Pour quelle(s ) histoire(s ) d'être(s ) ? Associations 1901, inter relations personnelles et interactions sociales, un art de faire( Télécharger le fichier original )par Jean- Marc Soulairol Université Lumière Lyon 2 - Diplôme des hautes études des pratiques sociales D. H. E. P. S. 2002 |
1.1.2 Vers une construction psychosociale de l'individu : le personnageC'est en cherchant à décrire l'individu-adhérent autour duquel s'organise l'être relationnel que nous sommes amené à expliciter ce que nous avons abordé en filigrane dans la section précédente. C'est-à-dire, la personne et sa représentation. Si, par là, nous cherchons à améliorer la connaissance du changement observé en voulant parler de la personne, c'est parce-que cette approche nous permet d'aborder l'individu comme corrélatif de droits et d'obligations. Mais, la personne serait-elle tout simplement un être humain situé à une place sociale authentifiée ? Selon l'étymologie traditionnelle le terme de personne trouve sa source dans les « termes prosôpon74(*) () et persona75(*) qui désignent d'abord, dans l'antiquité classique, le masque de théâtre. »76(*). Mais le terme persona, en se référant uniquement au masque, n'exerce-t-il pas seulement des fonctions équivoques de dissimulation de l'acteur mû en personnage ? Comme le note Jean Maisonneuve : « le sujet peut être conduit à deux attitudes77(*) : [1)] cacher consciemment à autrui, derrière une figure d'emprunt, ce qu'il est et fait réellement [2)] Se cacher, surtout à soi-même, ce que l'on est ou ce que l'on craint d'être. »78(*) En fait, c'est par le glissement du masque gréco-romain au personnage représenté, puis du rôle à l'acteur, qui faisait ainsi passer de la fonction sur scène au jeu social mené par l'individu. Le masque a ainsi perdu de sa spécificité, c'est-à-dire, il est passé de la dissimulation directe, dans le sens se cacher physiquement, au paraître en devenant le "personnage". Autrement dit, « devant autrui [...] nous devons produire une image conforme à ce qu'on attend de nous ; nous nous sentons "en représentation". Aussi, est-ce souvent par l'adoption d'un personnage type que nous assumons notre rôle social. »79(*) C'est la raison pour laquelle, le personnage est distinct de l'individu puisqu'il « n'est pas exactement l'individu que nous sommes mais celui que nous voulons persuader aux autres que nous sommes. Ou encore, celui que les autres veulent nous persuader que nous sommes... Ces deux définitions se confondent pour nous constituer une façade sociale... Nous nous voyons d'abord comme autrui nous voit et nous veut. »80(*) C'est-à-dire, « 1) l'image de notre présentation aux autres ; 2) la conscience du jugement qu'ils portent sur nous et 3) les sentiments positifs ou négatifs qui en résultent. »81(*) A partir de là, il nous faut répondre à une question : en quoi les comportements et les attitudes de l'adhérent expliquent-ils son évolution au Compu's Club ? En d'autres termes, quelle signification peut avoir le personnage-adhérent dans son changement ? Bref, au regard du concept de personne il semble possible de se demander 1) en quoi la représentation de soi est-elle dépendante du regard d'autrui ? 2) Dans quel(s) but(s) l'individu veut-il persuader les autres de ce qu'il est ? Et 3) Quels sentiments, positifs ou négatifs, en résultent-t-il ? Pour Jean Maisonneuve, le personnage endossé : « n'est plus une catégorie officielle mais une visée personnelle. »82(*) Concluant que « c'est probablement ici le cas où le personnage a le plus de chances d'exprimer assez fidèlement la personne. »83(*) En clair, outre le personnage comme masque (le paraître), il semble qu'il soit, à la fois, un devoir être, c'est-à-dire : le personnage comme rôle social permettant d'affronter la pression et la suggestion sociale ; et un veut être, autrement dit, la vocation comme source du personnage endossé. Dans ce cas, qu'est-ce qui fait son originalité, sa singularité, autrement dit, sa personnalité ? 1.1.2.1 Personnalité subjective, personnalité objective.Le cogito cartésien, univers d'interrogations, a permis d'inventorier les richesses de l'ordre personnel et d'en disposer. Cela veut dire que ce qui est connu est transformé par le fait même qu'il est connu84(*). En d'autres termes, pour Descartes les choses ne sont qu'en tant que nous les pensons. Ainsi, a-t-il découvert le fondement de ses travaux, c'est-à-dire l'ego85(*). A cela, il découle que la personne devient parfaitement un individu dans la mesure où elle prend conscience86(*) de sa personnalité. Ainsi, cette conscience semble d'abord distinguée sous son aspect physique : le corps principalement, comme nous l'avons vu en début de chapitre. Puis apparaîtrait la prise de conscience de notre personne à tous les moments de la vie. Cette prise de conscience semble être un aspect subjectif de la personnalité. Ce cheminement nous conduit à rechercher un aspect objectif de la personnalité. Avoir procéder ainsi, nous paraît nécessaire parce-qu'il nous permet d'aborder le phénomène de changement sous l'angle des traits moraux. Ce que nous allons développer maintenant. La Bruyère a donné le nom de caractères à l'ensemble des traits moraux particuliers qu'il a recueilli chez ses contemporains.87(*) Plus tard, d'autres88(*) ont essayé de classifier les principaux types de caractères et ont dénombré une cinquantaine de définitions du mot "personnalité". Dans ces conditions, il nous apparaissait bien difficile de circonscrire cet aspect objectif de la personnalité pour comprendre le phénomène de changement. Cependant, nous dit Raymond Boudon, « il est possible d'en préciser le sens [...] en examinant ses caractères les plus généraux et les plus permanents : l'individualité, l'autonomie, la stabilité ou consistance [(le personnage)], enfin, la spécificité des motivations. »89(*) Les béhavioristes nous fournissent une définition des motivations : « [elles] sont des stimuli qui poussent à l'action et dont, le plus souvent, on observe les effets sans les saisir directement. »90(*) Cependant, « la motivation doit être comprise en tant que mise en question permanente de l'équilibre présent au nom d'un équilibre supérieur futur. »91(*) Ainsi entendu, la personnalité « n'est pas une substance (un en-soi)[...] elle est essentiellement un système de relation. »92(*) En ce sens, « la personnalité comme telle n'existe pas ; ce qui existe ce sont les réseaux de relations. »93(*) Par ces deux aspects subjectifs et objectifs, ce que nous garderons c'est que la personnalité est en somme un ensemble des manières d'être d'un individu distinguant dans la personnalité « le moi comme système d'attitudes communes intériorisées, de réponses conformes aux situations sociales et le je, principe spontané et original. »94(*) Pour le dire autrement, il n'y aurait ni soi, ni conscience de soi, ni communication en dehors de la société, c'est-à-dire en dehors d'une structure qui s'établit à travers un processus dynamique d'actes sociaux communicatifs, à travers des échanges entre des personnes qui sont mutuellement orientées les unes vers les autres. Par un mot : en interrelation. Ce qu'il faut noter, en définitive, est la piste qui s'ouvre pour comprendre comment l'adhérent en tant que personne exerce un personnage ; comment il peut changer, évoluer pour assumer des interactions sociales, prendre des responsabilités ou des initiatives ; comment ses traits de caractère innés95(*) (en construction constante) ou acquis (en développement, qui relèverait de la réflexion, de l'effort personnel et de son expérience) lui permettent de s'engager, de se motiver, d'échanger, par exemples. De même, cette piste nous permettra de rechercher au Compu's Club cette forme d'appartenance à un groupe créant une forme d'association par des échanges où l'identité de chaque adhérent est cachée derrière un masque. Bref, comment la personne-adhérent est pensée en tant que personnage-adhérent et que ce personnage-adhérent, qui est joué, a un sens ; que ce sens prend forme dans un environnement, un lieu. Erving Goffman nous aide dans notre résumé : « les applications particulières de l'art de manipuler les impressions, cet art, fondamental pour la vie sociale, grâce auquel l'individu exerce un contrôle stratégique sur les images de lui-même et de ses productions que les autres glanent à son entour. »96(*) Donc, l'adhérent en tant qu'individu peut-être compris en tant qu'être relationnel à partir de ce qu'il veut être ; mais également, en tant qu'être en représentation, c'est-à-dire un personnage à partir de ce qu'il doit être. Pour parvenir à exploiter ce que nous avons développer dans cette section, nous retiendrons que le personnage joué par l'individu semble être "l'instrument" de présentation de soi aux autres. Le personnage se distingue de l'individu en tant qu'il est construction psychosociale de la personne. Dans ce cas, comment s'y prend-il dans sa relation à l'autre ? Ses aspirations peuvent-elles concorder avec ce qu'il attend de la configuration ? Si nous nous référons à ce qui précède, c'est-à-dire que l'aspect fondamental c'est la création de canaux de communications, de relations, alors l'extension de la participation sociale d'un individu se caractérise par le désir de participer, les attentes, l'intensification du sentiment d'identification et d'appartenance. D'appartenance puisqu'on peut supposer que l'expulsion constitue l'ultime sanction contre les réfractaires. Bref, ce qu'il faut pour l'individu, finalement, c'est des liens à partir desquels s'exercent un échange et une représentation. Ces liens pouvant être les valeurs parce-que l'individu est un être de besoin qui n'existe que parce qu'il vit en société avec d'autres individus. Inversement, nous avons vu que la société n'existe que dans la mesure où les individus qui la composent existent. C'est chez Elias et la notion de configuration qu'il nous paraît résider une piste. * 74 Prosôpon : personne, du grec Prosypon, désignant le masque. * 75 Persona : personne, du latin désignant le masque. Les masques étaient en nombre limités : soixante-seize, dont vingt-huit pour la tragédie. Ils correspondaient à des caractères fixes à partir desquels les spectateurs pouvaient s'attendre à des comportements ou à des attitudes déterminés. « La création littéraire exalte en outre sinon le "héros", du moins le "personnage". La persona de l'actant littéraire peut aller du plus simple (le masque ou le costume obligé de l'emploi théâtral) au plus complexe, dans le roman psychologique ou dans l'épanchement lyrique de la poésie. Mais chaque fois s'opère une sélection des traits de personnalité, des situations et des actions des personnages » (J. Campbell, The Hero with a Thousand Faces, Panthéon Books, New York, 1949 in Encyclopædia Universalis, Cd-Rom, 1998). * 76 Nédoncelle, Maurice, La réciprocité des consciences, Aubier, 1942. « Le terme persona est lui-même dérivé du verbe personare, qui veut dire résonner, retentir, et désigne le masque de théâtre. [...] Cette étymologie est généralement attribuée à Boèce (VIe s.). En réalité, elle est déjà attestée chez Aulu-Gelle, IIe siècle. Mais elle est fausse. Pour des raisons d'accentuation (la deuxième syllabe de persona est longue, la deuxième syllabe de personare est brève), il est impossible que persona dérive de personare. Au reste, on a découvert un mot étrusque, phersu, qui pourrait être l'amorce d'un persuna , changé bientôt en persona , et qui semble signifier masque. Cette explication, même probable, reste cependant discutée. » Meyerson, Ignace, Problèmes de la personne, colloque du Centre de recherches de psychologie comparative, E.P.H.E., Viè section, Mouton, 1973. * 77 Pour Stoetzel, l'attitude désigne « la manière dont une personne se situe par rapport à des objets de valeur. » Maisonneuve complète la définition : « l'attitude consiste en une position (plus ou moins cristallisée) d'un agent (individuel ou collectif) envers un objet (personne, groupe, situation, valeur) ; elle s'exprime plus ou moins ouvertement à travers divers symptômes ou indicateurs (paroles, ton, gestes, actes, choix - ou leur absence) ; elle exerce une fonction à la fois cognitive, énergétique et régulatrice sur les conditions qu'elle sous-tend. » Maisonneuve, Jean, Introduction à la psychosociologie, coll. Le psychologue, Puf, 1985 in Cazals-Ferré, M.-P. et Rossi, P., Eléments..., op. cit., p.35. * 78 Précisant, dans le cas où le sujet en vient au point « d'une angoisse intime sur sa propre valeur, que le personnage peut devenir, au sens médical du terme, un aliéné. » Maisonneuve, J., La psychologie..., op. cit., p.38. * 79 Maisonneuve, J., La psychologie..., ib., p.36. * 80 Gusdorf, Georges, La découverte de soi, Puf in Maisonneuve, J., La psychologie..., ib., p.36. * 81 Jodelet, Denise, ss. La dir. de Moscovici, S., Psychologie..., op. cit., p.51. * 82 « Le personnage comme rôle social (le devoir être). » Maisonneuve, J., op. cit., p.36. « Le personnage comme idéal (le vouloir être). » Maisonneuve, J., ib., p.37. * 83 Maisonneuve, J., ib., p.37. * 84 « Le cogito permet d'affirmer le primat de la pensée sur tout objet connu, ce qui ouvre la voie à l'idéalisme, au kantisme, à la phénoménologie. À la fin de la Méditation seconde, la célèbre analyse dite du morceau de cire établit que la perception des corps se réduit à une "inspection de l'esprit", et que l'apparente présence des choses est, en fait, le fruit de nos jugements. Rien n'est donc plus certain que la pensée, puisque toute affirmation suppose celle de son existence. » Encyclopædia Universalis, Cd-Rom, 1998. * 85 « ...il fallait nécessairement que moi, qui le pensais, fusse quelque chose : et remarquant que cette vérité, "je pense, donc je suis", était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n'étaient pas capables de l'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchais. » Descartes, René, Discours de la méthode, quatrième partie, Méditations, La Pléiade, Gallimard, p.47-48. * 86 « La conscience est la capacité de situer l'ordre du possible par rapport au réel. En conséquence, l'homme, lorsqu'il se trouve à un certain niveau de vigilance, se situe par rapport à lui-même et prend conscience de soi. » Corraze, Jacques, Encyclopædia Universalis Cd-Rom 98 à Personnalité. * 87 La Bruyère, Jean (de), Les Caractères in OEuvres complètes, coll. La Pléiade, 1951. * 88 Paulhan, F., Les Caractères, 1894, 5è éd., 1922. Ainsi qu'Allport, Gordon Willard, Personality, H. Holt and Co, New-York, 1964 in Encyclopædia Universalis, Cd-Rom, 1998 (Corraze Jacques), entre autres. * 89 Encyclopædia Universalis, Cd-Rom, 1998. * 90 In Corraze, Jacques, Encyclopædia Universalis, Cd-Rom, 1998. * 91 Corraze, Jacques, ib. Ceci a fondé les conceptions d'Abraham Maslow dont les travaux attribuent à l'homme une force de développement intrinsèque, une puissance d'auto actualisation. Sujet que nous abordons en détail dans la troisième partie. * 92 Corraze, Jacques, image spéculaire du corps, Privat, 1980 in Encyclopædia Universalis, Cd-Rom, 98 * 93 Lagache, Daniel in Encyclopædia Universalis, Cd-Rom, 1998 à Personnalité, auteur, Jacques Corraze. * 94 Mead, Gorges Herbert, L'Esprit, le soi et la société, tr. Fr., Puf, 1963 in Maisonneuve, J., La psychologie..., op. cit., p.35. * 95 Partie innée qui serait délivrée et incorporée à la naissance par un capital culturel, social et économique. Mais, cet partie innée serait non figée et caractériserait l'évolution de l'individu, la partie acquise. * 96 Goffman, Erving, Stigmate, Les usages sociaux des handicaps, Minuit, 1975, p.152. |
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