E. Sex and drugs and rock'n'roll37
Dès le début, le rock'n'roll affiche
une image peu en accord avec les normes et les valeurs sociales. En un premier
temps, le sexe est devenu le principal leitmotiv de ce genre
artistique. Le déhanchement subjectif du jeune Elvis Presley suffisait
à provoquer aussi bien les cris admiratifs de son public, dont la
plupart est composée de filles, que les foudres de
l'establishment. Par ailleurs, certaines chansons durant les
années 1960 sont censurées de par le contenu de leurs paroles.
Ainsi Let's Spend The Night Together des Rolling Stones doit devenir
à la demande des producteur du Ed Sullivan Show Let's Spend Some
Time Together lors de leur passage à l'émission en janvier
1967. Le chanteur Mick Jagger trouve la parade afin de ne rien changer aux
paroles en adoptant une prononciation mal articulée. Mais ce
procédé n'est pas nouveau. Ainsi, les Rolling Stones
utilisèrent cette façon de parler sur leur succès
Satisfaction en 1965 afin d'éviter toute protestation des
autorités. Mais le rocker qui a la plus mauvaise image
auprès de l'establishment reste Jim Morrison, chanteur et
auteur des Doors. Ce dernier fut arrêté dix fois entre 1963 et
1969 pour divers motifs (conduite en état
d'ébriété, prestation obscène et impudique,
etc).
A la fin des années 1960, des campagnes contre le
rock virent le jour. Ces dernières furent pour la plupart
l'initiative des stations de radio. En mai 1967, un employé de
l'entreprise radiophonique Mc Lendon Corp's avertit son patron des dangers du
rock après avoir écouté le contenu des paroles de
Let's Spend The
37 Cette partie a été influencé
par l'ouvrage suivant : BENETOLLO Anne, Rock et Politique, Censure,
Opposition, Intégration, Paris, L'Harmattan, 1999, pp. 95-147.
Night Together, titre que possédait sa fille
alors âgée de neuf ans. Une campagne contre les paroles
outrageantes se mit aussitôt en place. Des articles parurent dans les
journaux alertant la multiplication des paroles à caractère
sexuel. Mc Lendon lui-même invite les diffuseurs à revoir leur
programmation. Ce dernier montre l'exemple à suivre en supprimant les
passages de Penny Lane des Beatles, de Candy Man des Nitty
Gritty Dirt ainsi que ceux de Sock It To Me de Mitch Ryder and The
Detroit Wheels de ses six stations radiophoniques. Mais les diffuseurs
hertziens ne sont pas les seuls à censurer le rock. Les maisons
de disque font parfois office de censeur auprès des artistes. Ainsi,
Janis Joplin dut changer le titre de son album Sex, Dope And Cheap
Thrills en Cheap Thrills en 1968. L'année
précédente, le label EMI refusa de commercialiser le premier
album de John Lennon et de Yoko Ono intitulé Two Virgins parce
qu'ils apparaissaient nus sur la pochette.
Le sexe n'est pas le seul élément montré
du doigt chez les rockers. L'usage de substances illicites qu'affirme
certaines personnalités du monde du rock est montré du
doigt par les autorités. De plus, l'avènement du
phénomène hippie met en avant l'exploration des paradis
artificiels. Ces derniers permettent à l'individu de se connaître
soi-même ainsi qu'un plus grand respect aux autres. De plus, certains
penseurs affiliés à la contre-culture comme Allen Ginsberg, Ken
Kesey ou encore Jack Kerouac encouragent à la consommation de ces
substances. En réaction à l'augmentation fulgurante de la
consommation de drogues, le Président Johnson exige un contrôle
redoublé du FBI sur le trafic et l'usage des stupéfiants le 2
mars 1966. Il est vrai que les saisies de marijuana effectuée par la
police new-yorkaise ont été multipliées par 17. Entre 1965
et 1966, l'usage de substances illicites a augmenté de 140 % en
Californie, touchant principalement les collèges ainsi que les
universités. Dans cette même période, plus de 15 % des
usagers de LSD sont étudiants dans la ville de Los Angeles. Certaines
chansons se réfèrent par allusions aux drogues comme
Happiness Is A War Gun des Beatles (« J'ai besoin d'un fixe /
Parce que je suis
en train de descendre ») ou encore You Got Me
Floatin de Jimi Hendrix (« Oui tu me fais voler tout autour /
Toujours en haut, tu ne me laisseras jamais descendre / Et je t'embrasse quand
ça me plaît / Tu me fais voler [...] »). Ce dernier exemple
peut prévaloir d'évoquer les sensations ressenties lors d'un vol
en avion et ne pas correspondre aux allusions d'un éventuel
trip. A partir du milieu des années 1960, certaines stations de
radio interdisent la diffusion de chansons dont les paroles évoqueraient
les drogues. De ce fait, les textes dans lesquels des mots comme
stoned, high et trip figurent étaient
suspectes de contenir un message qui valorise l'utilisation de drogues. Ainsi,
Rainy Day Woman de Bob Dylan fut interdite de diffusion pour deux
raisons. La première est que le texte se réfère à
la drogue en général : « mais si j'étais toi je ne me
sentirais pas si seul / Tout le monde doit se défoncer ». La
seconde raison est que le titre lui-même est le nom donné à
la cigarette de marijuana. Pour contrecarrer cette censure, les artistes jouent
sur des références ambiguës. Par exemple, Eight Miles
High des Byrds peut être entendu comme l'évocation d'un
voyage en avion à Londres sans que cela ne renvoie à quelconque
substance illégale : « Tu planes à dix kilomètres /
Et quand tu atterris / Tu t'aperçois / Que tu es plus étranger
». Afin de faciliter le travail des programmateurs des maisons
radiophoniques, Bill Gavin crée un guide sous le nom Gavin Report
répertoriant toutes les chansons portant sur les drogues. Ce classement
fut utilisé par plus de 10 000 stations radiophoniques sur le sol
américain. Quelquefois les revendications des groupes de rock
aux sujets des substances illicites sont claires comme dans la chanson Take
A Whiff des Byrds (« Renifle un coup, renifle un coup avec moi [...]
/ J'ai rejoint la rue Centrale par la Quatrième Rue / Pour trouver de la
bonne cocaïne). De plus certains artistes ne cachent plus leur goût
prononcé pour les substances illicites comme Mick Jagger et Keith
Richards qui furent souvent arrêtés pour détention et usage
de stupéfiants. Les chansons portées sur les drogues devenaient
un tel problème que le Président Nixon ainsi que son
vice-président Spiro Agnew donnèrent une conférence
à caractère plus
informatif que répressif en décembre 1969. Ces
deux personnalités politiques proclamèrent Timothy Leary, ancien
professeur d'Harvard qui se fait l'apôtre du LSD, comme l'homme le plus
dangereux des Etats-Unis. Cela dit, certaines chansons dénoncent les
effets négatifs de certaines substances comme Amphetamine Annie
de Canned Heat (« Ton esprit peut penser qu'il vole / Grâce à
ces petites pilules / Mais tu devrais savoir qu'il meurt / Parce que [...]
l'amphétamine tue ! » ou encore The Pusher (NdT : Le
Dealer) de Steppenwolf (« tu sais j'ai vu beaucoup de gens aller et venir
/ Avec des pierres tombales dans les yeux / Mais le dealer s'en fiche / Que tu
sois mort ou vivant / Si j'étais le Président de ce pays / je
déclarerais la guerre totale au dealer / Au diable le dealer »).
Cette paranoïa du contenu des paroles des chansons par rapport à
certaines substances suscite parfois des erreurs. Lucy In The Sky With
Diamonds des Beatles est souvent montrée comme le symbole de
l'évocation du LSD. Or ce mythe est erroné. Le fait que les
initiales forme le nom de cette substance est un simple hasard. Cette chanson
fut écrite par John Lennon en 1967 à partir de l'un des dessins
de son fils Julian qui avait imaginé une sorte de fée
nommée Lucy volant dans un ciel constellé de
cristaux38.
Cette louange des substances illicites est due au fait que la
dangerosité de ces produits (tels que le LSD, la cocaïne et
l'héroïne) est méconnue. Il faut attendre la toute fin des
années 1960 pour constater les premiers décès sous
overdoses. L'image de la drogue noircit en 1970-1971, période
marquée par la disparition de trois personnalités du
rock sous l'emprise de la drogue, à savoir Janis Joplin, Jimi
Hendrix et Jim Morrison, évènements qui annoncent la fin des
années 1960, une décennie définie par un sorte
d'insouciance.
38 Cette explication de John Lennon a
été rapportée de l'ouvrage suivant : THE BEATLES, The
Beatles Anthology, traduction de Philippe Paringaux, Paris, Seuil, 2000,
p. 242.
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