Au Bénin, le secteur agricole compte pour 34
p.c. du Produit Intérieur Brut (PIB), fournit 80 p.c. des exportations
et emploie 54 p.c. de la population (Anonyme, 2000a). Le secteur est
dominé par les petits paysans cultivateurs de vivriers et de coton. Les
principales cultures vivrières sont les céréales, les
racines et les tubercules alimentaires. Parmi les céréales, le
maïs est le plus cultivé avec 30 p.c. des superficies totales
emblavées et comptant pour 70 p.c. de toutes les céréales.
En outre une autre caractéristique non moins importante pour le secteur
est l'accès aux facteurs de production notamment à
l'engrais.
Le Bénin, comme les autres pays en Afrique
Sub-Saharienne, a initié des programmes de réforme des
marchés des intrants de son agriculture, conséquence du programme
d'ajustement structurel et de la dévaluation du franc CFA (FCFA). Les
effets de la réforme du marché des intrants agricoles, engrais et
pesticides, sont déterminants dans des décisions d'investissement
et fournissent des informations en vu de l'introduction d'approches
alternatives pour l'amélioration de la fertilité des sols et/ou
de leur gestion. Ces effets affectent particulièrement l'utilisation des
intrants agricoles par les petits paysans (Katary, 1999), voire même
négativement la conservation et la gestion durable des ressources
naturelles et notamment des ressources en sols pour l'agriculture. Il y a un
besoin de développer des stratégies et technologies efficientes
de gestion de la fertilité des sols pour les petits paysans. En plus, le
prix de l'engrais influence le choix des cultures et celui des filières
agricoles par les paysans.
Depuis 1992 près de 54 p.c. des producteurs
trouvent que la culture du maïs : Zea mays L.,
est plus profitable, alors que pour 38 p.c. le coton est devenu plus profitable
(Kormawa et al., 2003). Le maïs apparaît
ainsi comme une spéculation alternative, pouvant suppléer la
filière coton. Toutefois, le maïs : Zea
mays L., est une plante qui affectionne particulièrement
les sols riches en matière organique (Aman et Despatie, 1997).
Malheureusement, le Sud-Bénin qui est la région traditionnelle de
production du maïs au Bénin, connaît depuis plus de deux
décennies quelques contraintes majeures au développement de cette
culture. Il
faut ajouter que la disparition des temps de
jachère a accéléré la dégradation des sols
dans cette zone avec pour conséquence la perte de
fertilité.
Houngnandan (2002), en rédigeant un synoptique
sur un projet de restauration de la fertilité des sols au Sud et au
Centre du Bénin, constate qu'à l'issue de cultures
céréalières successives sur plus de trois décennies
sans restitution organique et inorganique, des terres agricoles sont
fragilisées avec une chute drastique de la teneur en matière
organique du sol (<1 p.c.).
Cette dégradation des sols, avec ses
corollaires de baisse de fertilité et de faibles rendements agricoles,
constitue alors de nos jours une préoccupation majeure au Bénin
et a même donné naissance à un programme national
appelé "Initiative de la Fertilité des Sols" en liaison avec un
réseau régional de même nom (Anonyme, 2002a). Ce
phénomène se trouve amplifié sans cesse par la pression
démographique et la quasi-disparition de la jachère naturelle ou
friche dans les pratiques culturales, notamment dans le Sud-Bénin. Par
ailleurs, l'ampleur de la dégradation des sols observée est
fonction des types de sols.
Les principaux sols représentés au
Bénin sont, suivant la classification française, les sols
ferrallitiques, les sols ferrugineux tropicaux, les sols minéraux bruts
et les vertisols. Les deux premiers types de sol, les plus importants
s'étendent surtout dans les zones de production du palmier à
huile et du cotonnier et représentent 89 p.c. de la superficie totale du
pays (Anonyme, 1977). Leur caractéristique principale est qu'ils sont
pour la plupart très appauvris. L'humus stable est la fraction
colloïdale de la matière organique du sol. L'humus forme avec
l'argile le complexe argilo-humique. La matière organique constitue la
base de la fertilité de ces sols qui sont des sols à
oxyhydroxydes de fer et d'aluminium (Sanchez et Miller, 1986 ; Greenland
et al., 1992 ; Feller, 1994;). Pieri(1989), dans une
étude approfondie de la fertilité des terres de savanes de
l'Ouest-Africain, a tenté de circonscrire l'action fondamentale de la
matière organique par trois de ses rôles :
· elle favorise le développement
racinaire des cultures et stimule l'activité biologique ;
· elle est l'agent principal de stabilisation
de la structure des sols pauvres en argile ;
· elle influence directement la nutrition
des plantes et les propriétés physicochimiques des sols
(capacité d'échange, acidité, ...) par sa
minéralisation et son importance dans la dynamique de
l'azote.
On comprend qu'à défaut d'argile
à capacité d'échange élevée, la teneur en
matière organique de ces sols constitue un élément
très important, voire un facteur limitant de la production
végétale à cause de son rôle dans les
propriétés physiques, chimiques et biologiques des sols. Mais la
qualité de cette matière organique ne dépend-elle pas de
la source de cette matière organique ? Houngnandan (2002) fait le
constat que le potentiel symbiotique des légumineuses arbustives et
herbacées expérimentées au Bénin n'a pas encore
été suffisamment exploré.
La plupart des recours à un amendement
organique, voire une fertilisation biologique, s'appuient de nos jours surtout
sur des légumineuses dont la qualité est principalement
liée à leur efficacité dans la fixation biologique de
l'azote atmosphérique. Cependant, la plupart des programmes de criblage
des arbres à buts multiples pour l'agroforesterie, notamment la culture
en couloirs, visaient surtout la production de biomasse d'émondes en
quantité pour le paillis. En effet, certaines légumineuses
ligneuses ne fixant pas l'azote atmosphérique ont été
pendant longtemps utilisées dans les programmes d'agroforesterie : C'est
le cas de certaines Caesalpinioïdeae comme Senna siamea
(Lam.) Irwin et Barneby et Senna spectabilis,
arbres de référence utilisés dans le
programme « Alley Farming Network for Tropical Africa (AFNETA) ». Des
opinions contrastées sont encore entretenues sur le
bénéfice de ces légumineuses sans nodules dans les
systèmes de cultures en couloirs. Des travaux de Aïhou
et al. (1999) et Tossah et
al. (1999) qui constatèrent que S.
siamea a accumulé plus d'azote que Leucaena
leucocephala et Gliricidia sepium sur
des sols pauvres au Bénin et au Togo alimentent encore ces débats
au sein des chercheurs agroforestiers. Par ailleurs, certaines espèces
nodulent facilement avec des souches locales de rhizobium mais d'autres plus
exigeantes nodulent difficilement dans de telles conditions avec les souches
indigènes de rhizobium comme c'est le cas pour Leucaena
leucocephala
Lam de Wit (Ojo, 2001). Quelques facteurs stationnels
sont des contraintes à la fonction de fixation de l'azote
atmosphérique comme la concentration des sols en azote minéral,
en phosphore (Giller, 2001).
De même, avec la pression démographique
dans le Sud-Bénin (300-350 hbts/km2) et la quasi-disparition
de la jachère naturelle dans cette région (Agbahungba, 1984),
cette contrainte liée à la situation critique de la
matière organique du sol devient plus sévère, voire
exacerbée, avec pour conséquences des chutes de rendements en
maïs grain dans les zones dégradées qui dépassent
parfois l'entendement, comme c'est le cas à Niaouli, Zouzouvou et
Églimè (Houngnandan, 2000). En effet, les rendements sont
passés de 4,9 t.ha-1 à 0,6 t.ha1 et de 6,4
t.ha-1 à 0,2 t.ha-1 respectivement en 1996 et 1997
à Zouzouvou et de 3,1 t.ha-1 à 0,4 t.ha-1
respectivement en 1996 et 1997 à Églimè. L'importance et
la pertinence du problème expliquent alors pourquoi depuis les
années 1980, plusieurs travaux de recherche ont été
réalisés sur la matière organique de ces sols (Djegui,
1992 ; Azontonde, 1994 ; Assogba-Komlan, 1996 ; Houngnandan, 2000). Ces travaux
se sont focalisés sur l'amélioration du potentiel de production
des sols en agissant sur le stock organique par l'utilisation des
légumineuses herbacées comme certaines plantes de couverture et
surtout Mucuna pruriens. Il n'est fait cas seulement
des arbres fixateurs d'azote et arbres à buts multiples, que pour la
simple production d'émondes pour les cultures en couloirs. Cependant,
pour suppléer la jachère traditionnelle de longue durée ou
friche en voie de disparition, l'expérience de la friche plantée
communément appelée jachère plantée au Bénin
a démarré en 1980 à la station forestière de Pahou
(Agbahungba, 1984) avec, entre autres espèces ligneuses en criblage,
Acacia auriculaeformis (Cunn. A.) ex Benth..
L'espèce développe une biomasse très importante
(Dah-Dovonon et Tandjiekpon, 1994 ; Moumouni et Simon, 1999). Elle est
présentée même dans certains systèmes agroforestiers
de la sous-région, notamment en Côte-d'Ivoire comme une
alternative à l'utilisation de l'engrais azoté d'origine
minérale (Zakra, 1997).
L'utilisation de l'espèce en jachère
plantée a fait ses preuves (Agbahungba, 1984 ; Brouwers et
al., 1994) au point où sa vulgarisation dans les
systèmes agroforestiers (culture en couloirs, jachères, contour
des champs, culture en bandes, « choc-Acacia
» pour les sols "comateux") semble devancer de loin
la
maîtrise scientifique des différentes
technologies dont elle est actuellement le support (Floquet et
al., 1996). Par ailleurs, la matière organique est
l'élément essentiel au coeur des diverses technologies
agroforestières dont la maîtrise est requise.
Globalement, pour accroître le stock organique
des sols et restaurer leur fertilité, divers paquets technologiques sont
vulgarisés dans le Sud-Bénin à travers des systèmes
de cultures (cropping system), notamment
:
· les systèmes à base
d'Acacia auriculaeformis ;
· les systèmes à base de
Cajanus cajan ;
· les systèmes à base de
Mucuna pruriens ;
· les systèmes à base de
Gliricidia sepium.
Yamoah et al. (1986)
à Ibadan (Nigeria), montrèrent que Gliricidia sepium
assure une production périodique soutenue d'émondes
avec des quantités conséquentes de teneur en azote comparé
à Senna siamea qui n'apporte d'azote que pour
une seule coupe. Ceci indique par conséquent que Senna
siamea n'est pas adaptée au régime d'émondage
des systèmes de culture en couloirs, alors que l'émondage et les
cultures en couloirs vont de pair. Les espèces utilisées et
performantes pour les cultures en couloirs sont surtout celles supportant
l'émondage.
En ce qui concerne les systèmes à base
de Cajanus cajan, ce sont des systèmes
très anciens sur le plateau Adja au Bénin et qui ont donné
le nom à l'une des communes de la zone : Klouékanmè,
<dans les pois cajans>. Cajanus cajan y est
semé en même temps que le maïs à une forte
densité, 31.626 plants à l'hectare. L'effet résiduel du
Cajanus cajan sur le maïs peut-être
estimé à plus de 41 kg.ha-1 d'apport en azote. Cet
apport peut être plus important et atteindre 200 kg.ha-1
(Kumar et al., 1987). L'apport le plus
élevé d'azote est obtenu après 40 semaines de
végétation. Cajanus cajan a aussi
accès aux formes de phosphore normalement dans les sols
pauvres.
Des exsudats racinaires de cet arbuste contiennent un
acide organique, l'acide piscidique qui a l'habilité spécifique
de solubiliser des phosphates de fer (Ae et al.,
1990). Un autre mécanisme est celui qui accroît la
possibilité d'explorer
un volume important de sol, à travers le
développement d'un système racinaire fin et abondant et son
infection par les mycorrhizes (Rao et al., 1999). Des
expériences ont été faites à Zouzouvou,
Églimè et Tchi respectivement dans les Départements du
Mono et du Couffo dans les régions naturelles des plateaux de terre de
barre (sols ferrallitiques), des savanes humides sur sols ferrugineux et des
vertisols par le Projet de Recherche Appliquée en Milieu Réel
(RAMR) (Versteeg et al., 1998 ; Houngnandan, 2000 et
Azontonde, 2000).
Pour les systèmes à base
d'Acacia auriculaeformis, il s'agit de
systèmes de culture où Acacia
auriculaeformis est la source de matière organique du sol
et surtout une source d'apport en azote et d'autres nutriments pour la plante
cultivée. A. auriculaeformis est un arbre
fixateur d'azote et, à ce titre, a été vite introduit dans
des travaux de régénération des sols. En 1982,
l'espèce est introduite au Bénin et sa vulgarisation a
démarré en 1985 par le projet de reboisement du gouvernement PBF
(Projet Bois de Feu) au Sud-Bénin.
Des expériences de choc-acacia, de
jachère ou friche plantée avec épandage des émondes
ont été réalisées surtout à Zouzouvou et
Églimè (Koudokpon, 1992). Toutefois, malgré un potentiel
remarquable de production de biomasse, les différents systèmes
à base d'Acacia auriculaeformis n'ont toujours
pas permis d'atteindre les résultats attendus. L'efficacité de la
fixation biologique de l'azote atmosphérique par la légumineuse
A. auriculaeformis n'est pas toujours évidente
d'une localité à une autre. Il est aussi reproché à
Acacia auriculaeformis une décomposition lente
(Gaiser et al., 1997). Les programmes
d'économie forestière conduits au Bénin jusqu'ici, ainsi
que les criblages d'arbres à buts multiples pour l'agroforesterie
(production d'émondes et de bois) se sont heurtés au fait que
Acacia auriculaeformis ne rejette pas de souche
(Anonyme, 1995a) et, par conséquent se prête mal aux
émondages successifs. Ce défaut de rejet de souches est une
contrainte majeure au renouvellement facilité des plantations en fin de
rotation par simple traitement en taillis ou régénération
naturelle végétative. Ce qui aurait le mérite de limiter
les coûts de renouvellement des plantations et accroître la
rentabilité de l'entreprise de production de bois de feu. Par ailleurs,
si les émondes ont surtout fait l'objet de travaux aussi bien par la
recherche en station que par la recherche-développement, peu de travaux
ont
porté sur la litière
d'Acacia auriculaeformis bien qu'elle offre beaucoup
de potentialités (Agbahungba, 1999) et soit disponible à
profusion dans le SudBénin, avec le développement des plantations
villageoises. En effet, Acacia auriculaeformis occupe
aujourd'hui une place de choix dans l'espace rural au Bénin. Plus de 100
000 ha de cette espèce, sont déjà plantés. Un
projet de reboisement initié par le Gouvernement du Bénin, le
« Projet Plantation de Bois de Feu (PBF) dans le Sud-Bénin »,
pour des raisons de bonne production de biomasse et de qualité d'arbre
à buts multiples, a choisi l'espèce pour la restauration des sols
et la production de bois sur les stations forestières de
Sèmè, Pahou, Ouèdo et Toffo et dans l'ensemble des
Départements du SudBénin pour les aspects de plantations
rurales.
La présente étude vient à propos
pour contribuer à la connaissance de la dynamique de la matière
organique d'Acacia auriculaeformis.
L'objectif global est de relever la fertilité
des sols appauvris dans le SudBénin en utilisant la litière
produite par les plantations d'Acacia auriculaeformis
dans une combinaison de l'engrais organique (litières et/ou
émondes) et l'engrais minéral pour la culture du
maïs.
Il s'agit spécifiquement :
· de déterminer la dynamique de la
matière organique d'Acacia auriculaeformis sur
trois stations forestières (de Pahou, Sèmè et
Ouèdo) au Sud-Bénin ;
· de caractériser la biomasse
d'Acacia auriculaeformis sur ces différents
sites d'étude ;
· de procéder à une
évaluation des capacités symbiotiques d'Acacia
auriculaeformis sous trois pédoclimats (station
forestière sur sable jaune du cordon ancien du littoral, sable grossier
du cordon récent du littoral et sol ferrallitique dégradé)
du Sud-Bénin ;
· de tester les techniques d'exploitation
(enfouissement et fumure minérale) pouvant accroître la vitesse de
décomposition de la matière organique dans le système
Acacia auriculaeformis-maïs ;
· d'évaluer les pratiques paysannes de
gestion de la biomasse d'Acacia
auriculaeformis et leur impact sur la
régénération naturelle de l'espèce.
Les hypothèses de travail pour vérifier
les objectifs spécifiques sont nombreuses.
Hypothèse 1 : La litière produite par les
plantations d'Acacia auriculaeformis
sur les sols appauvris au Sud-Bénin relève
leur stock organique.
Hypothèse 2 : La capacité symbiotique
d'A. auriculaeformis diffère d'une
station forestière à une
autre.
Hypothèse 3 : Le système agroforestier
A. auriculaeformis - Maïs
dépend
de la technologie de gestion de la biomasse
(litière - émondes) mise en oeuvre.
Hypothèse 4 : L'apport complémentaire de
l'urée au système agroforestier
A. auriculaeformis - Maïs accroît le
rendement en maïs grain du système.
Hypothèse 5 : Les pratiques paysannes de gestion
(brûlis) de la biomasse
d'A. auriculaeformis
favorisent la régénération naturelle de l'espèce
par leurs effets sur le potentiel séminal édaphique.
Le document est organisé en trois grandes parties
:
· la première partie, axée sur la
revue de littérature et le cadre de l'étude, comporte deux
chapitres ;
· la deuxième partie, consacrée au
matériel et aux méthodes, est divisée en deux chapitres
;
· la troisième partie,
réservée aux résultats et discussion, est
subdivisée en six chapitres.
Le document dans sa dernière partie est
surtout marqué par la conclusion et les suggestions qui font état
des limites et des faiblesses de l'étude et suggèrent d'autres
axes de recherche permettant d'étendre ou d'obtenir de meilleurs
résultats et des applications intéressantes.