Acteurs et interactions autour des ressources halieutiques du Parc National de la Salonga. Cas de l'exploitation de la rivière Luilaka en RDC( Télécharger le fichier original )par Billy Kambala Luadia Tshikengela Université catholique de Louvain - Master complémentaire en développement environnement et sociétés 2009 |
1.2.2. Développement durableIl est souvent difficile de définir avec précision le développement des Etats. Couramment, la définition la plus citée est celle du rapport de la Commission Brundtland (1987): « le Développement Durable se rapporte à un mode de développement qui permet de répondre aux besoins actuels de la population humaine, sans compromettre les possibilités des générations futures de satisfaire les leurs94 ». Ce rapport décrit également le développement durable comme un développement pourvoyant aux besoins élémentaires des populations défavorisées du monde et envisage l?économie dans la perspective de l?impact de l?activité humaine sur l?environnement. Deux concepts sont inhérents à cette notion: le concept de « besoin », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis à qui il convient d?accorder la plus grande priorité, et l?idée des limitations que l?état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l?environnement à répondre aux besoins actuels et à venir. 92 LEDANT J-P. (2005) « Etendre les aires protégées, un objectif de développement? », Indicateurs pour un Développement Durable. N° 2005-4. Institut pour un Développement Durable, Ottignies. 93 LEDANT, J-P (2007) Faut-il vraiment maximiser la biodiversité? Institut pour un Développement Durable. Ottignies. 94 BRUNDTLAND (1987) « Notre avenir à tous » Rapport de la Commission mondiale sur l?environnement et le développement, p.51 Figure 3. Schéma du concept « développement durable » vivable Ressources naturelles, Ecosystèmes Envir. Qualité de vie, cohésion sociale Social DD Economie Besoins, limitation des coûts Equitable viable Source: conception personnelle, inspirée du rapport Brundtland (1987) La durabilité repose sur trois piliers principaux: « l?efficacité économique », « l?équité sociale » et « la prudence écologique ». L?efficacité économique vise la satisfaction des besoins (alimentation, eau, énergie, emploi) ainsi que la limitation des coüts; l?équité sociale vise la réduction des inégalités de développement entre pays riches et pays pauvres, la réduction des inégalités au sein des sociétés, l?équité intergénérationnelle, et la prudence écologique a pour objectif de limiter les pollutions et les consommations des ressources naturelles. Les experts de l?UICN considèrent que les ressources génétiques (essor des biotechnologies) constituent un potentiel d?innovations et de profit important. Les forêts tropicales concentrant une proportion importante de ces ressources, leur conservation entre dans une stratégie de développement durable des pays du Sud. Ceci doit officialiser un « Nouvel ordre économique » dans lequel les pays du Sud entendent retrouver une certaine reconnaissance. Il s?agit notamment du commerce des gènes, de la circulation des flux de capitaux et des transferts d?innovations95. 95 BOISVERT V., VIVIEN F.D. (2008), Une solution marchande à l'érosion de la diversité biologique , in H. Guillemin, Echanges, Marché et Marchandisation, L?Harmattan. Nous sommes à l?heure où la mondialisation de l?économie accroît l?interdépendance des écosystèmes de la planète, et donc de ses ressources biologiques. Celles-ci sont essentielles à la fois pour les populations locales, qui en vivent, et pour l?humanité dans son ensemble. Pour certains auteurs << La difficulté est aussi que des biens publics globaux aussi essentiels que la santé, l?alimentation ou l?environnement peuvent être affectés, à terme, par l?usage, privé ou public, qui est fait aujourd?hui, de la diversité biologique »96. Les bienfaits résultant de la biodiversité se manifestent généralement sous la forme de services écosystémiques (du complexe dynamique composé de plantes, d?animaux, de micro-organismes et de la nature morte environnante agissant en interaction en tant qu?unité fonctionnelle)97. Les écosystèmes sains produisent une large variété de biens, notamment des denrées alimentaires, des matériaux de construction et des produits pharmaceutiques, mais aussi des services, tels que la fertilisation des sols, la fixation du carbone, la purification de l?air et des eaux, la fourniture de matériaux génétiques et la maîtrise de l?érosion et des inondations. Ces bienfaits de la biodiversité constituent des biens publics locaux, nationaux ou mondiaux, qui, à ce titre, doivent être réglementés au niveau approprié. L?on constate aussi que l?accent est mis sur la différence entre conservation de la biodiversité en tant que bien public local et en tant que bien public mondial. Ces deux composantes du bien public que représente la biodiversité sont souvent confondues ou l?une des deux est ignorée. C?est cette confusion, ou cette simplification, qui rend le débat sur la biodiversité obscur et surtout qui empêche d?élaborer des solutions à la fois équitables et efficaces98 Dès lors se pose la question de la réglementation de l?accès et de l?usage de ces ressources. Celleci doit intégrer un niveau global, pour tenir compte de l?intérêt, présent et futur, de l?humanité, et un niveau local, associant les pays et les populations concernées. Ainsi la solidarité entre les générations s?étend à la solidarité entre pays développés et pays en développement, entre pays du Nord et du Sud, entre populations riches et populations démunies, elle s?étend à la lutte contre l?exclusion, au niveau international comme au niveau local99. 96 TROMMETER M. et J. WEBER (2003) << Biodiversité et Mondialisation: défi global, réponses locales », Politiques Etrangères, p380-392 97 ONU(2004) Evaluation des écosystèmes pour le Millénaire, rapport de 2004 98 PERRINGS C., MADHAV G. (2002) Sustainable and equitable use of biodiversity : protecting the global and local public good, IDDRI, Paris p.6 99 Voir : http://www.planetecologie.org/JOBOURG/Français/Agenda21Penser Agir.html Quand on raisonne sur des espèces spécifiques situées dans leurs aires de répartition, la fiction du libre accès se heurte d?abord au principe de territorialité des Etats et de leurs ressources, renforcé par la convention sur la biodiversité de 1992, laquelle reconnait aux Etats la pleine souveraineté sur leurs ressources naturelles et biologiques100. En effet, l?institution de véritables droits de propriété a été initiée par la Convention sur la diversité biologique , adoptée par Rio en 1992 et qui vise trois objectifs: définir et appliquer des mesures incitatives pour la conservation de la diversité biologique; favoriser les instruments et actions allant dans le sens d?une utilisation durable de la biodiversité; mettre en place des mécanismes et des instruments permettant l?accès aux ressources génétiques et le partage « juste et équitable » des avantages qui en sont retirés. Afin d?atteindre ces objectifs, la CDB a défini trois types de droits sur les ressources et les connaissances, à savoir: - La souveraineté nationale sur les ressources biologiques où les Etats ont la responsabilité de légiférer en matière d?accès aux ressources présentes sur leurs territoires, ce qui fait disparaître sans raisonner, le caractère du bien public global. - Les droits de propriété intellectuelle, où le vivant devient brevetable, ce qui développe plus les possibilités de valorisation économique des ressources génétiques. Comme le montre bien Arnaud Diemer, « les brevets permettent de générer des positions de monopoles, donc des rentes substantielles (prix élevés), donc une forte incitation à la conservation de la biodiversité (si redistribution vers les populations locales!)101 ». - Les droits de propriété des communautés autochtones et locales, il s?agit ici de promouvoir les connaissances et les pratiques de ces communautés. D?où la notion de savoirs écologiques traditionnels. Le principe du libre accès à la ressource est devenu, dans les négociations préliminaires à cette convention, un argument des pays industrialisés désireux de maintenir un accès gratuit à la flore et à la faune sauvage pour dénier aux Etats et populations concernées un droit de propriété effectif sur les ressources génétiques animales et végétales102. 100 Article 1er de la Convention sur la biodiversité 101 DIEMER A. (2009) Du développement soutenable à la préservation de la biodiversité: comment valoriser les services écologiques? in Journées d?études, « Biodiversité et gestion de l?espace », IUFM Auvergne, 13 mai 2009, p.18 102 SMOUTS M-C. « Un monde sans bois ni lois: la déforestation des pays tropicaux », critique Internationale, n°9, octobre 2000, pp 131-146 Toutefois, il existe une opposition entre le paradigme du Nord et celui du Sud quant à la conservation de la faune sauvage. Marshall Murphree103, démontre clairement qu?au Sud, la faune est d?abord une ressource à valoriser pour permettre le développement économique et social des populations qui vivent à son contact et en subissent les nuisances; c?est lorsque la faune acquiert une valeur économique qu?elle mérite d?être conservée. Le même auteur ajoute qu?au Nord, la conservation est devenue une activité spécialisée au sein d?une société à dominante urbaine et technicienne. La nature y est ce qui est mis << en réserve », i.e. ce qui n?est pas destiné à être utilisé pour le développement, mais y est conservé pour des usages récréatifs, scientifiques ou pour la valeur esthétique qu?on lui prête. Et comme l?affirme le professeur Daniel Compagnon, une conception technicienne et marchande de la biodiversité (stock de gènes pour l?agro-industrie et la recherche pharmaceutique de demain) prend le pas sur la protection des écosystèmes comme condition de la survie à long terme de l?espèce humaine104. Généralement, dans la théorie économique, on précise que la présence d?un bien public requiert l?intervention de l?Etat. Toutefois, dans ce cas, les Etats sont réticents à consacrer des ressources publiques rares à une politique de conservation dont les dividendes leur échappent. C?est cet état de fait qui serait, dans une perspective d?économie libérale, à l?origine de la dégradation de la biodiversité et qui aurait retardé la mise en place d?une politique de protection105. Pour Trommeter M et J. Weber, une concertation entre pays du Nord et pays du Sud est donc plus que jamais nécessaire en la matière, à la fois pour mettre en place une bonne gestion de la biodiversité, et pour offrir à ces derniers un accès réel et équitable aux marchés locaux, nationaux et mondiaux106. Si la biodiversité comme l?ensemble des richesses
génétiques, spécifiques (au sens d?espèces)
et 103 MURPHREE M.W., (2000) << Ex Africa semper aliquid novi? » Pour une nouvelle approche de la conservation », in COMPAGNON (D.), CONSTANTIN (F.), dir. Administrer l?environnement en Afrique : Gestion Communautaire, conservation et développement durable, Paris, Karthala, pp.41-52 104 COMPAGNON D. (2001) << La conservation de la biodiversité, improbable bien public mondial », Colloque << Les biens publics mondiaux», 25 et 26 octobre 2001, AFSP/Section d?Etudes Internationales, France, p15 105 DIEMER A. (2009) Op. Cit. p.17 106 TROMMETER M. et J. WEBER (2003, Op. Cit. de vie. Sa diminution entraîne un risque important en cas d?épidémie ou de changement climatique107 La solution théorique passerait aussi par une Convention Internationale, précisant des droits de propriété encore mal définis. Il est clair que les ressources de la biodiversité ont une valeur économique potentielle, mais elles n?ont pas de propriétaires bien identifiés, susceptibles d?en réguler l?accès et l?utilisation. C?est cette absence de droits de propriété privés ou nationaux qui serait à l?origine des problèmes de protection de la biodiversité108. Boisvert et Vivien soulignent que la défaillance de la structure des droits de propriété serait la cause de la surexploitation des ressources naturelles. La notion de propriété commune, étant associée à un libre accès et à un gaspillage, la propriété privée se voit conférer toutes les vertus régulatrices109 Les aires protégées, notamment forestières, sont une nécessité pour la survie de l?humanité. Elles constituent des réserves de gènes et assurent la protection à long terme de la diversité génétique. Si elles assument des fonctions sur les plans de la science, de la récréation, du délassement et de l?esthétique, elles sont également et surtout un besoin pour le maintien des grands équilibres écologiques mondiaux110. En outre, la réduction de la déforestation produit des avantages indirects évidents en matière de préservation de la biodiversité et de réduction du risque de catastrophes naturelles, telles que les inondations et les sécheresses. D?où plusieurs conventions et déclarations telles que la charte mondiale de la nature, la stratégie mondiale de la conservation et la conférence de Rio mettent clairement l?accent sur la nécessité d?assurer la protection de la biodiversité. 107WEBER, J. (1996) « Conservation, développement et coordination : peut-on gérer biologiquement le social ?», Colloque panafricain sur la gestion communautaire des ressources naturelles renouvelables et le développement durable, Harare, 24- 27 juin 1996. 108 SEDJO R.A. (1992), «Property Rights, Genetic Resources and Biotechnological change», Journal of Law and Economics, Vol 35, p.199-213 109 BOISVERT V., VIVIEN F.D. (2008) Op. Cit. 110 LANDU N. Populations et forêts: comment concilier les besoins locaux, régionaux et nationaux. Séminaire FORAFRI, s.d, Libreville, Gabon. Avec le développement durable se sont imposés depuis le début des années 1990 de nouveaux modèles en matière de gestion des aires protégées et de conservation de la biodiversité111, accordant une importance capitale à la participation des populations locales à la définition et la mise en oeuvre des politiques de conservation, et insistant sur l?utilisation durable des ressources naturelles et des aires protégées, comme modalité de protection112 Ce discours normatif, reflétant les pensées dominantes de l?occident, est loin de se réaliser en RDC. Par rapport aux 27 principes de Rio, les populations vivant dans et par les forêts connaissent une extreme pauvreté due à l?exploitation industrielle de leur environnement naturel. La biodiversité est confondue avec les ressources naturelles indispensables à des populations marginalisées, souvent des crédits sont alloués pour des projets de développement censés bénéficier à celles-ci, mais biaisés en fonction des demandes étrangères et des intérêts des experts, ce qui peut entraîner la déviation des fonds de leur objectif légitime. Et le tout premier des 27 principes adoptés au Sommet de la Terre à Rio d?affirmer : « Les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Ils ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature »113. Actuellement, deux objectifs cohabitent pour évaluer les politiques en matière de conservation de la biodiversité. D?un côté, l?Union européenne veut stopper l?érosion de la biodiversité en Europe à l?horizon 2010. De l?autre, la Convention sur la Diversité Biologique (CDB, 1992)114veut simplement la ralentir. Les principales menaces pesant aujourd?hui sur la biodiversité étant localisées dans les pays du Sud, il est vraiment illusoire de vouloir stopper le déclin de la biodiversité dans ces pays dans un si bref délai. Ma crainte est que cette mobilisation européenne pour renverser le déclin de la biodiversité reste bien vaine: l?objectif relève du pur symbole, car aucun indicateur mesurable n?est mis en place pour le promouvoir et ne permettra de vérifier s?il est atteint. Le problème soulevé ici est celui de la gestion
pérenne de la biodiversité dans un contexte
de 111 Il ne s?agit plus de soustraire les espèces et espaces menacés à l?exploitation mais, bien au contraire, d?en faire des leviers du développement local au moyen de stratégies de valorisation économique adaptées 112 ANGEON V. et al (2007) La marque « Parc naturel régional ». Un outil au service d?un développement local durable et un modèle pour les pays du Sud ?, Afrique contemporaine vol.2, N° 222, p. 149-166. 113 NATIONS UNIES (1992) Déclaration de Rio sur l?environnement et le développement de principes de gestion des foréts, texte adopté à l?occasion de la conférence des Nations Unies sur l?environnement et le développement durable, Rio de Janeiro, 3-14 juin 1990. 114 Voir http://www.biodiv.org fait de son existence, et non de l?usage dont elle fait l?objet. Cette conception occulte le fait que la biodiversité est un réservoir potentiel de médicaments, de denrées agroalimentaires, etc.; elle fait aussi l?impasse sur la valeur d?usage qu?elle représente pour les populations des pays en développement115. |
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