CONCLUSION
Cette présente étude a été
réalisée dans un contexte de mondialisation secouée par
les changements climatiques et la fin annoncée du pétrole, et
rythmée par la fièvre des agrocarburants proposés comme
alternative. Elle aborde la thématique du rapport des exploitations
agricoles familiales aux projets d'agrocarburants de proximité dans le
cadre d'un projet Jatropha localisé dans le département de
Foundiougne au Sénégal.
A travers une caractérisation et une typologie, ce
mémoire met en exergue la place qu'occupe la subsistance familiale dans
la structure et le fonctionnement des exploitations agricoles familiales
impliquées dans ce projet : 1èr objectif prioritaire
de toutes les exploitations, 77% à 95% de parts réservées
pour ce poste de dépenses dans l'utilisation des revenus globaux.
Le foncier disponible, variable qui différencie le plus
les exploitations agricoles familiales, a permis de les classer en 4 groupes :
les EAF de type A avec un foncier disponible inférieur à 5 ha ;
les EAF de type B dont le foncier disponible est compris entre 5 ha et 9,99 ha
; les EAF de type C avec un foncier disponible de 10 ha à 15 ha et les
EAF de type D dont le foncier disponible est supérieur à 15
ha.
Les exploitations de type C et D, emblavant plus de
superficies, ont des taux de couverture des besoins céréaliers
plus élevés car il n'y a pas de différences significatives
entre les rendements obtenus par culture. En effet, on note une
corrélation significative entre la superficie cultivée
annuellement et le taux de couverture des besoins céréaliers.
D'où l'enjeu de la sécurisation du foncier pour les
producteurs.
Hormis quelques différences structurelles
significatives (taille de la population, actifs agricoles, superficie
cultivée annuellement, taux de couverture en céréales,
taux d'équipement en houe), les groupes d'exploitations agricoles
familiales présentent les mêmes pratiques agricoles, les
mêmes logiques de fonctionnement et par conséquent les mêmes
difficultés et stratégies de survie.
Les exploitations agricoles familiales impliquées dans le
projet Jatropha ne sont donc pas exceptionnelles, elles sont comme les
autres.
109
Mémoire Master Amadiane DIALLO
Ceci me conforte dans mon appréciation globale de la
situation de ces agropasteurs après plusieurs années
d'observations participantes. Méme si l'étude ne permet pas une
généralisation, il faut reconnaitre que les agropasteurs
n'arrivent pas à bénéficier des fruits de leur dur labeur
malgré leur système de production relativement « propre
» et respectueux de l'environnement. Durant environ quatre mois
d'hivernage erratique, ils travaillent sur des terres épuisées et
dégradées avec du matériel agricole vétuste et
insuffisant (dans l'étude environ 60% sont « sous
équipés ») pour récolter des productions limites ne
parvenant même pas à leur assurer une sécurité
alimentaire (taux moyen de couverture des besoins céréaliers de
82% dans l'étude avec des différences intergroupes
significatives).
Toutefois, il apparaît, au terme de cette étude,
que les agriculteurs concernés demeurent des acteurs conscients de leurs
atouts et faiblesses et n'hésitent pas à saisir des
opportunités qui s'offrent à eux pour repousser les menaces
à leur survie. Tout en sécurisant leur foncier et leurs
productions agricoles traditionnelles, elles tentent de déployer des
stratégies d'adaptation, voire de débrouille pour tirer leur
épingle du jeu.
L'étude a montré que la quasi-totalité
des exploitations agricoles familiales enquêtées a fait le choix
de la clôture pour s'impliquer dans le projet. Ce qui leur permet de
réaliser leurs plans de campagne sans réaménagement aucun
des fondamentaux de leur structure productive.
Elles ont aussi choisi de débuter les plantations avec
des superficies planchées (1,56 #177; 1,17 ha par exploitation avec
égalité des moyennes intervillages et intergroupes).
Cette stratégie d'intégration minimale leur
donne ainsi l'opportunité de renforcer leur marquage foncier pour
sauvegarder leur système de production tout en se connectant aux enjeux
matériels du projet. Dans le moyen terme, les exploitations qui sont
moins dotées en terres de culture (types A et B) se projettent
déjà à un taux de marquage foncier par le Jatropha
supérieur à 50% de leur foncier disponible.
Tout ceci montre que, malgré les difficultés
auxquelles elles sont confrontées, les exploitations agricoles
familiales sont très attachées à la sauvegarde de leurs
facteurs de production. C'est dans cet état d'esprit d'ailleurs qu'elles
sont impliquées comme acteurs dans la mise en oeuvre du projet
Jatropha.
Ce projet regroupe d'autres acteurs directs et indirects aux
logiques, objectifs et stratégies divers. D'abord, les partenaires
directs des producteurs agissant au sommet de la SOPREEF sont tellement
obnubilés par le démarchage de bailleurs de fonds qu'ils
risquent, s'ils ne
prennent garde, de se déconnecter des
réalités des « acteurs à la base ».
Néanmoins, leur expérience acquise dans la localité et le
principe de décisions paritaires au sein du conseil d'administration de
SOPREEF sont autant d'atouts pour tenir le cap.
Au niveau national, les acteurs indirects que sont les ONG,
les plateformes paysannes et autres membres de la société civile,
grâce à leurs plaidoyers en faveur du respect des droits des
producteurs, poussent l'état et ses partenaires à toujours
recentrer le programme national de biocarburants. Ce dernier présente
beaucoup de dysfonctionnements dans sa mise en oeuvre au niveau local. Les
acteurs étatiques au niveau local semblent désorientés et
sous informés du moment que le point focal national, en l'occurrence
l'ISRA, a du mal à démultiplier l'information faute de
représentation déconcentrée.
En définitive, la stratégie paysanne d'adopter
la plantation du Jatropha comme haie vive autour des parcelles apparaît
comme un point de convergence circonstanciel aux différentes «
boussoles intérieures » des principaux acteurs des projets
d'agrocarburants de proximité au Sénégal. En effet, elle
prend le contrepied de la logique du modèle dominant qui prône la
conduite en régie, par les multinationales et autres promoteurs
capitalistes, de monocultures d'agrocarburants dont la production est
destinée à l'exportation au grand dam des agriculteurs. Par
contre, dans la conduite de projets d'agrocarburants de proximité telle
que choisie par les exploitations agricoles familiales, l'accaparement des
terres et l'insécurité alimentaire ne sont pas favorisés.
L'état et ses partenaires peuvent appuyer l'installation des
unités modulables de trituration de Jatropha et des plateformes
multifonctionnelles (moulins, électricité, eau..) pour permettre
aux zones rurales de satisfaire leurs besoins énergétiques sans
faire recours au pétrole et ses dérivées. Ce
système de production intégré au Jatropha présente
aussi l'avantage d'éviter le transfert de matière première
et l'acheminement de produits finis sur de longues distances. Tout est
réalisé sur place pour répondre à des besoins
locaux. Ainsi, en respectant et en accompagnant les producteurs dans leur
choix, il sera légitime de parler de « réduction durable des
émissions de gaz à effet de serre ».
Je ne peux terminer sans évoquer ce que j'ai appris de
nouveau de la confrontation entre théorie sur les agrocarburants et la
réalité du terrain qui, à priori, me paraissait familier.
Les leaders paysans et les chefs d'exploitation que j'ai interviewés
m'ont agréablement surpris par la hauteur de leurs analyses de la
situation des agrocarburants au Sénégal, voire dans le monde.
D'une part, la démocratisation de l'information prônée par
les médias sénégalais a sans nul doute facilité
cette prise de conscience des masses paysannes. En effet, l'utilisation des
langues nationales dans les radios et les télévisions pour la
présentation des journaux parlé
111
Mémoire Master Amadiane DIALLO
et télévisé est d'un grand apport dans la
sensibilisation du monde rural. D'autre part, le réseau GSM dont le taux
de pénétration est de plus de 70% dans le pays facilite les
correspondances et les échanges d'informations entre la ville et la
campagne. D'ailleurs tous les chefs d'exploitation enquêtés
disposent d'un numéro de téléphone portable. Tous ces
canaux ont constitué un raccourci pour les campagnes de sensibilisation
des agriculteurs menées avec abnégation par les organisations de
la société civile. Dès lors, le monde rural est de plus en
plus au diapason des dynamiques locale et globale du développement.
Cependant la société civile doit accentuer les plaidoyers et
lobbying politiques contre le projet de privatisation de la terre tant
souhaitée par les investisseurs privés.
Fort des enseignements de l'étude, je peux affirmer,
toute chose égale par ailleurs, que les exploitations agricoles
familiales du projet ne sont pas disposées à aller plus loin que
la clôture de leurs parcelles par le Jatropha. Car elles sont tellement
attachées à leurs cultures de subsistances qu'elles ne vont pas
les sacrifier au profit d'une plante non alimentaire qui entre en production au
plus tôt deux ans après installation. L'expérience de la
production cotonnière dans la zone est édifiante. Bien que
l'encadrement de la SODEFITEX préconise les semis précoces, les
producteurs ont toujours semé le coton après avoir
installé les céréales. Ils détournaient méme
l'engrais du coton pour les mettre dans les parcelles de
céréales. La société cotonnière a
été obligée d'introduire des programmes de promotion des
céréales pour regagner la confiance des agriculteurs. Ces
derniers n'ont pas hésité, quand ils l'ont souhaité,
à abandonner tout bonnement la culture du coton et, à s'adonner
à leurs spéculations favorites au détriment de leur
compagnonnage avec cette société qui pourtant les appuyait dans
beaucoup d'autres domaines. D'ailleurs, à la question «
Comptez-vous augmenter vos superficies en Jatropha dans un avenir proche ?
», les chefs d'exploitation agricole familiale ont presque toutes
répondu en commençant par l'expression « je compte
clôturer...» qui en dit long sur leur intention. C'est pourquoi, je
qualifie les rapports entre exploitations agricoles familiales et le projet
Jatropha de mariage opportuniste avec « séparation des biens
».
Mon étude suggère une question
intéressante à investiguer « Est-ce que l'objectif de
renforcement des droits fonciers ne va pas l'emporter sur l'aspect
énergétique recherché dans la mise en oeuvre de la culture
du Jatropha ? ». Pour répondre à une telle question, une
analyse plus approfondie des logiques d'acteurs est nécessaire. Mes
investigations ne sont pas allées trop loin dans les grilles d'analyse
que proposent les spécialistes de la question. Néanmoins le
modeste travail que je viens de présenter peut servir de jalons à
des études de cette nature.
En perspective, il est aussi nécessaire de questionner
les rapports de pouvoir et les relations de régulation qui vont
interférer certainement pendant la collecte, la transformation et la
redistribution à la communauté de l'énergie produite : une
autre arène!
|