La figure du père dans "Quelques adieux " de Marie Laberge. Discours de l'implicite et stratégies narratives( Télécharger le fichier original )par Massiva AIT OUARAB Université d'Alger - Licence de français 2011 |
2- Une temporalité interne :« Le récit est une séquence deux fois temporelle... : il y a le temps de la chose -racontée et le temps du récit (temps du signifié et temps du signifiant). »80(*) Selon G. Genette, le texte a deux vitesses : celle de la fiction, c'est-à-dire, l'histoire qui nous est racontée, avec ses saisons, ses mois, ses jours et ses moments. Et celle de l'écriture qui est mesurée « en lignes et pages »81(*) , ce temps du signifiant peut être étudié à travers l'utilisation des verbes. Dans le cadre de notre travail, nous allons convoquer l'aide des deux temps (signifié et signifiant) afin de retrouver des indices nous permettant de mettre en relation le déroulement des événements, le sort des protagonistes, avec le personnage du Père. Il est important de signaler, que le but de notre recherche, est de voir en quoi le personnage du Père, peu présent dans le récit, peut- il être responsable de l'adultère des protagonistes, et par quels procédés d'écriture est-il sollicité.
Pour les procédées d'écriture, nous avons choisi d'interroger le temps de l'histoire racontée et le temps du récit à travers l'étude des anachronies et de l'ellipse, pour le temps du signifié; et le temps des verbes, pour le signifiant. 2.1- Le temps de l'histoire racontée :Commençons notre travail par l'élaboration d'un parcours chronologique du temps, dans chaque partie : Dans la première partie du roman, qui commence en 1972, découle trois chapitres ; le premier s'intitule Le désir et signale que l'histoire va prendre forme à partir de la rentrée universitaire, au mois de Septembre de l'année1972. Ce mois est caractérisé par la rencontre des futurs amants : François Bélanger remarque la présence d'une étudiante, nommée Anne Morissette. Au mois d'Octobre, ces deux personnages se rendent compte de leur attirance et de leur désir qui ne cessent d'augmenter. Ils tentent de résister à la tentation, en adoptant de nouveaux comportements, c'est-à-dire, que François opte pour un enseignement sévère et passionné, et Anne préfère centrer son attention sur le contenu de ses cours. Cette atmosphère d'hésitation, d'attraction et de désir, persistera jusqu'à la fin du trimestre, au mois de Décembre. Le deuxième chapitre Le refus, débute avec la reprise des cours, au mois de Janvier. On est en 1973, François et Anne continuent à se résister jusqu'au mois de Mars, et plus exactement, le vingt six Mars, la date d'anniversaire de François. Ce jour là, Jacques, le meilleur ami de Bélanger, demande aux deux étudiantes présentes dans le bureau de ce dernier, de l'embrasser pour son anniversaire. Parmi ces deux jeunes filles, Anne Morissette. Son baiser va tourmenter et hanter son enseignant. Le treize du mois d'Avril, François apprend la mort de son père. C'est à ce moment là, que tout bascule. Il s'engage dans une relation adultère avec Anne. Le troisième chapitreLa reddition, illustre, parfaitement, l'harmonie du pacte du corps des amants. Cependant, sur le plan de la communication orale, ils ont des difficultés, François ne supporte pas de mentir à sa femme, Elisabeth , il est rongé par le remord. Et Anne adopte un comportement incompréhensible avec son amant, dans le but de mettre fin à ses sentiments, car elle a peur d'être victime de l'amour. Ces conflits amoureux, les mènent à la séparation et à l'impatience durant cinq mois, de Mai au mois de Septembre. Au début de ce mois, les amants rendent les armes et s'abandonnent au plaisir de la chair82(*). La deuxième partie du roman, commence en 1983. Entre la première partie et la deuxième, il y a un vide temporel de dix ans qui sera rempli à travers les péripéties d'une veuve, Elisabeth. Cette partie comporte trois chapitres : D'abordLa déchirure; qui s'ouvre sur la date suivante : le dix sept Octobre 1983, deux ans après la mort de François. C'est à cette date qu'Elisabeth, la veuve de Bélanger, décide de ranger les dossiers de son défunt époux, et découvre son adultère. Elle remet en question son mariage et l'amour que lui portait son mari. Vers la fin du mois d'Octobre, Elisabeth est submergée par le chagrin et taraudée par le désir de connaître la vérité. Puis, La quête, où Elisabeth mène une enquête et retrouve la trace de la meilleure amie d'Anne, Hélène Théberge. Elle va à sa rencontre, début Novembre. Mais, n'ayant pas l'information qu'elle recherche, c'est-à-dire l'adresse d'Anne Morissette, elle réclame celle de sa tante, Jacynthe, tout en sachant, par le biais d'Hélène, qu'elle est la seule personne à être restée en contact avec Anne. Mais en vain. Le vingt trois Novembre, la veuve reçoit une lettre d'Hélène où l'adresse de la marraine figure. Début Décembre, les deux femmes se rencontrent. Elisabeth obtient des explications, des raisons qui pourraient excuser l'adultère, mais sans pour autant rencontrer Anne. La veille de Noël, le vingt trois Décembre, Elisabeth surveille la maison de la tante Jacynthe afin de voir Anne. Après l'avoir rencontrée, la veuve comprend que la jeune femme est morte depuis longtemps et elle prend conscience de la chance qu'elle a, à être en vie. Et enfin, La fin, qui commence au mois de Janvier 1984 et décrit une femme, Elisabeth, équilibrée, qui a fini par mettre fin aux conflits qui la tenaient à l'écart de la vie. Cette réconciliation avec son passé, va lui permettre d'envisager l'avenir et la conception d'un enfant, avec Jérôme, son nouvel amant. Au mois de Février, l'enfant fut conçu83(*). Ce parcours chronologique, est cité dans le but de nous permettre de situer les actions à travers le temps. Notre première observation est la suivante : l'histoire suit le calendrier scolaire. Car dans la première partie de l'ouvrage, l'histoire commence avec la rentrée des classes et donc, avec le début, la rencontre des deux protagonistes. Le désir de l'adultère est présent tout au long du premier chapitre et même du deuxièm. Ce trouble trouvera sa place au troisième chapitre où il y aura toute une série de changements : on verra les protagonistes passer d'un état de désir, d'intensité amoureuse et d'abandon à un état de conflits intérieurs, de solitude et de séparation. Le choix de la structure temporelle, c'est-à-dire la présence du calendrier scolaire, a une grande influence sur l'histoire. Les moments les plus intenses se déroulent pendant l'année universitaire; quant aux vacances, ils constituent les moments de repos les plus pondérés. Nous pouvons exemplifier à partir des chapitres relatifs à la première partie de l'oeuvre: Le premier chapitre : Le Désir, montre l'ascension de la convoitise entre François et son étudiante. Mais lors des vacances d'hiver, qui surviennent au mois de décembre avec la fête de Noël, on assiste non seulement à un relâchement du désir mais aussi à une nouvelle résolution de la part de Bélanger. Ce dernier, décide de changer et de résister à l'assaut84(*). Mais en vain, celui-ci sera de retour dès la rentrée universitaire. Nous observons à travers la structure temporelle des faits du chapitre deux, correspondant au titre Le Refus, une période de remise en question, celle de François qui refuse l'idée d'avoir une relation adultère, son comportement sera dans les limites d'un calendrier scolaire, de ce fait l'intrigue en sera assujettie, c'est-à-dire que les moments les plus intenses de l'histoire se déroulent la plupart du temps en début de trimestre. Le début du deuxième chapitre est caractérisé par un début d'hiver (janvier- février) assez calme, suivi d'un événement qui ne laissera pas l'enseignant et son étudiante hésitants, il s'agit, bien évidemment, de la mort du père de François. Il suffit d'observer le chapitre deux, pour que le lecteur soit convaincu qu'il y a problème avec la mort du père, celle-ci déclenche toute une série de comportements qui détermineront l'avenir des personnages. A la suite de ce chapitre, un autre qui s'y greffe, presque insolemment, pour indiquer aux lecteurs les péripéties amoureuses des protagonistes et la manière dont elles s'imposent. Le chapitre quatre, qui annonce le début de la deuxième partie, et qui a pour titre une date 1983 (10ans après), raconte les désillusions d'une femme trahie par un passé volé. Ce chapitre La Déchirure, est tel un coup de théâtre dans lequel Elisabeth est instable et perturbée, et perd confiance en l'amour et en son mariage. Déçue, elle ne s'en remettra pas, elle sera comme morte. Et voudra comprendre la faille de son mariage et les raisons de cette infidélité. C'est pour cela que le chapitre cinq s'annonce houleux, avec une première rencontre celle d'Hélène Théberge, puis celle de la marraine d'Anne et enfin celle des deux femmes de François. Cette dernière, va mettre de l'ordre dans la vie de la veuve et va lui permettre un nouveau départ qu'on observera dans le dernier chapitre La Fin.
2.1.1- L'ordre et la durée du récit :
Sachant qu'il y a une distorsion temporelle dans le récit, en général, selon G. Genette, le lecteur est confronté, dans ce cas à une dualité relevant d'un temps du signifié et celui du signifiant. Ces derniers marquent, dans le roman retenu, la chronologie du récit, l'ordre de la disposition des événements et cela par le biais des anachronies et plus distinctement les analepses. Cependant, la durée des événements est tout aussi importante que leurs agencements dans le texte, c'est pour cette raison que nous nous intéresserons de près à l'ellipse temporelle. a) Anachronies : Une anachronie, selon G. Genette « peut se porter dans le passé (analepse) ou dans l'avenir (prolepse) plus ou moins loin du moment présent, c'est-à-dire du moment de l'histoire ou le récit s'est interrompu pour lui faire place (...) »85(*). Suite à la recherche adoptée, l'analepse semble être le futur centre d'intérêt de notre travail.
A présent, voyons la distribution des segments analeptiques et leurs incidences dans l'univers romanesque :
La première partie du roman comporte six analepses, que nous répartirons comme suit : le premier chapitre en contient une, qui se situe à la page 44 du roman. Cette réminiscence est liée au présent qu'Elisabeth a offert à François , il s'agit de la gravure de Florence qui désigne un arbre luttant contre le vent. Le deuxième chapitre rassemble deux analespses qui sont réparties entre la page 108 et la page 111. La première est liée au souvenir de la mère de François, qui a toujours su maintenir la famille réunie : « Elle les avait tenus ensemble et, après sa mort, la famille s'était disloquée (...) ».86(*) La deuxième, fait référence à l'absence et au manque de responsabilité du père de François, de qui, il ne garde aucun souvenir : « Il ne se rappelait que d'un homme, vu de dos (...) qui s'éloignait doucement »87(*). Quant au troisième chapitre, il relate trois segments rétrospectifs positionnés, de la page161 à la page 163 pour le premier , la page 179 pour le deuxième et de la page 181à la page 191 pour le troisième88(*). Le premier segment est relatif à la mort du père d'Anne. Celle-ci, tente de se rappeler son père et les événements qui ont suivi son enterrement. Elle n'a trouvé que quelques images de son enfance, notamment celle de ses souliers rouges, que son père lui avait offert, le jour de son anniversaire, et qu'elle ne retrouve plus : « (...) elle chercha follement dans son souvenir où pouvaient bien être les petits souliers rouges, brillants, qu'il son père lui avait donnés pour ses sept ans.»89(*). Le deuxième segment est en relation avec une rencontre celle d'Anne et de François, au cinéma Cartier. Ces derniers, étaient séparés, et en se croisant la douleur les gagne. Ce souvenir est resté, gravé, dans la mémoire d'Anne : « Elle Anne ferma les yeux et revit son François regard traqué, suppliant de ce soir terrible du cinéma Cartier. »90(*) Le dernier segment, est une lettre de la tante Jacynth à Anne, dont le souci est de lui faire retrouver la mémoire de son enfance et surtout le sort de ses souliers rouges : « Au cimetière (...) tu te rendais compte que ton père était parti pour toujours. (...) tu as arraché tes souliers et tu les as tirés dans le trou, sur la tombe, de toutes tes forces, avec une rage que je n'avais jamais vue. »91(*) La deuxième partie du roman, comporte dix analepses, distribuées dans les deux premiers chapitres. Le chapitre quatre, à lui tout seul, regroupe sept analepses : La première, située entre la page 245 et la page 246, relate l'échec du mariage de Mireille et de Jacques en 1975, qui s'est soldé par un divorce : « C'est après une grave dépression qu'elle Mireille s'était décidée à demander le divorce. »92(*) La deuxième, est à la page 249, et sollicite la mémoire d'Elisabeth et de Mireille. Ces dernières se remémorent François, malade : « François s'enfonçait dans la mort avec une rapidité effroyable »93(*) La troisième se développe de la page 253 à la page 256, c'est encore une fois, l'image de la gravure de Florence qui refait surface, mais cette fois, c'est Elisabeth qui se souvient du bonheur que son défunt mari a éprouvé lorsqu'elle lui a offert son cadeau. Elle se rappelle, également, de la contribution de son père (le père d'Elisabeth) à l'achat de la gravure : « Son père lui avait confié un peu d'argent pour qu'elle se gâte, un supplément de voyage de noces, une somme donnée à la dernière minute pour lui dire qu'il la voulait heureuse »94(*) La quatrième, située entre la page 268 et la page 269, est en rapport avec le souvenir de Mireille. Elle explique à Elisabeth comment elle a rencontré François lors d'un congrès à Montréal, en Novembre 1973, en compagnie d'une étudiante. Son objectif est de dissiper tout soupçon d'amour et de l'orienter vers une aventure : « J'aperçois François avec une fille. Tout de suite, j'ai pensé ce que tu penses : que François n'était pas mieux que Jacques, que les étudiantes y passaient avec lui aussi. »95(*) La cinquième, placée à la page 277, expose les soupçons qu'Elisabeth avait à l'égard du comportement de son mari en 1973 : « Le soupçon envahit Elisabeth, la gagne (...) »96(*) La sixième, à la page281, est entreprise par Jacques. Il explique à Elisabeth, les raisons qui poussaient François à aller à Montréal, deux fois par semaines, en 1976. Il y allait pour rencontrer Anne.
La septième, située entre la page 295 et 296, met en avant les souvenirs de Jacques, concernant la durée de la dite aventure de François. Au chapitre cinq, nous avons trois segments rétrospectifs : le premier sollicite la mémoire d'Hélène. Cette dernière se rappelle la visite d'Anne en 1979, et sa promesse de revenir la voir : « La dernière fois que je l'ai vue, c'était en juin 79, j'étais enceinte de quatre mois. Elle m'avait dit qu'elle viendrait pour l'accouchement. ».97(*) Elle se remémore, également, la relation de sa meilleure amie avec François ; et en donne des détails à Elisabeth. (De la page 337 à la page 347) Le deuxième, situé de la page 362 à la page 372, retrace le parcours d'Anne, de son enfance, à partir de la mort de son père, jusqu'à sa relation avec François. Cette réminiscence appartient à la tante Jacynthe. Elle la relate à Elisabeth pour mettre fin aux troubles qui l'habitent. Le dernier, à la page 382, est celui de la veuve, qui avant d'enterrer son passé, se souvient d'un moment d'intimité, de bonheur, avec son défunt époux : « Elle se souvient (...) de ces après midi où il l'entraînait dans le bois, près de la rivière, et où il la déshabillait sur une vieille couverture (...) ».98(*) Quant au chapitre six, il ne comporte aucune réminiscence. Il est consacré au futur d'Elisabeth et à sa résolution de ne plus laisser la mémoire du passé perturber son bonheur actuel. Nous constatons que le nombre des analepses dans la première partie, c'est-à-dire les chapitres 1,2 et 3, s'élève à 6 analepses. La première distribution suscite notre curiosité parce qu'elle est en rapport avec une gravure que le protagoniste a reçue, comme cadeau de la part sa femme, et que Anne Morissette remarque, en premier, dans son bureau. Cette image « représente un arbre qui lutte. Il a l'air solide, fort, indestructible, mais il penche, se brise, se casse en un lieu secret, invisible pour l'oeil. Le vent fait le reste. »99(*). On peut supposer que cette description de la gravure est symbolique, car l'arbre qui lutte et qui finit par être emporté, est une image qui peut faire référence au destin du personnage. Dans Quelques Adieux, la vie de François ressemble à l'image de la gravure, c'est-à-dire : Tout comme l'arbre, François vacille entre deux vies, une vie conjugale et une vie adultère. La raison qui pousse l'arbre à bouger dans tous les sens, est l'absence de racines. En effet, François se sent perdu et sans enfance depuis la mort de son père. Cet élément, crucial, va faire de lui un homme sans racine, qui se brise et se casse, tout comme l'arbre. Les deux analepses du chapitres deux, sont présentes comme processus de récupération des antécédents100(*), c'est-à-dire que c'est un retour en arrière qui permet aux lecteurs de prendre connaissance du passé de François. On apprend que ce dernier a perdu sa mère en étant jeune et il en garde des souvenirs de tendresse. Quant à son père, il éprouve des difficultés à se rappeler de lui, il garde le souvenir d'un chauffeur d'autobus. Quant au chapitre de la reddition, trois analepses s'imposent et informent le lecteur de l'enfance d'Anne, la perte de son père lors d'un accident de voiture, le remariage de sa mère et la lettre de sa tante Jacynth qui lui permet de retrouver la mémoire. A travers ces segments analeptiques, la figure du père apparaît comme un élément problématique à l'épanouissement des personnages. Il est lié directement aux souvenirs et au non souvenir de ces derniers. Ce que nous entendons par souvenirs, ce sont les images qu'on garde de l'enfance et qui sont rattachées au Père. François a le souvenir d'un père absent, alors qu'Anne garde en elle l'image d'un père tendre, aimant, mais qui est mort trop tôt. L'expression non souvenir, est le mélange d'une irresponsabilité paternelle, pour François, et d'une mort prématurée, pour Anne. On remarque que cette partie va crescendo dans son utilisation des rétrospections, notamment les dix segments rétrospectifs de la deuxième partie. La deuxième partie, nous permet de repérer 10 analepses, sept pour le chapitre quatre, trois pour le chapitre cinq et zéro pour le dernier. La déchirure représente l'unique chapitre où le nombre d'analepses est considérable. Cette structure croissante de la première partie jusqu'au début de la deuxième, et décroissante à partir du chapitre quatre, est marquée par un bond temporel, une ellipse de dix ans. Ce vide temporel nécessite un retour en arrière afin d'informer le lecteur de la trajectoire narrative des événements d'où les sept analepses du chapitre quatre, selon G. Genette ces analepses « viennent combler (...) une lacune antérieure du récit, lequel s'organise ainsi par omissions provisoires et réparations plus ou moins tardive, selon une logique narrative (...) »101(*). Dans ce qui suit, nous allons retracer le parcours analeptique des protagonistes avec l'aide d'Elisabeth. Au début de la deuxième partie, les retours en arrière se font sentir et cela pour appuyer l'intérêt et l'inquiétude que porte Elisabeth à vouloir reconstruire son passé et plus exactement sa relation avec son défunt mari et son refus d'avoir un enfant et donc d'être père. Vers la fin de la deuxième partie, le nombre des anachronies diminu jusqu'à disparaître, complètement, dans le dernier chapitre. Cet ordre appauvri des segments rétrospectifs, affiche un caractère plus serein d'Elisabeth qui finit par accepter l'adultère de François et pardonner à Anne tout en se réconciliant avec elle-même « Le lendemain, gommée, brouillée avec son estomac, avec la terre entière, Elisabeth décide d'en finir avec la colère, la rage, la haine, l'amour (...) »102(*). A présent, elle peut envisager un nouvel avenir avec Jérôme et concevoir un enfant : « Elle (Elisabeth) un enfant parce que, contrairement à ce qu'elle pensait, François n'est pas le seul père possible et sa mort n'est celle des désirs d'Elisabeth. Elle veut un enfant pour elle, égoïstement, (...) »103(*). Avoir un enfant a toujours été le désir d'Elisabeth mais François ne partageait pas son point de vue, ayant eu un père absent, démissionnaire, il refusait de reproduire le même parcours affectif. Cette nouvelle perspective, c'est-à-dire, penser à un enfant et revivre, va mettre fin à l'utilisation des analepses qui n'ont plus lieu d'être104(*). Sachant que les indices temporels, sur lesquels nous venons de prendre appui, ne sont pas suffisants pour renforcer le postulat de l'impact du Père sur le déroulement des événements, nous allons passer à une autre étape de l'analyse, qui nous semble importante pour affirmer notre hypothèse : il s'agit d'interroger le fonctionnement de l'ellipse. Nous constatons que cette dernière divise le roman en deux parties et en deux points de vue différents, celui de François dans la première partie et celui d'Elisabeth dans la deuxième partie. L'un vit pleinement son adultère et l'autre tente d'accepter l'infidélité de son époux. b) Ellipse : Selon G. Genette : « Du point de vue temporel, l'analyse des ellipses se ramène à la considération du temps d'histoire élidé, et la première question est ici de savoir si cette durée est indiquée ou non. »105(*)
A priori, le décalage temporel entre la première partie et la deuxième partie du récit est de dix ans c'est ce qui provoque un vide sur le plan des informations et un besoin de reconstruction à travers les segments analeptiques. Ce bond est un « degré ultime de l'accélération, consiste à sauter de la durée temporelle et des actions de la fiction, dans la narration »106(*) , et donc, il se traduit comme un phénomène qui introduit une vitesse qui développe l'axe du raconté. En d'autres termes, la brèche temporelle qui sépare les deux parties du roman perturbe la linéarité du texte sans oublier que l'auteure n'a pas relaté les événements des sept dernières années où François rencontrait Anne. Bien au contraire, l'écrivaine fait avancer le récit en semant des anachronies de manière croissante pour combler le vide thématique, et une fois que les informations ont été restaurées, l'ordre devient décroissant. Cette ellipse, placée au milieu des deux parties, est comme un fossé qui sépare deux histoires. La première, est celle d'un homme qui, après la mort de son père, se lance dans une passion adultère avec une jeune étudiante, et qui finit par en mourir. Et la deuxième, est celle d'une femme qui reconstitue son passé, à partir des indices qu'elle rassemble. L'ellipse sépare un destin tragique, celui de François, programmé dès l'enfance et qui s'enfonce, inévitablement, vers la mort, d'un destin optimiste, qui va vers un avenir meilleur, celui d'Elisabeth. * 80 -G. Genette, Figure III, Seuil, 1972, p.77. * 81 -Éric Bordas, L'analyse littéraire, Chapitre9, Nathan, 2002, p. 105. * 82- Voir le calendrier scolaire, annexe, p.132. * 83 Voir le calendrier scolaire, annexe, p.133. * 84- C'est une expression utilisée pour désigner Anne dans l'ouvrage de M. Laberge, Quelques Adieux, Boréal, 1992, p.14. * 85 - G. Genette, Figure III, Seuil, 1972, p.89. * 86 -M. Laberge, Quelques Adieux, Boréal, 1992, p. 109. * 87 -Idem, p.110. * 88 -Voir tableau 1, annexe. p. 134. * 89-Ibid, p.161. * 90 -Ibidem, p. 179 * 91-Ibidem, p. 188. * 92- Idem, p. 245. * 93 -Ibid, p. 249. * 94 -Ibidem, p. 255. * 95 -Ibidem, p. 268. * 96 -Ibidem, p.277. * 97 -Ibidem, p. 337. * 98 -Ibidem, p. 382. * 99 -M. Laberge, Quelques Adieux, chap. un La désir, Boréal, 1992, p.45. * 100 P. Hébert, « La technique du retour en arrière dans le nouveau roman au Québec et en France » Neohelicon, XII, 2, 1985, p.265-286. * 101 -G. Genette, Figure III, Seuil, 1972, p.92. * 102 -Idem, p.385. * 103 -Ibid, p.395. * 104 - Voir le graphe n°1 dans l'annexe, P. 136. * 105-G. Genette, Figure III, Seuil, p.139. * 106 -Y. Reuter, L'analyse du récit, Nathan, 2003, p37. p.39. |
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