CONCLUSION GENERALE ET RECOMMANDATIONS
Cette étude s'est donné pour objectif de
contribuer à l'amélioration de l'état des
connaissances sur les facteurs explicatifs de la fécondité des
adolescentes au Congo, afin d'éclairer les décideurs congolais
sur les principaux éléments à prendre en compte pour
améliorer et/ou mettre en oeuvre des politiques et programmes de
développement adaptés pour les adolescentes. Plus
spécifiquement elle cherchait à :
· Décrire les variations de la
fécondité des adolescentes ;
· Etablir le profil des adolescentes les plus
exposées au risque de maternité précoce ;
· Identifier les facteurs explicatifs de la
fécondité précoce.
Elle partait du constat qu'au Congo le niveau de
fécondité des adolescentes (15-19 ans) est resté quasiment
stationnaire et relativement élevé au cours des vingt
dernières années, le taux avoisinant les 131%o pour la
période la plus récente, malgré une évolution
croissante de la scolarisation des filles et de l'urbanisation depuis des
décennies ; en outre, d'une proportion élevée de
grossesses en milieu scolaire (10,7%) perturbant ainsi le parcours des jeunes
filles.
Nous nous sommes donc servis d'une démarche
intégrant les facteurs environnementaux, les facteurs familiaux, les
caractéristiques individuelles des adolescentes et les facteurs
comportementaux afin de déceler les principaux facteurs explicatifs de
la fécondité des adolescentes. Ceci en se basant sur une
littérature exposant les différentes approches explicatives ayant
énoncé de diverses manières l'influence qu'exercerait
différents éléments sur le phénomène.
De ce fait, un cadre conceptuel a été
élaboré permettant de matérialiser une hypothèse
générale qui s'énonce de la manière suivante :
l'environnement global de l'adolescente influence directement et/ou
indirectement ses caractéristiques individuelles et, à terme, son
comportement sexuel et ses risques de fécondité précoce.
Cette hypothèse a été explicitée en sept (7)
hypothèses spécifiques.
Les données de la première Enquête
Démographique et de Santé du Congo réalisée en 2005
(EDSC-I 2005) ont été exploitées pour tester ces
hypothèses. L'évaluation de leur qualité
révèle quelques insuffisances qui ne sont pas de nature à
entraver l'atteinte des objectifs de l'étude.
Aussi pour atteindre à nos objectifs, nous avons
recouru aux méthodes d'analyse statistique descriptive et
explicative :
- Pour l'analyse descriptive bivariée, nous avons
recouru aux tableaux de contingence pour la détermination des
associations entre les variables en nous aidant de la statistique de
Khi² ; et pour la description multivariée, l'analyse
factorielle des correspondances multiples (AFCM) nous a permis de
catégoriser les adolescentes en fonction de leurs
caractéristiques socioculturelles, socioéconomiques, familiales,
individuelles et comportementales.
- Vu la nature qualitative et dichotomique des variables
intermédiaires et de la variable dépendante, l'analyse
explicative s'est faite à l'aide de la régression logistique,
dont le modèle pas à pas a permis de déceler les
mécanismes d'action des différents facteurs. Par ailleurs,
l'évaluation de la contribution des différentes variables nous a
permis de hiérarchiser les facteurs par ordre décroissant de leur
contribution à l'explication du phénomène.
Ainsi, quelques résultats intéressants
ressortent de cette étude, et il convient d'en faire le point afin d'en
tirer quelques recommandations à toutes fins utiles.
Au niveau de l'analyse descriptive bivariée, il s'est
révélé que :
§ L'ethnie, la religion, le milieu de socialisation, le
milieu de résidence, le niveau de vie du ménage, l'exposition
à la télé et le niveau d'instruction sont des facteurs
discriminants de la sexualité précoce des adolescentes au
Congo.
§ S'agissant du premier mariage, il ressort que la
religion et l'âge aux premiers rapports sexuels sont des facteurs de
différenciation significative de la nuptialité précoce
chez les adolescentes congolaises.
§ Une différentiation significative des
adolescentes concernant la pratique contraceptive s'effectue à travers
les facteurs suivants : l'appartenance ethnique, le milieu de
socialisation, le milieu de résidence, le sexe du chef de ménage,
le niveau de vie du ménage, le niveau d'instruction, la connaissance des
méthodes contraceptives et la connaissance du cycle ovulatoire.
§ Enfin, la fécondité précoce des
adolescentes congolaises est fortement différenciée par les
facteurs suivants : l'appartenance ethnique, la religion, le milieu de
socialisation, le milieu de résidence, le niveau de vie du
ménage, l'exposition à la télévision, le niveau
d'instruction, la connaissance des méthodes contraceptives et celle du
cycle ovulatoire, l'état matrimonial, l'âge aux premiers rapports
sexuels et l'âge au premier mariage.
L'analyse factorielle des correspondances multiples (AFCM) a
permis de dresser deux groupes d'adolescentes. D'une part, les adolescentes
les plus exposées au risque de maternité précoce
(Groupe1), celles-ci ont les caractéristiques suivantes : la
plupart appartiennent au groupe Sangha et sont adeptes des églises
traditionnelles, socialisées et/ou résidant en milieu rural, les
ménages auxquels elles appartiennent ont un niveau de vie relativement
faible ; ces adolescentes n'ont jamais été exposées
à la télévision et, la plupart, n'ont aucun niveau
d'instruction sinon le niveau primaire, déjà en union et dont les
premiers rapports sexuels ont été précoces.
D'autre part, celles qui sont moins exposées au risque
de maternité précoce (Groupe2) et qui portent les
caractéristiques suivantes : nombreuses sont de l'ethnie Kongo et
pratiques les religions chrétiennes traditionnelles (ou autres
chrétiennes), socialisées et/ou résidant dans les petites
villes, elles appartiennent aux ménages de niveau de vie moyen, rarement
exposées à la télévision ; elles ont le niveau
d'instruction secondaire ou plus, en majorité célibataire et
leurs premiers rapports sexuels ont été moins précoces.
Les analyses explicatives nous ont cependant
révélées, premièrement, que seuls le milieu de
résidence et le niveau de vie du ménage constituent des facteurs
explicatifs de la précocité des premiers rapports sexuels chez
les adolescentes au Congo. Les adolescentes résidant en milieu rural
sont plus susceptibles que celles des petites villes d'avoir une
sexualité précoce ; de même que celles issues des
ménages de niveau de vie moyen sont plus exposées à la
sexualité précoce que leurs homologues des ménages de
niveau de vie élevé.
Deuxièmement que, l'entrée précoce en
union chez les adolescentes congolaises n'est expliquée que par
l'âge aux premiers rapports sexuels. Les adolescentes ayant
commencé précocement leur sexualité (10-15 ans) sont de
même plus susceptibles d'être précocement en union que
celles qui auraient commencé tardivement leur sexualité (16 ans
et plus).
Troisièmement que, la pratique contraceptive moderne
chez les adolescentes au Congo s'explique par les facteurs suivants : le
milieu de socialisation, le niveau de vie du ménage, le sexe du chef de
ménage et le niveau d'instruction de l'adolescente. Les adolescentes
socialisées dans les petites villes ou celles appartenant à un
ménage dirigé par une femme sont plus susceptibles d'utiliser les
méthodes contraceptives modernes que, respectivement, les adolescentes
socialisées dans les grandes villes ou celles appartenant à un
ménage dirigé par un homme. Par contre les adolescentes membres
des ménages de niveau de vie moyen et celles qui n'ont aucun niveau
d'instruction ou d'un niveau primaire sont moins susceptibles d'utiliser
lesdites méthodes que, respectivement, leurs homologues des
ménages de niveau de vie élevé et celles qui
possèdent le niveau d'instruction secondaire ou plus.
Quatrièmement, il s'est avéré que la
fécondité précoce des adolescentes au Congo s'expliquerait
par les facteurs suivants : la religion, le milieu de résidence, le
niveau de vie du ménage, l'exposition à la télé,
l'âge aux premiers rapports sexuels, l'âge au premier mariage et
l'utilisation des méthodes contraceptives. Les adolescentes des
religions traditionnelles sont plus susceptibles d'avoir une
fécondité précoce que celles des religions
chrétiennes traditionnelles ; contrairement aux adolescentes sans
religion qui sont moins exposées que ces dernières. Selon le
milieu de résidence, les adolescentes des grandes villes sont moins
exposées au risque de maternité précoce que leurs
homologues des petites villes.
Par ailleurs, les adolescentes appartenant aux ménages
de niveau de vie moyen ont un risque plus élevé de
connaître une maternité précoce que celles des
ménages de niveau de vie élevé. Tandis que, les
adolescentes qui suivent rarement ou souvent la télévision sont
moins exposées à la maternité précoce que leurs
homologues qui n'ont jamais suivi ce média.
S'agissant de l'âge aux premiers rapports sexuels, les
adolescentes ayant connu leurs premiers rapports sexuels assez tardivement
(à 16 ans et plus) sont moins susceptibles que celles qui les avaient
connu précocement (10-15 ans) d'avoir une fécondité
précoce. De même que les adolescentes mariées tardivement
sont moins exposées à la fécondité précoce
que celles dont le mariage était précoce. Enfin, les adolescentes
qui utilisent les méthodes contraceptives traditionnelles ou modernes
ont moins de chance que celles qui n'utilisent aucune méthode d'avoir
une fécondité précoce.
En définitive, cette étude démontre qu'au
Congo la fécondité des adolescentes s'expliquerait à la
fois par les facteurs socioculturels, socioéconomiques, familiaux et
comportementaux. Les caractéristiques individuelles de l'adolescente
constituent, en quelque sorte, des canaux permettant de percevoir son
comportement à l'égard de la procréation. En effet, le
niveau d'instruction de l'adolescente est un facteur explicatif de la pratique
contraceptive moderne qui constitue le deuxième comportement ayant
la plus forte contribution à l'explication de la fécondité
précoce des adolescentes au Congo. Le niveau de vie du ménage est
un facteur qui différencie les adolescentes à la fois sur le plan
de la sexualité précoce, de la pratique contraceptive et de la
maternité précoce. Tandis que, le milieu de résidence
explique à la fois la différenciation des adolescentes sur la
sexualité précoce - facteur prépondérant de la
maternité précoce - et la maternité précoce. Le
mariage précoce n'est cependant différencié que par
l'âge aux premiers rapports sexuels des adolescentes.
Ainsi, les hypothèses H2, H3, H5, H6 et H7 de cette
étude ont été entièrement confirmées. Tandis
que l'hypothèse H4, qui stipule que le niveau d'instruction de
l'adolescente influence indirectement sa fécondité à
travers son âge d'entrée en union et/ou en activité
sexuelle et son utilisation des méthodes contraceptives, n'est que
partiellement confirmée puisque le niveau d'instruction de l'adolescente
n'est pas significativement associé ni au mariage précoce ni
à la sexualité précoce, de même qu'à la
fécondité précoce. Par contre l'hypothèse H1, qui
supposait que les adolescentes des ethnies matrilinéaires seraient plus
susceptibles d'avoir une maternité précoce que celles des ethnies
patrilinéaires, a été entièrement
infirmée.
Au terme de cette étude et tenant compte des
résultats auxquels elle aboutit, il nous semble utile de formuler
quelques recommandations dont la mise en oeuvre permettrait aux adolescentes
d'avoir une sexualité et/ou maternité responsable et à
moindre risque.
Les acteurs et décideurs congolais doivent :
Ø Introduire des programmes qui assurent aux
adolescentes une éducation à la vie familiale (EVF) dans les
écoles, voire à travers d'autres mécanismes
sociaux ;
Ø Créer des programmes qui engagent les parents,
les professeurs, les prestataires de soins médicaux et les leaders
communautaires ou religieux, dans le but de fournir aux adolescentes une
éducation sexuelle ;
Ø Etablir des services de santé de la
reproduction (SR) sympathiques aux adolescentes, accessibles, confidentiels et
sans préjugé, qui procurent des informations complètes
dans un langage ordinaire, soutenues par du matériel informationnel
(prospectus, dépliant, affiche, etc.) ;
Ø Faciliter l'émergence des programmes qui
sensibilisent les adolescentes sur l'utilité des méthodes
contraceptives modernes.
v Limites de l'étude et perspectives
Au regard de tout ce qui précède, nous estimons
que cette étude a atteint son but qui était d'apporter une
réponse relative aux facteurs explicatifs de la fécondité
des adolescentes au Congo. Toutefois, cette étude n'est pas exempte de
limites. La première limite vient du fait qu'elle repose
fondamentalement sur une approche quantitative ; alors que la combinaison
de celle-ci avec des données qualitatives du genre sociologique,
anthropologique voire psychologique serait plus utile pour une
compréhension optimale du phénomène. La seconde limite
provient de l'absence de certaines informations dans notre base de
données ; en effet, l'absence de certaines variables telles que la
discussion de la PF avec les parents, l'âge à la puberté et
surtout des variables relatives à l'environnement institutionnel n'a pas
permis de mesurer leurs effets jugés pertinents dans la
littérature. Il convient donc que les prochaines opérations de
collectes de données au Congo, voire ailleurs, tiennent compte de ces
aspects pour améliorer la qualité des informations.
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