1.4- Point sur la situation des agrocarburants au
Sénégal
Traditionnellement, le Jatropha était présent en
milieu paysan sénégalais au niveau des clôtures des
parcelles maraîchères, des vergers et très rarement des
champs des grandes cultures.
La première expérience connue de projet de
plantation de Jatropha au Sénégal serait l'oeuvre
d'ATI16 (Appropriate Technology International) une ONGD
américaine spécialisée dans la promotion des Technologies
Appropriées et des Petites Entreprises de production. Ce projet de
plantation, d'extraction et d'utilisation de l'huile de Pourghère a
été mis en oeuvre entre 1999 et 2000 au niveau des
arrondissements de Fimela (région de Fatick) et de Pout
16 Devenue Enterprise Works
(région de Thiès) : 12.000 boutures de Jatropha
curcas ont été plantées par des groupements
féminins. Avec une presse manuelle mise au point par des artisans
locaux, des essais concluants ont été réalisés
à partir de graines collectées pour l'extraction de l'huile qui a
permis de faire fonctionner des moulins à mil. Malheureusement,
après le programme, les quelques plantations ont été
délaissées sans suivi et la production de graine a
été compromise.
La deuxième expérience avérée est
celle du PROGEDE (Programme de Gestion Durable et participative des Energies
traditionnelles et de substitution) qui a procédé depuis 2003
à la mise en place d'une plantation de Jatropha curcas sur une
superficie de 25 ha. L'objectif était de tester les possibilités
de production de biodiesel à partir de l'huile de Jatropha. Les
résultats encourageants des premières réalisations ont
justifié la généralisation de l'initiative sur l'ensemble
des parcelles maraîchères et des vergers sous forme de plantations
de haies vives. Avec l'appui technique et financier de la Banque Mondiale et
d'une firme norvégienne (GreenTrac), un véhicule multiservices a
été conçu pour utiliser l'huile végétale
pure comme carburant pour son fonctionnement à l'image d'une plateforme
multifonctionnelle. Cette innovation a été primée lors de
la tenue du « Development Market Place », organisé par la
Banque Mondiale en 2006. Ce prix a permis au projet d'acquérir cinq
prototypes de ces véhicules pour les villages encadrés. Le
PROGEDE, en rapport avec des artisans nationaux, a aussi mis au point un
prototype de réchaud à base d'huile de Jatropha en vue de le
substituer au gaz butane pour les ménages. Selon l'actuel coordinateur,
les performances énergétiques feront l'objet de tests de
laboratoire comparativement aux autres sources d'énergie. Il
précise aussi que l'huile de Jatropha n'est pas encore disponible
à grande échelle dans leur zone d'intervention.
C'est à la suite de ces premières
expériences, que le gouvernement du Sénégal a lancé
un programme spécial biocarburants qui a pour objectif d'atteindre
l'autosuffisance énergétique nationale, et de permettre par
ricochet la réduction des importations de pétrole qui absorbent
à elles seules 40% des bénéfices d'exportations du pays.
Il vise des plantations de Jatropha d'une superficie globale de 321.000 ha et
des prévisions de récoltes de 3.210.000 tonnes de graines par an
permettent d'assurer la production de 1.190.000.000 litres d'huile brute et de
1.134.000.000 litres de biodiésel suffisant aux besoins nationaux
actuels estimés à 1.095.500.000 litres. Comme indiqué
supra, l'option de l'espèce Jatropha curcas a été prise
pour réaliser des plantations massives, des haies vives, en bordures des
concessions et des routes, délimitation des parcelles de cultures dans
les zones du Centre, de l'Est et du Sud du pays. Il est prévu d'emblaver
une superficie de 321 000 ha à répartir par communauté
rurale.
40
Mémoire Master Amadiane DIALLO
(MDRA, 2008). Pour ce faire, une distribution de plants aux
producteurs et aux porteurs de projet selon les superficies demandées a
été faite. Les réalisations de la campagne agricole
2008-2009 ont porté sur la plantation de 5 000 ha à partir de 5
555 000 plants de Jatropha fournis aux producteurs (individuels et
organisations de producteurs, secteur privé) soit sous forme de plants
âgés de 4 à 8 mois, soit sous forme de semences
importées. Ce matériel végétal a été
produit à partir de graines collectées dans différentes
régions du pays (Thiès, Fatick, et Diourbel notamment), d'une
part, et d'un stock de 128 tonnes de graines importées, d'autre part.
(ANSD, 2008). Les résultats n'ont pas été à la
hauteur des attentes jusqu'à présent.
Toutefois, grâce à un appui du gouvernement de
Ténériffe, une station de serre déjà
opérationnelle d'une capacité de production minimale de 500.000
plants tous les deux mois, est implantée à Sangalkam. Elle va
renforcer l'approvisionnement en plants aux producteurs de Jatropha du pays.
Selon le point focal du programme, si la production atteint sa vitesse de
croisière, il est prévu l'installation de mini-industries de
transformation dans les sites de production.
Malgré les résultats mitigés obtenus et
les mouvements contestataires de certaines plateformes paysannes, force est de
reconnaitre que le programme spécial Jatropha a suscité une
certaine curiosité, voire engouement d'une frange de la population
rurale. C'est ce qui a, sans doute, facilité la tâche aux
différents promoteurs de projets de Jatropha qui sont parvenus à
disposer de terres au niveau des communautés rurales pour s'implanter et
développer leurs activités.
La situation des agrocarburants au Sénégal permet
de distinguer quatre types d'intervenants.
1) Les investisseurs privés nationaux et
internationaux, voire les multinationales qui s'implantent pour faire de la
monoculture en régie sur de grandes superficies dans des zones
favorables à de meilleurs rendements. La production est exclusivement
destinée à l'exportation. C'est le cas de la présence,
dans les zones les plus humides du Sénégal, à savoir la
vallée du Fleuve et les rives du fleuve Gambie, zone de production de
bananes, d'investisseurs nationaux et de grandes multinationales telles que
Trans Danubia, Agro Africa, Afrique Energie Développement, African
National Oil Corporation.
2) Les investisseurs privés nationaux et
internationaux qui s'introduisent dans les communautés rurales par le
biais des fils du terroir (eux-mêmes impliqués) pour se faire
affecter des terres : ils emploient les populations locales
comme ouvriers agricoles ; la production est aussi destinée à
l'exportation mais des promesses d'investissements sociaux sont faites aux
populations locales. En 2008, dans la région orientale du pays
(Tambacounda), les superficies affectées à des acteurs
étrangers pour la seule culture du Jatropha sont de 23.438 ha. Dans la
même région, plus précisément dans la
communauté rurale de Nétéboulou, un projet Italien de
plantation de Jatropha y a été lancé en 2010. Il s'agit
d'un holding italien, Tozzi Renouvelable Energie, qui veut financer la
plantation de 50.000 ha de Jatropha dans la zone en collaboration avec un fils
du terroir lui-même membre d'une structure spécialisée dans
la technologie du Jatropha. Ces investisseurs disent avoir signé un
protocole d'accord avec l'état leur permettant d'exporter les 80% de la
production d'agrocarburants. Seule, les 20% seront mis à la disposition
du Sénégal à un prix négocié. D'autres
investisseurs agissant de la même manière sont signalés
dans des communautés rurales du nord au Sud du Sénégal
où des milliers d'ha de terres leur ont été
affectées pour la culture du Jatropha principalement.
3) Les promoteurs de projets d'agrocarburants qui, en
synergie avec les producteurs locaux, veulent introduire le Jatropha dans le
système de production traditionnel et envisagent la transformation sur
place en huile végétale pure pour satisfaire les besoins locaux
en énergie. L'ADG17 s'inscrit dans cette mouvance, en
appuyant une organisation paysanne partenaire dans la zone de Dialakoto au
Sud-est du pays où elle menait déjà des actions. Elle a
fait le choix d'accompagner les producteurs afin de voir avec eux les avantages
et inconvénients liés à l'augmentation de ces plantations
de Jatropha dans le cadre d'un projet intitulé " Validation du
Système Jatropha en milieu rural sénégalais »
mis en place en 2008. Il ne vise pas " une production
massive d'agrocarburants à base de Jatropha mais à analyser les
avantages éventuels de l'intégration de cette plante dans les
systèmes culturaux et dans la dynamique villageoise. » Les
premiers tests d'utilisation de la plante qui ont été
effectués, ont abouti déjà à la réalisation
d'une lampe à huile de Jatropha. Le projet qui fait l'objet du cas
d'étude de ce mémoire peut être classé dans la
même catégorie.
4) Les promoteurs « hybrides » qui veulent
travailler d'une part en régie pour sécuriser leur production
destinée à l'exportation et d'autre part, collaborer avec les
organisations des producteurs en signant des contrats de production. C'est la
stratégie adoptée par le projet «Green Oil Development»
qui compte travailler directement avec les coopératives agricoles et
avec les groupes d'intérêt économique sur la base d'un
contrat entre la société
17 Aide au Développement Gembloux (ONG
belge)
42
Mémoire Master Amadiane DIALLO
SBE18 Sénégal et les diverses
communautés rurales concernées. Le projet négocie des
contrats exclusifs d'achat de graine de Jatropha curcas à un prix fixe
n'étant pas sujet aux fluctuations du marché.
Au-delà de ces acteurs, certains industriels
sénégalais essaient de se mettre au diapason de l'énergie
verte pour suppléer aux énergies fossiles. En effet, deux projets
de biocombustibles ont été lancés et méme
introduits dans le portefeuille des projets MDP dirigé par
l'Autorité Nationale Désignée (AND). Cette dernière
est chargée des aspects réglementaires et promotionnels du MDP
pour attirer des financements et favoriser les investissements sous ce
mécanisme au Sénégal (confère annexe).
Le premier projet agro-industriel inscrit à l'AND pour
l'étude d'éligibilité aux MDP est celui de la SOCOCIM
(Société Ouest africaine des Ciments). Il consiste à
utiliser des fruits de Jatropha et autres biomasse en substitution aux
combustibles fossiles dans la cimenterie de SOCOCIM Industries. L'objectif dans
le moyen terme est d'atteindre un taux de substitution thermique d'environ 40%
dans la cimenterie grace à l'utilisation du Jatropha.
Le deuxième projet est initié par la CSS
(Compagnie Sucrière Sénégalaise) pour la production de
bioéthanol. L'objectif visé est la production d'éthanol
à partir des déchets de canne à sucre. Le
bioéthanol sera mélangé avec du diesel et utilisé
dans le transport. La proportion de bioéthanol envisagé est de
10%. Le projet a une capacité annuelle de production de 10 000 tonnes
soit 60 000 litres/jour.
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