3.2- Au niveau local
Malgré l'arsenal institutionnel « politiquement
correct » du comité technique national de pilotage du programme
biocarburants, la réalité du terrain est tout autre. En effet,
à force d'être le réceptacle des programmes spéciaux
qui se chevauchent, les acteurs locaux se perdent et ne savent plus à
quel saint se vouer.
Les agents des services déconcentrés des
ministères de l'agriculture et de l'environnement ont adopté la
même attitude que leur tutelle. En effet, lors de mes interviews, les
agents de l'agriculture et des eaux et forêt ont tout bonnement
rétorqué qu'ils ne s'occupent pas du programme et cachent
à peine leur sentiment de frustration d'avoir été mis
à l'écart. Néanmoins, en insistant je suis parvenu
à avoir quelques points de vue sur le programme national Jatropha d'une
manière générale et le projet de la SOPREEF
particulièrement.
L'agent d'agriculture, un ancien, jouissant d'une
réelle expérience de la zone enquêtée m'a fait
savoir en ces termes : " nous ne sommes pas impliqué maintenant dans
la vulgarisation mais plutôt dans la remontée des données
de statistiques agricoles, de la pluviométrie, de la situation
parasitaire... ». Mais poursuit-il, " au cours de mes
tournées, il m'arrive de remarquer les pépinières de
Jatropha tenues par les communautés villageoises et quelques haies vives
au stade plantule...». Son avis est sans équivoque : "
l'espace foncier manque vraiment ici pour du Jatropha car il y a même des
producteurs qui louent à d'autres producteurs des terres à 20000
FCFA par ha pour boucler leur plan de campagne... Est-ce le paysan accorde une
si grande importance au Jatropha comme le pense le projet ? Je ne pense pas
...Bref on verra... C'est pourquoi, il ne prend pas trop de risque dans la
culture pure du Jatropha mais tente de sécuriser ses parcelles avec la
clôture et donner l'impression qu'il est engagé...».
Ces propos rejoignent quelque peu mon analyse par rapport au
pourcentage élevé de parcelles clôturées ou à
clôturer qui dénote « d'un agenda caché de marquage
foncier ». Il confirme aussi la marge de manoeuvre que les paysans ont sur
la manière de gérer leurs parcelles. Il propose l'utilisation
comme brise vent du Jatropha dans les parcelles maraîchères et le
renforcement des forêts classées par des plantations de Jatropha.
Car elles ont été dévastées par les feux de brousse
et ressemble plus à de la savane. En plus, les plantations de Jatropha
serviront de pare feu. Il ne pense pas à un abandon des cultures
traditionnelles par les paysans au profit du Jatropha au Sénégal
car ils sont conscients de leurs intérêts du point de vue
socio-culturel. En effet, les nouvelles cultures sont souvent en
compétition avec
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Mémoire Master Amadiane DIALLO
l'arachide qui, en plus de sa rentabilité globale, a
elle-même acquis un ancrage culturel presque
indétrônable.
Le chef du CADL (Centre d'Appui au Développement Local)
quant à lui, pense que « les tenants et les aboutissants du
programme national Jatropha ne sont pas bien connus mais pour le projet SOPREEF
les objectifs de satisfaction des besoins locaux sont louables... ».
Son inquiétude réside du fait que « les producteurs
n'ont même pas le droit de clôturer les parcelles sans
délibération du conseil rural... ». Selon lui, le
processus de régularisation du foncier destiné à
l'investissement implique une mission de prospection d'une commission domaniale
suivie d'une délibération du conseil rural sanctionnée par
un arrété d'attribution du président avec visa
d'approbation du sous-préfet de la circonscription. Il précise
aussi que le droit d'usage sur le domaine national dont jouissent les
producteurs n'équivaut pas à un droit de propriété.
En effet, si une parcelle est non exploitée au bout de deux à
trois ans, elle est normalement désaffectée par une autre
délibération du conseil rural. En cas de décès de
l'exploitant, le conseil rural doit se saisir des terres pour les
réaffecter. Dans la pratique, une reconduction tacite est faite en
faveur des héritiers sauf dans le cas où ils n'arrivent pas
à s'entendre.
Le chef du sous-secteur des eaux et forêts, après
avoir déploré le manque d'informations sur le programme national
Jatropha, a reconnu que les plantations de Jatropha au même titre que les
manguiers et les anacardiers sécurisent le foncier pour les producteurs
compte tenu de toutes les raisons évoquées par le chef du CADL.
D'ailleurs, précise-t-il, les producteurs cherchent de plus à
plus à avoir une attribution du foncier (PV de
délibération) abritant leurs plantations. Il exhorte le projet
SOPREEF a tenir compte de l'expérience du projet de plantation
d'anacardier pour surpasser les contraintes qui ne manquent pas quelle que soit
la pertinence d'un programme.
D'autre part, certains présidents de communauté
rurale élus lors des dernières élections locales de 2009
n'ont pas été bien sensibilisés des tenants et des
aboutissants du projet par leurs prédécesseurs. C'est pourquoi,
leurs points de vue restent parfois des généralités et des
regrets pour leur manque d'accompagnement du projet du fait de leur passation
de service bâclée par leurs prédécesseurs qui ont,
disent-ils, mal accepté leur départ à la tête des
communautés rurales. A la faveur de la décentralisation qui leur
a conféré une personnalité juridique et des
compétences transférées, leur rôle dans la
planification et la gestion du développement de leur terroir est
crucial. Ceci est clairement inscrit dans l'article 198 du code des
collectivités locales : "la Communauté Rurale élabore
le Plan Local de Développement et
donne son avis sur tous les projets de
développement concernant tout ou partie de la communauté
rurale".
Malgré l'implication des membres du conseil rural dans
le projet Jatropha SOPREEF, le dernier plan d'action prioritaire (PAP
2010-2015) de la communauté rurale de la zone d'étude ne
mentionne ni dans ses axes stratégiques, ni dans ses objectifs la
promotion des biocarburants par la plantation de Jatropha. Cet état de
fait paradoxal peut être interpréter de différentes
manières.
? Soit les leaders du projet présents lors des
consultations n'ont pas su convaincre les autres parties prenantes de la
pertinence des agrocarburants de proximité, par voie de
conséquence la communauté rurale n'en fait pas une
priorité.
? Soit la communauté rurale n'a pas encore les moyens
à consacrer à un tel projet qui ne donne pas de résultats
visibles dans le court terme ou des financements extérieurs ne sont pas
encore mobilisables pour prendre en charge ce volet
? Soit la SOPREEF, n'ayant pas encore les coudées
franches, veut faire ses preuves avant de s'ouvrir totalement à la
communauté rurale pour une prise en charge dans son budget
? Soit les dysfonctionnements constatés dans la mise en
oeuvre du programme national sont à l'origine de sa déconnection
des plans de développement local.
Cette dernière piste me paraît la plus plausible en
référence à l'analyse des stratégies des acteurs au
niveau national.
Dès lors, la mise en oeuvre du programme national
Jatropha semble déconnectée du niveau local. Cet état de
fait pousse les acteurs locaux à chercher à en savoir plus en
diversifiant leurs canaux d'informations. Ils sont ainsi ouverts aux
sensibilisations des ONG et autres détracteurs des agrocarburants. Par
contre d'autres s'engagent à côté des promoteurs pour
essayer de profiter des rentes.
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