Pour quelle(s ) histoire(s ) d'être(s ) ? Associations 1901, inter relations personnelles et interactions sociales, un art de faire( Télécharger le fichier original )par Jean- Marc Soulairol Université Lumière Lyon 2 - Diplôme des hautes études des pratiques sociales D. H. E. P. S. 2002 |
1.3.2 L'individu dans son groupe, un inventeur de manières de faireCerteau, dans la première partie de "L'invention du quotidien", entame une importante recherche née, précise-t-il, « d'une interrogation sur les opérations des usagers, supposés voués à la passivité et à la discipline. »204(*) Ceci suggère que ce que nous avons vu plus haut sur la représentation d'une contingence (par exemple, d'un groupe ou d'une situation), doit être complétée par l'étude de ce que l'adhérent "fabrique", "bricole", "braconne" en fabricant ces représentations. Ce que propose Certeau, c'est « d'exhumer les formes subreptices que prend la créativité dispersée, tactique et bricoleuse des groupes ou des individus »205(*) qui, « par leur manière de les utiliser à des fins et en fonction de références étrangères au système »206(*), "subvertissent" les productions ou les représentations imposées par une contingence. Nous allons donc nous attacher a découvrir les types de ce que nous avons déjà appelé des logiques spécifiques exercées au sein d'un groupe et les ruses anonymes, les habiletés "inventées" au coup par coup dans les interrelations : les tactiques207(*). Ce qui nous amène à prendre appui sur les concepts d'usages, de stratégies et de tactiques de Certeau. Nous nous intéressons à ces concepts parce-qu'ils permettent d'aborder le phénomène de changement rencontré dans les différentes situations comme une inventivité incessante. Cette inventivité, plus ou moins inconsciente, devrait nous mener au coeur même des raisons des changements parce-qu'elle est susceptible d'autoriser des "arts de faire" dans les relations les rendant dynamiques relationnelles. Pour exemple, les pratiques de "bricolage" qui relèvent des nouvelles technologies produisent une écriture particulière favorisant une lecture rapide, signalétique et une mise en page dont la typographie est image. Cette écriture particulière produit à son tour une lecture particulière qui fonctionne comme un espace ouvert à l'inventivité. Donc, un "propre" de modèles et de relations. Cette écriture particulière semble, par là, traiter de la dimension sociale dans lequel se trouve inscrite une pratique symbolique (un graphisme) qui structure la fabrication d'un sens (une intention, un imaginaire ou à une représentation des normes) et la met en valeur. Selon Certeau, ce "propre" est le préalable à l'élaboration d'une stratégie208(*). Il a montré comment il y a un "geste" qui distingue un lieu autonome, un "propre", qui permet de capitaliser les avantages acquis et de préparer des expansions futures : « l'enfant gribouille encore et tache son livre d'école ; même s'il est puni de ce crime, il se fait un espace. »209(*) Il implique donc un contrôle du lieu par le biais d'une « pratique panoptique »210(*) qui permet de le contrôler en le transformant. Le lieu circonscrit comme un "propre" sert alors de base pour gérer des relations, une communication et fixer des stratégies qui les transforment en espaces lisibles. Par exemple, « l'acte de dire est un usage de la langue et une opération sur elle. »211(*) La tactique s'inscrit dans le lieu de l'autre212(*). Ce qui nous permet de regarder les actions de l'adhérent en tant qu'elles sont des tactiques, c'est-à-dire des actions calculées que détermine l'absence d'un "propre", mouvements dans un espace contrôlé par autrui. C'est un art de jouer des coups, de saisir l'occasion : « [la tactique] fait du coup par coup. Elle profite des "occasions" et en dépend. »213(*) Autrement dit, « un calcul qui ne peut pas compter sur un propre. » 214(*) Il est remarquable que les termes de "tactique" et de "stratégie", entendus dans le sens certausien, sont antonymes, mais pas véritablement antinomiques : une manière d'agir pour atteindre un objectif, pour l'un, une connaissance portant sur les différentes manières d'agir, c'est-à-dire un « art de combiner et de coordonner diverses actions pour atteindre un but »215(*), pour l'autre. D'un point de vue individuel, l'usage de ces pratiques serait alors un art d'être et de faire circonstanciel, une tactique conduisant l'individu dans une autodidaxie dont on devine le rapport au monde et à soi propice aux changements Elle serait avant tout une construction de détours et contours, toujours substitution de règles de contrainte. Découvrir cette réinvention du quotidien exercée par l'adhérent doit permettre de marquer son acculturation, ses innovations et le préparer à son changement. Autrement dit, repérer et décomposer les stratégies ou les tactiques adoptées par les adhérents devrait nous permettre de comprendre le phénomène de changement aussi bien au travers de son identité personnelle que de son identité sociale prise au jeu des interactions avec le micro-groupe (la branche). En même temps et en poussant ce raisonnement, cela devra nous permettre de dégager trois points : 1) l'expression de sa personnalité, 2) son image du micro-groupe (nous traduisons : le lieu symbolique où il veut s'installer) et 3) son acculturation qui s'accompagne d'actions symboliques (usages, jeux, ruses, tactiques par des potentiels d'imagination et de créativité) destinées à consacrer son changement. La variété des changements constatés enrichira, dès lors, notre compréhension du phénomène. L'examen des transformations, des changements qui affectent tour à tour les valeurs, les conduites et les systèmes de pensée devra permettre ainsi la description des conditions de leur apparition, leur fonctionnement et leur éventuelle disparition. * 204 Certeau, M. (de), L'invention..., op. cit., p.XXXV. * 205 Certeau, M., L'invention..., ib., p.XL. * 206 Certeau, M., L'invention..., ib., p.XXXVIII. * 207 « J'appelle tactique l'action calculée que détermine l'absence d'un propre. [...] La tactique n'a pour lieu que celui de l'autre. Aussi doit- elle jouer avec le terrain qui lui est imposé tel que l'organise la loi d'une force étrangère. Elle n'a pas le moyen de se tenir en elle même, à distance, dans une position de retrait, de prévision et de rassemblement de soi : elle est mouvement "à l'intérieur du champ de vision de l'ennemi", comme le disait von Bülow, et dans l'espace contrôlé par lui. Elle n'a donc pas la possibilité de se donner un projet global ni de totaliser l'adversaire dans un espace distinct, visible et objectivable. Elle fait du coup par coup. Elle profite des "occasions" et en dépend, sans base où stocker des bénéfices, augmenter un propre et prévoir des sorties. Ce qu'elle gagne ne se garde pas. Ce non-lieu lui permet sans doute la mobilité, mais dans une docilité aux aléas du temps, pour saisir au vol les possibilités qu'offre un instant. [...] En somme, c'est un art du faible. » Certeau, M., L'invention..., ib., p.60,61. * 208 Nous avons déjà parlé de stratégie : « le calcul des rapports de forces qui devient possible à partir du moment où un sujet de vouloir et de pouvoir est isolable d'un "environnement". Elle postule un lieu susceptible d'être circonscrit comme un propre et donc de servir de base à une gestion de ses relations avec une extériorité distincte. » Certeau, M., L'invention..., ib. p.XLVI. * 209 Certeau, M., L'invention..., ib., p. 53. * 210 Certeau, M., L'invention..., ib., p. 60. * 211 Certeau, M., L'invention..., ib., p. 56. * 212 « La tactique n'a pour lieu que celui de l'autre. » Certeau, M., L'invention..., ib., p. 60. * 213 Certeau, M., L'invention..., ib., p. 61. * 214 « Le "propre" est une victoire du lieu sur le temps. Au contraire du fait de son non-lieu, la tactique dépend du temps, vigilante à y "saisir au vol" des possibilités de profit. Ce qu'elle gagne, elle ne le garde pas. » Certeau, M., L'invention..., ib., p.XLVI. * 215 Dictionnaire Robert, Micro Poche, tome II, 1986. |
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