INTRODUCTION
Il est tout aussi évident que des enfants
métis ne pouvaient jamais obtenir le statut juridique d'un citoyen du
Reich.« 1
Sur tous les sentiers [au Togo], on
rencontre maintenant des prostituées et des concubines. Les métis
vont bientôt pousser comme des herbes sauvages«2.
Ainsi s'exprimait en octobre 1899 le préfet apostolique de la
Mission Catholique de la Société du Verbe Divin« (SVD) au
Togo, Monseigneur Hermann Bücking, dans un rapport, adressé
à sa hiérarchie (Adja 2009 :73 & Sebald 1988 :477). Il
tentait ainsi de tirer la sonnette d'alarme au sujet d'une question devenue
alors urgente et inquiétante pour l'évolution de la colonie
allemande du Togo: le problème posé par l'augmentation
vertigineuse des enfants métis nés de pères allemands et
de mères togolaises. Ce faisant, Monseigneur Bückling utilisait
aussi le vocabulaire de l'époque qui considérait tous les
métis comme de « mauvaises plantes », des « herbes
sauvages », et désignait leurs mères noires par les termes
de « prostituées » et de « concubines ».
Le 16 juillet 1913, la Société de
Mission de l'Allemagne du Nord adressa à son tour une lettre à
l'administration coloniale impériale de Berlin. Dans cette lettre, la
Mission de Brême souligne qu'au Togo le nombre des métis
était plus important que celui de la population masculine
européenne, et pourtant les relations entre ces enfants métis et
leurs pères allemands ne sont pas cordiales, puisque les métis ne
sont pris en charge de manière adéquate que par les familles de
leurs mères indigènes, qui d'ailleurs manquent de
moyens.
Effectivement, l'alerte sonnée par les
missionnaires porta au parlement allemand (Reichstag) la question de la
prolifération des métis dans les colonies allemandes. Au cours
d'un débat sur cette question, le député du parti
centriste pro-catholique, Matthias Erzberger, avait déclaré en
1912 : Si nous avons dans bien des colonies plus de métis que
d'Européens, c'est à des fonctionnaires de l'administration
coloniale qu'incombe une importante
1 Ebenso selbstverständlich ist es, dass [...]
niemals Michlingskinder den Rechtstand eines Bürgers des Reiches erhalten
konnten.« In Rassenhygiene und Kolonialpolitik, in: Deutscher
Kolonialdienst, 1939, n° 7, p. 182, cité in Sebald 1988:713,
note 87
2 Auf allen Wegen begegnen einem jetzt die Huren und
Konkubinen, und das Geschlecht der Mischlinge sprießt bald auf wie das
Unkraut.« (cité in Sebald 1988:477)
part de la faute dans cette
situation"3. Erzberger pointait ainsi du doigt les principaux
responsables de cette situation : les fonctionnaires coloniaux allemands. Le
Ministre des Colonies, au cours du même débat parlementaire sur la
question, a lancé aux députés un appel pathétique -
aux accents « patriotiques » - pour qu'ils votent la loi qui interdit
les mariages mixtes dans les colonies. Son argumentation est
simple4:
Messieurs, je prie instamment de vous laisser
guider dans cette affaire, par vos instincts. Souhaitez-vous que vos fils vous
ramènt à la maison des belles-filles noires? Souhaitez-vous
qu'ils vous déposent dans le berceau des petits-fils aux cheveux
crépus? Non messieurs, la nation toute entière ne souhaite pas
cela.
C'est donc à ce sujet, c'est-à-dire
à la question des métis de pères allemands, que nous
voulons accorder notre attention dans le présent Mémoire de
Maîtrise, en nous appuyant sur la législation que l'administration
coloniale allemande au Togo avait adoptée pour endiguer ce
déferlement de la vague de métis que Jürgen Petschull (p.
113) appelle « die braunen Kinder der weißen Herren »
(les enfants bruns des maîtres blancs).
Dès 1962, Cornevin - témoin
privilégié de l'évolution sociale au Togo dans les
années d'avant l'indépendance, a noté dans son ouvrage
Histoire du Togo (p. 306) :
Les métis constituent, au Togo, un
élément particulier. Au départ, on peut distinguer les
métis `brésiliens, allemands et français'. Les
Brésiliens sont l'élément le plus ancien ; il est
difficile de les distinguer des descendants d'esclaves de leurs maisons qui
portent le même nom qu'eux [....] Beaucoup de ces familles se
considèrent comme les plus authentiquement `indigènes'des
Togolais. Les métis allemands ont, généralement
très jeunes, été séparés de leur
père. Elevés par la mère africaine, ils ont appris le
français, quelquefois l'anglais et ignorent pratiquement tous
l'allemand. [...] Ces métis auxquels se joignent maintenant ceux de la
période française, sont avec leurs familles près de 5000.
Ils font partie de la communauté togolaise dont ils constituent en
quelque sorte l'aristocratie.
La présentation des métis togolais par
Robert Cornevin traduit ici déjà l'essentiel des problèmes
historiques, sociologiques et psychologies liés à la question des
métis au Togo : il esquisse une classification et une
périodisation d'un point de vue européen, en mettant des
distinctions entre les métis, alors que, dans la société
togolaise qui connaissait le métissage entre les ethnies aussi bien que
le métissage entre les races, l'appartenance d'un métis à
une race ou une ethnie n'avait jamais vraiment posé de problème
en soi ; les métis ne constituent pas vraiment une catégorie de
personnes à part, s'ils ont accepté de vivre comme les autres et
avec les autres ; mais si la fortune ou la renommée leur confère
une
3 Wenn wir in manchen Kolonien mehr Mischlinge als
Europäer haben, dann tragen Beamte der Kolonialverwaltung einen
erheblichen Teil Schuld daran.« (cité in Petschull 1984
:8)
4 Meine Herren, ich bitte Sie dringend, sich in
dieser Frage von Ihren Instinkten leiten zu lassen. Wünschen Sie, dass
Ihnen Ihre Söhne schwarze Schwiegertöchter ins Haus bringen?
Wünschen Sie, dass sie Ihnen wollhaarige Enkel in die Wiege legen? Nein
meine Herren, die ganze Nation wünscht das nicht.« (cité
in Petschull 1984 : 121)
certaine prépondérance, cela n'est pas
lié à leur identité de métis. A titre d'exemple, le
métis « brésilien » Geraldo de Lima,
célèbre sur la Côte des Esclaves dans les années
1860 à 1890, n'est pas devenu célèbre parce qu'il est
métis : en réalité, il n'était pas du tout
métis, puisqu'il s'appelait Adzoviehlo Atiogbe, né à
Agoué ; c'est après avoir travaillé avec le négrier
brésilien Cosar Cequira Geraldo de Lima, et après avoir
hérité des richesses de ce dernier mort en 1862, que Adzoviehlo
Atiogbe est devenu Gerado de Lima, riche et prospère (Gayibor 1990 :
217ff). Ce phénomène de « trans-identité »
(échange d'une identité contre une autre) était
relativement fréquent en Afrique de l'Ouest ; on en trouve un autre cas
- encore plus intéressant à travers l'exemple de l'auxiliaire
noir de la Mission de Brême nommé Albert Binder, originaire de
Peki-blengo, qui a volontairement troqué son prénom africain
Komla-Kuma contre les nom et prénom d'un missionnaire allemand, Albert
Binder ; allant même plus loin, il a adopté l'habillement
intégral du missionnaire allemand, si bien que rien ne le distinguait
plus de ce dernier, sinon la couleur de la peau ou les traits du visage
(Azamede 2006 & Azamede 2010).
Lorsque Cornevin classe les métis togolais et
les caractérise comme « en quelque sorte l'aristocratie »
de la société togolaise, il porte là un jugement
d'Européen que certains Africains, notamment les métis togolais
eux-mêmes, reprennent souvent à leur compte, parce que cela les
arrange d'être considérés comme tels. Or, comme le souligne
Cornevin lui-même à juste titre et à demi-mot, les
métis allemands« par exemple n'étaient pas
élevés avec leur père allemand, et n'avaient donc
généralement rien d'allemand, sinon la ressemblance patente que
Jürgen Petschull illustre parfaitement dans son ouvrage, et dont nous
reprenons ici quelques photos. En d'autres termes, il y a une
contre-vérité historique à vouloir présenter un
métis comme « un élément particulier », et
surtout à en faire un « aristocrate ». L'histoire des
métis allemands« prouve exactement le contraire,
lorsque l'on se réfère aux documents d'archives relatifs à
leur naissance, leur éducation et leur identité. En somme, ce
sont les Européens - comme Cornevin - qui ont diffusé
l'idée raciste selon laquelle les métis seraient une « race
particulière » que l'on disqualifie quand elle menace l'avenir des
Européens dans les colonies, ou que l'on annoblit pour diviser les
sociétés africaines postcoloniales et mieux les gouverner
à distance. Il est donc temps de porter un regard objectif, historique
et véridique, sur la question du métissage, surtout dans le
contexte colonial. C'est ce que nous tentons de faire dans la présente
documentation.
Notre objectif à travers ce travail de
recherche et de documentation est donc d'abord de ramener la question à
sa véritable dimension historique, en présentant des textes qui
en fondent la vérité. Ensuite, nous voulons montrer que la
question du métissage des races n'avait jamais constitué un
problème« pendant l'ère précoloniale: c'est le
colonisateur allemand qui, dans le souci obsessionnel mais hypocrite de
préservation de la race blanche, a problématisé« les
rapports sexuels entre Allemands et Togolaises, créant ainsi des
difficultés que les Togolais ne connaissaient pas et ne comprenaient
pas. Accessoirement, il s'agit aussi de démontrer que toute la
législation inventée pour « gérer »
l'avènement de métis allemands« au Togo, ne s'attaquait pas
à la vraie cause du problème qui était la sexualité
débridée des administrateurs allemands au Togo, et que ce sont
les femmes togolaises, véritables victimes, qui sont
culpabilisées comme prostitués. Enfin, notre travail de
documentation vise aussi à briser les tabous et les mythes qui entourent
les métis allemands« au Togo, dans le but de rétablir la
vérité historique.
A propos des unions mixtes, il convient de
préciser que les Africains en général, et les Togolais en
particulier, n'avaient ni la même conception, ni les mêmes
pratiques que les Européens au sujet de l'union entre un homme et une
femme. L'Européen appelle mariage« toute union légale entre
un homme et une femme, consignée dans un registre matrimonial, ainsi que
celle qui est sanctionnée par une bénédiction nuptiale
dans une église, par un prêtre ou un pasteur. Mais l'Africain a
lui aussi sa forme traditionnelle de mariage qui n'est pas forcément
consigné dans un registre, mais simplement constaté et
consacré par les parents des mariés, après une
démarche du prétendant dictée par les coutumes de chaque
pays ou de chaque clan, démarche généralement
accompagnée de cadeaux somptueux ou symboliques aux parents et (ou)
à la future mariée.
Il ressort de cette distinction qu'un Européen
peut ne pas considérer comme engagement contractuel un mariage
traditionnel africain, mais dans la réalité, les Européens
qui vivaient en Afrique avec des femmes noires, avaient plutôt tendance
à préférer la forme simple du mariage africain, pour
éviter toutes les difficultés juridiques éventuelles
pouvant surgir dans une procédure européenne
régulière. Ainsi, il leur suffisait de donner par exemple une
noix de kola symbolique et quelques cadeaux aux parents de la fiancée,
pour considérer le mariage comme acquis. Bien sûr, chez les
Africains comme chez les Européens, il y a aussi la forme plus ou moins
officielle d'union qu'est le concubinage, et
que beaucoup d'Européens pratiquaient en Afrique,
sans engagement véritable. C'est ce que notre mémoire de
maîtrise voudrait illustrer, avec textes et images.
Brève revue de la littérature sur la
question
Les travaux de recherche consacrés à la
question des métis allemands« du Togo sont plutôt rares. Ceux
qui en parlent sont d'un caractère général. Robert
Cornevin, dans son Histoire du Togo (1962, édition revue et
augmentée en 1969) que nous avons déjà cité,
consacre une demi-page aux métis en général, y compris les
métis allemands«. Le professeur Yawovi
Amétépé Ahadji a consacré lui aussi une partie de
sa Thèse de Doctorat de 3ème Cycle (1976) au « mariage mixte
» pendant la période coloniale allemande. Dans le chapitre
intitulé « l'idéologie raciale et la condamnation du mariage
mixte », il met l'accent sur le point de vue des sociétés de
mission qui ont condamné le mariage mixte. Elles ne condamnaient pas
seulement le mariage mixte en soi, mais dénonçaient aussi
l'attitude de quelques fonctionnaires coloniaux au Togo, qui allaient
jusqu'à violer des filles mineures africaines. Pour ces
sociétés de mission, un gouverneur qui a pour femme une
indigène, enterre l'autorité morale de la race blanche. Les
missions annonçaient que la volonté de Dieu était de voir
les différentes races rester séparées, car chacune de ces
races avait une mission particulière sur la terre.
Dans le livre de Jürgen Petschull Der Wahn
vom Weltreich. Die Geschichte der deutschen Kolonien (Le rêve fou d'un
empire colonial. L'histoire des colonies allemandes), le
4ème chapitre intitulé « Die Braunen Kinder der
weißen Herren », aborde largement la question, avec de nombreuses
images dont nous reproduisons d'ailleurs certaines, pour ce qui concerne le
Togo allemand. Petschull insiste beaucoup sur la question de l'hypocrisie et
l'immoralité de la vie sexuelle des Allemands dans les colonies, avec
ses conséquences politiques et sociales. Il commence le chapitre par
l'histoire des métis allemands« au Togo, en accordant beaucoup
d'attention à quelques uns parmi eux. Il eut lui-même un entretien
avec des membres du « Club des Métis Allemands », et avec
Josef Comla5 Köhler, le fils de l'ancien gouverneur allemand
August Köhler. Il termine le chapitre par un long article
sous-titré « Zur Kolonie Togo » (A propos de la colonie du
Togo) article dans lequel il
5 Josef«: orthographie originale allemande que
l'on trouve dans la plupart des documents relatifs au fils du gouverneur
Köhler, et qui a été francisée en Joseph«, sans
doute dans la période française au Togo. Nous conservons donc ici
l'orthographie originale, sauf dans les citations qui comportent
Joseph«.
écrit: L'amour entre le Blanc et la Noire;
on n'en parlait pas chez nous au pays [en Allemagne], mais dans les
colonies, c'était une pratique quotidienne«6. Il
considérait les Allemands vivant dans les colonies comme des hypocrites,
et cite à ce sujet le sexologue Felix Bryk: Cet hypocrite, ce
champion du mensonge, voilà qu'il s'offusque maintenant lorsqu'on
l'intorroge à propos d'une femme noire, et pourtant, dans son lit
l'attend déjà une Noire«. 7
En ce qui concerne l'historien Peter Sebald, principal
initiateur du travail de mise en valeur des dossiers du Fonds allemand«
des Archives Nationales du Togo (ANT/FA), il a transcrit les documents
d'archives relatifs à notre sujet; il a aussi écrit des articles
sur la question. Ses publications ont été précieuses pour
notre travail, particulièrement son livre Togo 1884 - 1914. Eine
Geschichte der deutschen « Musterkolonie auf der Grundlage amtlicher
Quellen (1988), son article Christianus Jacob Protten Africanus
(1715-1769). Erster Missionar einer deutschen Missionsgesellschaft in
Schwarzafrika«8 et son repertoire sur les métis
allemands« du Togo (cf. bibliographie).
Dans Togo 1884 - 1914. Eine Geschichte der
deutschen Musterkolonie auf der Grundlage amtlicher Quellen (1988) il
relate l'histoire des métis en soulevant les problèmes decoulant
de leur éducation et de leur identité : problèmes
nés du racisme des colonialistes : « Pour les Allemands du Togo
parvenus au stade impérialiste, les métis sont devenus un
problème, non seulement en raison de leur nombre toujours croissant. Il
faut rechercher la raison principale du problème dans le racisme qui, de
plus en plus, gagnait les rangs de ces Allemands du
Togo«9. Il trouve que l'interdiction de donner des noms
allemands aux enfants métis n'est rien d'autre que de l'hypocrisie,
`'car ces noms [allemands] reflétaient visiblement la
duplicité morale de la plupart des colonialistes
allemands`'10.
La deuxième publication de Sebald
mentionnée est une contribution à l'ouvrage collectif issu du
deuxième symposium international de l'histoire coloniale organisé
en 1991 à Berlin. Dans cette publication sur Jacob Protten, le
premier missionnaire allemand en
6 In der Heimat wurde nicht darüber gesprochen,
aber in den deutschen Kolonien wurde sie täglich praktiziert - die Liebe
zwischen Weiß und Schwarz.« (cité in Petschull
1984:132f)
7 Dieser Heuchler, dieser Champion von Verlogenheit,
der jetzt so entrüstet tut, wenn man ihn über ein schwarzes Weib
befragt... in seinem Bette liegt bereits eine Schwarze`'. (cité in
Petschull, 1984 :133)
8 In: Wilfried Wagner (Ed.): Kolonien und
Missionen. Referate des 3. internationalen kolonialgeschichtlichen Symposiums
1993 in Bremen. Münster/Hamburg, List-Verlag, 1994, pp.
109-121.
9 Für die Kolonialdeutschen wurden im
imperialistischen Stadium die Mischlinge nicht nur wegen ihrer stetig
wachsenden Zahl ein Problem. Der Hauptgrund ist in dem sich bei den
Kolonialdeutschen ausweitenden Rassismus zu suchen«. Sebald, 1988:
267)
10 Denn in diesen Namen ihrer Kinder offenbarte
sich die doppelte Moral der meisten deutschen Kolonialisten. Car ces noms
[allemands] réflétaient visiblement la duplicité morale de
la plupart des colonialistes allemands`'. (Sebald, 1988: 268).
Afrique de l'Ouest et qui était un métis
né d'un Danois et d'une princesse d'Aneho, Sebald souligne de nouveau
que le racisme et le colonialisme sont deux choses intimement liées et
qui se complètent parfaitement, notamment sur la question des
métis.
Dans une autre publication intitulée
Kolonialregime und Mischlinge. Das Beispiel der deutschen Kolonie Togo
1884-1914« (1992), Peter Sebald revient sur la question en
considérant l'union mixte à l'époque coloniale allemande
comme une forme d'exploitation de la femme noire par l'homme blanc. Il
écrit : Pendant leur séjour en Afrique, les Européens
vivaient souvent avec des femmes africaines qu'ils avaient parfois
achetées comme esclaves, ou qu'ils avaient prises comme compagnes selon
les usages de la législation africaine.«11 Mais il
reconnaît aussi que parfois, c'est pour sauvegarder leurs
intérêts politiques ou sociaux que les colons se mariaient avec
les filles autochtones : Pour certains agents commerciaux ou fonctionnaires
coloniaux britanniques, prendre pour compagne une femme africaine selon la
coutume du pays était considéré comme une manière
de consolider leur entreprise commerciale ou leur
fonction«12.
Enfin, le repertoire de Sebald sur les métis
allemands« du Togo (document inédit) constitue pour notre travail
une base de données très utiles sur les enfants métis de
pères allemands du temps colonial au Togo (cf. bibliographie).
Grâce à cette liste, on peut non seulement connaître assez
précisément le nombre de ces enfants (environ 200), mais aussi
identifier, autant que possible, les noms et les parents des «
métis allemands » du Togo. Toutefois, comme le souligne Sebald
lui-même, ce repertoire ne permet pas de déterminer le nombre des
enfants métis de la colonie, mais seulement celui des enfants
déclarés auprès de l'administration coloniale au cours des
recensements13 : `'Die Liste erfasst also nur die zu einem
Zeitpunkt in einem Ort (oder Bezirk) wohnhaften Mischlingkinder bis zum Alter
von 14/15 Jahren, danach rechnete sie die Verwaltung zu den Farbigen ».
Ältere (erwachsene) dort wohnhafte Mischlinge wurden folglich nicht mehr
erfasst. Gleiches galt für die mit ihren Müttern verzogenen
Mischlingskinder, verstorbene Mischlinge in Dörfern, unter afrikanischen
Namen lebend`' Le repertoire contient donc seulement les enfants métis
résidant à un moment donné dans
11 Während ihres Aufenthalts in Afrika lebten
die europäischen Männer vielfach mit afrikanischen Frauen zusammen,
die sie teils als Sklavenmädchen gekauft, teils unter Beachtung
afrikanischer Rechtsgepflogenheiten zu sich genommen hatten.»
(Sebald, 1992 :110).
12 Eine afrikanische Frau nach Landessitte zu sich
zu nehmen, betrachtete mancher Handelsagent oder britischer kolonialbeamter als
einen für sein Handelsunternehmen b.z.w. seine Funktion fördernden
Umstand«. (Sebald 1992 : 110).
13 A titre d'exemple, monsieur Simtaro (1982) fait
état de métis allemands qui ne figurent pas sur la liste de
Sebald.
une localité (ou un district), et qui
était âgé de 14 à 15 ans au maximun. Au-delà
de cet âge, l'administration les considérait et les recensait
comme des Noirs. Les métis plus âgés (adultes)
nétaient donc plus recencés. De même, on ne recensait plus
les métis qui avaient démenagé avec leurs mères,
les métis morts dans des villages ou ceux qui y vivaient sous des noms
africains«14. La liste reste donc très fragmentaire
et très incomplète, car elle ne tient pas compte des enfants
métis non déclarés, non recensés, ou ceux dont les
mères se trouvent dans des localités difficilement
accessibles.
L'historien Ali Napo quant à lui, a
décrit les conditions des métis dans sa Thèse
intitulée: « Le Togo à l'époque allemande (1884 -
1914) ». Il désigne l'union entre femme noire et homme blanc par le
mot « commerce » : «Le fait que tous ceux qui arrivaient
dans le protectorat : commerçants, militaires et fonctionnaires
coloniaux, étaient tous des hommes très jeunes et sans femmes ne
pouvait que favoriser le commerce avec les négresses...« (Ali
Napo 1995: 842). Pour lui, ce fut l'augmentation du nombre des métis qui
conduisit à soulever les problèmes du métissage, car la
loi du Reich n'avait jamais prévu l'existence des enfants métis
et n'avait donc pas prévu la base juridique pour reconnaître ces
enfants dits naturels«.
Dans l'ouvrage Le Togo 1884-2004 : 120 ans
après Gustav Nachtigal. Connaître le passé pour mieux
comprendre le présent. (2007), Oloukpona-Yinnon et Coulibaley-
Béré ont présenté une contribution au colloque
organisé à cet effet. Parlant de la descendance africaine de H.
F. Achille Eccarius, ils montrent comment un Allemand, par l'union mixte avec
une femme noire, fonda une famille devenue aujourd'hui une vraie
collectivité africaine avec des ramifications internationales. Mais bien
avant cela, ils ont d'abord montré la situation des métis et
ensuite présenté l'essai de réglementation, par la loi, de
la question au Togo.
Dans sa Thèse de Doctorat de
3ème Cycle, monsieur Dadja H. Simtaro a non seulement
traité de la question des métis allemands au Togo, mais il a
donné la parole à certains d'entre eux, à travers de
longues interviews, dont nous reprenons quelques unes. Nous avons ainsi une
documentation précieuse sur la manière dont les
intéressés se voient euxmêmes, et la façon dont ils
perçoivent leurs parents allemands.
14 'Die Liste erfasst also nur die zu einem
Zeitpunkt in einem Ort (oder Bezirk) wohnhaften Mischlingkinder bis zum Alter
von 14/15 Jahren, danach rechnete sie die Verwaltung zu den Farbigen ».
Ältere (erwachsene) dort wohnhafte Mischlinge wurden folglich nicht mehr
erfasst. Gleiches galt für die mit ihren Müttern verzogenen
Mischlingskinder, verstorbene Mischlinge in Dörfern, unter afrikanischen
Namen lebend`' (Sebald, 2006: 1)
Face à la revue de littérature qui vient
d'être présentée, quel est notre apport et quelle sera
notre approche?
Puisque tous les travaux ci-dessus cités ne
traitent que de façon marginale la question des « métis
allemands » au Togo, il nous paraît nécessaire et utile
d'élaborer une documentation de référence qui soit
consacrée exclusivement à ce sujet, et qui aborde la question
sous l'angle de la société togolaise dans laquelle sont
nés ces métis. Il nous paraît utile aussi de poser quelques
problèmes soulevés par cette documentation
Problématique du sujet et intérêt de
cette étude
En quoi l'existence des métis de pères
allemands au Togo était-il un problème ? Quelle est la
problématique essentielle de cette question dans notre travail ? Quel
intérêt il y a-t-il à étudier aujourd'hui la
question du métissage et la législation coloniale allemande au
Togo sous domination allemande de 1884 à 1914, alors que le chapitre de
la colonisation allemande est clos depuis près de 100 ans maintenant ?
La principale raison du choix de ce sujet, c'est que la question est
très peu traitée sur la base des documents historiques, elle fait
plutôt l'objet de considérations romantiques et nostalgiques mal
fondées, comme si les métis allemands« avaient
été une catégorie de Togolais privilégiés.
Il existe à Lomé un Club des Métis
Allemands«15 (Petschull 1984 :16f) dont nous montrons une image
ici (illustration n° 1).
De manière plus générale,
l'évolution rapide de la société togolaise postcoloniale,
particulièrement au cours des décennies après
l'indépendance, tend à faire oublier d'où le Togo est
parti, et à occulter les problèmes de société
posés par le colonialisme allemand entre 1884 et 1914, ce qui ne permet
pas toujours de bien mesurer et apprécier à sa juste dimension le
chemin parcouru depuis la colonisation allemande jusqu'à
l'indépendance du Togo, en passant par la partition du pays et la
division des peuples par des frontières coloniales arbitraires.
Aujourd'hui, il est permis aux métis de toutes origines, et
particulièrement aux métis allemands« de vivre ensemble et
de côtoyer tous les Togolais sans problème et sans restriction.
Mais ceci n'a été rendu possible que pendant la
période
15 Officiellement dénommé
Association-Mutuelle des Métis au Togo« (Simtaro 1982:891ff), ce
Club était - en principe! - ouvert à tous les métis sans
distinction d'origine du père, mais, dans les faits, c'était un
Club pour les métis de père allemand.
du mandat français sur le Togo. C'était
une chose impensable à l'époque allemande, et pour cause: la
législation allemande ne connaissait pas - et ne reconnaissait donc pas
- les enfants nés de pères allemands et de mères
togolaises. Et même si certains Allemands du Togo ont bien voulu assumer
leur paternité et leur responsabilité vis-à-vis de tels
enfants et vis-à-vis de leurs mères respectives, la loi ne les
autorisait pas à donner leur nom de famille à leur
progéniture. Et les plus embarrassés au sujet de cette question
étaient avant tout les gouverneurs coloniaux eux-mêmes qui, pour
la plupart, étaient directement et personnellement concernés,
comme le montre un cas exemplaire que nous abordons dans ce Mémoire. On
peut donc déjà considérer que l'un des aspects
problématiques de la législation allemande sur les métis
au Togo réside dans la question suivante: comment l'administration
coloniale allemande pouvait-elle légiférer sereinement sur une
question morale délicate dans laquelle le gouverneur lui-même
autant que ses collaborateurs allemands - les administrateurs coloniaux -
étaient presque tous partie prenante?
Un autre aspect de la problématique pourrait
découler de la contradiction évidente entre la
réalité historique et la situation actuelle des «
métis allemands » au Togo . En effet, les métis
allemands« du Togo, jadis reniés par la législation
allemande, sont aujourd'hui publiquement reconnus au Togo comme tels. Nous
avons aujourd'hui des familles de métis allemands« du Togo qui ont
retrouvé des parents du côté allemand, se sont reconnus
mutuellement comme descendants d'un même ancêtre, et qui
fraternisent désormais de génération en
génération16. Alors, pourquoi les métis
allemands« du Togo - ainsi que leurs descendants - ne pourraient-ils pas
prétendre à la nationalité allemande sur la base du sang
allemand qui coule dans leurs veines? Le sujet de notre Mémoire de
Maîtrise ne manque donc pas d'actualité, mais notre objectif n'est
pas de fournir des documents historiques pour légitimer une quelconque
revendication politique, mais pour permettre de mieux connaître et juger
la réalité historique des métis allemands« au Togo.
Nous pensons sincèrement que notre travail est un « devoir de
mémoire » qui peut être un jalon dans la prise de conscience
des mythes historiques qui entourent les métis, et qu'il peut devenir un
modeste instrument de pédagogie de l'histoire des métis
allemands« au Togo. C'est aussi un aspect de la
réécriture de l'histoire du Togo allemand qui comporte encore des
zones d'ombres en ce qui concerne la véracité des faits. C'est
pourquoi nous
16 C'est le cas des descendants allemands et togolais de
Hans Gruner, administrateur au Togo de 1892 à 1914.
avons choisi de nous appuyer essentiellement sur des
documents d'archives authentiques, pour éviter toute spéculation
et toute contestation de l'objet de notre recherche.
|