2. Contre-culture et médiatisation27
Afin de diffuser ses idées et l'état de ses
actions, les partisans de la contreculture mettent en place différents
moyens de communication, à savoir au travers de la musique et de la
presse clandestine.
Dans un premier temps, le rock et la musique
populaire des années 1960 constituent à eux seul l'expression la
plus directe de la contestation, jusqu'à en être
considérés comme une sorte de religion. Cette forme d'expression
reste la plus diffusée durant cette période grâce en
particulier à l'apparition du 45 tours en 1948, à l'essor des
stations radiophoniques au lendemain de la seconde guerre mondiale mais surtout
à la commercialisation des transistors à piles portatifs en 1964
permettant une écoute en n'importe quel lieu et en n'importe quel
moment. L'archétype du chanteur contestataire par excellence se trouve
en la personne de Bob Dylan avec des chansons comme I Shall Be Free,
l'une des préférées des contestataires, dans laquelle il
exprime la claustrophobie dans laquelle la société l'enferme. Par
ailleurs, Bob Dylan s'inspirait de l'actualité découlant des
contestataires noirs comme dans la chanson intitulée Oxford
Town dans laquelle est évoquée la difficulté
d'intégration des étudiants noirs dans les universités
américaines et fait référence à James Meredith
(première personne de couleur ayant accès à
l'Université du Mississipi en 1962). Bob Dylan sait parfois adopter une
attitude plus radicale contre l'ordre établi lorsqu'en 1964 il
enregistre Times, They Are A-Changing dans laquelle la critique des
politiciens véreux et du Congrès est violente. Cette
dernière montre la voie ouverte du
27 Ibid, pp. 67-75.
changement social et elle est ainsi diffusée lors de
grands rassemblements contestataires. La chanson préférée
des contestataires de la côte Ouest, proches de la communauté
hippie Haight-Ashbury de San Francisco, reste Mr Tambourine
Man dans laquelle le rythme obsédant de la vie
interprété musicalement conduit à explorer les paradis
artificiels afin d'échapper à l'oppression de la vie quotidienne.
En 1965, il fait scandale de par sa Ballad Of A Thin Man dans laquelle
il présente un homme indifférent au conflit vietnamien sous le
patronyme de Mr Jones pouvant être assimilé à la
personne de Lyndon Baines Johnson, nouvellement promu Président des
Etats-Unis : Something is happening here / But you don't know what it is /
Do you, Mister Jones ? (NdT : Quelquechose se passe en ce lieu / Mais vous
ne savez pas de quoi il s'agit / N'est-ce pas, Monsieur Jones ?). Selon
l'auteur lui-même, ce mystérieux Mr Jones ne vise personne en
particulier mais représente une mosaïque d'archétypes
sociaux. Les contestataires étudiants de l'Université de Berkeley
n'hésitent pas à surnommer Clark Kerr, président de
l'Université de Californie, du nom de ce personnage dans le journal
universitaire Berkeley Barb du 8 juin 1965. Des groupes de
rock à scandale comme les Rolling Stones font écho dans
le milieu contestataire avec des titres comme Satisfaction, 19th
Nervous Breakdown ou encore Sister Morphine évoquant les
incertitudes de l'avenir des jeunes incapables de s'exprimer dans une
société aliénante les conduisant soit au suicide soit
à l'univers des drogues. Le titre Street Fighting Man du
même groupe reste la chanson la plus contestataire de cette formation. En
effet, elle évoque la violence armée présente dans les
rues ainsi que les souffrances existentielles de la jeunesse. Cette ode
à la révolte date de 1968, année de toutes les
manifestations contestataires (révoltes des campus aux Etats-Unis, Mai
1968 en France), correspondant si bien au climat de l'époque que les
étudiants de Berkeley la consacrent chanson de l'année.
La chanson A Hard Day's Night des Beatles datant de 1964 se
défini comme une critique de l'oppression de la société
tandis que leur All You Need Is Love de 1967 est
considéré comme
l'hymne antimilitariste par excellence ainsi qu'une ode
à l'amour et la fraternité. Les contestataires
appréciaient des artistes comme Jimi Hendrix, Janis Joplin, Joan Baez,
The Grateful Dead, Jefferson Airplane, Country Joe and the Fish, autrement dit
des formations appartenant au mouvement psychédélique ou à
la scène folk. Musique et contestation allaient de pair. Pour
illustrer l'importance des musiques populaires à la fin des
années 1960, 23 millions de jeunes Américains ont ainsi
dépensé 40 milliards de dollars dans l'achat de substances
illicites, de disques de rock ou de billets de concerts en 1968.
Joseph P. Drakoulias fait paraître un article dans le Berkeley
Barb du 7 janvier 1969 évaluant à environ 482 dollars la
dépense effectuée par l'Américain moyen dans le domaine
musical contre près de 52 dollars destinés à l'achat de
drogues en tous genres en 1968 uniquement. Son échantillonnage s'appuie
sur 1001 contestataires représentatifs selon lui du Mouvement.
La publication des journaux clandestins dits undergrounds
correspond à une prise de conscience des contestataires de la
manipulation par les massmédias d'une information qui perdait de son
objectivité. Le nombre de création de tels périodiques
était proportionnel à l'ampleur que prenait le mouvement
contestataire. Entre 1965 et 1970, plus de 4 000 journaux parurent, parfois
pour une seule édition et furent lus par plus de 15 millions
d'Américains. La presse clandestine est née en 1955 avec la
parution du Village Voice qui se faisait l'écho de la
communauté de Greenwich Village sous l'éditorialiste Norman
Mailer. Son contenu est sa prestation ne faisait pas de lui un journal à
proprement parler underground à cause de son conventionnalisme.
Par ailleurs, le Realist de Paul Krassner est un autre
périodique apparu dans les années 1950. De 600 exemplaires en
1958 il est tiré à près de 100 000 dix ans plus tard. Ces
deux journaux sont issus des milieux de gauche et portent une critique
satirique envers les institutions. Ce dernier adopte un comportement plus
engagé en 1964 en adoptant un langage hippie plus rêche
et incluant des articles à caractère dadaïste. Cette presse
underground était principalement financée par la
publicité
à cause du coût important des frais d'impression.
Le Berkeley Barb est fondé en 1965 par un ancien
étudiant en sociologie de l'Université de Californie, Mark Scheer
dont les collaborateurs proviennent du milieu estudiantin. Imprimé
à près de 100 000 exemplaires, ce journal pouvait facturer
jusqu'à 500 dollars une page de publicité contenant les
informations les plus variées : adresse des magasins de vêtements
en vogue, lieux où se procurer des substances illicites, dates des
concerts à venir des groupes de rock. L'idée de
créer un tel journal est né du fait que cet ancien
étudiant ne cessait de faire des allers-retours entre son domicile et sa
faculté afin de se tenir au courant des dernières nouvelles. La
création d'un moyen de communication était nécessaire
à la diffusion de la vie étudiante de Berkeley. Ainsi, le
Berkeley Barb devint le porte-parole du campus et de toute une
génération. Ce dernier possède même une rubrique
informant sans tabous sur les problèmes sexuels en tout genre (maladies
sexuellement transmissibles, effets de certaines substances sur les
performances sexuelles), tenue par le docteur Hip Pocrates (jeu de mots
basé sur l'adjectif hip se référant aux
hippies et sur le serment d'Hippocrate). L'un des
événements majeurs que ce journal couvrit reste l'épisode
du People's Park en 1969. Ce terrain fut subtilisé par les
étudiants à leur université afin de créer un espace
de fraternité malgré le refus de cette dernière. Le
périodique prit fait et cause pour les étudiants en les incitant
à la mobilisation afin de construire le seul havre de paix
présent au sein du campus. Divers journaux de ce même genre
apparurent comme le Vietnam GI ou encore GI Voice qui comme
leur nom l'indique se spécialisent dans la guerre du Vietnam. Screw
et The New York Review of Sex quant à eux se
préoccupent principalement des questions sur le sexe. Parmi les journaux
les plus populaires, nous trouvons l'East Village Other de New York,
très apprécié dans les milieux les plus
défavorisés de la côte Est. Ce dernier employait des
collages de bandes dessinées à caractère satirique et
pornographique tandis que ses journalistes adoptaient un langage direct et
incisif afin de se démarquer de la presse traditionnelle. Sur la
côte opposée, The San Francisco Oracle se fait
l'écho de la
communauté hippie d'Haight-Ashbury. Son
impression en couleurs tentait de recréer les visions possibles sous
emprise de LSD. Entre 1965 et 1968, chaque grande ville américaine
possède son journal clandestin. La presse underground a connu
un accueil mitigé. Pour certains, ce n'était qu'un ramassis
d'images pornographiques, révolutionnaires ou hippies. Pour
d'autres, elle représentait la seule presse totalement libre à
oser s'élever contre le gouvernement et l'ordre établi. A partir
de 1968, cette presse connut un essoufflement. Cette même année,
le San Francisco Oracle disparut à cause d'un déficit
financier, le Berkeley Barb se mis en grève en raison d'un
désaccord entre Mark Scheer et ses collaborateurs qui voulaient
instaurer au sein même du journal un démocratie de
participation dans le choix des sujets à traiter tandis que le
Los Angeles Free Press dut verser une amende de 43 000 dollars pour
avoir divulgué l'identité ainsi que le domicile des membres de la
brigade des stupéfiants de Californie.
Le mouvement contre-culturel s'éteint au début
des années 1970 en raison principalement de la récession
économique et du ralentissement des hostilités au Vietnam. La
France a connu une telle révolte de la jeunesse lors de
évènements de Mai 1968 mais ces derniers ne touchaient pas
uniquement les étudiants mais tous les secteurs d'activité. Cette
révolution n'est restée qu'au stade idéologique et ne
s'est pas concrétisée matériellement. La révolution
contre-culturelle ne s'est pas réalisée à cause de la
difficulté du but à atteindre, à savoir changer des normes
et des valeurs sociales aussi vieilles que l'humanité. Ce mouvement est
plutôt resté très présent sur un plan artistique et
en particulier au niveau musical.
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