Fécondité des adolescentes en RDC: recherche des facteurs explicatifs( Télécharger le fichier original )par Frédéric POUMBOU Université de Yaoundé II - Cameroun - Diplôme d'études supérieures spécialisées en démographie 2008 |
CHAPITRE II : CADRE THEORIQUECe chapitre aborde les aspects théoriques de l'étude. Il commence par une revue de la littérature qui résume les différentes approches théoriques ainsi que les résultats empiriques de travaux sur la fécondité précoce. De cette revue, suit le schéma conceptuel relatif aux hypothèses de l'étude, et le chapitre s'achève par un schéma d'analyse utilisé pour tester les différentes hypothèses énoncées. II.1. REVUE DE LA LITTERATURELa préoccupation des scientifiques autour de la fécondité précoce est universelle. Des études pionnières sur ce sujet ont été réalisées à partir des années 1960, dans les pays occidentaux, particulièrement aux Etats-Unis où le phénomène prenait une ampleur inhabituelle avec l'arrivée à l'âge d'adolescence des générations issues du « baby boom », surtout dans les populations hispanique et afro-américaine : augmentation des divorces, paupérisation des femmes, augmentation des grossesses d'adolescentes, des grossesses hors mariage et des avortements (Chilman, 1986 ; Moore et al., 1981 in Delaunay, 1994). La fécondité adolescente qualifiée de « fléau social » fut d'abord analysée, très largement, sous l'angle d'un « problème » en raison des conséquences sur la santé et le bien-être de la mère et de l'enfant (Geronimus, 1986 in Diop, 1995 ; M. Gauthier et J. Charbonneau, 2002). Ensuite par sa prépondérance dans la minorité afro-américaine, le problème a pris une dimension politique d'une revendication de l'égalité sociale (Davis, 1988 ; NRC, 1987 in Diop, 1995). Mais le problème étant également en augmentation chez les adolescentes blanches certains auteurs mirent en avant le coût économique de la grossesse précoce (Moore, 1978 ; NRC, 1987 in Diop, 1995). En Europe le problème parait moins accentué ; mais en Grande Bretagne où 13% de jeunes filles de 20 ans sont déjà mères il est qualifié de « suicide social ». En France où les « ado-mamans » ne représentent que 4% des filles de 20 ans, deux chercheurs - Nativel et Daguerre15(*) sous l'initiative de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) - se sont le plus intéressés au coût « humain » de la maternité précoce en se posant les questions suivantes : Qui sont les jeunes filles les plus exposées ? Quelles raisons motivent le choix ``personnel'' d'avoir un enfant ? Cependant, face à l'interdiction de réaliser des enquêtes sur des données ethnoculturelles qui empêche de déterminer les populations à risque en France, ces auteurs, en se fiant à la géographie des maternités précoces dans des pays tels que l'Italie ou le Canada, avancent l'hypothèse qu'en France le phénomène épouse les zones d'exclusion et de chômage, notamment de la ruralité et des banlieues défavorisées. Pour les adolescentes de 16-17 ans, la maternité correspondrait à un désir de stabilisation de la relation amoureuse et à l'espoir d'accéder à une reconnaissance sociale ; l'absence d'un père biologique durant la petite enfance augmenterait les comportements sexuels à risque chez les adolescentes et donc leur propension à tomber enceintes. A partir des données fournies par les enquêtes mondiales sur la fécondité des années 1970 et 1980, les chercheurs ont commencé à étudier les problèmes liés à la fécondité des adolescentes dans les pays en développement. En Afrique, la fécondité précoce fait l'objet d'un nombre croissant d'études, recherches et de programmes d'intervention. L'intérêt fut d'abord porté sur les grossesses précoces hors mariage ou hors union, perçues comme transgression d'une norme sociale. Aujourd'hui, on passe progressivement à une approche plus objective prenant en compte les implications sanitaires et sociales de la maternité précoce (Locoh, 1994). En effet, depuis 1986 les EDS ont apporté une assise statistique nationale renouvelée, aussi bien pour analyser la fécondité selon l'âge que pour les données d'ordre sanitaire et sur les conditions d'accouchement et la santé des enfants. Aussi, depuis le début des années 1980, de nouvelles recherches remettent en question les interprétations classiques, principalement économiques, concernant les facteurs de la fécondité adolescente. De nouvelles approches sont abordées : § Les conditions économiques16(*) sont examinées moins en elles-mêmes que situées dans le contexte de l'allongement de l'adolescence et de son impact sur les modes de vie, dont la modernisation qui laisse peu de place à l'enfant ; § Les Etats ayant réagi à des niveaux élevés de fécondité précoce par des programmes de planification familiale, il n'est plus possible de ne pas en tenir compte. Vu son ampleur et les nombreuses incidences qu'il pourrait entraîner dans la société, particulièrement en Afrique, il est important d'explorer davantage ce phénomène de fécondité des adolescentes très répandu, mais un peu moins exploré dans certains contexte comme celui du Congo. Plusieurs pistes sont donc envisageables pour améliorer l'état de connaissance du phénomène et entraîner les politiques à la prise en compte dans les politiques nationales de développement de l'importante problématique de la santé sexuelle et reproductive des adolescentes. II. 1.1. APPROCHES EXPLICATIVES« L'approche est à considérer comme une démarche intellectuelle qui n'implique ni étapes, ni cheminement systématique, ni rigueur particulière. C'est à peu près un état d'esprit, une sorte de disposition générale qui situe l'arrière-fond philosophique ou métathéorique du chercheur ou de la recherche. »17(*) Cette section présente, en effet, un ensemble de démarches intellectuelles mises en oeuvres par certains auteurs, dans différents contextes, pour appréhender le problème de fécondité précoce. Dans ce sens, on parle d'approche socioéconomique, socioculturel, institutionnelle... A. APPROCHE SOCIOECONOMIQUEL'approche socioéconomique est tirée de la théorie du choix rationnel18(*), héritée de Hume et des Lumières, qui repose sur le postulat suivant : « les agents agissent de la manière qui leur semble appropriée, pour des raisons que le théoricien peut chercher à comprendre et à reconstituer ». Ces modèles de la rationalité pratique trouvent des applications dans les sciences sociales lorsqu'on retient une approche individualiste de l'explication des phénomènes sociaux. Ainsi, les agents sociaux - les adolescentes - sont assimilés à des décideurs rationnels dont on cherche à reconstituer les préférences ou les raisons d'agir. C'est, par exemple chez Pareto, le critère qui sépare les « actions logiques » (adaptées au but visé) des « actions non logiques ». Selon les approches de ce type, les buts visés par les individus rationnels peuvent être quelconques, pourvu que le choix des actions soit judicieux relativement à ces buts. Cette approche encore appelée « théorie de l'adaptation rationnelle » a été initiée, en démographie, par Cherlin et Riley (Calvès, 1996). Essentiellement basée sur les effets de la pauvreté des populations, elle postule que les comportements sexuels à risque des adolescentes ainsi que leur fécondité précoce seraient dirigés par des motivations d'ordre économique ou social. D'une part, dans un contexte de précarité financière ou matérielle, les adolescentes s'engageraient délibérément dans des relations sexuelles multiples ou avec un partenaire économiquement plus aisé pour améliorer leur condition de vie (nourriture, habillement, frais de scolarité, logement, articles de luxe, etc.). D'autre part, pour une jeune adolescente située en bas de la hiérarchie sociale, les relations sexuelles avec un partenaire mieux placé sont un moyen d'agrandir son capital social19(*) et, de grimper à un échelon supérieur (obtention d'un emploi par exemple). Cette monétarisation des rapports amoureux s'effectue parfois avec l'accord tacite (ou la pression) des parents lorsque les filles sont considérées comme un fardeau pour la famille ou, au pire, comme un investissement non rentable, ou encore lorsqu'il y a un intérêt économique, telle que la dot, à en tirer. Mais elle peut aussi être suscitée par les partenaires eux-mêmes pour diverses raisons dont celle de vouloir échapper à une polygamie formelle dans un entourage évolué en entretenant des unions informelles, comme les « deuxièmes bureaux » dans le contexte congolais, desquelles ils peuvent se défaire au gré des circonstances économiques, quand bien même celles-ci se solderaient par une naissance. Enfin pour une jeune fille, faire un enfant à un homme constitue un moyen, un peu plus sûr, de créer une relation durable voire d'aboutir au mariage avec ce dernier. Les facteurs économiques à prendre en compte sont, pour l'essentiel : la dépendance économique des filles mères et l'insuffisance des moyens des parents pour subvenir aux besoins de leurs enfants adolescents. * 15 Blandine Grosjean, Actualités des églises : Maternités précoces, mamans mineures de mère en fille, Libération/CPDH, Art. sur net (www.google.fr) * 16 Il convient de préciser que les « approches économiques classiques » considéraient les conditions économiques comme des facteurs uniques et universellement capables d'un changement en matière de procréation. Tandis que les « nouvelles approches » tentent de replacer les éléments économiques dans le contexte particulier auquel sont rattachés les événements. * 17 Aktouf Omar, 1987, Méthodologie des sciences sociales et approche qualitative des organisations : une introduction à la démarche classique et une critique, Montréal, Canada, p.20. * 18 Cette théorie reflète en effet la conception « utilitariste » héritée de Hume et des Lumières, suivant laquelle l'action (humaine) vise à procurer la plus grande satisfaction à un sujet conscient, ce qui revient à identifier le choix rationnel à un comportement « maximisateur ». cf. Hume David, 1739, Traité de la nature humaine, tr. Fr. d'André Leroy, Paris, Aubier, 1973. * 19 Le capital social repose sur les ressources qui, bien que détenues par les membres du réseau relationnel d'un individu et non par lui-même, sont mobilisables et mobilisées par cet individu pour atteindre un objectif lui permettant d'améliorer son bien-être. |
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