L'Art dans ses rapports avec l'intelligence et l'imagination( Télécharger le fichier original )par Dr Mohamed Dr. Mohamed Sellam Université d'Aix- en- Provence - Maitrise en histoire de l'art. 1974 |
DEUXIEME PARTIEMessage de l'Oeuvre?I?L'oeuvre refléte-t-elle le réel?Le secret de l'art,c'est qu'il ressuscite la vie,c'est qu'il conserve et immortalise,non pas l'image de l'objet créé,mais aussi le génie de l'homme.Par l'art,on triomphe de l'impossible et on atteint à l'apogée du sublime:la mort,le néant,la décrépitude des choses finies et périssables,tout est vaincu et terrassé,car l'art est au-dessus de la mort,puisqu'il defie l'oeuvre destructrice du tempsàL'art est immortel et assure l'immortalité à l'humanité92(*). Le Titien,ou Van Dyck,sont entrés dans l'éternité absolue,au même titre qu'un Homère ou qu'un DanteàBien que leur vie ait été relativement courte,ils ont eu le génie de la faire durer au-delà de toutes frontières,grâce à la puissance de l'art et de son efficience extrinsèque. «Car si l'art est long et la vie est courte,on peut dire en revanche,que si l'inspiration est courte,les sentiments qu'elle doit peindre ne sont pas beaucoup plus longs93(*).» Oui,Proust n'en avait pas moins raison d'affirmer cette certitude pour le moins angoissante;mais cela n'empêche pas toutefois de conquérir l'immortalité,rien qu'en peignant ces sentiments intérieurs,ces pulsions passagères,qui nous émeuvent et nous hantent obstinément,pour leur revêtir au moyen de l'art la forme d'un objet matériel,capable de faire perpétuer indéfinément notre vie. Le souffle de l'esprit n'est pas éphémère,au contraire,il s'assigne dans l'espace temporel,un régne immanent,et métaphysique,pour s'affranchir tout à fait des limites du néant et regagner à jamais l'éternité. L'art et la vie,dichotomie inséparable,liée étroitement par une affinité surnaturelle,puisque l'art absorbe la vie et n'existe que par elle,car elle seule,lui distille la séve dont il a besoin pour consolider son pouvoir d'enchantement et affirmer son autorité au sein de l'univers. D'un autre côté,l'art propulse la vie en avant et lui assure grandeur et éternité! Ainsi,tels deux vases communiquants,cette réciprocité nécessaire basée sur une interaction efficiente,entre l'art et la vie,est le fondement réel de la civilisation moderne. L'auteur,en tant qu'homme,mène une vie plus ou moins normale,soit qu'il en ait été satisfait ou non,puisque,pour lui,tout relève des circonstances! Or cette vie qu'il a vécue jusqu'alors,c'est une vie comme tant d'autres,sans toutefois l'investir des attributs particuliers, en ce que l'artiste est un homme,comme n'importe quel homme en ce monde. Et lorsqu'il peint sa vie ou les épisodes de sa vie,c'est comme s'il avait interprété la vie des autres hommes,sans être obligé de falsifier ou de dénaturer les faits,puisqu'ils sont des faits probants issus de la réalité crue. .Ce qui fait que la vie de l'artiste,souvent jalonnée de péripéties pathétiques,demeure pour nous le vrai miroir de la vie de la condition humaine.94(*) Donc l'artiste est l'archétype,le symbole de l'humanité en peine:ses souffrances,ses soucis,comme ses joies,sont ceux de l'humanité et étant donnée cette vie si souvent mouvementée,toujours en butte à des difficultés insurmontables,marquée par le sceau du sacrifice et du désespoir,l'artiste porte en soi,dans ses veines,dans les replis les plus obscurs de son âme,tous les souvenirs indélébiles,toutes les images,si obsédantes qu'il les sent revivre à chaque instant devant ses yeux hallucinés,au poinrt que,poussé par le désir invincibleà imprimer tout cela dans la réalité immanente,il s'ingéniera à tout reproduire sur le papier,sans omission et san s abus et ce reflet intime de ses souvenirs émouvants,s'apparente en grande partie à celui de la race humaine.95(*) «Une oeuvre,même de confession directe,est pour le moins intercalée entre plusieurs épisodes,de la vie de l'auteur,ceux antérieurs qui l'ont inspirée,ceux postérieurs qui ne lui ressemblent pas moins des amours suivantes,les particularités étant calquées sur les précédentes96(*).» D'où l'on déduit que,même si sa vie active s'avère différente de celui du commun des hommes,l'artiste,par ses sentiments,ses deboires,ses échecs et ses joies,incarne l'esprit de l'humanité. L'oeuvre poétique ou romanesque récèle sans aucun doute la masse d'une partie des souvenirs de l'humanité:c'est un univers vivant,toujours en pleine fermentation,indestructible et toujours éclatant dans sa fraîcheur primitive,perpétué indéfinément au contact du génie,qui s'exalte au fur et à mesure que ces souvenirs émergent du gouffre de l'oubli,pour les retracer en traits brillants dans la mémoire du temps: «Une oeuvre est à la fois le souvenir de nos amours passées et la péripétie de nos amours nouvelles97(*).» L'oeuvre artistique,en tant que réceptacle de nos souvenirs passés et présents,s'assigne donc le privilège de la primauté totale dans notre vie et nos intérêts. Balzac,dans son immense Comédie Humaine,a eu le génie extraordinaire de remuer et de mettre en relief tout un tas de faits et de moeurs si singuliers,des vérités et des caractères hétéroclites et baroques, mettant par là à nu tous les secrets intimes de l'humanité,offrant ainsi une vaste mosaïque véridique de ces humbles souvenirs qui ont jalonné le chemin de la vie humaine98(*). Saint-Simon99(*),dans ses mémoires,quoiqu'il les ait écrits avec quelque partialité,n'est pas loin cependant de faire revivre sous nos yeux toute la cour de Louis XIV:Il a vivement stigmatisé les courtisans bornés et indignes,ouvertement flétri les seigneurs cupides du royaume,qui accaparaient les hauts privilèges aux dépens du reste du peuple,jeté l'anathème sur ses rivaux les plus farouchesàC'est aussi,une de ces oeuvres immortelles,infiniment riche par son contenu,à la fois spirituelle et savoureuse, qui nous transmet une image vraie de ce passé révolu que nous envions et qui fait le charme de nos loisirs.100(*) Un poéme bien conçu,un roman bien fait dans ses différentes parties,un tableau peint avec les feux du génie,un air musical,réalisé à la suite d'un événement quelconque,une statue ou même un buste,incarnant les traits éloquents d'un Voltaire ou d'un JJ.Rousseau,tout cela est susceptible de nous faire plonger dans le climat d'antan,ce climat vivace,mouvementé,spectaculaire et inoubliable,mais qui demeure pourtant constamment présent dans les fibres de notre être et sensible à tout ce qui nous environne et dont nous admirons et déplorons tour à tour la grandeur et la cruauté.. L'imagination est la faculté primordiale qui préside et veille à la réalisation de l'oeuvre...C'est le véritable stimulant du génie et nul n'a le pouvoir de prétendre à l'aptitude de produire,sans être nanti naturellement et de façon innée,de cette puissance psychique ,latente et obscure101(*). Ses fonctions se limitent en fait à la mise en valeur des idées engendrées,à aiguillonner et à émouvoir les sentiments qui sont dans un état de léthargie relative,à réveiller l'esprit de sa passivitéàAinsi sous l'impulsion de l'imagination,«l'esprit se détache de l'objectivité,descend en lui-même ,scrute sa conscience et cherche à satisfaire le besoin qu'il éprouve d'exprimer non la réalité de la chose,mais la manière dont elle affecte l'âme subjective et enrichit l'expérience personnelle,le contenu et l'activité de la vie extérieure102(*)».Hégel dont je viens de reproduire ce bref passage,considère l'imagination comme le moteur du cerveau.Son rôle dans la création de l'oeuvre est plus que fondamental,impérieux et d'une nécessité absolue103(*). L'imagination,outre qu'elle assure de la vigueur et de la puissance à l'esprit,un facteur d'enrichissement de la personnalité de l'artiste,quel qu'en soit le courant artistique auquel il appartient,que ce soit la peinture,l'architecture,la musique ou encore la littérature..Par l'imagination le poéte pénétre dans un univers surnaturel,fait irruption dans une réalité autre que celle à laquelle il s'était accoutumé jusqu'alors,s'astreint à affronter des choses d'ordre métaphysique,qui le rebutent certes,mais qui ne lui procurent pas moins le stimulus indispensable pour la création de son oeuvre,par laquelle il s'affirme et se situe dans le temps. Explorer le passé par le biais de l'imagination,cela revient de prime abord à tendre toujours vers le même but,principalement à faire des efforts constants en vue de remuer les cendres du passé qui renferment cet amas inextricable de souvenirs à la fois tendres et cruels,à déployer la réserve d'énergie qui l'anime dans le but de tout étaler sans discrétion ni hypocrisie aux yeux de la postérité. Les confessions de JJ Rousseau ne sont que le produit d'une imagination aiguë,sensitive et susceptibleàC'est le corollaire d'un ensemble touffu d'événements divers qu 'il avait vécus et scrupuleusement conservés dans l'arrière -fond de sa mémoireàEt grâce au pouvoir extraordinaire de l'imagination,de tels événements furent alors émergés du néant pour servir de tremplin à une oeuvre magistrale ,que l'on apprécie et que l'on admire à sa juste mesure. Les fonctions de l'imagination sont multiples et complexes,comme nous le verrons plus loin,tantôt elle déforme la réalité,tantôt elle la grossit démesurément,pour nous éblouir expressément ou plutôt la réduire à un état,tel qu'elle nous apparaît insignifiante et andine104(*). C'est en effet cette imagination qui,avec ses mécanismes tortueux et incompréhensibles,nous introduit avec délice dans l'univers de l'illusion et du fantastique L'imagination s'exerce,non seulement dans le domaine de la poésie,qui est par ailleurs le terrain propice où elle retrouve toute sa force et son éclatante vivacité,mais aussi dans les autres domaines,artistique ou scientifique. L'imagination shakespearienne a mis au monde des merveilles de l'univers théâtral,de vrais joyaux qui font honneur à l'esprit humain! L'imagination,pour qu'elle soit donc créatrice,ne doit pas s'astreindre à reproduire seulement le réel,ce qui serait d'une monotonie et d'une banalité insupportables,mais son action doit s'exercer également sur le merveilleux et le fantastique,comme l'a fait déjà avec une exubérance de génie,le grand Milton,dans son « Paradis perdu ». L'imagination nous insuffle un certain sentiment qu'il ne nous est pas donné d'éprouver dans d'autres circonstances. «l'imagination poétique dans son activité,ne met pas sous nos yeux,comme les arts plastiques,la chose elle-même,telle qu'elle existe dans la réalité extérieure,bien élaborée par l'art,mais nous en donne seulement une intuition et un sentiment purement intérieurs105(*).» C'est d'ailleurs le but que s'assigne en réalité toute imagination dans sa conception et sa réalisation de l'oeuvre d'art.Son influence,si ostensible qu'elle soit,semble être d'une complexité ardue,en ce sens qu'elle impose arbitrairement une contrainte permanente à l'esprit de l'auteur et l'oriente selon des habitudes régulièrement établies et érigées en dogmes fixes et immuables.Le poéte,je veux dire le vrai poéte,à l'égal d'un Lamartine ou d'un Hugo,doit être nanti,non seulement d'une imagination fougueuse et exubérante,cela ne suffit pas en soi,mais aussi d'une sensibilité ardente,efficiente,profonde,susceptible de remuer les fibres intimes de l'âme.Autrement dit,si le soi-disant poéte venait à manquer ces deux qualités éminentes,condition essentielle pour produire des oeuvres de haute portée intellectuelle et esthétique,il ne serait pas plus qu'un homme ordinaire,dépourvu de toute espéce de génie et incapable d'exprimer réellement ses propres sentiments. La sensibilité et l'imagination sont deux axes psychiques inséparables,nécessairement unis et coordonnés,pour venir au secours de l'intelligence dans l'élaboration d'un poéme ou d'un tableau. Proust,un génie pourtant très sensible et imaginatif,d'une intelligence fine et délicate,ne voit,quant à lui,aucune nécessité dans l'union de ces deux concepts et qu'un poéte,toujours selon son point de vue,peut ne pas être doué d'imagination et pourtant capable de produire de très beaux poémes,grâce à la sensibilité qui supplée ingénieusement à ce défaut. «Il n'est pas certain que,pour créer une oeuvre littéraire,l'imagination et la sensibilité ne soient pas des qualités interchangeables et que la seconde ne puisse sans grand inconvénient être substituée à la première,comme des gens dont l'estomac est incapable de digérer, chargent de certte fonction leur intestin:un homme,né sensible et qui n'aurait pas d'imagination,pourrait malgré cela écrire des romans admirables106(*).» Par contre,être capable d'imagination sans être pour autant très sensible,ne permettrait en aucune manière d'atteindre le stade de la production artistique et ne contribuerait nullement non plus à former une oeuvre d'art,même de moindre importance...Car de la sensibilité,jaillirait forcément ce flux émouvant d'idées et d'images,éclatantes de sève et de lumière,dont l'imagination s'emparerait pour les modeler,les pétrir selon une technique inconsciente, en vue de former graduellement l'architecture d'une oeuvre,dans laquelle le génie du fond s'allie à la beauté de la forme107(*)! Le poéte vit de ses rêves multiples,tentaculaires:il s'en nourrit et il trouve alors une délectation infinie dans l'entretien incessant de ses rêves qui deviennent avec le temps autant de hantises morbides:toute oeuvre créée par lui continue dés lors à être une source inépuisable de rêves et de satisfactions subtiles susceptibles de lui procurer un climat psychologique propre à son tempérament. Tel qu'un Chateaubriand,alors qu'il était en pleine fougue juvénile,capable de concevoir un monde de rêves frénétiques,des horizons nouveaux dans sa vie intime et de s'y accrocher inlassablement pour fuir la réalité et continuer à caresser voluptueusement les charmes délectables qui découlent nécessairement de tels rêves,jusqu'au jour oû il s'arrache de force à ses illusions mesquines,pour sombrer dans de profondes amertumes108(*).. Freud s'est penché sur cette question,en concluant que le poéte,en vrai alchimiste éclairé,tend toujours à élever ses désirs et ses rêves au rang d'une certaine réalité métaphysique irrationnelle. «Il possède le pouvoir mystérieux de modeler des matériaux donnés jusqu'à en faire l'image fidèle de la représentation existant dans sa fantaisie et de rattacher à cette représentation de sa fantaisie inconsciente une somme de plaisir suffisante pour masquer ou supprimer provisoirement du moins,les refoulements109(*).» J.J.Rousseau,dans sa Nouvelle Héloïse,reproduisait l'itinéraire sentimental qu'il eût vécu probablement,s'il avait été favorisé par les circonstancesàC'est justement pour apaiser ou pour mieux dire,pour refouler les conséquences néfastes de ses désappointements,de son manque de chance,comme il aurait pu dire,qu'il avait écrit cette oeuvre dont le charme pathétique émerge incessamment dans le fond de nore mémoire. On ne pourra pas toutefois nier que l'imagination,jointe à un talent éprouvé et génial,a joué dans l'édification de ce roman un rôle de premier plan:l'âme s'est bercée voluptueusement sur les ailes du rêve charnel,sur les vagues d'une mer immense d'amour et de passion..par là le poéte est créateur de rêves illusoires et évanescents certes,mais qui n'en sont pas moins cependant susceptibles de communiquer le goût et le plaisir de vivre et même l'oubli du moins pour un temps la misère viscérale qui accable la condition humaine!110(*) Le peintre,ingénieusement,incarne ses rêves dans des traits et des figures,des profils plus ou moins vagues,qu'il dessine machinalement dans un tableau:son but n'est pas du tout d'exhaler ce qui se meut en lui,ce serait pour lui une peine inutile,mais de faire montre de son habileté et de la richesse de sa sensibilité esthétiqueà! Cependant,s'il ne descend pas en lui-même pour puiser le sujet qu'il aspire à matérialiser,il le prend dans la réalité crue,l'emprunte même à des événements contemporains,à sa vie active ou quotidienne,qui n'en fourmille pas moins d'ailleurs,puisqu'elle peut lui offrir une multitude infinie de sujets divers. Le sujet étant ainsi choisi,il se propose de tout faire voir avec un sens de rigueur et de netteté:il peint strictement les détails attachés à l'objet,mais aussi pour rendre cet objet artistiquement acceptable,il est contraint cependant de faire outre des mesures déontologiques,et de fouiller des images pittoresques dans sa mémoire,qu'il ajoute habilement au tableau,pour constituer en tout et pour tout un vrai chef-d'oeuvre qui mérite l'admiration111(*). Dans tout cela,où réside alors l'originalité?et surtout à quelle limite s'arrête l'imitation?Entre l'originalité et l'imitation ,il existe en en effet tout un trajet à parcourir,qui se traduit par la mise en oeuvre,patiente et méthodique,des principes de l'art,qui constituent d'ailleurs le talents même de l'artiste,qui donne à l'objet initial,okus de beauté et plus d'éclat qu'il n'en avait auparavant.«Quelle vanité que la peinture,s'insurgea Pascal,qui attire l'admiration par la ressemblance des choses dont on n'admire point les originaux112(*)!»Un objet soumis au travail de l'art,change naturellement de fond et d'aspect,et ne subsiste plus dans sa forme primitive,puisqu'il a été en quelque sorte métamorphosé àEn vérité,ce qui caractéristique,c'est que ce changement va dans l'intérêt de l'objet transformé et nullement le contraire,ce qui contribue à la consolidation intrinsèque de la magie de l'art. Le poéte,aussi bien que le peintre,ont toujours besoin d'un certain stimulant,qu'ils trouvent en fait dans un objet extérieur,pour pouvoir donner le branle à leur talent:Boileau avait trouvé dans la satire sociale un expédient caractéristique qui lui a permis de mettre en mouvement ses idées et de les façonner suivant son génie poétique;Molière,qui s'est acharné sans répit sur les vices et les travers d'une société hypocrite et corrompue ,a fait preuve,lui aussi, d'un génie incomparable,qui lui a permis d'atteindre à l'originalité sans être le moins du monde l'imitateur de Térénce ou de Plaute. D'un autre côté -et abstraction faite du génie et du prestige tout à fait divins qui caractérisent incontestablement ces deux créateurs incomparables-,si les phénomènes sociaux traités aussi bien par l'un que par l'autre,sont des phénomènes généralement insignifiants et qui ne portent guère de préjudice très grave à la société,pour laquelle d'ailleurs de telles tares ou carences sont indispensables pour qu'il y ait nécessairement un équilibre entre les différents facteurs qui déterminent l'évolution normale de la sociétéàLeur démonstration cependant est souvent explicitée avec tout un attirail extraordinaire de phraséologies et de redondances qui accusent la monotonie et la routine. ,et qui font plus d'honneur au génie de l'écrivain que d'intérêt pour le contenu de l'oeuvre113(*)à Ainsi si l'on supprime tous ces clinquants et tous ces atours,qui sont par ailleurs inutiles à l'armature générale de l'oeuvre,qu'en reste-t-il?c'est une question à laquelle Platon a pu répondre sans ambiguïté.«on peut les comparer à ces visages qui,n'ayant d'autre beauté que leur fraîcheur,cessent d'attirer les yeux ,quand la fleur de la jeunesse les a quittés114(*).» Ainsi pour atteindre à l'originalité,il est impérieux d 'éluder toute imitation,de quelque nature qu'elle soit,et en particulier les considérations oiseuses,les remarques insignifiantes et creuses,qui gâtent plus la beauté de l'oeuvre qu'elles n'en ajoutent à son prestige..et cela nécessite en réalité un génie supérieur et une puissance intellectuelle sans faille. l'univers de l'artiste est un univers particulier,exceptionnel,impénétrable et secret..Lui seul se baigne dans cet univers qu'il crée et qu'il illumine par son génie et ses rêves exaltants..Il sort de la réalité et s'engage dans ce monde déliquescent,ténébreux,embaumé d'une atmosphère d'exultation et de griserie permanente.C'est là qu'il vit et c'est là qu'il se sent vraiment vivre,car le monde réel pour lui,n'a pas d'existence ,c'est un monde décevant,cruel et stérile115(*). «C'est pourquoi,comme tout homme insatisfait,il se détourne de la réalité et concentre tout son intérêt et auusi sa libido sur les désirs créés par sa vie imaginative qui peut le conduire facilement à la nervosité116(*).» La création de cet univers,si curieuse qu'elle puisse paraitre à première vue,semble être tout à fait normale pour l'artiste,qui,désappointé et toujours assoiffé de grandeur et de lumière,se réfugie comme inconsciemment dans une vie plus exaltante et plus féconde,qui lui procure plénitude et euphorie mentale,au point que,peu à peu et d'une manière quasi graduelle,il finira enfin par s'accoutumer résolument à ce genre de vie,dont il lui sera désormais impossible de se défaire de si tôt et, subséquemment,il se sentira,tel que Baudelaire,sous l'ivresse de la morphine,comme entraîné vers un gouffre insondable,d'où il ne remontera plus: L'artiste,toujours selon Freud,est «en même temps un introverti qui frise la névrose:».Dostoïevski est épileptique et succombe souvent à des crises mystérieuses qui le retiennent longtemps dans un état d'hallucination morbide,dû évidemment à sa constitution nevropathique:Doué d'un génie extraordinaire et d'un talent remarquable dans l'élaboration équilibrée du réseau des événements romanesques,que ce soit dans l'Idiot ou dans les frères Karamasov,ce créateur de génie pose un problème difficile à la postérité,qui voit en lui un malade exceptionnel,un malade dont la maladie n'est que la source de son génie et sans laquelle il n'aurait probablement pas vécu,au même titre d'ailleurs que son célébre compatriote Léon Tolstoi,qui,à la suite d'une séquelle de crises effrayantes,sombre dans la démence,qui l'entraîne peu à peu au suicide: Pascal,quoique nanti d'un génie précoce,subtil et profond,sa santé non seulement physique mais aussi mentale,était très précaire et chancelante,c'est ce qui le conduira plus tard à embrasser la doctrine janséniste,et à vivre le reste de ses jours quasiment isolé,loin du monde et de ses agitations: Marcel Proust,tout comme Van Dyck ou même Shakespeare,était d'une sensibilité si maladive qu'elle le pousse malgré lui à des actes irraisonnés et irrationnels Cet état de choses est naturellement dû à des implications purement matérielles,«animé d'impulsions extrêmement fortes,il voudrait conquérir honneur, puissance,richesse,gloire et amour des femmes117(*):». Car plus l'artiste,(j'appelle artiste,tout peintre,écrivain ou poéte)se rend compte de ses aspirations latentes,qu'il tend à extérioriser et à valoriser,plus sa tension mentale s'aménuise,s'aigrit,s'exaspére d'une intensité telle qu'il se sent au bout du compte submergé par des visions étranges,suspectes,qu'il essaie de toutes ses forces de refouler au fond de son être...Ce refoulement exacerbé provoque en lui cette nervosité extatique qui l'accompagne tout le temps qu'il met à produire,si bien que,l'esprit extrêmement tendu,les nerfs chatouillés et le coeur débordant de passions occultes,il se met à accuser l'adversité qu'il rend responsable de ses affreux déboires...mais à laquelle cependant il finira par se résigner bien volontiers. Ainsi,pour calmer un tel déappointement,qui,insidieusement, s'infiltre pourtant dans son âme,il crée,il forge des êtres chimériques,des personnages plus ou moins réels,en qui il insuffle âme et sentiment,en les faisant toutefois mouvoir sur la scène,au décor suggestif,qu'il échafaude dans son imagination . Or,de tels êtres,scrupuleusement inventés et examinés avec un souci constant de réalisme,incarnent pour lui les archétypes de l'humaine condition,qui porte cependant en son sein tout un arsenal de vices,de travers,de laideurs farouches et des tares incurables,qu'il met en conflit avec les principes de vertu et d'honneur. Et de tous ces personnages imaginaires,mais qui agissent,qui pensent et qui meurent comme des êtres vivants,il y en a toujours un qui incarne l'état d'âme de l'auteur. «La plupart des romanciers veulent connaître les autres autant et plus qu'ils ne veulent se connaître eux-mêmes...Il n'est pas vrai que tous les personnages de Guerre et Paix soient Tolstoï;on connait les modèles qui lui ont servi;et s'il peint malgré tout par sa façon de les décrire,par le choix qu'il a fait de leurs traits,c'est sans le savoir et en dépit de lui-même:118(*).» J.P.Sartre semble avoir raison,car aucun écrivain,de quelque envergure qu'il soit,n'a la faculté de pouvoir incarner à la fois des attitudes sentimentales et psychologiques contradictoires et exrêmement différentes;mais il a cependant toute latitude d'opter pour un seul personnage,suseptible d'être le vulgarisateur de ses propres idées et sentiments119(*). Dans la Comédie Humaine,par exemple,il y a toujours un personnage,en qui nous devinons aisément l'esprit et le coeur de BalzacàDe même que dans «le Rouge et le noir" ou la "Chartreuse de Parme" ,on a l'impression d'être poursuivi par Stendhal lui-même,qui nous parle,nous contemple de loin à travers les nuages épais du temps.Pour le peintre,qu'il soit un Van Gogh ou un Manet,sa présence se devine,se dégage explicitement du tableau qu'il peint,que ce soit une nature morte ou un paysage à la verdure luxuriante ou même des ruines des temps révolus. Ainsi,en tout temps,le peintre dépose forcément son empreinte sur l'nsemble du tableau. Toujours est-il que le héros,en tant qu'entité individuelle créée et agissante,véhiculaire d'un monde d'idées et de principes que son créateur lui avait infusés et qui,une fois ces principes incrustés en lui,au point de devenir comme un modèle vivant,consacré par l'usage,nous donne forcément la sensation comme si c'était l'auteur lui-même120(*). «Et chaque avatar de ses héros lui réflète alors un aspect de sa situation,une possibilité de souffrir qui lui a été refusée,une conclusion que le destin n'a pas tirée121(*):» L'acteur,en ce sens que l'acteur se mouvant librement sur la scène,interpréte les idées et les sentiments de l'auteur de la piéce,sans que les spectateurs ordinaires aient la moindre connaissance de ce stratagème122(*). Molière,par l'entremise de quelques personnages habiles,dans la plus grande partie de ses fameuses piéces,s'attaquant,avec uns sagacité non moins cruelle et caustique,aux médecins prévaricateurs,aux charlatans de tout bord,semblait avoir trouvé en effet une arme très efficace pour parvenir à ses fins,à savoir démasquer forcément ces types d'imposteurs qui pullulaient dans le milieu de la société parisienne de son siécle. Corneille et Racine,deux figures éminentes,que les siécles à venir continueront encore à vénérer,l'un par son examen minutieux des passions humaines,l'autre par le sentiment de vertu et de courage,vrais piliers de l'humanité. Lorsque Corneille ou Racine se mettent à écrire,ce sont leurs passions,leurs idées et leurs sentiments,qui se déploient amplement dans leurs personnages respectifs,qui ne sont par ailleurs que des images d'eux-mêmes,des répliques authentiques. Ainsi l'auteur s'identifie-t-il toujours avec ses héros et ce qui est étrange,c'est qu'il s'identifie non pas avec un seul personnage,mais avec plusieurs qu'il juge comme de vrais interprétes de ses idéaux .. En ce sens que,puisque la personne humaine est versatile,un vrai kaléidoscope de sentiments variables,tantôt pénétrés de bonté et de mansuétude,tantôt de cruauté et d'égoïsme farouches,apparaît à travers un seul personnage. J.P.Sartre,homme d'expérience et de génie remarquable,a été amené incidemment à dévoiler le secret dont tout auteur enveloppe les personnages qu'il crée.«l'expérience morale n'est au fond qu'une expérience verbale.Le créateur produit ses personnages pour vivre à travers eux jusqu'à la lie ses propres possibilités et,par là,s'en dépouiller:il se délivre de ses désirs,de ses émerveillements,de ses dernières illusions comme de ses hantises123(*)." Tel le serpent qui se dépouille de sa peau,l'auteur extériorise le fond de ses rêves et de ses illusions,pour les projeter en plein dans le sein de ses personnages,à travers lesquels il les développe à loisir,jusqu'à en être blasé,pour s'en détacher ensuite définitivement. Tout créateur donc est une réserve extraordinaire de passions et de rêves,de visions,d'images fantasmagoriques et plus il en produit,plus les horizons de ses ressources s'élargissent indéfinément,c'est pourquoi l'on rencontre des créateurs inépuisables ,dont le génie ne se limite pas à un seul domaine,mais aussi s'étend à des domaines divers,qu'ils explorent avec le même talent et la même habileté,sans qu'on décèle dans leurs oeuves la moindre négligence ou lacune,au contraire,l'on y perçoit toujours un équilibre constant,une corrélation pertinente dans leurs structures. * 92 _ -Voir dans ce contexte les ouvrages de gabriel Séailles ½Léonard de Vinci+ MF.(1892) ½Eugène Carrière+MF (1906) * 93 _ -Marcel Proust.Opusc.cité.p78 * 94 _ -Consulter l'ouvrage de Robert de Sizéranne.½Le miroir de la vie.+ et surtout son ½L'art pendant la guerre.+ NRF .1918 * 95 _ «Les Confessions » soit celles d'un Saint-Augustin ou encore celles d'un JJ.Rousseau,illustrent parfaitement notre propos dans ce contexte. * 96 _ -Marcel Proust.½Contre Sainte-Beuve.+ Ed.Gallimard.1954 p.87 * 97 _ -Marcel Proust.Opusc.cité p.95 * 98 _ -Des enquêtes munitieuses entreprises à tous les niveaux,ont déterminé que la Comédie Humaine est le reflet de toute une société,en l'occurrence la société du Second Empire.Balzac n'a rien inventé,mais il a interprété des faits sociaux qui sont authentiques. * 99 _ -Saint-Simon est un bon écrivain,je dirais même qu'il est un écrivain de talent et de génie,puisqu'il a eu l'audace de nous dire tout sur la cour de Louis XIV. * 100 _ -Pour plus de détails sur la véracité des faits rapportés par l'oeuvre d'art,voir Lukacs.½Le roman historique.+ ouvrage traduit et publié en 1965. * 101 _ -CF.Voir à ce sujet l'excellent ouvrage de Mikhaïl Bakhtine .½L'oeuvre de Rabelais et la culture populaire au moyen âge et à la renaissance.+ Ed.Gallimard 1970àConsulter en même temps cette belle étude qu'il a consacrée à Dostoevski intitulée précisément ½la Poétique de Dostoevski+ed:du Seuil 1970. * 102 _ -Hégel.½Esthétique.+T.III Ed.Aubier 1944 p.74 * 103 _ -L'imagination est un outil de créativité,un outil psychique et psychologique,qui engendre des images récessives,mais qui apparaissent fortuitement à la surface du conscient * 104 _ -Cf.Voir l'oeuvre magistrale de L.Todorov .½Théorie de la littérature.+ ed.du Seuil 1965. Todorov a mis le point dans cette oeuvre l'influence de l'imagination sur la production du texte littéraire.Consulter aussi avec fruit l'oeuvre du critique Georges Blin.en particulier,son ½La crise du roman :des lendemains du naturalisme aux années vingt.+Ed José Corti 1967. * 105 _ -Cf.Hégel Opus.cité pý56 * 106 _ -Cf Marcel Proust .Opus.cité p68 * 107 _ -Cf.Voir à cet effet l'ouvrage de Robert de Sizéranne ½Ruskin et la religion de la beauté.+ édité en 1901, non réédité,ouvrage d'une excellente facture. Consulter aussi ½Histoire des peintres impressionnistes+MF 1876 de Théodore Duret,un ouvrage qui ne manque pourtant pas de parti pris et de partialité.Tout comme celui de Camille Mauclair intitulé ½Histoire de l'impressionnisme.+paru en 1903 dans édition de luxe ,déjà épuisée,puisqu'il n'en existe plus qu'un seul exemplaire,conservé précieusement par la Bibliothèque. * 108 _ -Cf.Voir ½Paysage de chateaubriand.+ de Jean-Pierre Richard ;Edition du Seuil 1967. Il serait probablement utile de consulter en même temps un autre texte du même auteur,intitulé.½etudes sur le romantisme.+.Ce dernier livre met l'accent sur la fonction du rêve dans l'élaboration de l'oeuvre. * 109 _ -Cf.Freud.½Introduction à la psychanalyse.+ Ed.Payot.1921 (réédité par plusieurs maisons d'édition.) * 110 _ -Cf.Consulter à cet égard ½Stendhal et les problèmes du roman.+ de George Blin.Edition José Corti 1954àVoir également du même auteur ½La cribleuse de blé:la critique.+ Ed.José Corti 1968.L'auteur,dans ce dernier ouvrage,avait mis en exergue le rôle éminent de l'imagination dans la structure de l'oeuvre littéraire. * 111 _ -Cf.Voir à ce sujet,Camille Mauclair ½La beauté des formes.+ Edition de 1909 déjà épuisée. * 112 _ -cf.Pascal ½Pensées et Opuscules+ Edition classique. * 113 _ -Voir à cet effet ½La vie d'un artiste+ de Jules Breton et son ouvrage ½art et nature+ publié en 1850.Dans ses deux ouvrages,Jules breton,un critique perspicace,avait souligné avec brio la recurrence des mêmes thèmes dans l'oeuvre littéraire classique. * 114 _ -Cf.Planton ½Ion+ Edition Garnier 1952 p.85 * 115 _ -Cf Voir à ce sujet ½Voyage musical au pays du passé.+ de Romain Rolland édition MF (1919) .Consulter également ½l'histoire d'un romantique:Hector Berlioz+ d'Adolphe Boschot édition Mercure de France (1945) * 116 _ -Cf.Freud ½La pensée et le rêve dans la Gradiva de W.Jensen+ Traduit et publié en 1949. * 117 _ -Cf.Freud.Opusc.cité p.78 * 118 _ -Cf.Jean-Paul Sartre.½Saint-Genet:comédien et martyr.+ Edition Gallimard 1952.p54 * 119 _ -Consulter à ce sujet ½Fragments sur l'Art et la philosophie.+ de Alfred Tonnellé :existe à la bibliothèque dans son ancienne édition qui remonte à l'année de 1859. * 120 _ -Voir Camille Mauclair .½Psychologie musicale+ édition de 1893,ouvrage fondamental pour connaître les mécanismes de l'objet créé. * 121 _ -J.P.Sartre.Opusc.cité p 54 * 122 _ -L'illustration la plus )pertinente de cette assersion est vraisemblablement la piéce de J.P.Sartre ½Huis Clos+ Edition du seuil 1985,où chacun des acteurs (trois en tout)exprime de façon frappante les idées de l'auteur,qu'il matérialise ensuite dans des romans remarquables. * 123 _ -j;p;sartre.½Saint-genet,comédien et martyr.+ edition Gallimard 1954 p74 |
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