CONCLUSION GENERALE
L?étude que nous venons de faire dans le cadre de ce
mémoire de Master Complémentaire en Développement,
environnement et sociétés a été consacrée
à l?analyse du conflit et des logiques d?acteurs impliqués dans
la gestion et l?exploitation des ressources halieutiques du Parc National de la
Salonga.
Notre préoccupation était de montrer que,
contrairement à une gestion du parc soumise au principe de la
domanialité publique, qui postule que seul l?intérêt
général de la protection de l?environnement soit
privilégié à la protection, le régime de gestion
unilatérale étatique de type policier et la politique d?exclusion
des populations riveraines de la gestion du parc par l?ICCN n?ont pas
réussi à satisfaire les besoins des populations locales par
rapport à leur milieu naturel. Elle n?a pas, non plus, pu empêcher
les populations riveraines de s?adonner à des pratiques d?exploitation
des ressources naturelles dont halieutiques qu?elles ne cessent de
considérer comme ressources spoliées par l?ICCN.
Pour la vérification de nos hypothèses, nous
avons eu recours à l?analyse des faits qui se sont
déroulés depuis les origines de la création du Parc
National de la Salonga jusqu?à ce jour, dans une perspective historique.
Nous avons emprunté à Frédéric Debuyst le
modèle du schéma actionnel pour analyser le système
d?action et de décision des acteurs impliqués dans la gestion et
l?exploitation des ressources halieutiques du PNS.
Après analyse, il s?avère que le conflit du parc
(l?ICCN) avec les populations riveraines ne date pas d?aujourd?hui, mais des
années 1956, avant même l?indépendance du Congo belge; date
à laquelle les premiers déplacements forcés des
populations indigènes ont été effectués par
l?Institut pour la Conservation de la Nature au Congo (ICNC), en vue de la
création du Parc National de Monkoto devenu Parc National de la Salonga
en 1970.
Déjà à cette époque, l?Etat
c'est-à-dire l?ICNC et les autorités du Gouvernement Central, par
leurs contradictions relatives aux modes d?acquisition de l?espace,
étaient incapables de répondre de manière satisfaisante au
programme de travaux publics qui fut élaboré en faveur des
populations indigènes (faciliter leur installation dans les nouveaux
villages, en les rendant plus attrayants et plus confortables que les anciens)
qu?ils ont eux-mêmes déplacé de manière
forcée, déclarant libres de tout droit les terres et les vastes
territoires en apparence non occupés, appartenant pourtant aux
indigènes et leur servant de culture itinérante avec
jachère longue et de zones de chasse et pêche indispensables
à leur équilibre alimentaire.
Face à cet échec, et malgré le fait que
le responsable des nouveaux villages était légalement armé
pour interdire la résidence dans les terres domanialisées par les
autorités, la plupart des populations indigènes
déplacées avaient résisté et rejoint leurs
anciennes terres, mettant en échec toute la procédure <<
boiteuse » instaurée par les enquêtes de vacance des terres.
Celles qui étaient restées dans les nouveaux villages avaient
déjoué le projet en acceptant une occupation de leurs terres par
l?Etat, tout en refusant toute indemnisation et sans cession des droits
indigènes (droits de chasse et de pêche).
L?enjeu de la conservation tel qu?il apparaît dans la
lecture historique du processus de l?implantation de ce Parc National de la
Salonga dans le territoire de Monkoto résidait dans la protection pure
et simple de l?espèce de chimpanzé nain << Pan Paniscus
» endémique de la RDC (précisément sur la rive gauche
du fleuve Congo), par le gouvernement congolais et ses partenaires
internationaux, au détriment des populations riveraines qui vivaient de
leurs ressources et qui, aujourd?hui, sont non seulement pauvres,
enclavées, dépourvues d?accès à cette
réserve, mais aussi exclues de la gestion de celle-ci.
Il nous a semblé dès lors utile d?étudier
cette politique de gestion du parc par l?ICCN pour tenter de comprendre les
relations qui se sont établies entre les populations riveraines de
Monkoto et les agents de l?ICCN, en particulier les gardes de parc.
Notre réflexion sur les relations de l?ICCN avec les
populations riveraines de Monkoto a mis en exergue la problématique de
la gestion et de l?exploitation des ressources du Parc. Nous avons
montré que cette mauvaise cohabitation entre population riveraine et
agents de l?ICCN est due, d?une part, à un fort sentiment de spoliation
et de rancoeur chez ces populations déplacées lors des
opérations de vacance de terre, à l?égard du parc et des
agents de l?ICCN; et d?autre part, au comportement un peu << policier
» des agents de l?ICCN, caractérisé par des exactions et des
maltraitances. L?analyse qui s?en est suivie nous a permis de soutenir que le
conflit du parc est généré par les autorités de
l?ICCN qui ne élaborent pas des politiques de gestion du parc qui
tiennent compte des intérêts des populations locales, de leurs
pratiques coutumières liées aux ressources et systèmes
traditionnels de régime foncier.
La gestion unilatérale du PNS par l?ICCN,
couplée à l?effondrement du tissu socio-économique dans la
région au cours des vingt dernières années, ont
accentué la précarité socio-économique et
alimentaire des populations riveraines de Monkoto. Il s?avère que,
depuis les années 1980, le territoire de Monkoto a connu la destruction
du réseau routier, une forte diminution du trafic fluvial,
l?effondrement du secteur agricole et l?on a constaté que la
dépendance des populations
aux ressources naturelles (produits forestiers non ligneux,
chasse, pêche) a augmenté rapidement. Au niveau local, quelques
changements sont perçus: autrefois la pêche était une
activité de subsistance mais actuellement, elle s?est transformée
en activité commerciale.
Face à cette précarité
socio-économique, les populations riveraines de Monkoto ont fait de la
disponibilité et de l?accès aux ressources, un
élément clé pour leur survie, elles se sont lancées
dans des activités économiques à travers la pêche
commerciale pouvant servir de source de revenu. En outre, elles se sont aussi
regroupées en créant des organisations et associations locales,
des coopératives de pêcheurs et d?agriculteurs.
Contrairement à ce que nous avions formulé dans
nos hypothèses, nous arrivons à la conclusion que les
problèmes les plus importants dans ce territoire sont moins les
problèmes de l?existence du parc que ceux des enclavements des
populations riveraines, considérés par ces dernières comme
étant un grand frein à leur développement
socio-économique et limitant leur chance d?être en contact avec le
monde extérieur (technologies nouvelles, informations scientifiques et
communication moderne). Il est urgent que les autorités administratives
commencent par désenclaver le secteur si elles désirent
gérer efficacement les ressources naturelles, dont halieutiques du Parc
National de la Salonga.
Autour du PNS, en général et à Monkoto en
particulier, se pose la question de la cohabitation d?une logique
conservationniste qui trouve son sens à l?échelle nationale et
internationale et d?une logique développementaliste qui implique
l?exploitation locale des ressources du parc. Ainsi pour concilier les
intérêts des uns et des autres et garantir la
pérennité du processus de conservation, nous suggérons la
mise en place d?une approche de conservation participative et communautaire au
lieu de celle protectionniste exclusive, c?'est-à-dire, une conservation
des ressources naturelles « avec, et par les populations ».
C?est cette approche que l?Union Internationale de
Conservation de la Nature (UICN) a appelé « Community-Based Natural
Resource Management ». Elle prône la prise en compte politique et
économique des thèmes de la durabilité des processus de
développement et des droits des peuples autochtones165.
165 U ICN/CMAP/WWF (1996) : Principes et lignes directrices
sur les peuples autochtones et traditionnels et les aires
protégées, in Congrès mondial de la nature sur les
populations autochtones et les aires protégées, Montréal,
Canada. Ces principes sont issus de la Résolution 1.53 fondée sur
les recommandations du IV è Congrès mondial sur les parcs
nationaux et les aires protégées (Caracas, Venezuela, 1992), qui
demanda l?élaboration de politiques sur les aires
protégées qui tiennent compte des intérêts des
peuples autochtones, des pratiques coutumières liées aux
ressources et des systèmes traditionnels de régime foncier.
Il est impératif de préconiser une gestion
participative, d?impliquer les populations locales tant au niveau de la
conservation qu?à celui de l?utilisation des connaissances sur
l?environnement. Une telle stratégie devrait offrir des alternatives
économiques aux populations concernées, par le biais notamment
d?activités génératrices de revenus et
l?aménagement d?infrastructures socioéconomiques, afin de
favoriser le développement social et économique des populations
vivant à la périphérie ou même à
l?intérieur du parc et des zones protégées.
Le Parc National de la Salonga est un patrimoine collectif qui
ne peut survivre qu?au travers d?un consensus général regroupant
les différents acteurs (Etat, collectivités rurales, industriels,
société civile, bailleurs de fonds, etc.). Une fois ces acteurs
identifiés, les priorités d?interventions doivent clairement
être hiérarchisées afin de promouvoir un échange
direct entre tous les acteurs intéressés. Chacun des intervenants
doit alors être conscient de ses droits et devoirs.
Le contexte dans lequel doivent s?opérer ces
interventions nécessite la prise en compte du caractère culturel,
des institutions locales, du savoir traditionnel, de la participation et de
l?approche participative, des ONG ainsi que de la société civile.
Si cette condition n?est pas réalisée, aucune autre gestion du
PNS, aussi parfaite soit-elle, ne sera durable ni satisfaisante.
C?est en Afrique australe et notamment au Zimbabwe, en Zambie
et au Botswana que des programmes pilotes d?association de communautés
locales à la gestion des parcs furent lancés au début des
années 1990 et servent depuis de référence pour la
généralisation de telles pratiques sur l?ensemble du continent,
voire au-delà. Avec la décentralisation des
responsabilités politiques dans certains pays, des dispositifs de
gestion durable des ressources naturelles, telle la faune et du foncier par les
communautés locales se sont mis en place166.
En Afrique de l?Ouest (Burkina Faso, Bénin), ils sont
arrivés jusqu?à la constitution d?unités de conservation
de la faune permettant aux collectivités locales de s?organiser pour
gérer les terres mises à leur disposition et percevoir des
revenus liés à l?exploitation de la faune. Il en est de
même au Congo Brazzaville avec le programme ECOFAC, dans le sanctuaire
à gorilles de la Lossi, les ayants droit coutumiers des terroirs de
chasse ont été associés à la valorisation de leurs
terres dans une perspective de tourisme scientifique et de vision, en
étroite collaboration avec les autorités administratives.
166 GIRAUT F. et al. (2003) Les aires protégées
dans les recompositions territoriales africaines, Vè congrès
mondial des parcs, Durban.
C?est également le cas au Gabon, dans la réserve
de faune de la Lopé, où les terroirs villageois tels
qu?exploités au moment de la préparation du plan de zonage,
d?aménagement et de gestion, recouvrent intégralement la zone
où les populations sont autorisées à pratiquer leurs
activités167.
Ainsi, nous proposons un transfert réel de pouvoir aux
populations locales et à leurs représentants par l?Etat. Une
autonomie plus grande doit être donnée localement, et une
véritable gestion « décentralisée » doit
être mise sur pied où les prises de décision ainsi que la
définition des règles de gestion émanent des populations
et de leurs représentants, l?Etat ne gardant plus qu?un rôle
d?orientation, autrement dit, définissant les conditions de cette
gestion décentralisée. Dès lors, la gestion
décentralisée implique autonomie et non indépendance,
l?Etat et ses Services techniques assurant toujours la politique d?orientation
et de contrôle.
Toujours sur la base d?une décentralisation, nous
suggérons encore qu?à l?échelon national une
véritable politique de gestion des ressources halieutiques du Parc
National de la Salonga soit élaborée, laquelle ne peut intervenir
que dans un cadre d?action démocratique respectueux du droit.
167 AURÉLIE, B. et V. JOIRIS (2006), Op.cit, p.6
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