C. Dynamisation du rock psychédélique
Afin de dynamiser les formes musicales, certains groupes
musicaux comme les Doors s'imprègnent de différents styles sans
oublier les Beatles qui excellent dans ce domaine grâce à la
formation classique de leur producteur George Martin. Ces différents
courants musicaux sont pour la plupart issus du passé, du jazz des
années 1930 au répertoire populaire européen comme le
flamenco par exemple. Les musiciens développent le pont
musical51 qui devient différent de l'instrumentation de la
chanson. L'album de ces derniers intitulé Sergent Pepper Lonely
Hearts Club Band en est l'une des illustrations les plus significatives.
L'extrait A Day In The Life de l'album des Beatles cité
ci-dessus en est l'exemple même. En effet, chacune des parties de la
chanson possède la
51 Fragment parfois modulant de quelques mesures
permettant de relier deux parties dune même chanson.
même instrumentation à savoir basse, guitare,
piano, batterie, percussions. La première partie à
caractère mélodique a été créée par
John Lennon tandis que la deuxième, beaucoup plus rythmique, fut
écrite par Paul Mc Cartney. Ces deux parties sont de tonalités
différentes (sol majeur pour la première et ré majeur pour
la deuxième) et de tempi différents (la deuxième partie
étant plus vive). Le producteur George Martin eut l'idée de
créer un magma sonore atonal permettant de les relier entre elles. Il
utilisa un orchestre classique de 40 musiciens leur donnant pour seule consigne
d'effectuer un glissando de la note la plus grave de leur instrument vers la
note la plus aiguë avec un crescendo (de pianississimo à
fortississimo) de 16 mesures. La chanson For Your Love des Yardbirds
en fait de même principe. La durée des chansons devient de plus en
plus longues à tel point qu'une face entière de 33 tours est
destinée à une seule chanson. Les morceaux peuvent atteindre des
durées dépassant les dix minutes comme par exemple The
End tiré du premier album du groupe The Doors intitulé tout
simplement The Doors sorti en janvier 1967.
Dans le but de dynamiser l'harmonie les musiciens utilisent la
sixte napolitaine parmi d'autres ainsi que le principe du slide
slipping emprunté au jazz. Le titre House at Pooneil
Corners de Jefferson Airplane oscille entre les degrés I et
bII tandis que les Doors utilisent la sixte napolitaine dans The
Crystal Ship. Certains emploient des harmonies de passages plus
communément appelées harmonies pivots. Le titre Light My
Fire des Doors varie entre les accords la mineur et fa# mineur
inspirés de l'extrait intitulé Neptune de l'oeuvre
Les Planètes de Gustav Holst52. D'autres comme
Jefferson Airplane dans White Rabbit utilisent deux tonalités
(la majeur pour le refrain et le pont tandis que les couplets sont en fa
majeur) dans un pseudo flamenco dans lequel l'accord sol majeur sert à
la fois d'appoggiature et d'accord pivot. Cette polytonalité est
présente dans Casbah des Terrazzo Brothers dans lequel
l'esthétique de la mauvaise note est à noter. Jimi Hendrix
définit cette dernière de la façon
52 Cette analyse doit être attribuée
à l'ouvrage suivant : HICKS Michael, op. cit., p. 69.
suivante : «Playing the opposite notes to what you
think the notes should be [...] It's like playing wrong notes seriously, dig
?»53 (NdT : « Jouer les notes opposées
auxquelles tu penses qu'elles devraient être [...] C'est comme jouer faux
sérieusement. »).
A partir de cette description analytique du rock
psychédélique découle toute une interprétation
symbolique des processus électro-acoustiques. Par exemple la
réverbération n'a pas la même connotation dans le surf
rock que dans le rock psychédélique. Chez le
premier, cet effet évoque l'immensité des espaces
océaniques tandis que pour le deuxième il rappelle
l'immensité des espaces intérieurs. Ceci est dû à la
spécificité des sons réverbérés qui semblent
à l'auditeur à la fois proches et lointains.
Le rock exploite la technique du
tone-bending permettant de varier la hauteur sans changer de fret en
tirant sur les cordes à partir du manche de la guitare. Cependant les
musiciens utilisent une armature (une sorte de barre de fer appelée
vibrato) accrochée au chevalet de l'instrument. Cette armature est
apparue en 1929 aux banjos puis aux guitares dans les années 1940. Cette
technique est très employée par les groupes de surf rock
comme les Ventures (par exemple dans Walk Don't Run ou encore
Perfidia) afin d'embellir les riffs. Dans l'esthétique
surf rock, ceci évoque à la fois les guitares
hawaïennes mais aussi l'ondulation des vagues océaniques. Par
rapport au mouvement psychédélique cette technique peut
suggérer les inclinaisons de l'esprit au travers du trip. Jimi
Hendrix emploie cette technique de façon particulière en appuyant
à l'aide de son avant-bras sur le vibrato ce qui lui permet de se servir
de ses deux mains.
L'effet wah-wah bien connu des guitaristes devient
l'un des maniérismes du rock psychédélique. Cet
effet est apparut dans les années 1920 chez les trompettistes de jazz
qui bouchent plus ou moins leur pavillon à l'aide d'une
53 Ibid, p. 69.
coupe leur permettant d'enrichir le timbre de leur solo. Chet
Atkins adapte cette technique à la guitare en 1959 dans Boo Boo
Stick Beat en jouant des riffs harmoniques au travers d'une
pédale de volume à laquelle il remplace le circuit du volume par
un circuit de contrôle de la note. Au milieu des années 1960,
certaines sociétés commercialisent des pédales
wah-wah préfabriquées. Cet effet fut popularisé
par le groupe Cream d'Eric Clapton au travers de chansons comme Tales of
Brave Ulysses (1967) ou encore White Room (1968) mais aussi par
Jimi Hendrix et son album Electric Ladyland (1968).
Le feedback (NdT : rétroaction), autre effet
électro-acoustique tout aussi appelé larsen, est obtenu en
approchant les microphones de la guitare vers la membrane de l'amplificateur.
Il en résulte un son très aigu et strident dont
l'intensité varie selon la proximité qui se trouve entre les
micros et l'ampli. Cet effet est déjà présent en 1964 chez
les Beatles dans leur succès I Feel Fine. Trois ans plus tard,
Jimi Hendrix s'en servira dans le but de créer une sorte de fanfare
psychédélique dans Foxy Lady.
L'un des effets que le rock
psychédélique utilisera comme cliché reste le ADT
(Automatic Double Tracking qui sera plus tard nommé
phasing). Cet effet a été découvert lors d'un
incident technique : en 1959, l'ingénieur du son Larry Levine superpose
deux dubs54 sans les régler à la même
vitesse. Il en résulta un son qui ressemble à celui d'un avion en
plein vol. Cette interprétation du phasing purement
décorative est perceptible dans l'introduction de Back In URSS
des Beatles ainsi que dans Sky Pilot des Animals. Chez les Small Faces
il accompagne le texte de façon à ce que l'auditeur
interprète cet effet comme une impression générale
hallucinatoire. Dans Itchycoo Park, le phasing est
appliqué dans les deux versets suivants : «I feel inclined to
blow my mind / It's all too beautiful» (NdT : « Je sens mon
esprit s'incliner / Tout est trop magnifique. »).
54 En ce temps-là, afin de grossir le son des
instruments, le musicien devait enregistrer sa partie deux fois. Les
ingénieurs du son devaient superposer les deux bandes en les calant
à la même vitesse avant de commencer tout travail de traitement du
son.
Pour Jimi Hendrix, ce son obtenu lui semble être
«an underwater sound»55 (NdT : « un son
sous-marin. »).
Le rock psychédélique s'est largement
servi des panoramiques stéréo de façon assez
particulière. La norme stéréo est apparut dans les
années 1950. Au départ, cette dernière permettait de
réaliser des disques dans le but de restituer la position
tridimensionnelle des instruments sur scène. A la fin de cette
décennie, des ensembles percussifs enregistrèrent en
question-réponse entre chaque instrument qui sont distribués dans
les canaux panoramique. Le son dit pingpong fut ainsi
créé. Au milieu des années 1960, la plupart des groupes de
rock psychédélique utilisent la norme
stéréo non plus recréer une ambiance de concert en direct
mais de façon à balader les sons. Le son n'est plus figé
dans une certaine partie de l'espace mais semble traverser la tête de
l'auditeur de part et d'autre, comme par exemple la guitare de Jimi Hendrix
dans Voodoo Child ou encore la voix de John Lennon dans A Day In
The Life. La disposition des instruments devient tout à fait
inédite. L'écoute de l'album Sergent Pepper Lonely Hearts
Club Band des Beatles apporte une écoute assez particulière.
La disposition panoramique des instruments s'effectue de la façon,
suivante : à gauche nous trouvons la batterie, la guitare rythmique, les
claviers tandis qu'à droite se trouve la voix et la basse et parfois un
riff de guitare de temps en temps. A chaque fois que j'écoute
cet album, j'ai l'impression d'apercevoir la formation instrumentale de profil
et non de face. En effet, la batterie est répartie dans le fond de la
scène tandis qu'elle paraît tout à fait à gauche
dans cet albumci. La voix est en général située au centre
alors qu'ici elle est à droite.
Il n'y a pas que les instrumentistes qui dynamisent le timbre
de leur instrument. Les chanteurs en font de même au travers de
différents moyens, comme par l'utilisation des techniques vocales
empruntées au jazz tel que le glissando, perceptible dans la voix de
Grace Slick appartenant au groupe
55 HICKS Michael, op. cit.,p. 72.
Jefferson Airplane sur Somebody To Love (1967).
Certains chanteurs utilisent même des procédés
électro-acoustiques non plus pour embellir la voix, ce qui se fait de
façon systématique pour tous ceux qui enregistrent en studio,
mais pour lui donner une autre couleur ou une dimension d'éloignement.
Les Beatles ont commencé à étudier ces possibilités
dès 1966 avec leur chanson Tomorrow Nerver Knows dans laquelle
la voix est amplifiée au travers d'un orgue Leslie créant ainsi
un son dit whooshing (NdT : dynamique). Plus tard dans la chanson
I Am The Walruss issu de l'album The Magical Mystery Tour la
voix semble être enregistrée au travers d'un amplificateur avec
distorsion. Cette technique sera copiée par Grateful Dead. Les Rolling
Stones dans leur seul album psychédélique intitulé
Their Satanic Majesties Request, réplique côté
Stones du Sergent Pepper des Beatles, appliquent l'effet
flanger à la voix de Bill Wyman lors de l'enregistrement du
titre In Another Land. L'écho sera utilisé par Lemon
Piper dans Green Tambourine et par Big Brother and The Holding Company
dans leur chanson Light Is Faster Than Sound.
Les paroles peuvent affecter la perception de l'auditeur par
une notion de non-sens. Certaines chansons comme I Am The Wallruss des
Beatles ne sont qu'un collage de mots, respectueux des règles de
grammaires (sujet - verbe - complément), dont le sens des termes est
incohérent l'un vis à vis de l'autre. Voici les premiers versets
de cette chanson citée : « I am he as you are he as you are me
and we are all together / See how they run like pigs from a gun, see how they
fly / I'm crying / Sitting on a cornflake, waiting for the van to come /
Corporation tee-shirt, stupid bloody Tuesday /Man, you been a naughty boy, you
let your face grow long.» (NdT : « Je suis lui comme tu es lui
comme tu es moi et nous sommes tous ensemble / Regarde comme ils courent comme
des cochons devant un fusil regarde comme ils volent / Je pleure / Assis sur un
flocon de maïs en attendant la camionnette / Chemisette de la corporation
maudit mardi stupide, / Mon gars tu as été un mauvais
garçon tu fais la gueule. »).
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