la prolifération des métis dans les colonies allemandes. Au cours d'un débat sur cette question, le député du parti centriste pro-catholique, Matthias Erzberger, avait déclaré en 1912 : Si nous avons dans bien des colonies plus de métis que d'Européens, c'est à des fonctionnaires de l'administration coloniale qu'incombe une importante

1 Ebenso selbstverständlich ist es, dass [...] niemals Michlingskinder den Rechtstand eines Bürgers des Reiches erhalten konnten.« In Rassenhygiene und Kolonialpolitik, in: Deutscher Kolonialdienst, 1939, n° 7, p. 182, cité in Sebald 1988:713, note 87

2 Auf allen Wegen begegnen einem jetzt die Huren und Konkubinen, und das Geschlecht der Mischlinge sprießt bald auf wie das Unkraut.« (cité in Sebald 1988:477)

part de la faute dans cette situation"3. Erzberger pointait ainsi du doigt les principaux responsables de cette situation : les fonctionnaires coloniaux allemands. Le Ministre des Colonies, au cours du même débat parlementaire sur la question, a lancé aux députés un appel pathétique - aux accents « patriotiques » - pour qu'ils votent la loi qui interdit les mariages mixtes dans les colonies. Son argumentation est simple4:

Messieurs, je prie instamment de vous laisser guider dans cette affaire, par vos instincts. Souhaitez-vous que vos fils vous ramènt à la maison des belles-filles noires? Souhaitez-vous qu'ils vous déposent dans le berceau des petits-fils aux cheveux crépus? Non messieurs, la nation toute entière ne souhaite pas cela.

C'est donc à ce sujet, c'est-à-dire à la question des métis de pères allemands, que nous voulons accorder notre attention dans le présent Mémoire de Maîtrise, en nous appuyant sur la législation que l'administration coloniale allemande au Togo avait adoptée pour endiguer ce déferlement de la vague de métis que Jürgen Petschull (p. 113) appelle « die braunen Kinder der weißen Herren » (les enfants bruns des maîtres blancs).

Dès 1962, Cornevin - témoin privilégié de l'évolution sociale au Togo dans les années d'avant l'indépendance, a noté dans son ouvrage Histoire du Togo (p. 306) :

Les métis constituent, au Togo, un élément particulier. Au départ, on peut distinguer les métis `brésiliens, allemands et français'. Les Brésiliens sont l'élément le plus ancien ; il est difficile de les distinguer des descendants d'esclaves de leurs maisons qui portent le même nom qu'eux [....] Beaucoup de ces familles se considèrent comme les plus authentiquement `indigènes'des Togolais. Les métis allemands ont, généralement très jeunes, été séparés de leur père. Elevés par la mère africaine, ils ont appris le français, quelquefois l'anglais et ignorent pratiquement tous l'allemand. [...] Ces métis auxquels se joignent maintenant ceux de la période française, sont avec leurs familles près de 5000. Ils font partie de la communauté togolaise dont ils constituent en quelque sorte l'aristocratie.

La présentation des métis togolais par Robert Cornevin traduit ici déjà l'essentiel des problèmes historiques, sociologiques et psychologies liés à la question des métis au Togo : il esquisse une classification et une périodisation d'un point de vue européen, en mettant des distinctions entre les métis, alors que, dans la société togolaise qui connaissait le métissage entre les ethnies aussi bien que le métissage entre les races, l'appartenance d'un métis à une race ou une ethnie n'avait jamais vraiment posé de problème en soi ; les métis ne constituent pas vraiment une catégorie de personnes à part, s'ils ont accepté de vivre comme les autres et avec les autres ; mais si la fortune ou la renommée leur confère une

3 Wenn wir in manchen Kolonien mehr Mischlinge als Europäer haben, dann tragen Beamte der Kolonialverwaltung einen erheblichen Teil Schuld daran.« (cité in Petschull 1984 :8)

4 Meine Herren, ich bitte Sie dringend, sich in dieser Frage von Ihren Instinkten leiten zu lassen. Wünschen Sie, dass Ihnen Ihre Söhne schwarze Schwiegertöchter ins Haus bringen? Wünschen Sie, dass sie Ihnen wollhaarige Enkel in die Wiege legen? Nein meine Herren, die ganze Nation wünscht das nicht.« (cité in Petschull 1984 : 121)

certaine prépondérance, cela n'est pas lié à leur identité de métis. A titre d'exemple, le métis « brésilien » Geraldo de Lima, célèbre sur la Côte des Esclaves dans les années 1860 à 1890, n'est pas devenu célèbre parce qu'il est métis : en réalité, il n'était pas du tout métis, puisqu'il s'appelait Adzoviehlo Atiogbe, né à Agoué ; c'est après avoir travaillé avec le négrier brésilien Cosar Cequira Geraldo de Lima, et après avoir hérité des richesses de ce dernier mort en 1862, que Adzoviehlo Atiogbe est devenu Gerado de Lima, riche et prospère (Gayibor 1990 : 217ff). Ce phénomène de « trans-identité » (échange d'une identité contre une autre) était relativement fréquent en Afrique de l'Ouest ; on en trouve un autre cas - encore plus intéressant à travers l'exemple de l'auxiliaire noir de la Mission de Brême nommé Albert Binder, originaire de Peki-blengo, qui a volontairement troqué son prénom africain Komla-Kuma contre les nom et prénom d'un missionnaire allemand, Albert Binder ; allant même plus loin, il a adopté l'habillement intégral du missionnaire allemand, si bien que rien ne le distinguait plus de ce dernier, sinon la couleur de la peau ou les traits du visage (Azamede 2006 & Azamede 2010).

Lorsque Cornevin classe les métis togolais et les caractérise comme « en quelque sorte l'aristocratie » de la société togolaise, il porte là un jugement d'Européen que certains Africains, notamment les métis togolais eux-mêmes, reprennent souvent à leur compte, parce que cela les arrange d'être considérés comme tels. Or, comme le souligne Cornevin lui-même à juste titre et à demi-mot, les métis allemands« par exemple n'étaient pas élevés avec leur père allemand, et n'avaient donc généralement rien d'allemand, sinon la ressemblance patente que Jürgen Petschull illustre parfaitement dans son ouvrage, et dont nous reprenons ici quelques photos. En d'autres termes, il y a une contre-vérité historique à vouloir présenter un métis comme « un élément particulier », et surtout à en faire un « aristocrate ». L'histoire des métis allemands« prouve exactement le contraire, lorsque l'on se réfère aux documents d'archives relatifs à leur naissance, leur éducation et leur identité. En somme, ce sont les Européens - comme Cornevin - qui ont diffusé l'idée raciste selon laquelle les métis seraient une « race particulière » que l'on disqualifie quand elle menace l'avenir des Européens dans les colonies, ou que l'on annoblit pour diviser les sociétés africaines postcoloniales et mieux les gouverner à distance. Il est donc temps de porter un regard objectif, historique et véridique, sur la question du métissage, surtout dans le contexte colonial. C'est ce que nous tentons de faire dans la présente documentation.

Notre objectif à travers ce travail de recherche et de documentation est donc d'abord de ramener la question à sa véritable dimension historique, en présentant des textes qui en fondent la vérité. Ensuite, nous voulons montrer que la question du métissage des races n'avait jamais constitué un problème« pendant l'ère précoloniale: c'est le colonisateur allemand qui, dans le souci obsessionnel mais hypocrite de préservation de la race blanche, a problématisé« les rapports sexuels entre Allemands et Togolaises, créant ainsi des difficultés que les Togolais ne connaissaient pas et ne comprenaient pas. Accessoirement, il s'agit aussi de démontrer que toute la législation inventée pour « gérer » l'avènement de métis allemands« au Togo, ne s'attaquait pas à la vraie cause du problème qui était la sexualité débridée des administrateurs allemands au Togo, et que ce sont les femmes togolaises, véritables victimes, qui sont culpabilisées comme prostitués. Enfin, notre travail de documentation vise aussi à briser les tabous et les mythes qui entourent les métis allemands« au Togo, dans le but de rétablir la vérité historique.

A propos des unions mixtes, il convient de préciser que les Africains en général, et les Togolais en particulier, n'avaient ni la même conception, ni les mêmes pratiques que les Européens au sujet de l'union entre un homme et une femme. L'Européen appelle mariage« toute union légale entre un homme et une femme, consignée dans un registre matrimonial, ainsi que celle qui est sanctionnée par une bénédiction nuptiale dans une église, par un prêtre ou un pasteur. Mais l'Africain a lui aussi sa forme traditionnelle de mariage qui n'est pas forcément consigné dans un registre, mais simplement constaté et consacré par les parents des mariés, après une démarche du prétendant dictée par les coutumes de chaque pays ou de chaque clan, démarche généralement accompagnée de cadeaux somptueux ou symboliques aux parents et (ou) à la future mariée.

Il ressort de cette distinction qu'un Européen peut ne pas considérer comme engagement contractuel un mariage traditionnel africain, mais dans la réalité, les Européens qui vivaient en Afrique avec des femmes noires, avaient plutôt tendance à préférer la forme simple du mariage africain, pour éviter toutes les difficultés juridiques éventuelles pouvant surgir dans une procédure européenne régulière. Ainsi, il leur suffisait de donner par exemple une noix de kola symbolique et quelques cadeaux aux parents de la fiancée, pour considérer le mariage comme acquis. Bien sûr, chez les Africains comme chez les Européens, il y a aussi la forme plus ou moins officielle d'union qu'est le concubinage, et

que beaucoup d'Européens pratiquaient en Afrique, sans engagement véritable. C'est ce que notre mémoire de maîtrise voudrait illustrer, avec textes et images.

Brève revue de la littérature sur la question

Les travaux de recherche consacrés à la question des métis allemands« du Togo sont plutôt rares. Ceux qui en parlent sont d'un caractère général. Robert Cornevin, dans son Histoire du Togo (1962, édition revue et augmentée en 1969) que nous avons déjà cité, consacre une demi-page aux métis en général, y compris les métis allemands«. Le professeur Yawovi Amétépé Ahadji a consacré lui aussi une partie de sa Thèse de Doctorat de 3ème Cycle (1976) au « mariage mixte » pendant la période coloniale allemande. Dans le chapitre intitulé « l'idéologie raciale et la condamnation du mariage mixte », il met l'accent sur le point de vue des sociétés de mission qui ont condamné le mariage mixte. Elles ne condamnaient pas seulement le mariage mixte en soi, mais dénonçaient aussi l'attitude de quelques fonctionnaires coloniaux au Togo, qui allaient jusqu'à violer des filles mineures africaines. Pour ces sociétés de mission, un gouverneur qui a pour femme une indigène, enterre l'autorité morale de la race blanche. Les missions annonçaient que la volonté de Dieu était de voir les différentes races rester séparées, car chacune de ces races avait une mission particulière sur la terre.

Dans le livre de Jürgen Petschull Der Wahn vom Weltreich. Die Geschichte der deutschen Kolonien (Le rêve fou d'un empire colonial. L'histoire des colonies allemandes), le 4ème chapitre intitulé « Die Braunen Kinder der weißen Herren », aborde largement la question, avec de nombreuses images dont nous reproduisons d'ailleurs certaines, pour ce qui concerne le Togo allemand. Petschull insiste beaucoup sur la question de l'hypocrisie et l'immoralité de la vie sexuelle des Allemands dans les colonies, avec ses conséquences politiques et sociales. Il commence le chapitre par l'histoire des métis allemands« au Togo, en accordant beaucoup d'attention à quelques uns parmi eux. Il eut lui-même un entretien avec des membres du « Club des Métis Allemands », et avec Josef Comla5 Köhler, le fils de l'ancien gouverneur allemand August Köhler. Il termine le chapitre par un long article sous-titré « Zur Kolonie Togo » (A propos de la colonie du Togo) article dans lequel il

5 Josef«: orthographie originale allemande que l'on trouve dans la plupart des documents relatifs au fils du gouverneur Köhler, et qui a été francisée en Joseph«, sans doute dans la période française au Togo. Nous conservons donc ici l'orthographie originale, sauf dans les citations qui comportent Joseph«.

écrit: L'amour entre le Blanc et la Noire; on n'en parlait pas chez nous au pays [en Allemagne], mais dans les colonies, c'était une pratique quotidienne«6. Il considérait les Allemands vivant dans les colonies comme des hypocrites, et cite à ce sujet le sexologue Felix Bryk: Cet hypocrite, ce champion du mensonge, voilà qu'il s'offusque maintenant lorsqu'on l'intorroge à propos d'une femme noire, et pourtant, dans son lit l'attend déjà une Noire«. 7

En ce qui concerne l'historien Peter Sebald, principal initiateur du travail de mise en valeur des dossiers du Fonds allemand« des Archives Nationales du Togo (ANT/FA), il a transcrit les documents d'archives relatifs à notre sujet; il a aussi écrit des articles sur la question. Ses publications ont été précieuses pour notre travail, particulièrement son livre Togo 1884 - 1914. Eine Geschichte der deutschen « Musterkolonie auf der Grundlage amtlicher Quellen (1988), son article Christianus Jacob Protten Africanus (1715-1769). Erster Missionar einer deutschen Missionsgesellschaft in Schwarzafrika«8 et son repertoire sur les métis allemands« du Togo (cf. bibliographie).

Dans Togo 1884 - 1914. Eine Geschichte der deutschen Musterkolonie auf der Grundlage amtlicher Quellen (1988) il relate l'histoire des métis en soulevant les problèmes decoulant de leur éducation et de leur identité : problèmes nés du racisme des colonialistes : « Pour les Allemands du Togo parvenus au stade impérialiste, les métis sont devenus un problème, non seulement en raison de leur nombre toujours croissant. Il faut rechercher la raison principale du problème dans le racisme qui, de plus en plus, gagnait les rangs de ces Allemands du Togo«9. Il trouve que l'interdiction de donner des noms allemands aux enfants métis n'est rien d'autre que de l'hypocrisie, `'car ces noms [allemands] reflétaient visiblement la duplicité morale de la plupart des colonialistes allemands`'10.

La deuxième publication de Sebald mentionnée est une contribution à l'ouvrage collectif
issu du deuxième symposium international de l'histoire coloniale organisé en 1991 à
Berlin. Dans cette publication sur Jacob Protten, le premier missionnaire allemand en

6 In der Heimat wurde nicht darüber gesprochen, aber in den deutschen Kolonien wurde sie täglich praktiziert - die Liebe zwischen Weiß und Schwarz.« (cité in Petschull 1984:132f)

7 Dieser Heuchler, dieser Champion von Verlogenheit, der jetzt so entrüstet tut, wenn man ihn über ein schwarzes Weib befragt... in seinem Bette liegt bereits eine Schwarze`'. (cité in Petschull, 1984 :133)

8 In: Wilfried Wagner (Ed.): Kolonien und Missionen. Referate des 3. internationalen kolonialgeschichtlichen Symposiums 1993 in Bremen. Münster/Hamburg, List-Verlag, 1994, pp. 109-121.

9 Für die Kolonialdeutschen wurden im imperialistischen Stadium die Mischlinge nicht nur wegen ihrer stetig wachsenden Zahl ein Problem. Der Hauptgrund ist in dem sich bei den Kolonialdeutschen ausweitenden Rassismus zu suchen«. Sebald, 1988: 267)

10 Denn in diesen Namen ihrer Kinder offenbarte sich die doppelte Moral der meisten deutschen Kolonialisten. Car ces noms [allemands] réflétaient visiblement la duplicité morale de la plupart des colonialistes allemands`'. (Sebald, 1988: 268).

Afrique de l'Ouest et qui était un métis né d'un Danois et d'une princesse d'Aneho, Sebald souligne de nouveau que le racisme et le colonialisme sont deux choses intimement liées et qui se complètent parfaitement, notamment sur la question des métis.

Dans une autre publication intitulée Kolonialregime und Mischlinge. Das Beispiel der deutschen Kolonie Togo 1884-1914« (1992), Peter Sebald revient sur la question en considérant l'union mixte à l'époque coloniale allemande comme une forme d'exploitation de la femme noire par l'homme blanc. Il écrit : Pendant leur séjour en Afrique, les Européens vivaient souvent avec des femmes africaines qu'ils avaient parfois achetées comme esclaves, ou qu'ils avaient prises comme compagnes selon les usages de la législation africaine.«11 Mais il reconnaît aussi que parfois, c'est pour sauvegarder leurs intérêts politiques ou sociaux que les colons se mariaient avec les filles autochtones : Pour certains agents commerciaux ou fonctionnaires coloniaux britanniques, prendre pour compagne une femme africaine selon la coutume du pays était considéré comme une manière de consolider leur entreprise commerciale ou leur fonction«12.

Enfin, le repertoire de Sebald sur les métis allemands« du Togo (document inédit) constitue pour notre travail une base de données très utiles sur les enfants métis de pères allemands du temps colonial au Togo (cf. bibliographie). Grâce à cette liste, on peut non seulement connaître assez précisément le nombre de ces enfants (environ 200), mais aussi identifier, autant que possible, les noms et les parents des « métis allemands » du Togo. Toutefois, comme le souligne Sebald lui-même, ce repertoire ne permet pas de déterminer le nombre des enfants métis de la colonie, mais seulement celui des enfants déclarés auprès de l'administration coloniale au cours des recensements13 : `'Die Liste erfasst also nur die zu einem Zeitpunkt in einem Ort (oder Bezirk) wohnhaften Mischlingkinder bis zum Alter von 14/15 Jahren, danach rechnete sie die Verwaltung zu den Farbigen ». Ältere (erwachsene) dort wohnhafte Mischlinge wurden folglich nicht mehr erfasst. Gleiches galt für die mit ihren Müttern verzogenen Mischlingskinder, verstorbene Mischlinge in Dörfern, unter afrikanischen Namen lebend`' Le repertoire contient donc seulement les enfants métis résidant à un moment donné dans

11 Während ihres Aufenthalts in Afrika lebten die europäischen Männer vielfach mit afrikanischen Frauen zusammen, die sie teils als Sklavenmädchen gekauft, teils unter Beachtung afrikanischer Rechtsgepflogenheiten zu sich genommen hatten.» (Sebald, 1992 :110).

12 Eine afrikanische Frau nach Landessitte zu sich zu nehmen, betrachtete mancher Handelsagent oder britischer kolonialbeamter als einen für sein Handelsunternehmen b.z.w. seine Funktion fördernden Umstand«. (Sebald 1992 : 110).

13 A titre d'exemple, monsieur Simtaro (1982) fait état de métis allemands qui ne figurent pas sur la liste de Sebald.

une localité (ou un district), et qui était âgé de 14 à 15 ans au maximun. Au-delà de cet âge, l'administration les considérait et les recensait comme des Noirs. Les métis plus âgés (adultes) nétaient donc plus recencés. De même, on ne recensait plus les métis qui avaient démenagé avec leurs mères, les métis morts dans des villages ou ceux qui y vivaient sous des noms africains«14. La liste reste donc très fragmentaire et très incomplète, car elle ne tient pas compte des enfants métis non déclarés, non recensés, ou ceux dont les mères se trouvent dans des localités difficilement accessibles.

L'historien Ali Napo quant à lui, a décrit les conditions des métis dans sa Thèse intitulée: « Le Togo à l'époque allemande (1884 - 1914) ». Il désigne l'union entre femme noire et homme blanc par le mot « commerce » : «Le fait que tous ceux qui arrivaient dans le protectorat : commerçants, militaires et fonctionnaires coloniaux, étaient tous des hommes très jeunes et sans femmes ne pouvait que favoriser le commerce avec les négresses...« (Ali Napo 1995: 842). Pour lui, ce fut l'augmentation du nombre des métis qui conduisit à soulever les problèmes du métissage, car la loi du Reich n'avait jamais prévu l'existence des enfants métis et n'avait donc pas prévu la base juridique pour reconnaître ces enfants dits naturels«.

Dans l'ouvrage Le Togo 1884-2004 : 120 ans après Gustav Nachtigal. Connaître le passé pour mieux comprendre le présent. (2007), Oloukpona-Yinnon et Coulibaley- Béré ont présenté une contribution au colloque organisé à cet effet. Parlant de la descendance africaine de H. F. Achille Eccarius, ils montrent comment un Allemand, par l'union mixte avec une femme noire, fonda une famille devenue aujourd'hui une vraie collectivité africaine avec des ramifications internationales. Mais bien avant cela, ils ont d'abord montré la situation des métis et ensuite présenté l'essai de réglementation, par la loi, de la question au Togo.

Dans sa Thèse de Doctorat de 3ème Cycle, monsieur Dadja H. Simtaro a non seulement traité de la question des métis allemands au Togo, mais il a donné la parole à certains d'entre eux, à travers de longues interviews, dont nous reprenons quelques unes. Nous avons ainsi une documentation précieuse sur la manière dont les intéressés se voient euxmêmes, et la façon dont ils perçoivent leurs parents allemands.

14 'Die Liste erfasst also nur die zu einem Zeitpunkt in einem Ort (oder Bezirk) wohnhaften Mischlingkinder bis zum Alter von 14/15 Jahren, danach rechnete sie die Verwaltung zu den Farbigen ». Ältere (erwachsene) dort wohnhafte Mischlinge wurden folglich nicht mehr erfasst. Gleiches galt für die mit ihren Müttern verzogenen Mischlingskinder, verstorbene Mischlinge in Dörfern, unter afrikanischen Namen lebend`' (Sebald, 2006: 1)

Face à la revue de littérature qui vient d'être présentée, quel est notre apport et quelle sera notre approche?

Puisque tous les travaux ci-dessus cités ne traitent que de façon marginale la question des « métis allemands » au Togo, il nous paraît nécessaire et utile d'élaborer une documentation de référence qui soit consacrée exclusivement à ce sujet, et qui aborde la question sous l'angle de la société togolaise dans laquelle sont nés ces métis. Il nous paraît utile aussi de poser quelques problèmes soulevés par cette documentation

Problématique du sujet et intérêt de cette étude

En quoi l'existence des métis de pères allemands au Togo était-il un problème ? Quelle est la problématique essentielle de cette question dans notre travail ? Quel intérêt il y a-t-il à étudier aujourd'hui la question du métissage et la législation coloniale allemande au Togo sous domination allemande de 1884 à 1914, alors que le chapitre de la colonisation allemande est clos depuis près de 100 ans maintenant ? La principale raison du choix de ce sujet, c'est que la question est très peu traitée sur la base des documents historiques, elle fait plutôt l'objet de considérations romantiques et nostalgiques mal fondées, comme si les métis allemands« avaient été une catégorie de Togolais privilégiés. Il existe à Lomé un Club des Métis Allemands«15 (Petschull 1984 :16f) dont nous montrons une image ici (illustration n° 1).

De manière plus générale, l'évolution rapide de la société togolaise postcoloniale, particulièrement au cours des décennies après l'indépendance, tend à faire oublier d'où le Togo est parti, et à occulter les problèmes de société posés par le colonialisme allemand entre 1884 et 1914, ce qui ne permet pas toujours de bien mesurer et apprécier à sa juste dimension le chemin parcouru depuis la colonisation allemande jusqu'à l'indépendance du Togo, en passant par la partition du pays et la division des peuples par des frontières coloniales arbitraires. Aujourd'hui, il est permis aux métis de toutes origines, et particulièrement aux métis allemands« de vivre ensemble et de côtoyer tous les Togolais sans problème et sans restriction. Mais ceci n'a été rendu possible que pendant la période

15 Officiellement dénommé Association-Mutuelle des Métis au Togo« (Simtaro 1982:891ff), ce Club était - en principe! - ouvert à tous les métis sans distinction d'origine du père, mais, dans les faits, c'était un Club pour les métis de père allemand.

du mandat français sur le Togo. C'était une chose impensable à l'époque allemande, et pour cause: la législation allemande ne connaissait pas - et ne reconnaissait donc pas - les enfants nés de pères allemands et de mères togolaises. Et même si certains Allemands du Togo ont bien voulu assumer leur paternité et leur responsabilité vis-à-vis de tels enfants et vis-à-vis de leurs mères respectives, la loi ne les autorisait pas à donner leur nom de famille à leur progéniture. Et les plus embarrassés au sujet de cette question étaient avant tout les gouverneurs coloniaux eux-mêmes qui, pour la plupart, étaient directement et personnellement concernés, comme le montre un cas exemplaire que nous abordons dans ce Mémoire. On peut donc déjà considérer que l'un des aspects problématiques de la législation allemande sur les métis au Togo réside dans la question suivante: comment l'administration coloniale allemande pouvait-elle légiférer sereinement sur une question morale délicate dans laquelle le gouverneur lui-même autant que ses collaborateurs allemands - les administrateurs coloniaux - étaient presque tous partie prenante?

Un autre aspect de la problématique pourrait découler de la contradiction évidente entre la réalité historique et la situation actuelle des « métis allemands » au Togo . En effet, les métis allemands« du Togo, jadis reniés par la législation allemande, sont aujourd'hui publiquement reconnus au Togo comme tels. Nous avons aujourd'hui des familles de métis allemands« du Togo qui ont retrouvé des parents du côté allemand, se sont reconnus mutuellement comme descendants d'un même ancêtre, et qui fraternisent désormais de génération en génération16. Alors, pourquoi les métis allemands« du Togo - ainsi que leurs descendants - ne pourraient-ils pas prétendre à la nationalité allemande sur la base du sang allemand qui coule dans leurs veines? Le sujet de notre Mémoire de Maîtrise ne manque donc pas d'actualité, mais notre objectif n'est pas de fournir des documents historiques pour légitimer une quelconque revendication politique, mais pour permettre de mieux connaître et juger la réalité historique des métis allemands« au Togo. Nous pensons sincèrement que notre travail est un « devoir de mémoire » qui peut être un jalon dans la prise de conscience des mythes historiques qui entourent les métis, et qu'il peut devenir un modeste instrument de pédagogie de l'histoire des métis allemands« au Togo. C'est aussi un aspect de la réécriture de l'histoire du Togo allemand qui comporte encore des zones d'ombres en ce qui concerne la véracité des faits. C'est pourquoi nous

16 C'est le cas des descendants allemands et togolais de Hans Gruner, administrateur au Togo de 1892 à 1914.

avons choisi de nous appuyer essentiellement sur des documents d'archives authentiques, pour éviter toute spéculation et toute contestation de l'objet de notre recherche.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault