La figure du père dans "Quelques adieux " de Marie Laberge. Discours de l'implicite et stratégies narratives( Télécharger le fichier original )par Massiva AIT OUARAB Université d'Alger - Licence de français 2011 |
I. Des espaces signifiantsIl s'agit de montrer les déplacements des personnages en divers lieux, car le romancier « est en effet attentif aux rapports qui existent entre les personnages qu'il crée et l'univers romanesque qui les entoure. Pour mieux nous faire voir ses héros, il plante le décor à l'intérieur duquel ils se meuvent. »122(*). Une étude de la répartition des lieux, a pour objectif de montrer la place qu'un lieu occupe dans une histoire et son rapport à la fiction, c'est-à-dire, que chaque décor est choisi en fonction du comportement et des actions des personnages. Il est important de signaler que notre analyse se fera en deux étapes se rapportant aux deux parties de l'oeuvre : Premièrement, nous allons repérer les déplacements des protagonistes, dans la première partie du roman. Deuxièmement, nous allons suivre la trajectoire d'un personnage féminin, Elisabeth, qui menant une enquête, se déplace régulièrement et domine la deuxième partie du roman. 1-Itinéraire des protagonistes : Dans la première partie de l'oeuvre
Selon Jean WEISGERBER, le propre de l'espace romanesque est d'être verbal123(*). Étudier la construction de l'espace dans un texte est tout aussi importante que le sens qui en découle. L'espace dans lequel évoluent les protagonistes n'est pas le résultat du hasard, cette mise en place de lieux a un effet d'opposition, de symétrie ou de répétition. Nous nous proposons de voir les points de conjonctions et de disjonctions dans le parcours de François Bélanger et d'Anne Morissette.
a) Le parcours de François Le chemin qu'emprunte ce héros, depuis qu'il s'est découvert une « nouveauté qu'était le désir extra- conjugal »124(*), est redondant. On le voit circuler dans des espaces différents liés, tantôt, à sa vie professionnelle, l'université, à sa vie conjugale : c'est la maison rue Gomin , et tantôt, à sa vie extraconjugale : l'appartement de son étudiante, rue Fraser. Cette transformation ne se fait pas rapidement, il y a un processus émotionnel qui guide le personnage et donne lieu à une géométrisation de l'itinéraire. De l'Université à son bureau, de son bureau à sa classe, et de sa classe à sa maison, rue Gomin . François a le parcours d'un homme socialement complet dans son quotidien. Or, avec la naissance du désir, son parcours ne change pas dans le premier chapitre , mais il subit des modifications sur le plan émotionnel, c'est-à-dire qu'il prend des allures de fête, d'hésitation et de torture, il vit, intensément, les moments passés dans le milieu professionnel, et la raison en est : la présence d'une étudiante Anne Morissette. Dans le deuxième chapitre, des transformations surviennent, François Bélanger suit le même cheminement, cependant il rajoute à ses déplacements un lieu : Rue Fraser, l'appartement de son étudiante A. Morissette. En d'autres termes, le trio Université, Classe et Bureau s'intensifie avec le désir du protagoniste et de son étudiante. Ces lieux, souvent fréquentés et où la passion se développe, poussent les personnages à chercher une excuse à leurs émotions, et par la même occasion envisager une relation asociale. L'excuse retenue, sera la mort du père de François. Cette cassure va propulser les amants dans un autre décor, celui de l'appartement Rue Fraser. Ce lieu, asocial, non -autorisé pour un homme marié, est un lieu de rencontre et de transit que choisit le protagoniste pour défier les moeurs sociales, et va devenir le pôle central de sa relation adultère. Le circuit de notre personnage se verra, encore une fois troublé par l'avènement des vacances scolaires, nous le verrons dans d'autres lieux que le trio Université, Classe et Bureau et Rue Fraser, même si ces endroits sont toujours présents, d'autres s'imposent tels que le cinéma Cartier lieu où sa rencontre avec Anne, après une séparation, provoque « une souffrance intacte qui déchirait ses entrailles »125(*). Puis, la campagne, lieu de vacances et de détente, se voit troublé et transformé, par les pensées de François. Ce dernier, dans sa solitude, s'autorise à penser à Anne « l'imaginer, la sourire, la regretter là, tout seul. »126(*) , et en même temps, l'intimité partagée avec sa femme , Elisabeth, lui permet de se sentir plus proche d'elle et de « la considérer d'un oeil neuf. Il la trouve belle, solide et (...) passionnément vivante. »127(*). Et enfin Montréal, qui permettait au personnage principal de voir Anne, deux fois par semaine. C'est un lieu où les amants pouvaient vivre leur histoire. Pour eux, cet endroit « n'aime pas les limites grossières que les villes de province s'imposent avec tant de plaisir et de fierté »128(*) La trajectoire de François129(*) indique des périodes d'actions et de repos liées à son histoire avec Anne. Cette alternance événementielle autorise le lecteur à entrevoir des endroits redondants en rapport avec : la vie conjugale de F. Bélanger, et sa nouvelle condition d'homme infidèle. Afin de mieux distinguer l'importance de la spatialité liée à ce personnage, il est nécessaire d'établir celle de sa maîtresse. b) Le parcours d'Anne Morissette
Les déplacements d'Anne sont ressemblant à ceux de François, néanmoins le trio Université, classe et bureaucède la place à un autre trio Université, classe et Restaurent de la Jonction. Comme François, Anne partage presque les mêmes espaces, sauf, pour le restaurant de Jonction. Ce dernier, est un lieu de réflexion, de sérénité et de solitude, où « Anne était bien. Elle retrouvait son calme (...). Par bonheur, elle arrivait à ne penser à rien. » 130(*) Célibataire, Anne n'a pas le même quotidien que le personnage principal, nous ne faisons pas référence à sa vie universitaire mais à sa vie nocturne. Contrairement à son amant, il lui arrive de passer la nuit avec des hommes qu'elle ne connaît pas, chez elle ou ailleurs. Par ailleurs sa nouvelle préoccupation, c'est-à-dire les sentiments et le désir qu'elle porte à son enseignant, vont la métamorphoser en une jeune fille sédentaire, appréciant et dépréciant son appartement et sa chambre, devenus les lieux essentiels de la relation fiévreuse des personnages, mais aussi les lieux de toutes les douleurs du passé: la mort de son père alors qu'elle n'avait que sept ans et le remariage de sa mère. Nous signalons, également, que les déplacements de notre étudiante sont ambigus, on la voit prendre le chemin de Montréal avec François, à son retour, elle est changée, et adopte un autre comportement celui de la fuite. Sa fuite s'exprime par des disparitions régulières en des lieux inconnus des personnages et du lecteur. L'écrivaine ne donne aucun indice, on apprend par le biais de l'inquiétude de François et d'Hélène, qu'Anne est partie sans laisser d'adresse. Le silence qui règne sur ces endroits sans nom, est une stratégie d'écriture permettant à M. Laberge de transmettre au lecteur la même angoisse que les personnages, et l'envie de comprendre les réactions d'Anne. « Elle pouvait partir pour une ou deux semaines, sans donner de nouvelles, sans avertir (...). Elle partait. Elle se sauvait »131(*)de l'amour qui l'envahissait et l'étouffait. Ces lieux « secrets et interdits »132(*)lui permettaient de purger sa peine, d'avoir aimé ; « elle en revenait blanche, maigre, épuisée (...) »133(*). Après ces moments d'absences, le récit suit son cours, et le personnage reprend sa trajectoire initiale. Pour le moment, notre représentation de l'espace est dépourvue d'interprétations car notre but est de retrouver, uniquement, le parcours des protagonistes. Nous pouvons, également, renforcer notre exposé, à partir d'une description regroupant tous les lieux fréquentés par Anne et François, dans les trois premiers chapitres. Notre objectif est d'avoir une structure topologique précise du parcours des protagonistes. Or, une fois dépassé l'inventaire des unités spatiales, nous pourrons aisément en dégager le sens. Dans le chapitre un, qui a pour titre Le désir, nous évoquerons le trajet de chaque protagoniste, puis nous soulignerons les lieux de jonction. Le personnage principal, François Bélanger, emprunte le même parcours durant un trimestre, qui correspond dans l'oeuvre au premier chapitre. Nous le voyons donner ses cours à l'Université, en classe, on le voit perturbé par une présence féminine, celle de son étudiante Anne Morissette. Cette dernière, suscite en lui des réactions et des comportements inattendus, c'est-à-dire, qu'en essayant de fuir son désir de la voir, il la provoque en classe à partir de certains cours comme celui des soeurs Brontë, et tente de l'humilier. Comme si l'humiliation allait atténuer ses pulsions. Pour fuir son désir, sa classe et son étudiante, il se réfugie dans son bureau. Le seul endroit où elle, Anne, ne l'atteindra pas, mais elle peut, néanmoins, occuper ses pensées. Pour une meilleure protection, François rentre chez lui, chemin Gomin , dès qu'il retrouve sa femme, Elisabeth, son intimité, il est comme rassuré et retrouve sa sérénité. Anne Morissette prend, chaque jour, le chemin de l'Université, en classe, c'est une jeune fille absorbée par le savoir qui lui est transmis, sauf, pour le module de littérature, enseigné par François Bélanger. Dans sa classe, elle se sent agressée par l'intérêt que son professeur lui porte, elle voudrait ne pas partager son désir. Lors d'un débat sur les soeurs Brontë, et qui a duré trente minutes, Anne sait qu'elle est, irrémédiablement, liée à François. Le seul endroit qui lui permet de se calmer et de ne pas penser à son désir, est le restaurant de la Jonction. Mais cette sensation d'apaisement ne dure pas longtemps, Anne est rattrapée par Hélène Théberge, sa meilleure amie. Celle-ci est loquace et pleine de questions, tout le contraire d'Anne. Après le restaurant de la Jonction, Anne rentre chez elle, Rue Fraser. Elle vit dans un appartement avec sa meilleure amie, mais elle passe, souvent, ses nuits dans les bras de jeunes hommes différents. Celui qui apparaît dans le premier chapitre, est Gaetand Durand, Anne le fréquente mais sans qu'il y ait, de sa part, un quelconque attachement, pour elle il s'agit d'une relation qui lui procure du plaisir. Elle refuse tout témoignage d'amour et si elle se voit confrontée à ce genre de situation, elle fuit, comme fut le cas de ce jeune homme. A partir de cette répartition des lieux, nous remarquons que certains sont communs, partagés par les personnages. En premier lieu, l'Université, l'endroit où les protagonistes se croisent. En deuxième lieu, la classe, l'espace des débats intellectuels comme pour les soeurs Brontë, et le lieu du désir car les personnages partagent la même attirance. En dernier lieu, le bureau de François, son lieu de méditation qui va être perturbé par la présence de son étudiante préférée. Pour la première fois Anne se présente au bureau de son professeur. Et l'objectif de ce dernier, est de présenter ses excuses suite au débat qu'il a animé avec son étudiante en classe, sur les soeurs Brontë. Cette première intimité, va leur permettre de découvrir leurs goûts littéraires. Dans le chapitre deux, intitulé Le refus, François garde, toujours, le même parcours, cependant, d'autres informations nous parviennent : Son nouveau désir le pousse à changer de comportement en classe. Il décide d'être ferme. Il change de comportement même chez lui, il se surprend à ressasser le passé, il revoit sa mère morte, son père absent et ses frères s'éloigner de lui. Toutes ces perturbations sont liées au sentiment nouveau qui l'assaille. D'un autre coté, Anne, tourmentée par le même désir que François, décide de « s'en éloigner comme d'un être vénéneux »134(*). A l'université et en classe, elle se fait discrète, elle combat son envie, sa tentation, en ayant une aventure avec Louis Tremblay, son nouvel amant, pour un jour. Nous constatons que le désir pousse les protagonistes à adopter des comportements qui ne leur ressemblent pas. Ce désir s'affirmera et prendra forme lorsqu' Anne et son amie Hélène se présenteront au bureau de François, le jour de ses 39ans. Sous l'influence de Jacques Langlois et de Théberge, Anne embrasse François sur le joue. Cette deuxième rencontre dans le bureau de François en présence d'autres personnes, ne laisse pas les amants sans émoi. Lorsque arrive leur troisième rencontre et sous prétexte d'avoir perdu son père, François ainsi que son étudiante ne résistent plus et se laissent prisonnier d'un long baiser. Séparés, ils se donnent rendez-vous au restaurant de la Jonction, lieu où leur future intimité se décidera. Ayant retenu l'appartement, Rue Fraser, les amants consomment leur désir. Le chapitre trois, intitulé La reddition, s'ouvre sur un lieu commun aux amants, celui de la chambre Rue Fraser, qui abrite les corps des personnages. Nous observons, que les lieux de jonction dominent dans ce chapitre, contrairement aux chapitres précédents. La chambre d'Anne devient un espace très fréquenté de la part des protagonistes. Avec l'arrivée des vacances d'été, les amants se séparent et chacun suit une trajectoire différentes : Pour François, c'est la campagne qui l'attend, avec sa femme, puis il revient au chemin Gomin vers la fin de l'été. Pour Anne, les vacances sont une source de réminiscences, surtout dans sa chambre où elle se rappelle la mort de son père. Mais une fois sortie de son appartement, elle se trouve un travail d'été au gouvernement et tente d'oublier Françoise en ayant une nouvelle conquête Jean Yves. Après avoir cité les espaces individuels utilisés par les personnages, nous remarquons que le chapitre revient aux lieux de jonction : cela commence par une première rencontre au cinéma Cartier, où les amants ont souffert de leur collision. Puis une deuxième à l'Université, avec la rentrée universitaire, où ils ne résistent pas à la tentation d'aller Rue Fraser pour s'abandonner à la passion dévorante qui les unit. Et enfin, une troisième à Montréal pour vivre, temporairement, leur pacte du corps dans un espace loin de Québec. Cette répartition spatiale du chapitre trois, expose une structure particulière : Nous distinguons, dans un premier temps, des espaces communs, dans un deuxième temps, des espaces et des trajectoires séparés, et dans un troisième temps, nous revenons, encore une fois aux espaces collectifs. La localisation spatiale d'Anne comporte des éléments de jonction avec certains espaces empruntés par son amant. Comme lui, son parcours est doté de deux vitesses, l'une rapide qui s'effectue durant l'année scolaire et l'autre lente qui se réalise pendant les vacances. La description des deux parcours, révèle un sentiment de complicité et une tonalité mensongère, c'est-à-dire que chaque protagoniste se trouve dans une situation inconfortable par rapport à la société, et de ce fait les amants sont dans l'obligation de mentir à leur proche : François ment à Elisabeth, sa femme, et Anne à son entourage. Cette première démarche spatiale décrit le parcours des amants dans la première partie de l'oeuvre, alors que la deuxième partie du roman expose l'itinéraire d'Elisabeth que nous nous proposons d'examiner. * 122 -J-P. Goldenstein, Pour lire le roman, De Boeck - Duculot, 1986,p. 88. * 123 - Expression empruntée à J. WEISGERBER L'espace romanesque, éd, L'age d'homme, « bibliotheque de littérature comparée », 1978 in in http://membres.lycos.fr/sunqian/part1.chap1.html ( le 22/08/2007 à 15h). * 124 -M. Laberge, Quelques Adieux, Boréal, 1992, p.13. * 125 -Idem, p 169. * 126 -Ibid, p. 194. * 127 -Ibidem, p.195. * 128Ibidem, p.219. * 129 - Voir le schéma de l'annexe, p. 139, 140, 141. * 130 -Idem,p 26. * 131-Ibid, p.338. * 132 -Ibidem, p.338. * 133 -ibidem,p.338. * 134 -M. Laberge, Quelques Adieux, Boréal, p.84. |
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