CHAPITRE 9 : ANALYSE DES INTERRELATIONS ENTRE
PERCEPTIONS, SAVOIRS LOCAUX ET STRATEGIES D'ADAPTATION
Les changements climatiques affectent le milieu physique de
l'homme et l'influence dans ses relations avec son environnement. Ils le
confrontent à de nouveaux défis qui l'ébranlent dans ses
dimensions psychique, culturelle et socio-économique. Les producteurs
des villages de Sissèkpa et de Zounta ne sont pas exempts de cette
réalité. Les résultats concernant leur cas à
l'échelle de leurs exploitations agricoles ont été
présentés dans les chapitres précédents. Dans ce
chapitre, nous aborderons aux primes abords, les relations entre perceptions et
savoirs locaux dans le contexte des modifications du climat. Ensuite, nous
analyserons la logique entre perceptions, savoirs et stratégies
d'adaptation des producteurs. Pour finir, nous nous pencherons sur les liens
entre le cadre objectif d'activité des producteurs et les mesures
d'adaptations développées par ceux-ci face aux modifications
climatiques actuelles.
9.1. Relations entre perceptions et savoirs locaux dans
le domaine des changements climatiques
Notre analyse de la compréhension des relations entre
perceptions et savoirs locaux part de l'analyse des perceptions paysannes des
changements climatiques. Elle portera sur deux axes : les perceptions
collectives et les perceptions individuelles.
Les manifestations des changements climatiques perçues
par les producteurs des villages de Sissèkpa et de Zounta sont
liées aux bouleversements intervenus dans le déroulement des
saisons pluvieuses au cours de ces quinze (15) dernières années
par rapport à la période des quinze (15) autres
précédentes. Les populations locales perçoivent les
changements climatiques à travers : (i) le démarrage tardif des
deux saisons pluvieuses, (ii) l'arrêt précoce des pluies en fin
des deux saisons, (iii) la concentration de pluies abondantes sur de courtes
périodes au cours des saisons pluvieuses, (iv) les poches de
sécheresse au cours des deux saisons pluvieuses, (v) le raccourcissement
de la durée des deux saisons pluvieuses, (vi) l'augmentation de la
chaleur, et (vii) l'occurrence de vents violents pendant la grande saison
pluvieuse. Ces perceptions font objet d'unanimité au sein de la
population locale. Ceci est d'autant plus vrai que la documentation des
concepts clés liés au climat effectuer dans les deux villages,
conforte ces modifications observées dans le déroulement de la
saison
pluvieuse et révèle la tendance à la
disparition de certaines manifestions pluvieuses typiques qui étaient
caractéristiques de ces saisons au cours de la période ancienne.
Il en découle que les perceptions des manifestions
évoquées par les producteurs enquêtés ne sont pas
que les perceptions d'une couche isolée de la communauté locale.
Ces perceptions collectives rendent compte de la façon
particulière dont les producteurs de la zone d'étude
repèrent les manifestations physiques des changements du climat en cours
dans leur milieu. Ces perceptions collectives sont alors spécifiques
à cette région. A cet effet, les spécificités des
perceptions collectives diffèrent selon que l'on passe d'une
communauté résidant dans une région donnée à
une autre.
Néanmoins, s'il est vrai que les effets des
manifestations des changements climatiques perçus affectent tous les
producteurs, il n'en demeure pas moins vrai que le niveau de perception de ces
effets n'est pas identique. Certaines perceptions sont donc subjectives et ne
traduisent que les niveaux différenciés auxquels chaque
producteur ou groupe homogène de producteurs se trouve confronté
aux manifestions des péjorations climatiques en cours dans le milieu. Il
en résulte tout une diversité de perceptions au sein de la
communauté villageoise qui s'identifie à des catégories de
producteurs qui partagent les mêmes réalités
socio-économiques ou soit appartiennent au même tissu social ou
encore exploitent la même unité de paysage. Pour preuve, les
producteurs dont les parcelles sont situées sur l'unité de haut
de pente (plateau) se réfèrent beaucoup plus à l'existence
des poches de sécheresse au cours des saisons pluvieuses comme
manifestations des changements climatiques en cours dans le milieu. Tandis que
ceux qui exploitent l'unité de milieu ou de bas de pente évoquent
beaucoup plus la concentration de pluie abondante sur une courte période
et l'inondation précoce comme manifestation des changements climatiques.
Cependant, le village reçoit sensiblement la même hauteur de
pluies au cours de la saison. La disponibilité de l'eau pour les
cultures sur les différentes unités de paysage conditionne les
perceptions des producteurs.
Les perceptions des changements climatiques vécus par
les producteurs s'expriment à travers des indicateurs qualitatifs issus
des interactions qu'ils entretiennent avec leur environnement. Par exemple, les
ruptures précoces de pluies en fin de la grande saison pluvieuse qui ne
garantissent plus des récoltes de niébé comme dans le
temps ancien, le raccourcissement de la deuxième saison pluvieuse qui
n'assure plus les rendements
d'arachide des temps anciens, sont des indicateurs qui
témoignent de l'évolution du climat selon les producteurs. Ces
résultats sont conformes à ceux de Wakponou et al. ;
(2008) qui révèlent au terme des travaux conduits sur les
perceptions paysannes des changements climatiques dans l'extrême-Nord
Cameroun, que la lecture paysanne des perturbations climatiques se fait
notamment à travers les interruptions de pluies ou séquences
sèches causant l'arrêt du cycle végétatif et la
perte des récoltes de sorgho et le retard constant des pluies
responsables des semis tardifs. La conviction de l'évolution du climat
par le producteur repose sur l'observation empirique de son environnement. Le
constat de la disparition de certaines manifestations pluvieuses qui rythmaient
le déroulement des travaux champêtres dans les temps anciens tels
que le « Ayitchiossin » et le « Zundji »
évoqués par les producteurs en est un exemple. Les
perceptions des changements climatiques vécus par les producteurs
s'enracinent donc dans les savoirs locaux emmagasinés sur la base des
expériences vécues dans le domaine du climat. Ces savoirs
endogènes sont évolutifs et tiennent compte des mutations de
l'environnement.
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