5 - LE RESPECT DE LA PUDEUR AU SEIN DE LA FAMILLE.
La sociologie et la psychologie offrent des outils pour
analyser les rapports entre les différents acteurs sociaux
impliqués dans les situations de soin. Ainsi les rapports entre les
soignants et soignés, entre les soignés et leur famille.
Il me paraît important de rappeler l'évolution
des comportements face à la pudeur familiale. En effet, nous avons connu
un bouleversement socioculturel des comportements concernant la nudité
en famille en l'espace d'une seule génération : il n'y a encore
qu'une dizaine de décennies, il était exclu de se montrer
dénudé en famille alors qu'aujourd'hui comme le dit Intel:
« ne pas pouvoir se montrer nu à ses propres
enfants ou à son partenaire en dehors des rapports sexuels est un signe
négatif, indicateur de manque d'authenticité et de
proximité dans la relation, voire être limite « vieux jeu
». Les anciennes pudeurs semblent avoir soudainement disparu.
»26
Du fait de son immobilité, Mme G. ne peut s'isoler.
C'est donc à son époux de « s'éclipser » pour
préserver la pudeur de son épouse.
Ce problème de la pudeur, dans la pratique
médicale et les soins, est aussi ancien que l'art de guérir.
Déjà, Hippocrate, père de la médecine occidentale,
recommandait « de ne pas dénuder les malades sans
nécessité, surtout en présence des
proches.»27 Il conseillait d'autre part de le
faire avec tact.
26 Le Nouvel Observateur, HS n°39, 1999, WINTER
(J-P), « l'amour interdit », 98 pages.
27 BOLOGNE (J-C), « histoire de la pudeur »,
1999, Ed. Perrin.
Certains gestes ne sont qu'à soi. Certains sont
très personnels. Ainsi le partenaire faire preuve de discrétion
en ne s'imposant pas. Ce que M. G a fait. Il a eu du tact, a présenti
les signaux non verbaux et s'y est adapté.
Par ailleurs, comme nous avons vu plus haut, le couple peut
reposer sur le désir physique du partenaire ou le besoin de plaire.
Parfois, il est des impudeurs qui peuvent provoquer des dégoûts
ponctuels pouvant se généraliser en dégoût de
l'autre. Par exemple, l'expérience montre que des maris ayant
assisté à l'accouchement de leur compagne se trouvent, à
postériori, perturbés dans leur sexualité et leur
désir pour leur femme. Le rôle du soignant est alors d'anticiper
cette éventualité et proposer la présence du papa à
la tête de sa femme : il pourra se sentir plus utile dans son sentiment
d'impuissance à soulager sa femme.
Au regard de notre situation, il me paraît utile de
définir dans un premier temps ce qu'est le couple, puis d'élargir
le thème à la famille, puisque dans la pratique quotidienne, nous
sommes confrontés à leur présence :
5-1 Le couple c'est « un
homme et une femme unis par le mariage ou par des liens affectifs.
»28
M et MME G semblent être un couple uni. M. G,
retraité, ne quitte que très rarement son épouse. Il est
très attentionné. Il lui rapporte des fleurs, des photos de ses
petits enfants et des dessins qu'ils ont fait pour elle.
Pour Françoise Dolto « le corps passe par le
désir de l'autre».29 Le couple est soumis à
ce désir, et il y a accouplement dans l'intimité. De plus,
« De tout temps, l'Homme a éprouvé le besoin de plaire
».30 L'anxiété de Mme G. provient de son
atteinte corporelle. Elle est dépendante, elle vient de subir une
intervention qui lui vaut une cicatrice et une immobilité fonctionnelle.
Elle ne peut s'accomplir dans son désir de plaire. Aussi, elle
n'apparaît pas mécontente de l'absence de son époux lors
des soins.
Même si ses époux forment en apparence un couple
uni, il est difficile de connaître les degrés de pudeurs
respectifs. Le soignant doit être attentif aux manifestations verbales ou
non verbales même lorsque celles-ci relèvent de la pudeur
familiale.
28 Définition du Petit Larousse 2000.
29 Sciences humaines et soins infirmiers, Ed. Lamarre,
2000, 207 pages.
30 Sciences humaines et soins infirmiers, Ed. Lamarre,
2000, 207 pages.
5-2 La famille est :
« Un ensemble formé par père,
mère, enfant, famille nucléaire ou conjugale réunissant
dans un même foyer. Ensemble de personnes qui ont un lien de
parenté par le sang ou par alliance présentant des
caractères communs. Appartenance à un ensemble, avec une origine
commune, une même racine ».31
En ce qui concerne la famille, elle est souvent très
attentive aux souhaits du malade, elle va même au devant. Elle
connaît ses habitudes, ses goûts, ce qui peut lui faire plaisir ou
au contraire ce qui lui déplaît. Elle peut être aidante ou
pas.
« La famille est le témoin le plus
récent. Elle est le lieu de sa vie affective. Les liens familiaux sont
irremplaçables. »32
Elle est effectivement très importante pour le bien
être du patient. Elle est le lien entre le patient hospitalisé et
l'extérieur, la société. Cependant, l'entourage ne peut
pas tout apporter à son parent hospitalisé. Les soins techniques
relèvent des soignants. Il est peut être plus facile de montrer
son corps à des professionnels qu'à son entourage proche.
« Quand un malade entre dans le service, il nous faut
aussi prendre en charge sa famille avec lui. »33 En effet,
celle-ci peut-être émotionnellement affectée de
l'hospitalisation de son proche. Il faut pouvoir les guider, les
réconforter, les accompagner dans le cheminement d'une pathologie.
« Malheureusement, le manque de temps est souvent
évoqué par les équipes : il est la cause de regrettables
malentendus. »34
L'infirmière doit cependant prendre des « gants
», savoir employer les mots, le ton, pour ne pas offusquer un proche en
s'adressant à lui. Cela nécessite un savoir-être, un
savoir-faire.
5-3 Les différentes réactions des
familles : Les familles sont-elles toujours aidantes
?
31Définition du Petit Larousse 2000.
32 Formation du soignant, accompagnement au quotidien,
Ed. Masson, page 70.
33 Infirmière, Adonis (C), Ed. Grosset, 1979,
218 pages.
34 Infirmière, Adonis (C), Ed. Grosset, 1979,
218 pages.
Les familles éprouvent parfois des difficultés
dans leur relation. Il arrive aussi qu'elles se montrent agressives, peu
coopératives, elles protestent contre les pratiques de soin.
Le personnel soignant doit être conscient de ces
éventuelles réactions psycho-affectives. Ne le serions-nous pas
nous même lors de l'hospitalisation d'un proche ? d'un enfant ?
Dans la situation de M. G, il n'a pas été
question d'hostilité puisqu'il a acquiessé de suite et s'est
levé. Cela relève de la communication non verbale.
« Il y a effectivement des familles anxieuses,
hostiles, trop discrètes, envahissantes, celles qui ne veulent pas
comprendre ou qui n'entendent pas un diagnostic, celles qui n'admettent pas
l'échec, celles qui s'étonnent... et il y a aussi les familles
admirables ».35
Le soignant doit pouvoir gérer par anticipation : le
savoir-faire, la diplomatie et prendre un certain recul ou pouvoir
déléguer un entretien s'il sent que la relation va être
tendue : c'est le travail en équipe.
Rappelons aussi que la représentation de la famille est
très variée d'un pays à un autre et dans une même
société. Elle varie d'un groupe culturel à un autre, d'une
classe sociale, d'un niveau d'étude. L'infirmière doit tenir
compte de la vie privée de la personne comme le stipule l'article 9 du
code civil et la convention européenne les droits de
l'homme.36La personne hospitalisée peut recevoir dans sa
chambre les visites de son choix, mais l'infirmière est tenue de
respecter et faire respecter l'intimité.
Ce travail de fin d'étude m'a permis d'approfondir la
dimension du respect de la pudeur en milieu hospitalier.
Je me suis interrogée sur mon « savoir-être
» en tant qu'infirmière, face au patient, dans le cadre d'un soin.
La question que je me suis posée était la suivante : «
quelle approche dois-je avoir avec le malade pour respecter sa pudeur, tout en
conservant l'efficacité des soins que je dois lui prodiguer ? »
Tout d'abord, je dirais que sans l'apprentissage des
techniques de soins, cette approche n'a aucune consistance. Il est bien
évident que la connaissance des gestes professionnels permet
d'introduire une réflexion sur la
35 Infirmière, Adonis (C), Ed. Grosset, 1979,
218 pages.
36 Annexe I, droit à la vie privée et
à la confidentialité.
sensibilité de la personne soignée. Les
différents stages que j'ai effectués m'ont progressivement
conduite à m'interroger sur la personnalisation des soins. Si les
techniques restent les mêmes, l'intérêt que nous portons aux
fins d'aider le patient à garder sa dignité et lui accorder une
attention toujours renouvelée, doivent faire appel à des
qualités d'écoute et de discrétion dans le soucis de
préserver son intimité.
Au cours de mes recherches, l'étude de la sociologie
m'a permis de mieux connaître les autres et moi-même afin de
respecter les différentes formes ou manifestations pudiques. Il est
évident que le soignant doit se garder d'une implication personnelle
trop importante car il doit conserver le recul nécessaire à la
sérénité professionnelle et individuelle.
La pratique du « respect » est d'une grande
complexité, si une approche du problème est envisageable, il
n'existe aucune règle ou « recette » applicable. Trop de
paramètres sont présents entre la personnalité du patient,
celle du soignant et la présence de la famille. Il appartient à
chacun d'entre nous d'agir et de réagir au cas par cas en faisant preuve
de vigilance.
Les soins au corps et le respect de la pudeur en milieu
hospitalier impliquent donc de maintenir le proche à la fois dans la
proximité et dans l'éloignement. C'est un savoir qui se construit
dans des communications personnelles avec les patients et au fil du temps avec
l'expérience.
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