UNIVERSITE DE KISANGANI
B.P.2012
KISANGANI
FACULTE DE DROIT
LES ETATS-UNIS D'AFRIQUE
PAR L'ETAT OU PAR LA GOUVERNANCE REGIONALE
Par
Godefroy KAHAMBO MWANABWATO KIPELEKA
MEMOIRE
Présenté en vue de l'obtention du grade de
LICENCIE en Droit
OPTION : Droit Public
Directeur : Prof. MWAYILA TSHIYEMBE
Encadreur : Ass. MUYAMBI DHENA
ANNEE ACADEMIQUE 2008 - 2009
Première session
A ma progéniture
REMERCIEMENTS
En Afrique, dit-on, il faut tout un village pour élever
un homme. En retour, le village n'attendra de cet homme rien de plus que la
reconnaissance.
Nous n'avons pas échappé à cette logique
d'interdépendance tout au long de notre parcours quinquennal au sein de
la faculté de droit à l'Université de Kisangani.
En effet, plusieurs personnes nous ont assisté durant
cette saison académique ponctuée de tsunamis, de cyclones, de
pluies et de beaux temps. Il nous sied de les remercier à travers les
lignes qui suivent.
Nos premiers remerciements s'adressent à Jéhovah
Mungu le Très - Haut pour sa grâce et sa miséricorde sans
limites.
Nous tenons à remercier en second lieu certains membres
du corps scientifique de l'Université de Kisangani qui, par leur valeur
intellectuelle et leur probité morale ont su irradier notre esprit de
jeune chercheur. Nous citons le professeur Mwayila Tshiyembe et l'Assistant
Muyambi Dhena qui ont respectueusement dirigé et encadré le
présent Mémoire ; les Professeurs Bompaka Nkeyi,
Kadony Nguway et Ngute Novato ainsi que les Chefs de travaux Zacharie -
Richard Ntumba et Yuma Fikirini.
Nous disons par ailleurs merci à nos parents en
l'occurrence :
- Nos père et mère pour leur soutien combien
bénéfique. Que Monsieur Aimedo Kipeleka et Madame Marcelline
Elongo trouvent ici l'expression de notre gratitude ineffable !
- Nos frères et soeurs consanguins pour l'affection
qu'ils n'ont cessé de nous disponibiliser à volonté. Que
les Demoiselles Béatrice Mwanabwato, Gracia Mwanabwato, Fifi Mwanabwato
ainsi que les Sieurs Aimedo Mwanabwato, Djodjo Elongo et John Mwanabwato se
sentent honorés par ce travail qui leur trace les jalons d'une
carrière scientifique !
- Nos oncles, tantes, cousins, neveux, nièces,
grand-parents qui n'ont cessé de nous témoigner leur amour tant
dans le bonheur que dans le Malheur. Nous pensons aux Dames Joséphine
Elongo, Jeanne Safalani, Béatrice Ashina,
Dady Elongo et Sophie Bugogo ainsi qu'aux Sieurs Amani
Kanyangala, Aridi Lubinga, Awazi Kasongo, Clément Omari et Kipeleka
Mwanakusu.
Nos remerciements s'adressent aussi aux serviteurs de Dieu en
l'occurrence au couple John Bokanga ainsi qu'au Pasteur Mwema Kasongo et toute
la communauté CEPAC/Jérusalem de Kisangani.
Nous ne saurons pour rien au monde ne pas remercier nos
compagnons de lutte dont le souvenir ne peut être altéré ni
par les vicissitudes de la vie ni par le temps qui coule en noircissant tout
à son passage.
Il s'agit des Sieurs Serge Okete alias Emperio, Papy
Babananzaka alias Aduangoma, Elvis Kambale alias Nkeyi et
Guylain Muhindo alias Kasseta.
A cette liste très restreinte s'ajoutent les Dames
Lysette Kanku, Carine Assani, Bernardette Bongale, Tyna Ilunga Christine
Posho, des Sieurs Dido Assani, Robert Tolanga, André Kito et Monsieur
Idriss Mokolo na Yenga.
Nous disons particulièrement merci à Thierry
Tisambi alias Kokolo et Junior Likangola alias Freeman, aux
Docteurs Freddy Bikioli alias B2K et Lady Yangotikala sans oublier
Monsieur Alain Kabala pour leurs compagnies.
Un clin d'oeil particulier s'adresse enfin aux Dames Louise
Kimbesa et Fifi Bosala.
A tous ceux-ci et à ceux qui ne sont pas repris ici
faute d'espace, nous disons sincèrement : Merci !
Godefroy Kahambo Mwanabwato K.
0. INTRODUCTION GENERALE
Parler des Etats-Unis d'Afrique d'un point de vue scientifique
engage une écriture prospective qui prend le risque de l'erreur,
abandonne l'ambition de tout dire et part de plusieurs références
qui sont autant d'incertitudes.
Une telle entreprise est très ardue. Aussi, le
présent mémoire n'accumulera-t-il ni des prophéties, ni
des vérités absolues. Il ne prétend pas tracer des lignes
directrices ou des recettes à suivre à la lettre mais des
attitudes et des systèmes de pensée susceptibles d'animer et
d'éclairer les actions.
I ETAT DE LA QUESTION
a. Le panafricanisme messianique
Ne en 1885, en Jamaïque avec Marcus Garvey, l'idée
du panafricanisme se concrétisa lors du premier congres panafricain tenu
Paris en 1919 avec la revendication du droit des noirs, énoncée
par le noir américain Burghard Du Bois, en reconnaissance du sang
versé par les noirs africains et américains au cours de la
première guerre mondiale. De congres en congres, Du Bois parvint a la
sensibiliser les intellectuels noirs des deux continents. A partir du Ve
congres de Manchester en 1945, ils firent du panafricanisme le moteur de la
lutte pour l'indépendance. Parallèlement au mouvement ci haut, un
autre courant panafricaniste prônait l'idée de retour en Afrique
(come back to Africa) afin d'y créer des Etats chargés
de promouvoir la liberté. Cette idée s'est cristallisée
par la création du Libéria et de la Sierra Léone.
b. La cristallisation politique du
panafricanisme
C'est avec Nkrumah1(*) que le panafricanisme cesse d'être messianique
pour devenir politique. C'est à cet effet qu'il réunit à
Accra en mars 1958 la première conférence des Chefs d'Etats
africains qui prône notamment l'unification des diplomaties. Il
prêcha un panafricanisme maximaliste dont l'enjeu aurait
été de réunir sous une seule autorité politique
tous les Etats Africains. Il se heurta aux réticences de certains Etats
qui ne se sentaient pas prêts à renoncer à leurs
indépendances récemment acquises. Ces derniers, plus
modérés, optaient pour un panafricanisme minimaliste qui ne
devait pas bouleverser les frontières issues de la
décolonisation.
Remarquez donc qu'au moment où l'idée d'une
Afrique Unie se lève, le continent est divisé en idées.
Aussi, à Addis-Abeba, les participants à la conférence
ayant abouti à la création de l'Organisation de l'Unité
Africaine du 26 mai 1963, évoquent-ils, chacun l'Unité africaine
selon l'idée qu'il s'en fait. C'est de ce charabia que surgira, pour un
besoin de compromis, l'Organisation de l'Unité Africaine dont les
africains se contenteront pendant un temps avant de la réformer
ensuite.
c. Bilan du panafricanisme
Un demi-siècle après, il convient de
s'interroger sur les fruits des tergiversations qui ont longtemps
divisé les maximalistes et les minimalistes. A ce niveau, il faut avouer
avec Mwayila Thiyembe que la scission sus-évoquée reste le seul
héritage issu de cette palabre. Il renchérit que la
démission des élites africaines a laissé en friche
l'idée Etats-Unis d'Afrique. Tant et si bien que la seule chose dont on
est sûr, c'est la ligne de rupture entre les héritiers du groupe
de Casablanca et les héritiers du groupe de Monrovia. Quant à
l'essentiel, constate-t-il amèrement, nul ne sait avec exactitude la
signification de l'idée Etats-Unis d'Afrique en ce début du
XXIe siècle2(*).
Il n'ya rien de surprenant donc, si lors du sommet de l'Union
Africaine qui s'est achevé à Accra dans la nuit du 3 au 4 juillet
2007, les divergences de points de vue sur la nature et les missions du
« gouvernement panafricain » ont ressurgi et laissé
voir l'horizon le spectre de la fissure Casablanca - Monrovia.
Récemment encore, la question a été
portée à l'ordre du jour lors du sommet de l'Union Africaine qui
s'est tenu à Addis-Abeba du 1er au 3 février 2009.
Après une bataille rangée entre les arrivistes des deux
camps3(*) un compromis
portant sur une légère modification de l'architecture organique
de l'Union Africaine d'ici 2012 a été trouvé. Il
préconise la transformation de la commission de l'union Africaine en une
« Autorité » de l'Union Africaine.
II PROBLEMATIQUE
Puisque le vide intellectuel est stratégique issu de
l'engouffrement du débat dans la querelle soporifique entre maximalistes
et minimalistes n'a pas permis de donner corps et signification à
l'idée Etats-Unis d'Afrique, nous avons décidé de sortir
de cette double vulnérabilité et de nous engager dans la voie du
néo - panafricanisme.
En effet, la problématique des Etats-Unis d'Afrique ne
doit être posée actuellement qu'en des termes stratégiques.
Le débat mérite de se nourrir d'un besoin
d'opérationnalisation qui pourra permettre de sortir le terme
« Etats-Unis d'Afrique » du stade de slogan où il se
trouve et de lui donner corps en le conceptualisant.
Eu égard aux considérations sus
évoquées, une seule question a surgi de notre esprit :
Quel système de pensée les africains doivent-ils
adopter aujourd'hui afin de mettre en place une construction juridique
susceptible de réaliser les Etats-Unis d'Afrique ?
III HYPOTHESES
A cette question, nous avons formulé deux
hypothèses.
- D'après la première hypothèse, la mise
en place d'un Etat panafricain serait la stratégie la mieux
adaptée à la construction des Etats-Unis d'Afrique.
- D'après la seconde hypothèse, en vue de
réaliser les Etats-Unis d'Afrique, la stratégie la mieux
indiquée serait celle consistant en la rénovation de la
gouvernance régionale de type Union Africaine.
IV APPROCHES
METHODOLOGIQUES
Afin de vérifier les hypothèses ci-dessus, nous
avons recouru à une démarche rigoureuse.
Système positif, phénomène social, le
droit est objet d'étude. Le travail de l'esprit humain en matière
juridique a fait éclore une pensée qui se ressource en se
déconstruisant puis en se reconstruisant sur base d'une méthode
scientifique. La méthode juridique s'articule autour de la norme qui
peut être visée sous plusieurs angles. Pour Gerard Cornu4(*), elle se dédouble en des
approches normatives tendant soit vers la réalisation et
l'interprétation du droit existant, soit vers l'élaboration d'un
droit nouveau.
La démarche du chercheur en droit varie en fonction de
situations face auxquelles il se trouve. Aussi, peut-il soit interpréter
la règle de droit, soit transposer la norme sur des faits précis,
soit analyser et critiquer la norme en vigueur afin de l'adapter au dynamisme
des faits sociaux, voir proposer des données susceptibles d'aider le
législateur dans l'élaboration dun droit nouveau.
Dans le cadre du présent travail, nous avons recouru
d'abord à la méthode juridique en variant des approches dans
chacune des parties du corps de ce travail.
a. L'approche tendant à
l'élaboration d'un droit nouveau
La première partie ayant consisté en la
vérification de l'hypothèse d'après laquelle les
Etats-Unis d'Afrique pourraient se bâtir par la mise en place d'un Etat
panafricain, il nous a fallu penser et projeter une situation et une
institution juridiques inexistantes, en évaluant les probabilités
de succès d'une telle entreprise.
Pour ce faire, nous avons opté pour l'approche tendant
en l'élaboration d'un droit nouveau.
Sélective, cette approche nous a permis de rassembler
toutes les données utiles d'ordre juridique, des considérations
d'ordre politique, économique, social voire géopolitiques afin de
mettre à l'épreuve la première hypothèse.
b. La critique législative
La deuxième partie de notre travail ayant
consisté en la mise à l'épreuve de l'hypothèse
d'après laquelle les Etats-Unis d'Afrique peuvent de bâtir en
partant de la rénovation de l'Union Africaine, nous avons recouru
à l'approche exégétique qui a légèrement
dépassé l'interprétation dite de lege lata pour
débaucher sur une véritable critique législative de
lege ferenda. La critique législative nous a permis de remettre en
cause le cadre de fonctionnement de l'Union. Pour ce faire, nous avons
techniquement tenté d'y déceler d'abord les
éléments dysfonctionnels avant d'en proposer des innovations.
C La méthode structuro
fonctionnelle
Au-delà de la méthode juridique et de ses deux
approches sus-évoquées, nous avons également recouru
à la méthode structuro fonctionnelle. En effet, tout le long de
nos recherches, nous ne perdions pas à l'esprit le fait que l'Etat
panafricain multinational ainsi que l'Union Africaine devaient être pris
pour des touts complexes composés des parties qui fonctionnent en
interaction ; chacune d'elles étant appelée à assumer
une fonction spécifique. Cette méthode nous a été
d'une grande utilité au cours de la vérification de notre
deuxième hypothèse. Elle est venue compléter et
accompagner la critique législative.
c. Les techniques
En dessous des méthodes susmentionnées,
certaines techniques plus empiriques nous ont permis de rassembler des
données utiles que nous comptions exploiter systématiquement. La
plus importante de ces dernières a été la technique
documentaire. Elle nous a suffisamment éclairé sur les
idées des doctrinaux et sur diverses solutions proposées au
problème que nous avons tenté de résoudre.
A cet effet, l'Internet, les médias et les
bibliothèques ont été pour nous des outils très
efficaces dans la réalisation du présent travail.
0. INTERET ET OBJECTIF
Le premier intérêt du présent
mémoire ressort du fait qu'il prétend tracer un nouveau paradigme
dans lequel devra se dérouler le débat sur les Etats-Unis
d'Afrique loin des querelles entre maximalistes et minimalistes. Il s'est
proposé de contourner cette controverse qui s'est interposée
longtemps devant les africains et qui les a empêchés de
conceptualiser les Etats-Unis d'Afrique afin d'investir dans le néo -
panafricanisme plus stratégique. En plus, notre travail revêt un
intérêt considérable en ce qu'il se donne pour ambition de
relever le défi lancé à l'intelligentsia africaine par
ceux-là qui en fustigent la passivité.
En sus, le présent mémoire est d'un
intérêt particulier à cause de la supputation dont elle
procède. En effet, la difficulté de dépasser notre temps
apparaît comme l'entrave monumentale de la réinvention de
l'Afrique.
L'objectif principal du présent travail est de
conceptualiser les Etats-Unis d'Afrique. Il tente d'anéantir le
débat stérile qui engloutit le chercheur africaniste dans un
vaste océan d'incertitudes et de pseudo - certitudes et d'engager ce
dernier vers de voies prospectives sur lesquelles il pose les jalons d'une
recherche sérieuse.
Tout comme nous avons eu soin de le rappeler au début
de ces prolégomènes, le présent mémoire n'a pas la
prétention de tracer des lignes directrices moins encore des recettes
magiques à appliquer à la lettre, mais il propose des attitudes
devant influencer l'action, des systèmes de pensée ainsi que des
outils conceptuels et juridiques susceptibles d'éclairer les
démarches pratiques ultérieures.
1. SUBDIVISION DU TRAVAIL
Ce mémoire comporte deux parties. La première
expose la construction des Etats-Unis d'Afrique par la mise en place d'un Etat.
Elle scrute le cadre dans lequel une telle tâche peut être
intelligible tout en évaluant l'opérationnalité d'une
telle démarche dans le contexte actuel du monde et de l'Afrique. La
deuxième partie expose la construction des Etats-Unis d'Afrique en
partant de la gouvernance régionale rénovée. Elle commence
par rechercher les éléments défaillants du système
de l'Union Africaine avant d'en proposer des correctifs dans la perspective des
Etats-Unis d'Afrique.
PREMIERE PARTIE
LA CONSTRUCTION DE L'ETAT
PANAFRICAIN
CHAPITRE I : DE LA LOGIQUE D'UNIFICATION
A LA LOGIQUE DE SEGMENTARITE
CHAPITRE II : LA CONSTRUCTION DE LA MULTI -
NATION : ENJEUX ET PERSPECTIVES
0. INTRODUCTION
Après avoir rompu avec la vulnérabilité
stratégique et intellectuelle, la première hypothèse qu'il
convient d'étudier et de mettre en épreuve est celle
d'après laquelle les Etats-Unis d'Afrique peuvent se bâtir par la
mise en place d'un Etat panafricain.
Le Guide de la révolution du 1er septembre
de la grande Jamahiriya Arabe Libyenne populaire et socialiste, Mouammar
Kadhafi en a fait depuis peu son cheval de bataille. Une telle ambition ne
serait pas du tout antimonique à la nouvelle géopolitique qui a
succédé à la guerre froide. La recomposition des forces
géostratégiques du monde est un fait aujourd'hui et l'Afrique
semble hors - course dans ce mouvement de globalisation.
Les changements en cours, notamment la poursuite de la
construction Européenne ainsi que l'émergence des structures
supra étatiques en Amérique latine et en Asie doivent aider le
savant africain à libérer sa pensée et le pousser à
chercher des outils susceptibles de lui permettre de réinventer
l'Afrique afin de mieux l'adapter à la globalisation qui repose
désormais sur une nouvelle rhétorique d'interdépendance
collective.
Pour ce faire, des questions stratégiques se
posent : Quel système de pensée les africains doivent
adopter afin de mettre en place un Etat panafricain qui puisse rencontrer non
seulement les exigences de la mondialisation mais surtout la nature multi
ethnique et pluri identitaire du continent (Chapitre I) ?
Si l'on arrive à concevoir un modèle
idéal - type d'Etat susceptible de contenir l'ambition d'unité
africaine, quels problèmes juridiques son opérationnalisation
risque-t-elle de poser (chapitre II) ?
CHAPITRE I : DE LA
LOGIQUE D'UNIFICATION A LA LOGIQUE DE SEGMENTARITE
Chaque fois qu'est évoquée l'idée
d'Unité de l'Afrique, la pensée a tendance à voir dans la
diversité des peuples et des cultures sur le continent un obstacle plus
qu'un atout. Comment est-il possible de regrouper sous une seule
autorité étatique les Berbères, les Lokeles, les
Massaïs, les Zoulous, les Bangubangu et les Wolofs ?
A ce niveau, le spectre de l'impossibilité surgit
à l'horizon et étouffe la pensée en créant un
pessimisme indolent.
Ce pessimisme trouverait sa racine dans l'idée
d'après laquelle toute organisation politique ne peut être qu'un
Etat - Nation. Une telle conception a été pendant des
siècles véhiculée par l'occident et le droit
constitutionnel. C'est cette illusion de l'Etat - Nation qui, d'après
Tshiyembe, obscurcit encore l'imaginaire des intellectuels africains,
arc-boutés sur des certitudes vacillantes, qui doit être
brisée5(*).
I.1. LE DEPASSEMENT DE
L'ILLUSION DE L'ETAT - NATION
Dominique Colas définit l'Etat - Nation comme une forme
politique où les frontières territoriales, politiques et
culturelles, religieuses, linguistiques coïncident6(*). Il ajoute que dans
l'Etat-Nation, les limites politiques et culturelles se superposent. Sa formule
la plus nette, illustre - t - il, est la revendication « tous les
X en Xie, aucun Y en Xie ».
Né à la fin du XVIIIe siècle, suite
à la révolution Française et Américaine, le
principe des nationalités, qui est rapidement sorti des
frontières françaises, apporte d'autre part à l'Etat
national une justification rationnelle d'une portée universelle. Selon
ce principe, ainsi que l'a relevé Nguyen Quoc Dinh, pour que sa
souveraineté sois effective, chaque nation a le droit de se constituer
un Etat indépendant. Il doit y avoir autant d'Etats que de nations. Par
conséquent, si un Etat existant englobe plusieurs nations, il s'expose
au démembrement dans la mesure nécessaire à la
réalisation de la coïncidence Etat-nation. Inversement, si une
même nation est divisée en plusieurs morceaux incorporés
dans des Etats différents, elle possède le droit de refaire son
unité au sein d'un même Etat7(*).
Ces idées ont bouleversé l'Europe au XIXe
siècle qui peut, à juste titre, être
considéré par excellence comme l'âge du nationalisme
européen. Ainsi, la rébellion des Belges contre la Hollande et
celle des Grecs contre l'Empire Ottoman ont abouti à la naissance de
l'Etat Belge et de l'Etat Grec.
Nguyen Quoc nous révèle qu'au XXe siècle,
entre les deux guerres mondiales, de nouveaux Etats nationaux européens
ont vu le jour. Il s'agit de la Tchécoslovaquie, des Etats Balkaniques
et des Etats Baltes8(*).
Le nationalisme européen tel que peint
précédemment persiste encore dans l'esprit des intellectuels sous
forme d'une conviction d'après laquelle l'Etat - Nation serait la
préalable nécessaire à toute forme d'organisation
politique.
Pourtant, la coexistence des cultures au sein d'un même
Etat demeure enrichissante ne serait-ce que pour éloigner la
néfaste tentation de la pureté ethnique, culturelle et
religieuse.
Au fond, le nationalisme semble à nos yeux antimonique
au supra étatisme en ce sens qu'il s'oppose à tout projet
universaliste en opposant à la perspective d'une organisation politique
hétérogène des particularismes sacralisés :
la langue, la religion, le sang etc.
Il importe dès lors de se demander si le nationalisme
ne constitue pas lui-même une régressive utopie. Une
communauté, parce que parlant la même langue aurait-elle
magiquement supprimé toutes les tensions et tous les conflits en son
sein ? Adhérer à un tel paradigme constitue d'après
Ignacio Ramonet, une véritable régression de l'esprit et de la
raison politique à l'heure où se construit et se renforce l'Union
Européenne9(*).
Qu'en est-il de l'Afrique ? Les Etats africains sont-ils
des Etats-Nations au sens occidental du terme ou ne sont-ils que des
regroupements hétéroclites de plusieurs peuples, de plusieurs
cultures et de plusieurs religions ? Sont-ils appelés à se
disloquer pour autant ?
Tshiyembe n'a donc pas tort lorsqu'il affirme qu'il s'agit,
à quelques exceptions près, des Etats multinationaux qui
s'ignorent10(*).
Un pays comme la République démocratique du
Congo constitue à lui seul une mosaïque ethnique et culturelle ou
s'enchevêtrent plus de quatre-cent cinquante tribus !
En sus, la nation ne peut se comprendre principalement par des
races car en dessous de la race et du peuple se trouve « la
terre » qui porte et qui nourrit.
La conception occidentale de la nation et du territoire a
aujourd'hui des détracteurs de taille. Pour Lacan11(*), toutes les métaphores
sur lesquelles se fonde l'illusion de l'Etat-Nation sont la conséquence
de la personnification des nations. Races, nationalités relèvent,
pour ce psychanalyste, de l'imaginaire et ne sont que des instances de la
projection figée dans l'étymologie, une catachrèse :
Le mot vient de « naître » et se rapproche de
« nature ».
Les critiques précédentes ayant
dévoilé les faiblesses du nationalisme occidental, nous renvoient
donc à la quête d'autres outils et d'un autre socle dont la
revendication principale doit être « l'acceptation de la
diversité comme facteur de développement ».
Si tel est l'impératif, où les africains
doivent-ils rechercher ces nouveaux outils ? Pour Mwayila Tshiyembe,
c'est vers les sociétés africaines précoloniales qu'il
conviendrait de se tourner si l'on veut créer un modèle-type
d'Etat pouvant transcender les 53 pseudos - Etats nations et la mosaïque
des peuples, des cultures et des identités.
Tshiyembe nous apprend que la fédération des
terroirs suggère l'idée de dépassement de ce concept
européen de « territoire », et l'investissement dans
le concept africain de l'espace pensé comme cadre de vie, tissé
des réseaux, de flux, d'échanges et des lieux de mémoire
attachant les êtres humains à leur sol et à leur
environnement12(*). Dans
nombre de cas ajoute-t-il, il n'y a d'ailleurs pas de corrélation entre
l'espace politique et l'espace socioculturel.
Ceci étant, conclue-t-il, il serait donc
impérieux de rompre radicalement avec le modèle fondé sur
la logique d'unification et d'harmonisation produit en occident appelée
Etat-nation et imposée à la terre entière par la
colonisation, le droit international et le droit constitutionnel13(*).
Une telle rupture aura le mérite de permettre aux
africains de réinventer le pacte social qui devra couler dans le moule
de la multinationalité dont nous allons à présent
analyser les tenants et les aboutissants.
I.2. L'ETAT
MULTINATIONAL
A l'issue des développements précédents,
l'Etat multinational apparaît sociologiquement comme une espèce
d'organisation politique résultant de la fixation sur un territoire
déterminé d'une collectivité humaine
hétérogène régie par un pouvoir
institutionnalisé. Il évoque un type particulier de
société politique évoluant à contre-courant du
nationalisme que véhicule le droit constitutionnel classique.
Mais, loin de toute forme d'ostentation, une telle
« révolution » juridique et institutionnelle
vaut-elle vraiment la peine d'être réalisée en
Afrique ?
Mwayila Tshiyembe répond à l'affirmative
à cette question. Pour ce chercheur, une telle entreprise a pour enjeu
la refondation du pluralisme ethnique comme socle d'un authentique
modèle de l'Etat de droit et d'une société civile
démocratique et multiculturelle. Il s'agit d'après Tshiyembe,
d'un nouveau pacte démocratique liant juridiquement chacune des nations
et l'Etat par un strict respect de l'égalité et du droit à
la différence en vue de bâtir un destin commun14(*).
I.2.1. LA MULTINATION : UN
PACTE ORIGINAL
La multination reflète une véritable
inventivité des peuples africains qui, avant l'arrivée des colons
déjà, avaient des sociétés politiques pluri
identitaires qui s'articulaient autour d'une logique de segmentarité et
qui sur plusieurs plans dépassaient de loin les illusoires
Etats-nations occidentaux qui, par leur postulat homogénéisant se
sont révélés dangereux.
C'est le cas des Empires du Ghana, du Mali ou de l'Ethiopie
(Axoum) qui étaient des vastes espaces sur lesquels se côtoyaient
des populations sans homogénéité et qui, malgré
leur diversité restaient soudées par un solide
« vouloir vivre collectif »
I.2.2. LA MULTINATION :
UNE REVANCHE DE L'HISTOIRE
Puisque la multination ressuscite des profondeurs ensevelies
des sociétés africaines précoloniales, en y recourant, les
africains pourront donner une leçon magistrale à cette Union
Européenne qui, plusieurs siècles après la disparition des
empires africains, tend vers l'hétérogénéité
des nations et des langues15(*).
Depuis longtemps, les penseurs européens, par des
généralisations indues de l'expérience du vieux continent
ont enfermé le monde scientifique dans la pensée
unidimensionnelle.
Ainsi, l'on est arrivé à penser sous leur
impulsion que société moderne (occidentale) et
sociétés traditionnelles (folkloriques, africaines)
étaient antimoniques et que la première finit par remplacer
immanquablement les autres.
Si les africains investissent dans la multination, son
authenticité viendra inverser l'échelle des valeurs construites
en occident et démontrera une nième fois que les
sociétés dites folkloriques peuvent remplacer voire corriger
celles dites modernes.
I.2.3. LA MULTINATION : UN
APPORT AFRICAIN A LA MONDIALISATION
Nous accordant avec le Professeur Tshiyembe, disons qu'en
plus d'être une réplique, la multination sera une réaction
de l'Afrique face à la configuration actuelle de la planète et
à la globalisation. Il ajoute par ailleurs que c'est à cette
condition que l'Afrique pourra, par la nature démocratique de l'Etat
multinational, proposer le modèle idéal - typique de la mutation
constitutionnelle, politique, sociale et conceptuelle des
sociétés plurinationales du XXe siècle16(*).
Sur le tableau précédent ne s'esquisse qu'un
portrait - robot de la multination. Le juriste tend à perdre dans le
labyrinthe des concepts sociologiques. Loin s'en faut !
En effet, pour que le portrait rapide que nous venons de
peindre soit juridiquement net, il est impérieux de passer sur la toile
un examen succinct de la nature et des implications juridiques de l'Etat
multinational qui lui donneront une nouvelle coloration plus nuancée.
I.3. NATURE ET IMPLICATIONS
JURIDIQUES DE L'ETAT MULTINATIONAL
I.3.1. NATURE JURIDIQUE DE
L'ETAT MULTINATIONAL
Puisque la multination a pour ambition d'englober en son sein
les Etats Africains post coloniaux, il est logique que d'une telle fusion
ressorte une espèce de dilution des Etats composants qui vont, pour
ainsi dire, se fondre en son sein.
La conséquence d'une telle fusion sur le plan de droit
est d'octroyer automatiquement à l'Etat multinational la nature initiale
des Etats qu'il englobera. Aussi, la multination devient-elle un
« Etat », donc un sujet originaire de droit international
doté d'une souveraineté relative en fonction de sa nature
plurinationale (cfr infra) ainsi que des droits et obligations qui
définissent sa personnalité internationale. Cette
personnalité internationale entrainera automatiquement pour l'Etat
multinational une conséquence directe : celle de lui
conférer une identité corporative à l'intérieur de
l'ordre juridique international.
Ainsi, il n'y a pas lieu de faire l'équivoque autour
de la nature juridique de l'Etat-multinational. Quoique c'est sur base d'un
traité international que les Etats pourront accepter ce passage de
l'inter étatisme au supra étatisme, il faut s'accorder sur le
fait que l'Etat multinational ne pourra en aucun cas être pris pour une
organisation internationale ou intergouvernementale. Il s'en distingue
très nettement par le fait que celles là ne détiennent que
des compétences fonctionnelles, étroitement circonscrites
à la réalisation de leurs objets et de leurs buts.
I.3.2 IMPLICATIONS JURIDIQUES
DE L'ETAT MULTINATIONAL
A. LA CAPACITE DE PRODUIRE
DES ACTES JURIDIQUES INTERNATIONAUX
Il s'agit là d'un corolaire de l'existence de la
souveraineté au profit de l'Etat. Pace qu'il est sujet de droit
international, l'Etat multinational prendra des actes juridiques
internationaux.
Comme nous le révèle Pierre-Marie Dupuy, lorsque
l'on veut juger de la personnalité juridique internationale d'une
entité dont le caractère d'Etat souverain pourrait être
éventuellement mis en cause, la question de savoir si elle a
déjà pratiquement usé de la capacité de contracter
internationalement, c'est-à-dire de passer des traités,
apparaît comme un test déterminant17(*).
B. LA CAPACITE DE SE VOIR
IMPUTER DES FAITS ILLICITES INTERNATIONAUX
C'est cette capacité qui pourra éventuellement
engager la responsabilité internationale de l'Etat multinational, de
même que celle de lui demander réparation des conséquences
dommageables d'un fait illicite, commis par un Etat tiers et l'ayant
affecté directement ou indirectement dans le chef d'un de ses
ressortissants.
C. LA CAPACITE D'ACCES AUX
PROCEDURES CONTENTIEUSES INTERNATIONALES
L'Etat multinational devra être capable d'accéder
aux juridictions internationales et aux organes de règlement pacifique
des différends sur le plan diplomatique.
D. LA CAPACITE DE DEVENIR
MEMBRE D'UNE ORGANISATION INTERNATIONALE
Cette capacité implique aussi celle de participer
pleinement à la vie des organisations internationales.
E. LA CAPACITE D'ETABLIR
DES RELATIONS DIPLOMATIQUES
L'Etat multinational devra être capable d'établir
des relations diplomatiques et consulaires avec les autres Etats. Le droit de
légation comporte, d'après Dupuy, deux aspects : d'abord la
légation active, permettant l'envoi de représentants
diplomatiques auprès d'Etats étrangers, ensuite la
légation passive, résidant dans la possibilité de recevoir
les représentants diplomatiques des puissances
étrangères18(*).
I.3.3. L'ETAT MULTINATIONAL
FACE AU DROIT CONSTITUTIONNEL CLASSIQUE
Entant qu'Etat moderne, l'Etat multinational devra se
conformer à certains principes généraux du droit
constitutionnel classique (A).
Cependant, puisque la multinationalité doit introduire
une nouvelle façon de vivre l'Etat lorsque les frontières
nationales et les frontières politiques ne coïncident pas, l'Etat
multinational présentera dans son ordonnancement juridique interne une
certaine originalité face au droit constitutionnel classique (B).
A. SA CONFORMITE
Si les africains optent pour la construction de la
multination, ils ne doivent pas s'écarter des principes
généraux qui forment à l'heure actuelle les bases, sinon
l'architecture même du droit constitutionnel moderne. Parmi ces
principes, l'on peut citer notamment la séparation des pouvoirs,
l'alternance démocratique au pouvoir, le contrôle de la
constitutionnalité des lois, le respect des droits humains et des
libertés fondamentales etc.
B. SON ORIGINALITE
Dans un article qu'il a publié dans le monde
diplomatique,19(*) en
septembre 2000, le professeur Mwayila Tshiyembe pose quelques uns des principes
plus ou moins nouveaux qui doivent sous-tendre le fonctionnement de
l'Etat-multinational.
Nous nous évertuerons à les énoncer ici
le plus fidèlement possible sans manquer d'en dégager
succinctement la portée et d'en entrevoir les conséquences sur le
plan de droit.
LE PLURALISME JURIDIQUE
« A l'opposé de l'Etat-nation, qui a le
monopole de production du droit, la nature plurinationale des
sociétés africaines les a poussées à inscrire dans
l'acte de fondation de l'Etat multinational les deux espaces autonomes de
production du droit : l'espace étatique (lieu de production du
droit général) et l'espace national ou ethnique (lieu de
production du droit particulier) ».
Dans le pluralisme juridique, l'on est face à deux
espaces juridiques distincts qui sécrètent des normes devant
s'appliquer sur un même sujet en fonction des situations
différentes. L'éventualité d'un conflit pourra être
contournée par des mécanismes d'exclusion de telle situation
factuelle du champ d'application de telle norme relevant de tel espace
juridique.
Il est donc clair qu'en instituant le pluralisme juridique,
l'individu - sujet de droit de l'Etat multinational - sera sollicité par
l'un ou l'autre de ces deux espaces en fonction des types d'activités
qu'il aura à y exercer et du statut qu'il va y revendiquer.
Un tel mécanisme aura le mérite de
réhabiliter les droits coutumiers africains et de substituer le droit de
fondation aux droits de minorité mal exploités par les politiques
du continent.
LA DOUBLE REPRESENTATIVITE
ET LA SOUVERAINETE PARTAGEE
« Puisque la multination représente une
autre façon de vivre l'Etat lorsque l'unité politique ne se
confond pas avec l'unité nationale, elle met en mouvement :
D'une part, le principe de la double
représentativité des nations et des citoyens en tant
qu'entités distinctes ;
D'autre part, le principe de divisibilité de la
souveraineté ou souveraineté partagée, ce partage se
réalisant au profit soit des nations et des citoyens sur le plan
interne, soit des Etats sur le plan externe ».
La double représentativité suppose de
considérer les nations et les citoyens comme deux entités
distinctes. La première entité (la nation) sera
représentée auprès de l'Etat-multinational. La seconde (le
citoyen) sera représentée au sein de sa nation respective.
Cependant, une question pertinente pourra surgir au seuil des
consciences : celle de savoir à qui devra revenir la
souveraineté. A la nation ou à l'Etat ?
Et si, sans être radical on divisait cette
souveraineté ? Cette solution nous semble cohérente et tout
à fait logique.
La divisibilité de la souveraineté doit se
comprendre aisément si l'on se place à deux niveaux :
Au niveau interne où chaque nation sera souveraine face
à d'autres nations qui ne sauront ni s'ingérer dans ses affaires
intérieures ni lui imposer une ligne de conduite.
Au niveau externe où l'Etat multinational brandira sa
souveraineté dans l'ordre juridique international.
Le partage de la souveraineté constituera aussi une
réconciliation de la tradition avec la modernité consistant par
exemple à l'attribution à la chefferie de compétences en
matière d'état civil, de santé primaire,
d'éducation de base, de développement rural etc.
LA CITOYENNETE A
POLARISATION VARIABLE
« A la différence de l'Etat-nation,
l'Etat-multinational ne s'approprie pas les citoyens, qui, là suscitent
l'Etat, désignent et destituent des gouvernants selon les règles
communément acceptées. Partant de l'inversion de cette relation
dialectique, la citoyenneté est à polarisation
variable ».
Par citoyenneté à polarisation variable, il faut
entendre la possibilité offerte aux individus, membres des
sociétés pluriculturelles et pluri ethniques d'avoir plusieurs
identités : ethnique et régionale (liée à
l'appartenance) ; nationale (octroyée par l'Etat), continentale
(accordée à titre d'exemple par l'Union Européenne aux
ressortissants des Etats-membres).
LA MODERATION DE LA
DEMOCRATIE MAJORITAIRE
« Dans les sociétés
traditionnelles, la faillibilité des majorités est l'un des
principes cardiaux de la gouvernance. Sa réhabilitation doit corriger la
démocratie à l'occidentale conçue comme pouvoir de la
majorité... Il ne s'agit pas d'empêcher une majorité
dégagée des urnes de gouverner, mais de séparer le pouvoir
des gouverner du pouvoir de contrôle de la gestion gouvernementale. La
majorité exerce le premier, l'opposition parlementaire le
second ».
Il s'agit là d'une véritable révolution
juridique évoluant à contre-courant de la démocratie
majoritaire. En fait, si l'on analyse objectivement la maxime
« démocratie égal pouvoir de la
majorité », on ne manque pas d'y relever une charge
métaphysique. En effet, l'échec d'un camp aux élections ne
traduit pas son rejet par la totalité du corps électoral. Il
s'agit en réalité de son élection par une partie de
l'électorat, laquelle partie n'est pas majoritaire. Le fait de
procéder classiquement en accordant au gagnant - même s'il n'a
obtenu que 51% des voix- tout le pouvoir révèle un certain
irréalisme. Si par contre l'on traduisait les résultats des urnes
en « qui gagne plus gouverne plus, qui gagne moins gouverne
moins » ou en « qui gagne plus gouverne, qui gagne moins
contrôle », l'on serait plus proche de la
réalité.
A travers une telle modération, la minorité
pourra se limiter à exercer le contrôle exclusif de l'exercice du
pouvoir par la majorité au lieu que les membres de cette majorité
le fassent concurremment avec ceux de la minorité. Les africains
pourraient ainsi éviter l'inéliminable « auto
contrôle » que constitue le contrôle du gouvernement par
les députés majoritaires d'où est issu le premier
ministre.
Il ressort des développements précédents
que l'Etat-multinational peut fournir sur un plan stratégique, un
modèle idéal - type de la reconfiguration juridique et
conceptuelle des sociétés africaines si celles-ci veulent non
seulement s'unifier autour d'une même organisation politique mais aussi
s'inscrire au pas de la marche du monde.
Néanmoins, si l'Etat multinational apparaît
adéquat à l'option de la construction d'un Etat à
l'échelle continentale africaine, une question subsiste : les
africains peuvent-ils aisément effectuer à l'heure actuelle ce
périlleux passage de l'inter étatisme qui les
caractérisent vers un supra étatisme aussi révolutionnaire
que l'Etat multinational ?
Répondre à cette question revient à
mettre en épreuve l'hypothèse de la construction de l'Etat.
Aussi, réservons-nous le chapitre suivant à l'analyse objective
des enjeux actuels d'une telle entreprise.
CHAPITRE II : LA
CONSTRUCTION DE L'ETAT MULTINATIONAL : ENJEUX ET PERSPECTIVES
Après avoir démontré la
nécessité d'établir une rupture avec la conception
occidentale de l'Etat-nation si l'on veut bâtir les Etats - Unis
d'Afrique par la mise place d'un Etat, nous avons esquissé la
configuration juridique et institutionnelle qu'il convient de donner à
la multination en évoquant les principes qui la sous-tendent. Cependant,
la démonstration et l'esquisse précédentes ne semblent pas
suffire. Des questions subsistent :
S'il est vrai que l'Etat multinational est le modèle
idéal - type adéquat à l'Afrique, de quels enjeux faut-il
tenir compte si l'on veut tenter de la mettre en place ?
Les africains peuvent-ils aisément opérer
aujourd'hui le périlleux passage de l'inter étatisme qui les
caractérise vers un supra étatisme aussi révolutionnaire
que la Multination ?
Répondre à ces questions revient à mettre
en épreuve l'hypothèse de l'Etat multinational. C'est à ce
travail que nous allons nous atteler tout au long du présent
chapitre.
II.1. LES ENJEUX
Les enjeux de la mise en place de l'Etat multinational peuvent
être d'ordre juridique et opérationnel. Les enjeux juridiques sont
relatifs aux problèmes techniques qui peuvent se poser lors de la
construction d'un Etat supra national. Les enjeux d'ordre opérationnel
sont relatifs à des problèmes pragmatiques posés par des
facteurs non juridiques.
II.1.1. LES ENJEUX
JURIDIQUES
A. LE PROBLEME DE LA SUCCESSION D'ETATS
La mutation étatique qui interviendra à la suite
de la mise en place d'un Etat multinational en Afrique consistera en la fusion
d'Etats. Il existe un précédant historique d'une telle
entreprise. Il s'agit de la réunion de la République
Démocratique Allemande et de la République Fédérale
d'Allemagne le 3 octobre 1990.
Hormis le précédant sus
évoqué, le problème de succession d'Etats n'est
perçu par les doctrinaux qu'en terme de dislocation ou d'annexion mais
rarement en terme de réunion ou de fusion.
Disons avec Dupuy que d'une façon plus
générale, la substitution d'un Etat à un autre dans la
responsabilité des relations internationales d'un territoire pose
fondamentalement trois ordres de question :
En premier lieu, la succession affecte directement la
condition des particuliers sis sur ce territoire.
En second lieu, elle a une incidence directe sur le droit
public interne applicable dans le territoire concerné. Enfin, la
succession d'Etats a un certain nombre d'incidences sur l'ordonnancement
juridique international, particulièrement sur la relation du nouvel Etat
avec les autres20(*).
Les problèmes posés par la substitution d'un
ordre juridique à un autre sont le plus souvent abordés sans
esprit de système, dans un sens généralement pragmatique.
La question proprement juridique de savoir dans quelle mesure l'Etat
prédécesseur cèdera ses prérogatives à
l'Etat successeur ne reçoit dès lors pas de réponse de
principe. Deux thèses s'affrontent à ce niveau : d'une part,
celle des tenants du principe de la continuité absolue qui
préconisent un transfert intégral des obligations du
prédécesseur au successeur ; d'autre part celle des tenants
de la table rase qui veulent que les Etats discutent et trouvent un consensus
autour de ce que Dupuy appelle la « successibilité »
des obligations.
Dans le cas sous examen, il faut remarquer que la
particularité de la création de l'Etat multinational africain
réside dans le fait qu'elle implique la substitution d'un nouvel Etat
à cinquante-trois Etats post coloniaux souverains. L'enjeu d'une telle
tâche réside dans l'unification d'une diversité d'Etats
souverains conditionnés chacun par un contexte propre et ayant chacun
pris une part active sur la scène internationale.
Contrairement à la succession classique d'Etats
réglementée par la convention de Vienne de 1978, le cas de l'Etat
multinational africain est particulier au sens où en amont, on ne sait
pas identifier l'Etat successeur et on a du mal à appliquer le principe
du maintien des conventions à son égard, celui-ci n'apparaissant
qu'en aval. Eut égard à ce qui précède, plusieurs
problèmes se poseront donc inévitablement aux africains :
Le premier problème posé par les droits acquis
des particuliers ne sera pas difficile à solutionner. En effet, le
pluralisme juridique et la souveraineté partagée (cfr supra)
permettront de résoudre les difficultés très majeures
engendrées par la coexistence de deux ordres juridiques successifs.
Toutefois, le régime des droits publics acquis avant
doit être tel que ceux-ci ne soient pas opposables au nouvel Etat
multinational alors que celui des droits privés acquis doit laisser
ceux-ci intacts (droits de fondation).
Le second problème, et le plus délicat, est
celui de la succession des Etats aux dettes. L'Etat multinational africain
devra-t-il succéder aux Etats post coloniaux tant dans l'actif que dans
le passif ?
Répondre à l'affirmative reviendrait à
s'inscrire dans une logique de solidarité et faire peser la somme des
dettes des Etats africains sur les contribuables du continent pris
collectivement alors que le niveau d'endettement de leurs Etats respectifs
n'était pas le même avant la fusion.
Répondre négativement reviendrait à
reconduire la situation antérieure en imputant à chaque portion
des contribuables le montant de la dette extérieure de l'Etat dont ils
ont été ressortissants avant la fusion. Une telle approche nous
semble quelque peu récessive et antinomique à toute idée
de progrès.
Répondre à l'affirmative serait plus avantageux.
Quoiqu'en succédant aux dettes des Etats post coloniaux, l'Etat
multinational sera ipso facto le pays le plus endetté de la
planète, il aura en compensation un nombre plus grand de contribuables
et par conséquent pourra plus facilement endiguer sa dette.
B. LA SOUVERAINETE PARTAGEE FACE AUX
SOUVERAINISTES CONSERVATEURS
La souveraineté partagée, un des principes de la
multination, implique une espèce de dépossession de l'Etat post
colonial d'une portion de sa souveraineté au profit de l'Etat
multinational. Tout l'enjeu de la construction de l'Etat multinational semble
résider dans ce passage de l'inter étatisme au supra
étatisme ; lequel passage aura comme conséquence logique
l'empiètement par la multination d'un terrain réservé
traditionnellement à l'Etat post colonial.
Aussi, le premier obstacle auquel risquent de se heurter les
africains s'ils optent pour la mise en place d'un Etat multinational serait la
persistance des Etats souverains à ne pas adhérer à toute
forme de concession allant dans le sens de les dépouiller d'une partie
de leur souveraineté.
En effet, l'Etat africain post colonial n'a qu'une
souveraineté juridique. Il a du mal à se débarrasser de
cette dernière qui reste le seul refuge de son impuissance en relations
internationales. Il se contente de brandir sans gène cette pseudo
souveraineté qui camoufle assez mal sa fragilité au lieu de
s'hasarder dans toute forme de partage de souveraineté qu'il
conçoit mal.
Aussi, certains chefs d'Etats africains vont-ils
jusqu'à reprocher aujourd'hui à la Jamahirya libyenne de vouloir
dominer l'Afrique simplement puisque le projet Etats - Unis d'Afrique tient
à coeur le Guide Mouammar Kadhafi. Dans un tel contexte de
méfiance, comment réussir à mettre en place une double
représentativité ou un pluralisme juridique ?
Que faire pour pallier à cet obstacle qui, même
s'il n'affecte pas la pertinence et l'adéquation de l'Etat-multinational
en Afrique, rend tout de même sa construction délicate
aujourd'hui ?
II.1.2. ENJEUX
OPERATIONNELS
A. ETATS FRAGILES D'AFRIQUE ET
SUPRAETATISME
Un autre obstacle auquel risquent de se heurter les africains
s'ils optent pour la mise en place d'un Etat multinational serait la
fragilité de la plupart des Etats africains postcoloniaux. Cette
fragilité risque d'avoir pour conséquence de faire de l'Etat
multinational un assemblage disparate des Etats faibles alors que la
qualité du tout dépend de celle de ses parties.
Puisque la multination n'implique pas une appropriation par
l'Etat de tous les problèmes locaux, le renforcement des Etats qui vont
la composer apparaît comme une nécessité car tous les
problèmes de proximité n'appelleront pas des interventions de la
multination au risque d'alourdir le système et de le rendre
inefficace.
Ainsi, chaque Etat africain postcolonial devra, avant la mise
en place de l'Etat multinational, avoir atteint un certain degré de
capacité d'auto régulation et une intériorisation
suffisante des principes de droits humains et des libertés
fondamentales.
Qu'en est-il actuellement ? La majorité des Etats
africains est aujourd'hui à ses premières expériences
démocratiques au sortir - le plus souvent - des longs régimes
dictatoriaux ou des sanglantes guerres civiles. D'autres tels que
l'Algérie, le Zimbabwe, le Congo Brazza et récemment encore le
Gabon, continuent à être dirigés de main de maitre par des
dictateurs intransigeants.
Dans d'autres pays plus ou moins démocratiques, la
classe politique au pouvoir n'est souvent pas capable d'anticipation et ne peut
pas résoudre les problèmes urgents qui se posent dans ces pays et
dont la survie des gouvernés dépend.
C'est par exemple le cas de la République
Démocratique du Congo qui est encore à un stade de balbutiement
démocratique, dont l'armée est loin d'être
républicaine, dont le tissu économique est délabré
et dont l'organe judiciaire n'est qu'une étoffe sèche que la
corruption brûle à petit feu.
C'est aussi le cas du Zimbabwe où tout l'espace
politique est verrouillé par un individu qui risquerait tout pour se
consolider au pouvoir.
Que dire de cette Mauritanie ou de cette Guinée
où chaque gradé de l'armée rêve de devenir Chef de
l'Etat un jour quel qu'en soient les moyens ? Ou de l'Algérie et
du Niger où Bouteflika et Tanja n'ont d'autres tâches que de
tailler les constitutions de leurs pays à leurs mesures ? Ou encore
de la jungle Tchadienne où les opposants disparaissent nuits et
jours ?
En sus, faut-il bâtir l'Etat multinational sur les
ruines de l'Etat post colonial ? C'est-à-dire sur la vie
chère, sur le paludisme, sur les changements anticonstitutionnels de
régime, sur les guerres civiles ? Où serait le
progrès dans ce cas ?
B. LES INELIMINABLES ALEAS
Au-delà des problèmes techniques relevés
plus haut, il existe divers autres obstacles qui, à l'heure actuelle
rendent aléatoire la réussite de l'entreprise de construction de
l'Etat multinational.
D'abord, une entreprise aussi ambitieuse que la mise en place
d'un Etat multinational en Afrique nécessite la mobilisation des
ressources humaines et matérielles considérables. Pourtant, les
Etats africains à maigres budgets apparaissent comme des mauvais
contribuables au sein de l'Union Africaine. Le manque de moyens financiers
serait-il la fin de non - recevoir de la construction de l'Etat
multinational ? Faut-il imaginer un plan Marshal pour l'Afrique ?
Ensuite, l'option de l'Etat multinational ne doit pas en
principe s'imposer par la force comme le suggère le professeur
Tshiyembe. Le système référendaire devrait permettre aux
africains de s'approprier du projet Etats - Unis d'Afrique en leur laissant
le moyen de se prononcer sur la question.
Eu égard à ce qui précède, le
projet devient susceptible d'être accepté ou non.
Enfin, la mis en place de l'Etat multinational ne doit pas se
décréter. Certains des principes qu'elle implique
nécessitent une expérimentation préalable. Quoique l'on
puisse supputer à l'avance les effets de la multinationalité, il
est très difficile de prévoir ce qu'un tel système peut
donner au fil du temps.
Nous venons d'examiner ci - haut les enjeux juridiques et
opérationnels de la mise en place de l'Etat multinational. Il reste
à entrevoir les perspectives d'une telle entreprise.
II. PERSPECTIVES
Après avoir démontré
l'intelligibilité et toute l'adéquation de l'Etat multinational
au continent africain si celui-ci veut s'unir politiquement et juridiquement,
nous avons examiné les enjeux de la mise en place d'un Etat
multinational en Afrique. Un tel examen avait pour but de mettre en
épreuve l'option de l'Etat multinational afin de voir si une telle
option est susceptible de réussir au stade actuel.
Il ressort des développements ci - hauts que l'Etat
multinational reste le modèle idéal type d'unification de
l'Afrique dans sa pluri identité ethnique et culturelle.
Cependant, la lecture des enjeux d'une telle tâche nous
a laissé quelque peu perplexe. Proposer une telle entreprise aux
dirigeants africains à l'heure actuelle, avons - nous pensé,
serait trop leur demander et les pousser sur un terrain glissant où les
aléas sont encore trop nombreux.
La mise en place de la multination africaine ne serait
envisageable que :
1. Si les juristes africains réussissent à
proposer aux politiques des moyens techniques clairs capables de
résoudre les problèmes de la succession d'Etats qui se poseraient
si l'on tentait de mettre en place un Etat multinational ;
2. Si les Etats africains acceptent les implications tant
juridiques que politiques de la multinationalité ;
3. Si les Etats africains post coloniaux atteignent un niveau
plus acceptable de développement ;
4. Si les africains réussissent à disponibiliser
des moyens financiers à la hauteur de la tâche ;
5. Enfin, si l'intelligentsia du continent réussit
à cerner tous les contours tant institutionnels, juridiques que
politiques de la multination.
Tels sont les résultats qui ressortent des
développements précédents. Ceci nous amène
à falsifier notre première hypothèse d'après
laquelle les Etats - Unis d'Afrique pourraient se bâtir à l'heure
actuelle par la mise en place d'un Etat panafricain.
En effet, il ressort des analyses
précédentes que l'Etat multinational apparaît comme un des
modèle - type d'organisation politique susceptible de concrétiser
l'unité de l'Afrique dans sa diversité. Cependant, les enjeux de
la mise en place de la multination telle qu'examinés plus haut ont
démontré qu'à l'heure actuelle il n'est pas envisageable
de décréter une telle entreprise.
DEUXIEME PARTIE
LA RENOVATION DE LA GOUVERNANCE REGIONALE
CHAPITRE III : L'UNION AFRICAINE ET LES DEFIS DE
LA GOUVERNANCE REGIONALE
CHAPITRE IV : LA REFORME DE L'UNION
AFRICAINE : ENJEUX ET PERSPECTIVES
O. INTRODUCTION
La deuxième hypothèse de notre recherche voit
dans la rénovation de la gouvernance régionale de type Union
Africaine, une stratégie pouvant aboutir à la réalisation
des Etats - Unis d'Afrique. En 1999 déjà, c'est faute de pouvoir
ériger les Etats - Unis d'Afrique sous l'impulsion de Kadhafi que les
Chefs d'Etats du continent se contentent de la transformation de l'Organisation
de l'Unité Africaine en Union Africaine.
Cependant, malgré ce léger dosage, Kadhafi ne
renonça pas à son projet. Il le remit sur la table notamment
à l'occasion du sommet de l'Union Africaine qui s'est tenu à
Accra en 2007. Il a fallu attendre jusqu'en février 2009, pour qu'un
compromis soit trouvé autour de la question qui a longtemps
divisé la classe politique africaine.
En effet, lors du 12e sommet de l'Union Africaine
qui s'est tenu du 1er au 3 février 2009 à Addis-Abeba,
les Chefs d'Etats se sont mis d'accord sur la transformation de la Commission
de l'Union Africaine en une Autorité de l'Union Africaine plus puissance
d'ici 2012 avant qu'en 2017 soient jetées les bases des Etats - Unis
d'Afrique.
Ce plan d'Addis-Abeba s'articule autour de trois phases. La
première prévoit la transformation des structures actuelles de
l'Union Africaine et s'étaleraient jusqu'en 2012. La seconde
prévoit la mise en place d'un exécutif continental et
s'achèverait en 2016. Enfin, la troisième, fixée en 2017,
prévoit l'organisation d'une conférence qui jettera les bases des
Etats - Unis d'Afrique.
Malgré ce consensus, la présente partie de ce
mémoire se donne pour ambition, d'étudier les tenants et les
aboutissants d'une telle option. Elle se propose de déterminer quels
genres de modifications substantielles il faut effectuer dans l'architecture de
l'union africaine au delà des changements Superficiels à apporter
sur les titres des organes si l'on veut vraiment réaliser les Etats -
Unis d'Afrique (Chapitre III).
Plus stratégique, la présente partie examinera
en plus les enjeux et les perspectives d'une telle démarche afin de
mettre réellement en épreuve l'hypothèse d'après
laquelle les Etats - Unis d'Afrique pourraient se construire en partant de la
rénovation de la gouvernance régionale existante (Chapitre
IV).
CHAPITRE III : L'UNION
AFRICAINE ET LES DEFIS DE LA
GOUVERNANCE REGIONALE
A Lomé au Togo, le 12 juillet 2000, une page de
l'histoire de l'Afrique s'est tournée. Ce jour là, lors du sommet
des Chefs d'Etats, les africains adoptèrent l'acte constitutif de
l'union qui vint sonner le glas de l'Organisation de l'Unité Africaine
dont les structures institutionnelles étaient devenues vétustes.
L'adoption de l'acte constitutif a été un
véritable changement de cap dans l'orientation de la gouvernance
régionale du continent. L'acte constitutif est venu refondre
l'architecture de sa devancière afin de lui donner une forme plus
adaptée aux temps actuels à travers des métamorphoses
juridiques et institutionnelles non négligeables.
Cependant, si la reconfiguration de l'Organisation de
l'Unité Africaine et sa transformation en Union Africaine sont
aujourd'hui un acquis, il ne serait pas déraisonnable de se demander
dès à présent si l'Union Africaine ne porte pas en elle
des éléments dysfonctionnels qui, agissant sur elle comme des
pesanteurs, l'empêcheraient de décoller vers l'intégration
politique du continent.
L'architecture de l'Union Africaine et son fonctionnement
actuels sont-ils conformes à un réel besoin
d'intégration ?
Répondre à ces questions reviendrait à
cibler les variables sur lesquelles il faudrait agir si l'on veut
rénover l'Union Africaine et la canaliser vers les Etats-Unis d'Afrique.
C'est ce qui fera l'objet du présent chapitre.
III.1. LE CADRE DE
FONCTIONNEMENT DE L'UNION AFRICAINE
Loin de chercher à interpréter tous les articles
de l'acte constitutif de l'Union Africaine, nous examinerons très
succinctement son cadre de fonctionnement en survolant successivement ses
objectifs, ses principes directeurs et l'étendue des compétences
de chacun de ses organes sans manquer d'en dégager une
hiérarchie.
III.1.1. LES OBJECTIFS DE
L'UNION
A l'article 3 de son acte constitutif, l'organisation se
propose de réaliser l'unité du contient. Elle
décide expressément de relever les défis lancés
par les conflits inter étatiques qui sévissent en Afrique.
Dans le même article, elle se propose d'accélérer
l'intégration politique et socio économique du contient et
à l'alinéa L de coordonner et d'harmoniser les politiques
entre les blocs d'intégration économique.
On lit ci-dessus la prise de conscience par les africains de
la nécessité de s'unir. L'époque où ils
étaient résolus à sauvegarder et à consolider
l'indépendance et la souveraineté ainsi qu'à combattre le
néo colonialisme semble révolu et laisse la place à la
vision commune d'une Afrique Unie.
Les conflits inter et intra étatiques étant
devenus le lot quotidien de l'Afrique, les Chefs d'Etats les proscrivent et
s'accordent à relever les défis qu'ils leur lancent.
III.1.2. LES PRINCIPES DE
L'UNION
Ces principes sont énoncés à l'article 4
de l'acte constitutif. A ce niveau, il convient de relever un certain dosage du
principe de non ingérence au profit des nouveaux concepts
d'interdépendance et l'auto dépendance collective. C'est
en vue de la mise en oeuvre de cette interdépendance et de cette auto
dépendance collective qu'à l'alinéa P sont
érigées la condamnation et le rejet des changements
anticonstitutionnels des gouvernements ainsi que les droits des Etats -
membres de solliciter l'intervention de l'union pour restaurer la paix et la
sécurité.
III.1.3. LES ORGANES DE
L'UNION ET LEURS COMPETENCES
A. LES ORGANES
L'acte constitutif de l'union a institué huit organes
à savoir :
1. La conférence de l'union,
2. Le conseil exécutif,
3. Le parlement panafricain,
4. La cour de justice,
5. La commission de l'Union,
6. Le comité des représentants permanents,
7. Le conseil économique, social et culturel
8. Les institutions financières.
Ce qui frappe au premier coup d'oeil ici, c'est le nombre
élevé d'organes. En plus, il faut noter que le nombre d'organes
n'est pas limitatif, il peut varier à l'infini puisque la commission
peut décider d'en créer d'autres au besoin (article 5.2)
B. LES COMPETENCES
- La conférence de l'union
Organe représentatif des Etats-membres, il est sans
conteste l'organe suprême de l'Union (article 6,2).
La conférence est composée des Chefs d'Etats et
de gouvernements ou de leurs représentants dûment
accrédités. En plus de définir la politique de
l'organisation, elle détient un grand nombre de pouvoirs sur d'autres
organes.
Ainsi, elle nomme et révoque le juge de la cour de
justice (article 9 h), donne des directives au Conseil Exécutif (article
9 g), nomme tous les membres de la commission, détermine leurs pouvoirs
et leurs attributions ainsi que les règlements qui les régissent
(article 9 i et 20.3). La conférence détermine les pouvoirs et
attributions du Conseil économique, social et culturel (article 22.2) et
peut restructurer les Comités techniques spécialisés
existant ou en créer d'autres (article 14.2)
- Le conseil exécutif
Organe représentatif des Etats, il est composé
des Ministres des affaires étrangères. Il vient juste
après la conférence dans la hiérarchie des organes de
l'union.
C'est lui qui a la maîtrise sur les comités des
représentants permanents auxquels il donne des instructions (article
21.2) et sur les comités techniques spécialisés auxquels
il peut déléguer certains pouvoirs (article 13.3) et qui
attendent de lui des directives.
- La commission de l'Union
Organe permanent et représentatif de l'organisation.
Elle est composée d'un président, d'un vice - président et
des commissaires.
Elle détient une parcelle de pouvoir que la
conférence veut bien lui conférer. En réalité, son
rôle n'est pas très différent de celui du
secrétariat général de l'Organisation de l'Unité
Africaine.
- Le parlement panafricain
Organe consultatif de l'union, il
est composé des députés issus des parlements des Etats -
membres. Il se contente d'une infime parcelle de pouvoir de recommandations
sans force obligatoire.
- Les comités techniques spécialisés
Les comités techniques spécialisés sont
composés des ministres et des hauts fonctionnaires ressortissants des
Etats-membres. Ils oeuvrent sous la direction du conseil exécutif.
- La cour de justice
C'est l'organe judiciaire de l'union. Quoique son existence
révèle une avancée par rapport à l'Organisation de
l'Unité Africaine, il ne faut y voir concrètement qu'un acquis
symbolique.
- Les institutions financières
Leur création, prévue par l'acte constitutif
devrait se faire sur base d'un protocole y afférent que devait adopter
la conférence de l'union.
- Le conseil économique, social et culturel
Il est composé des représentants des couches
socio professionnelles des Etats. Ses pouvoirs et ses attributions sont
déterminés par la conférence de l'union.
III.2. LES ELEMENTS
DYSFONCTIONELS DE L'UNION AFRICAINE
La présente section est consacrée à
l'examen des éléments dysfonctionnels de l'Union Africaine. Un
tel examen est d'autant plus important qu'on ne peut pas proposer des
réformes pertinentes à l'Union Africaine sans en avoir
descellé au préalable des insuffisances.
En effet, en parcourant l'acte constitutif de l'union, l'on a
du mal à concilier les objectifs que l'organisation s'est
assignée avec son cadre de fonctionnement et la répartition des
compétences entre ses organes.
Examinons cela de plus près :
III.2.1. LES LARGES POUVOIRS
DE LA CONFERENCE ET DU CONSEIL EXECUTIF : PERSISTANCE DE L'INTER ETATISME
D'entrée de jeu, il faut rappeler que la
conférence des Chefs d'Etats et le conseil exécutif sont des
organes représentatifs des Etats-membres au sein de l'organisation. La
première est composée des Chefs d'Etats, le second des Ministres
des affaires étrangères des Etats- membres.
Clé de voute de l'union, la conférence
détient des prérogatives exorbitantes. Elle en confie d'autres au
conseil exécutif qui reçoit d'elle des directives dans l'exercice
de ses compétences.
Qu'est-ce qui justifierait cette suprématie de la
conférence et du conseil exécutif (son bras) sinon le fait qu'ils
soient tous les deux représentatifs des Etats ?
Une telle hiérarchisation traduit cette position
inconfortable dans laquelle se trouvent aujourd'hui les Etats africains. En
effet, ils sont coincés entre d'un côté la
nécessité de s'unir qui a pour corolaire une espèce de
cession partielle de souveraineté et d'un autre le besoin de conserver
jalousement leurs souverainetés respectives. Ceci explique
l'étendue trop vaste de la marge de manoeuvre dont
bénéficient les Chefs d'Etats à travers les larges
pouvoirs qui leur sont confiés collectivement par l'article 9 de l'Acte
constitutif.
Le fait que le Conseil exécutif détienne une
certaine maîtrise sur les comités techniques et les comités
des représentants permanents ne doit guère gêner les chefs
d'Etats qui peuvent lui donner des directives. Apres tout, n'est il pas
composé des ministres qu'ils peuvent aisément contrôler
(article 9.g).
Cette quasi complicité qui s'établit entre la
Conférence et le Conseil exécutif a pour conséquence de
marginaliser la commission en la plaçant à l'écart du
cercle réel des décisions de l'Union. Elle se retrouve dans une
espèce de subordination, tant et si bien qu'elle ne diffère
guère du Secrétariat général de l'Organisation de
l'Unité Africaine qui n'avait pas de rôle plus grand que celui
d'un greffier d'exécution dans un tribunal.
III.2.2. LA MONSTRUOSITE DU
PARLEMENT PANAFRICAIN
A la lecture de l'Acte Constitutif de l'Union Africaine, l'on
ne manque pas d'être agréablement frappé par le fait que ce
dernier ait organisé la participation des peuples africains au
fonctionnement de l'union. Une telle disposition semblait se cristalliser
notamment dans le Parlement panafricain.
Cependant, en compulsant minutieusement l'Acte Constitutif,
l'on ne manque pas de relever la monstruosité du Parlement panafricain.
Une telle monstruosité ressort du mode de désignation de ses
membres, de sa place dans l'architecture de l'Union Africaine et de ses
pouvoirs.
D'abord, le mode de désignation de ses membres pose un
double problème à savoir :
Même si les parlements des Etats-membres sont
associés dans la désignation des parlements panafricains, il
faut remarquer cependant qu'une telle procédure fait primer des
considérations d'ordre politique et laisse aux Etats le pouvoir de
contrôle sur ces ``députés africains''.
En plus, puisque ces ``députés'' n'ont pas
reçu directement leurs mandats du peuple, ils ont, une fois au pouvoir,
du mal à entrer en contact avec la basse. Ils en sont tellement
éloignés que celle-ci les ignore purement et simplement. La
procédure de cooptation constitue la négation même de la
participation des peuples africains au fonctionnement de l'Union.
Ensuite, la place du parlement panafricain dans l'architecture
de l'Union soulève un problème juridique. L'acte constitutif de
l'Union qui trace le cadre de fonctionnement de l'organisation en
déterminant les pouvoirs des organes et leurs rapports se contente de
renvoyer la mise en place du Parlement panafricain à un protocole y
afférent sans en déterminer les pouvoirs. Ainsi, il l'exclut
simplement du circuit. Pourtant, on peut lire dans l'acte Constitutif une
séparation des pouvoirs entre un exécutif triarchique
(conférence, conseil exécutif et commission) et un pouvoir
judiciaire (cour de justice). Le pouvoir législatif ne ressort pas
très clairement car la conférence des présidents semble le
détenir (adoption de l'acte constitutif, des protocoles etc.).
Face à cette situation, une question mérite de
se poser : celle de savoir quelles sont les attributions du parlement
panafricain si l'acte Constitutif lui enlève expressément ses
pouvoirs traditionnels ?
L'article 17.2 ne se limite qu'à renvoyer la
définition de la composition, des pouvoirs et des attributions dudit
parlement à un protocole y afférent.
Juridiquement, les actes de création d'une organisation
internationale ont des aspects constitutionnels. Pour Nguyen Quoc Dihn, il
s'agit de traités d'un type particulier qui ont pour objet de
créer des sujets de droit nouveaux21(*). Il ajoute par ailleurs que les organisations
internationales sécrètent un ordre juridique
hiérarchisé dont le sommet est occupé par leurs chartes
constitutionnels [et que] leurs organes n'ont compétence qu'en vertu de
l'habilitation contenue dans le traité de base et dans les limites de
cette habilitation22(*).
Il est donc clair, à la lecture de ce qui précède, que le
protocole qui a créé le Parlement panafricain - une sorte de loi
organique - ne pouvait pas modifier ou contredire l'acte constitutif.
En sus, sans céder à la tentation d'une
assimilation simpliste de l'Acte constitutif de l'Union à une
constitution de droit interne, nous constatons que le `` parlement
panafricain'' n'est pas un parlement au sens juridique du terme puisqu'au stade
de l'inter - étatisme où se trouve actuellement l'Union
Africaine, l'on a du mal non seulement à y déceler le pouvoir
législatif mais aussi à faire ressortir ne fût-ce qu'une
trace de contrôle que cet organe est susceptible d'exercer sur
l'exécutif tricéphale de l'Union.
En fin de compte, une analyse structuro fonctionnaliste peut
elle aussi permettre de révéler la monstruosité du
parlement panafricain.
En effet, considérant l'Union Africaine comme un
système, elle devait fonctionner comme un tout cohérent de telle
sorte que le dysfonctionnement d'une seule de ses composantes au moins soit
susceptible d'entraîner celui de tout le système.
Qu'n est-il réellement ? Elle a été
conçue telle qu'elle pouvait fonctionner sans gêne en l'absence de
son parlement qui d'ailleurs n'existe pas encore lors de l'adoption de l'Acte
Constitutif.
Ainsi, sans le parlement panafricain, la conférence de
l'Union peut fonctionner sans entrave avec d'autres organes en l'occurrence le
conseil exécutif et la commission. Une telle possibilité
relèverait d'une irrationalité juridique dans d'autres
systèmes.
En effet, aucun système politique, parlementaire,
présidentiel, semi présidentiel soit-il, ne peut fonctionner
sans son parlement. Même l'Union Européenne ne peut pas
aujourd'hui fonctionner sans son parlement qui détient, si pas le
pouvoir législatif strictu sensu, du moins, des larges pouvoirs
de codécision et d'avis conforme. Et d'ailleurs, lorsqu'il ne
détenait pas des telles prérogatives, le parlement
européen ne s'appelait pas ``parlement `' mais simplement
``Assemblée Européenne'' dotée seulement des pouvoirs
consultatifs23(*).
En définitive, le Parlement panafricain apparaît
dans l'Acte constitutif comme un monstre juridique qui ne relèverait que
du mimétisme institutionnel auquel certains africains en manque
d'inventivité recourent.
III.2.3. LA VIRTUALITE DE
CERTAINS ORGANES
Loin d'être tous opérationnels, certains organes
prévus par l'Acte constitutif de l'Union traduisent plus un souhait
qu'une réalité.
Sur le plan fonctionnel, il se pose un problème de
moyens matériels et humains qui doivent en principe s'ajouter aux moyens
juridiques. Il ne suffit pas de ratifier un traité créant une
institution. Aussi, faut-il lui donner corps et la doter des moyens de
fonctionnement à la hauteur de la tâche qui lui est
confiée.
La cour de justice, bien que ``créée'' par
l'Acte constitutif, reste aujourd'hui dans un état d'inactivité
très alarmant. Sa visibilité laisse à désirer.
Quant aux comités techniques spécialisés
qui constituent les bras du conseil exécutif, il faut se demander si ces
organes ont des moyens d'action qui leur permettent de déverser leurs
décisions sur les populations africaines.
Les institutions financières prévues par l'Acte
constitutif sont loin d'être toutes opérationnelles.
Nous avons survolé dans les développements
précédents, le cadre de fonctionnement de l'Union Africaine avant
d'en déceler certains éléments dysfonctionnels. En effet,
il nous a paru nécessaire d'un point de vue technique de rechercher ces
variables avant d'examiner dans le chapitre qui va suivre les enjeux de la
rénovation de la gouvernance régionale de type Union africaine
dans la perspective de la construction des Etats Unis d'Afrique.
CHAPITRE IV : LA
REFORME DE L'UNION AFRICAINE :
ENJEUX ET PERSPECTIVES
Tout au long des développements
précédents, nous avons réussi à relever les
éléments dysfonctionnels de l'Union Africaine. C'est sur ces
variables qu'il faudra agir si l'on veut rénover l'organisation pour en
faire une instance susceptible de conduire à long terme à la
construction des Etats-Unis d'Afrique. Ces éléments
dysfonctionnels sont les larges pouvoirs de la conférence et du conseil
exécutif, la monstruosité du parlement panafricain et la
virtualité des organes tels que les comités techniques et les
institutions financières.
IV.1. LES ENJEUX DE LA
REFORME DE L'UNION AFRICAINE
IV.1.1. LE PLAN D'ADDIS-ABEBA
Il faut, d'entrée de jeu, rappeler à titre
d'information qu'à l'ordre du jour du 12e sommet de l'Union
africaine tenu à Addis-Abeba du 1er au 3 février 2009,
figurait notamment la question du Gouvernement de l'Union.
A l'issue des débats à huis clos, le compromis
prévoyait que le Gouvernement panafricain ne soit pas constitué
immédiatement mais qu'à la place, la Commission de l'Union cesse
d'être un secrétariat pour devenir une Autorité. Ce plan
dit d'Addis-Abeba s'articule, autour de trois phases : la première
phase prévoit la transformation des structures actuelles des
institutions de l'Union Africaine et s'étalerait jusqu'en 2012, la
seconde prévoit la mise en place d'un exécutif continental et
s'achèverait en 2016. Enfin, le troisième, fixée en 2017,
prévoit l'organisation d'une conférence qui jettera les bases des
Etats-Unis d'Afrique.
Au sortir de ce nième compromis, une inquiétude
subsiste : au-delà des superficiel changements des titres des
organes, quels réaménagements les africains doivent-ils
opérer sur le cadre institutionnel de l'Union Africaine s'ils veulent le
concilier avec son ambition intégrationnelle ?
Avant de répondre à cette question, il convient
de rappeler que sans des réaménagements substantiels de ce genre,
le compromis trouvé par les Chefs d'Etats ne sera qu'un quart de tour
exécuté dans un cercle vicieux.
Examinons de plus près les réformes dont, il
nous semble, l'Union Africaine a besoin afin d'accélérer
l'intégration des Etats-membres au regard des éléments
dysfonctionnels que nous y avons décelés.
IV.1.2. LE REEQUILIBRAGE DES
POUVOIRS ET LE MYTHE DE LA SOUVERAINETE CONFISQUEE
A. LE RENFORCEMENT DE LA COMMISSION
En compulsant l'Acte constitutif de l'union, l'on ne manque
pas de s'apercevoir que la conférence et le conseil exécutif y
occupent une position privilégiée. Si l'Union était une
molécule, la conférence et le conseil exécutif en
constitueraient le noyau central autour duquel graviteraient la commission et
d'autres organes qui n'en constitueraient que des électrons.
Cette situation inconfortable résulterait du
caractère volontariste du droit international ; la tache de chaque
Etat étant, bien entendu, de protéger d'abord sa
souveraineté.
D'après nos analyses, une reconfiguration de la
contexture de l'Union s'avère nécessaire aujourd'hui. Mais
comment procéder à ce travail de fond sans se heurter à la
réticence des Etats-membres ?
· Fondement du renforcement de la commission
Le renforcement de la commission est constamment
évoqué par les doctrinaux qui y voient un des moyens de
renforcement de la cohésion des Etats africains. Pour Mwayila Tshiyembe,
il convient de rééquilibrer les pouvoirs de l'Union au profit de
la Commission à laquelle devrait être confiée la
tâche de gouvernance régionale, c'est-à-dire la mise en
oeuvre des décisions de la Conférence de l'Union, actuellement
confiée au Conseil exécutif. Il ajoute par ailleurs que, comme
dans tout gouvernement, il faudrait attribuer à la Commission une partie
de pouvoirs d'initiative exclusivement exercé par les Etats-membres.
Parallèlement aux propositions ci - haut, une certaine
école conservatrice dénonce l'accroissement des pouvoirs de la
commission au nom d'un souverainisme extrême. D'où la
nécessité pour nous de dégager les fondements du
rééquilibrage des pouvoirs au profit de la commission.
- En droit international
Tout l'enjeu du rééquilibrage des pouvoirs au
profit de la commission réside dans la gestion commune des
souverainetés étatiques.
Si la souveraineté en tant que caractère
suprême du pouvoir étatique fait que ce dernier ne puisse
dériver d'aucun autre pouvoir et n'aie d'égal dans l'ordre
interne ni de supérieur dans l'ordre international, néanmoins,
l'on admet aujourd'hui que la souveraineté soit limitée par les
engagements de l'Etat.
En effet, lorsque les Etats acceptent de créer ensemble
une situation juridique qui les lierait, ils le font au moyen de leurs
souverainetés. En acceptant de se lier par le droit international, les
Etats ne font rien que la mise en oeuvre de leurs souverainetés.
Même si le supra étatisme limite ou semble ronger
la souveraineté de l'Etat, cela ne devait pas choquer car il ne
répond qu'au dynamisme de la société internationale qui
n'est pas condamnée à s'accrocher éternellement au
souverainisme.
En plus, le fait pour l'Etat de renoncer à la gestion
individuelle d'une partie de sa souveraineté ne serait pas du tout
antimonique au souverainisme puisqu'il ne s'agirait dans ce cas que d'une
autolimitation. Cette théorie a été illustrée par
le professeur Jelinek.
D'après ce publiciste, dans l'ordre international,
l'Etat ne pouvant être subordonné à aucune autre
autorité, sa volonté qui est souveraine peut seule donner
naissance au droit international et le fonder. Cependant, ajoute -t- il, la
faculté d'autodétermination que l'Etat tire de sa
souveraineté englobe aussi la faculté d'autolimitation en vertu
de laquelle il peut se lier par sa propre volonté24(*). Cette autolimitation est
conforme à son propre intérêt car s'il s'oblige, c'est afin
de répondre aux besoins d'une communauté internationale dont il
est lui-même membre
En définitive, le renforcement de la commission, s'il
est décidé par les Etats africains, ne sera pas antinomique
à l'esprit du droit international classique qui, lion d'être une
somme de connaissances figées, est dynamique et tente de
répondre aux airs du temps actuel caractérisé par une
forte tendance des Etats à se regrouper.
L'un des exemples les plus illustratifs d'une telle tendance
est l'Union Européenne qui a réussi à créer un
ordre juridique communautaire qui tend lentement mais sûrement à
dépasser l'inter étatisme classique prôné par les
clergés du souverainisme.
- D'après l'Acte constitutif de l'Union
Africaine
Le rééquilibrage des pouvoirs au profit de la
commission aurait-il une base dans l'Acte constitutif de l'Union ? En
d'autres termes, est-il possible de refondre le cadre de fonctionnement de
l'Union en renforçant par exemple la commission sans aller à
l'encontre de l'esprit de l'Acte constitutif ?
Nous répondrons affirmativement à cette
question ; et ce pour deux raisons :
D'abord, l'article 9.2 stipule :
« La conférence peut
déléguer certains de ses pouvoirs et attributions à l'un
ou l'autre des organes de l'Union ».
La stipulation sus - citée ouvre une brèche sur
la super puissance de la conférence en prévoyant la
possibilité d'une délégation de certains de ses pouvoirs
prévus à l'article 9.1 a-i aux autres organes de l'Union. Une
telle possibilité doit être perçue comme un des moyens de
renforcement de la commission qui, quoique juridiquement moins solide par
rapport à un amendement de l'Acte constitutif, peut se
révéler très efficace s'il permet à la commission
de s'affranchir un peu de la subordination dans laquelle elle est
placée.
Ensuite, il faut relever l'article 32 de l'Acte constitutif
qui laisse l'acte constitutif à la disposition des Etats-membres en vue
d'un éventuel amendement ou d'une possible révision. Cet article
stipule :
« 1. Tout Etat membre peut soumettre des
propositions d'amendement ou de révision du présent Acte.
2. Les propositions d'amendement ou de révision
sont soumises au président de la commission qui en communique copie aux
Etats membres dans les trente jours suivant la date de
réception... »
Cette stipulation traduit sans équivoque l'idée
que les Etats-membres se faisaient de l'Acte constitutif lors de son
adoption : celle d'un instrument imparfait appelé à se
plier, aussi longtemps qu'il existerait, à des situations changeantes de
la réalité. Et cette réalité est telle
qu'aujourd'hui les métamorphoses apportées par l'Acte constitutif
de l'Union à la charte de sa devancière n'ont pas permis à
l'organisation d'avancer significativement vers son unité.
En sus, à l'heure actuelle, en vue de la construction
des Etats-Unis d'Afrique, des innovations et des réaménagements
substantiels à porter à l'Acte constitutif de l'Union
apparaissent comme des nécessités. Les articles 9 et 32
apparaissent comme la base juridique d'une telle entreprise.
· Conséquences du renforcement de la
commission
Les conséquences du rééquilibrage des
pouvoirs au profit de la commission peuvent être de trois ordres :
d'abord, un tel rééquilibrage cristalliserait le passage de
l'inter étatisme au supra étatisme ; ensuite, il permettrait
la gestion commune des souverainetés et enfin, il aura le mérite
de rendre plus efficace les actions collectives des Etats
- Le passage de l'inter étatisme au supra
étatisme
Rappelons d'abord que la conférence et le conseil
exécutif sont des organes représentatifs des Etats-membres alors
que la commission est composée des agents internationaux
désignés par l'organisation sans être représentatifs
des Etats dont ils sont ressortissants.
En renforçant la commission, on renforcera un organe
supra étatique au détriment des organes inter étatiques.
Ceci débouchera à une consolidation de l'unité des
Etats-membres.
- La gestion commune des
souverainetés
Loin de consister en une confiscation des
souverainetés, le renforcement de la commission sera le reflet d'une
adhésion des Etats africains à la gestion commune d'une partie de
leurs souverainetés.
Donc, ce qui est perçu par certains comme une
confiscation de la souveraineté n'en serait pas une. La confiscation a
pour conséquence une cession qui dépouille le propriétaire
de départ de sa propriété. Pourtant ici, en acceptant
d'agir collectivement dans des domaines précis tels que la
défense et la santé par exemple, les Etats africains ne
cèdent pas leurs souverainetés à une entité qui
leur serait distincte strictu sensu. L'union Africaine n'est rien d'autre
qu'une collectivité des Etats africains. En réalité, la
souveraineté confisquée ne serait qu'un mythe car il s'agit d'un
assemblage plutôt que d'une confiscation.
- Efficacité des actions
communautaires
Les organes inter étatiques ont du mal à mener
efficacement des actions, collectives puisqu'ils sont écartelés
entre les volontés des Etats souverains et les objectifs de
l'organisation.
C'est ainsi par exemple que l'Union Africaine ne peut prendre
aucune mesure objective à l'heure actuelle à l'encontre des
Etats-membres sans se heurter à des réticences de certains
d'entre eux. Si elle n'a pas pris des mesures à l'encontre du
régime de Mugabe qui, après le premier tour des élections
présidentielles de 2008, en violation des principes
élémentaires de démocratie, se lançait dans une
campagne de répression contre les membres de l'opposition,
c'était en partie en raison des divergences de points de vue entre les
Chefs d'Etats africains autour de la question.
En effet, si feu Mwanawasa de la Zambie et Wade du
Sénégal s'insurgeaient contre Mugabe, Bongo le Gabonais et le
Sud Africain Mbeki ne l'avaient pas encore lâché du tout. La
conséquence : malgré le droit de l'Union d'intervenir dans
un Etat-membre sur décision de la conférence dans certaines
circonstances graves à savoir : les crimes contre l'humanité
(article 4.h), l'Union n'a pas pu tenter de mettre en oeuvre ce droit de peur
qu'elle ne se heurte aux vetos de facto de certains Etats-membres tel
que l'Afrique du Sud dont l'influence n'est pas négligeable dans la
région.
Le 5 mai 2008, Jean Ping, le Président de la
Commission ne s'est prononcé qu'en faveur de l'organisation du second
tour des élections sans condamner le régime de Mugabe ni se
prononcer sur des mesures à adopter ultérieurement afin de
renforcer la crédibilité desdites élections.
Si la commission, organe supra étatique disposait des
prérogatives plus vastes, l'intervention de l'Union dans la crise
zimbabwéenne ne serait-elle pas plus efficace et exemplaire ?
La réalité a été telle qu'elle
s'est contentée d'assister passivement aux enlèvements, aux
tortures et aux procès irréguliers dont firent l'objet les
partisans de Morgan Tsvangiray jusqu'à ce que ce dernier décide
enfin de jeter l'éponge et de renoncer au second tour du 27 juin
2008.
Ce désistement a conduit à l'élection de
Mugabe et un peu plus tard à un partage de pouvoir d'après les
critères d'une ``jurisprudence'' à la Kenyane d'après
laquelle, face à un président sortant, un candidat de
l'opposition ne peut espérer au plus qu'à la primature.
Le dosage du volontarisme au sein de l'Union et le
renforcement de la commission consistant à lui octroyer certains
pouvoirs d'initiative et la direction des programmes dans certains domaines
clés rendra plus efficaces les actions communautaires en les
affranchissant légèrement de l'emprise totale des Etats membres.
A. LA RATIONNALISATION DU PARLEMENT
PANAFRICAIN
a. Fondement de la rationalisation du Parlement
Panafricain
Nous avons démontré plus haut la
monstruosité du parlement Panafricain qui non seulement ne doit pas
être considéré juridiquement comme un parlement mais aussi
apparaît comme un élément mis à l'écart du
système de fonctionnement de l'Union.
Pour ces raisons, sa rationalisation s'avère
nécessaire à l'heure actuelle si l'on veut vraiment
opérationnaliser la participation du peuple africain au fonctionnement
de l'Union, renforcer l'Unité du continent et tendre vers les Etats-Unis
d'Afrique.
La base juridique d'une telle rationalisation réside
dans l'article 32 de l'Acte constitutif qui prévoit son amendement et sa
révision.
Mais quelles modifications faudra-t-il apporter dans le cadre
de fonctionnement de l'Union afin de rationnaliser le parlement
panafricain ?
La première forme de rationalisation devra porter sur
le mode de désignation des députés panafricains. La
procédure de cooptation devrait laisser place à celle
d'élection au suffrage universel direct ou indirect. Ceci aura le
mérite de faire du parlement panafricain un organe représentatif
des intérêts des peuples africains et non de ceux des dirigeants
dont la légitimité laisse d'ailleurs à désirer.
La seconde forme de rationalisation, corollaire de la
première devra consister au renforcement des prérogatives du
parlement panafricain. Ce dernier devra par exemple détenir des
pouvoirs de codécision et d'avis conforme dans l'adoption des actes
communautaires d'une certaine envergure. Il devra également avoir le
pouvoir de contrôle de la commission qu'il pourra contraindre à
démissionner par le vote d'une motion de censure en cas de
dysfonctionnement. Il devra disposer des pouvoirs budgétaires consistant
par exemple en l'amendement des dépenses.
La troisième forme de rationalisation consistera en
l'attribution au parlement panafricain des prérogatives para normatives
en vue de l'harmonisation progressive des législations nationales des
Etats africains dans les domaines techniques les plus variés. Ces
prérogatives pourront être mises en oeuvre par l'adoption par le
parlement panafricain des nomenclatures, des lignes directrices, des
législations types qui pourront être reprises par les
législations nationales
b. Conséquences de la rationalisation du
parlement panafricain
La rationalisation du parlement panafricain débouchera
à une séparation des intérêts
représentés au sein de l'organisation. Ainsi, la commission
représentera l'intérêt collectif communautaire ; le
conseil et la conférence, les intérêts des Etats ; la
cour de justice, l'intérêt du droit et le Parlement,
l'intérêt des peuples africains.
c. Alternatives à la non rationalisation du
Parlement panafricain
Sans la définition des prérogatives
réelles du Parlement panafricain, sans la modification du mode de
désignation des députés panafricains, le parlement
panafricain ne sera qu'une assemblée monstrueuse et budgétivore
sans intérêt pratique. Une telle situation devra appeler des
mesures drastiques consistant par exemple en sa mise en vieillesse pure et
simple. Dans l'entre-temps, la mise en oeuvre effective du partenariat entre
les gouvernements et toutes les composantes de la société civile
fera office de participation du peuple au fonctionnement de l'Union.
B. LA RADICALISATION DES SANCTIONS A
L'ENCONTRE DES ETATS INSOLVABLES
Parmi les éléments dysfonctionnels que nous
avons détectés au sein de l'Union Africaine, il faut rappeler
notamment la virtualité de certains organes qui, bien qu'étant
prévus par l'Acte constitutif, sont non opérationnels
jusqu'à l'heure actuelle. Nous avons cité plus haut les
comités techniques spécialisés, la cour de justice et les
institutions financières.
La majeure difficulté de leur
opérationnalisation réside dans l'absence ou l'insuffisance des
moyens matériels et financiers mis à leur disposition. Cette
défaillance est due à l'insolvabilité de certains
Etats-membres, à titre de rappel, le plan stratégique 2004-2007
proposé par Alpha Omar Konaré et comportant des mesures
innovatrices susceptibles de renforcer l'Union avait bien été
accepté par les Chefs d'Etats ; mais les 567 millions de dollars
qu'il nécessitait n'ont jamais été fournis. Ceci illustre
clairement la difficulté que pose et risque de poser
l'insolvabilité des Etats membres sur le fonctionnement de l'Union et
sur la mise en oeuvre des innovations qu'elle pourra proposer à son
cadre de fonctionnement.
D'où la nécessité de radicaliser les
sanctions prévues par l'acte constitutif à l'encontre des
Etats-membres.
L'article 23.1 prévoit comme sanction la privation du
droit de prendre la parole aux réunions, du droit de vote, du droit pour
les ressortissants de l'Etat-membre concerné d'occuper un poste ou une
fonction au sein des organes de l'Union, de bénéficier de toute
activité ou de l'exécution de tout engagement dans le cadre de
l'Union.
Au sens où le refus par l'Etat de contribuer
financièrement au fonctionnement de l'union prive l'organisation des
moyens matériels de la mise en oeuvre de ses politiques, il faut ajouter
à cet arsenal, la mise en quarantaine de l'Etat concerné.
IV.2. LES PERSPECTIVES DE
LA RENOVATION DE LA GOUVERNANCE REGIONALE
L'Union Africaine rénovée n'est pas
l'aboutissement des Etats-Unis d'Afrique.
Malgré le rééquilibrage des pouvoirs qui
pourrait s'effectuer sur son cadre de fonctionnement, elle restera une
organisation intergouvernementale, plus intégrée bien entendu,
mais encore loin des Etats-Unis d'Afrique.
Cependant, la rénovation de l'Union constitue au fond,
un moyen susceptible de conduire aux Etats-Unis d'Afrique. Elle permettra la
correction des dysfonctionnements actuels de l'Union et le déclenchement
d'un processus étapiste dont la fin sera la mise en place d'un
environnement sur lequel pourront aisément se bâtir les Etats-Unis
d'Afrique.
Les Africains doivent donc intégrer cette dimension
dans les stratégies intégrationnelles du continent et penser
dès à présent à une Afrique post Union Africaine
sans faire de l'innovation de cette dernière une fin en soi.
L'Union Africaine rénovée, avec une commission
revigorée et un parlement fort constitue une préfiguration des
Etats-Unis d'Afrique.
Ceci nous amène à corroborer notre seconde
hypothèse d'après laquelle la rénovation de la gouvernance
régionale de type Union Africaine serait une des stratégies de
la construction des Etats-Unis d'Afrique.
CONCLUSION GENERALE
Le moment le plus difficile de la rédaction d'un
travail scientifique est sans conteste celui où le chercheur est
appelé à conclure.
En effet, comment simplifier sans dépouiller ?
Comment amoindrir sans déformer ? Comment tout exprimer sans tout
dire ?
Conscient des enjeux ci - haut, notre tâche a
été donc à ce niveau de conclure sans céder
à l'horrible tentation de vouloir tout dire.
Aussi, la présente conclusion se veut-elle simple et
concise. Elle reposera le problème ayant fait l'objet de notre
recherche, survolera les analyses exposées tout le long de ce
mémoire, rappellera le sort des hypothèses formulées
à l'introduction avant d'ouvrir les horizons aux chercheurs
ultérieures que la question intéressera.
Nous sommes parti d'un constat déplorable. Le
débat autour du projet ``Etats-Unis d'Afrique'' a, durant quasiment un
siècle, été dépourvu de dimension
stratégique. Il s'engouffrait dans une tergiversation scolastique entre
les maximalistes.
Pour sortir de ce cercle vicieux, nous avons proposé un
nouveau paradigme plus stratégique : le néo panafricanisme.
Ce recadrage du débat nous a permis de nous évader de la vieille
querelle panafricaniste et de poser des questions pratiques.
Nous nous sommes demandé comment les africains
devaient-ils procéder in concreto afin de réaliser les
Etats-Unis d'Afrique.
A ce questionnement, nous avons formulé deux
hypothèses que nous avons vérifié respectivement dans
chacune des parties du présent mémoire en ayant recours à
la méthode juridique successivement dans ses approches prospective
tendant vers l'élaboration d'un droit nouveau et
exégétique fondée sur un raisonnement de lege
ferenda et une véritable critique législative.
D'après la première hypothèse, la mise en
place d'un Etat panafricain serait la stratégie la mieux adaptée
à la construction des Etats-Unis d'Afrique.
La vérification de cette hypothèse a
appelé une question préalable à savoir : Quel genre
d'Etat les africains peuvent-ils mettre en place qui puisse rencontrer la
nature pluri - identitaire du continent ?
En réponse à cette question préalable,
nous avons proposé le dépassement de l'illusion et l'Etat nation
véhiculé par l'occident et l'investissement dans l'Etat -
multinational fondé sur une logique de segmentation
hérité des sociétés africaines pré -
coloniales.
Après avoir vidé cette question
préalable, nous avons mis à l'épreuve notre
première hypothèse de recherche en la plaçant face aux
enjeux de la construction de l'Etat multinational en Afrique.
A ce niveau, les questions de la succession d'Etats, de la
résistance des souverainetés au supra étatisme et de la
fragilité des Etats post coloniaux nous ont révélé
le caractère aléatoire d'une telle entreprise.
Ce dénouement nous a amené à falsifier
notre première hypothèse.
En effet, à l'issue de nos analyses, l'Etat
multinational, quoi qu'apparaissant idéalement comme le modèle -
type d'organisation politique susceptible de contenir le caractère pluri
identitaire de l'Afrique n'est pas opérationnalisable au stade actuel et
ne doit pas se décréter sans se construire.
D'après notre seconde hypothèse, en vue de
réaliser les Etats-Unis d'Afrique, la stratégie la mieux
indiquée serait la rénovation de la gouvernance régionale
de type Union Africaine.
Afin de vérifier cette hypothèse, il nous a
fallu proposer des innovations à apporter au cadre de fonctionnement de
l'Union Africaine. Pour ce faire, une question préalable s'est
posée une fois de plus. Celle de savoir quels sont à l'heure
actuelle les éléments dysfonctionnels de l'Union Africaine sous
forme de variables structurelles.
Nous avons décelé la marginalisation et la
subordination de la commission au profit des organes représentatifs des
Etats-membres, la monstruosité juridique du parlement panafricain ainsi
que la virtualité de certains organes prévus par l'Acte
constitutif mais inopérationnels jusqu'à ces jours.
Ainsi, avons-nous constaté, ce n'est qu'en agissant sur
ces variables à travers le rééquilibrage des pouvoirs au
profit de la commission, la rationalisation du parlement panafricain et la
concrétisation des organes techniques spécialisés que l'on
pourra réussir à rénover l'Union Africaine et à
faire d'elle une préfiguration des Etats-Unis d'Afrique.
Sans nous écarter de la vision stratégique de
l'Unité d'Afrique prônée par le néo panafricanisme,
nous avons ici aussi étudié les enjeux de la rénovation de
l'Union Africaine et déterminé les conditions dans lesquelles le
plan d'Addis-Abeba qui prévoit la création d'une
``Autorité'' de l'Union d'ici 2012 pourra se réaliser dans la
perspective des Etats-Unis d'Afrique.
Nous avons découvert à l'issue des analyses
ci-dessus que la rénovation de l'Union Africaine était une
tâche opérationnalisable à court terme, qu'elle avait une
base juridique dans l'Acte constitutif de l'Union et qu'elle pouvait tendre
vers la réalisation des Etats-Unis d'Afrique.
Ceci nous a amené à corroborer notre seconde
hypothèse d'après laquelle la rénovation de la gouvernance
régionale serait une stratégie appropriée pouvant
réaliser à long- terme les Etats-Unis d'Afrique.
Au dénouement du présent mémoire, nous
avons face à nous des résultats épars qui semblent avoir
un certain nombre de rapports entre eux et desquels il ressort une certaine
cohérence dont nous ne soupçonnions pas l'existence lorsque nous
formulions nos hypothèses de recherche.
Examinons cela de plus près :
Si l'hypothèse de l'Etat a été
falsifiée c'est à cause du fait que l'Etat multinational, bien
qu'apparaissant comme modèle-type de réinvention de
l'Unité Africaine, son opérationnalisation a soulevé
quelques problèmes délicats et a paru quelque peu
aléatoire à l'heure actuelle.
Cependant, les vertus de la rénovation de l'Union
Africaine font d'elle un moyen de renforcement de la cohésion des Etats
africains et non une fin en soi. Non seulement une telle rénovation
pourra dévoiler aux Etats africains les avantages de la gestion commune
d'une part des souverainetés mais aussi, elle atténuait les
effets de la fragilité des Etats africains en les revigorant et à
travers la coopération dans le domaine de la recherche scientifique, en
laissant à l'intelligentsia un temps et une opportunité pour que
celle-ci travaille sur la question.
Remarquez donc que les effets escomptés de la
rénovation de l'Union Africaine résolvent des préalables
qui font défaut à l'opérationnalisation de l'Etat
multinational. Il faut rappeler ici que la pertinence de ce dernier et son
adéquation à l'Afrique n'ont pas été remises en
cause. Seule son opérationnalisation a posé problème.
Une telle opérationnalisation, nous l'avons
démontré, ne réussirait qu'après que les
intellectuels aient eu le temps et les moyens de bien cerner tous les contours
de la multinationalité afin de la dépouiller de tous les
inconnus ; et après que les Etats africains soient devenus moins
fragiles.
L'Union faisant la force, la gouvernance régionale
rénovée et empreinte de bonne gouvernance pourrait vider les
préalables ci-dessus en renforçant les actions communautaires
dans les domaines tels que la défense, l'industrie, la santé et
la recherche par exemple.
Ceci ouvre la voie à une nouvelle hypothèse que
nous laissons à la merci des générations
postérieures. Il pourrait se trouver parmi nos lecteurs, des chercheurs
passionnés qui pourront éventuellement étudier les
rapports entre nos deux hypothèses. Ils pourront se poser des questions
du genre :
« Dans quelles conditions la rénovation de la
gouvernance régionale de type Union Africaine pourra-t-elle mettre en
place à long terme un environnement sur lequel pourrait se bâtir
aisément l'Etat multinational africain ? »
En d'autres termes, ils se demanderont dans quelles mesures la
rénovation de la gouvernance régionale et la mise en place de
l'Etat multinational en Afrique pourraient constituer respectivement un moyen
et une fin.
En sus, la myopie intellectuelle ayant été
brisée par ce travail qui ouvre simultanément plusieurs questions
stratégiques autour de l'idée Etats-Unis d'Afrique, l'afro
pessimisme devient donc injustifié.
Nous pensons sincèrement avoir donné du grain
à moudre aux politiques et aux intellectuels du continent en nourrissant
un vieux débat qui, puisqu'il revêt une dimension
stratégique, renaît des ses cendres et cherche à s'adapter
aux airs du temps actuel.
BIBLIOGRAPHIE
1. COLAS, D ; Dictionnaire de la pensée
politique, Larousse, Paris, 1997
2. CORNU, G ; La pensée juridique,
Montchrestien, Paris 1990
3. DORMOY, D., L'Union Européenne et les
organisations internationales, Bruylant, Bruxelles, 1997.
4. DUPUY, J, M ; Droit international public,
éd. Dalloz, Paris 2006.
5. Elvadine S.
6. KABA Lansiné : Kwame Nkrumah et le
rêve de l'Unité Africaine, chaka, Accra, 199
7. NGUYEN, Q.D. ; PELLET A. et DAILLIER P. ;
Droit international public, L.G.D., Paris 2002
8. RAMONET, I ; Géopolitique du chaos,
Galilée, paris 1997
9. TSHIYEMBE, M ; Etat multinational et
démocratique africaine. Sociologie de la renaissance politique,
l'Harmattan, Budapest, Toronto, 2001, p.14 (en ligne) :
http://editiondharmattan.fr
10. TSHIYEMBE, M ; L'Afrique face au défi de
l'Etat multinational,(en ligne) :
http://mondediplomatique.fr/2000/09
11. TSHIYEMBE, M ; L'idée des Etats - Unis
d'Afrique, mythe et réalité, S.E, Kinshasa, 2007, p.3
12. TSHIYEMBE, M ; op cit, p.5
TABLE DES MATIERES
0. INTRODUCTION
4
1. ETAT DE LA QUESTION
4
a. Le panafricanisme messianique
4
b. La cristallisation politique du
panafricanisme
4
c. Bilan du panafricanisme
5
2. PROBLEMATIQUE
5
3. HYPOTHESES
6
4. APPROCHES METHODOLOGIQUES
6
a. L'approche tendant à
l'élaboration d'un droit nouveau
7
b. La critique législative
7
c. La méthode structuro
fonctionnelle
7
d. Les techniques
8
5. INTERET ET OBJECTIF
8
6. SUBDIVISION DU TRAVAIL
9
PREMIERE PARTIE
LA CONSTRUCTION DE L'ETAT PANAFRICAIN
10
0. INTRODUCTION
11
CHAPITRE I : DE LA LOGIQUE D'UNIFICATION A LA
LOGIQUE DE SEGMENTARITE
12
I.1. LE DEPASSEMENT DE L'ILLUSION DE L'ETAT -
NATION
12
I.2. L'ETAT MULTINATIONAL
15
I.2.1. LA MULTINATION : UN PACTE ORIGINAL
16
I.2.2. LA MULTINATION : UNE REVANCHE DE
L'HISTOIRE
16
I.2.3. LA MULTINATION : UN APPORT AFRICAIN A
LA MONDIALISATION
17
I.3. NATURE ET IMPLICATIONS JURIDIQUES DE L'ETAT
MULTINATIONAL
17
I.3.1. NATURE JURIDIQUE DE L'ETAT MULTINATIONAL
17
I.3.2 IMPLICATION JURIDIQUES DE L'ETAT
MULTINATIONAL
18
A. LA CAPACITE DE PRODUIRE DES ACTES JURIDIQUES
INTERNATIONAUX
18
B. LA CAPACITE DE SE VOIR IMPUTER DES FAITS
ILLICITES INTERNATIONAUX
18
C. LA CAPACITE D'ACCES AUX PROCEDURES CONTENTIEUSES
INTERNATIONALES
18
D. LA CAPACITE DE DEVENIR MEMBRE D'UNE ORGANISATION
INTERNATIONALE
18
E. LA CAPACITE D'ETABLIR DES RELATIONS
DIPLOMATIQUES
19
I.3.3. L'ETAT MULTINATIONAL FACE AU DROIT
CONSTITUTIONNEL CLASSIQUE
19
A. SA CONFORMITE
19
B.SON ORIGINALITE
19
LE PLURALISME JURIDIQUE
20
LA DOUBLE REPRESENTATIVITE ET LA SOUVERAINETE
PARTAGEE
20
LA CITOYENNETE A PARALISATION VARIABLE
21
LA MODERATION DE LA DEMOCRATIE MAJORITAIRE
22
CHAPITRE II : LA CONSTRUCTION DE L'ETAT
MULTINATIONAL : ENJEUX ET PERSPECTIVES
24
II.1. LES ENJEUX
24
II.1.1. LES ENJEUX JURIDIQUES
24
A. LE PROBLEME DE LA SUCCESSION D'ETATS
24
B. LA SOUVERAINETE PARTAGEE FACE AUX
SOUVERAINISTES CONSERVATEURS
26
II.1.2. ENJEUX OPERATIONNELS
27
A. ETATS FRAGILES D'AFRIQUE ET
SUPRAETATISME
27
B.LES INELIMINABLES ALEAS
28
II. 2. PERSPECTIVES
29
DEUXIEME PARTIE
LA RENOVATION DE LA GOUVERNANCE REGIONALE
31
O. INTRODUCTION
32
CHAPITRE III LUNION AFRICAINE ET LE DEFI DE LA
GOUVERNANCE REGIONALE
33
III.1. LE CADRE DE FONCTIONNEMENT DE L'UNION
AFRICAINE
33
III.1.1. LES OBJECTIFS DE L'UNION
34
III.1.2. LES PRINCIPES DE L'UNION
34
III.1.3. LES ORGANES DE L'UNION ET LEURS
COMPETENCES
34
A. LES ORGANES
34
B. LES COMPETENCES
35
-La conférence de l'union
35
-Le conseil exécutif (article 10)
35
-La commission de l'union (article 20)
36
-Le parlement panafricain (article 17)
36
-Les comités techniques
spécialisés (article 14)
36
-La cour de justice article 18)
36
-Les institutions financières (article
19)
36
-Le conseil économique, social et culturel
(article 22)
36
III.2. LES ELEMENTS DYSFONCTIONELS DE L'UNION
AFRICAINE
36
III.2.1. LES LARGES POUVOIRS DE LA CONFERENCE ET DU
CONSEIL EXECUTIF : PERSISTANCE DE L'INTERETATISME
37
III.2.2. LA MONSTRUOSITE DU PARLEMENT
PANAFRICAIN
38
III.2.3. LA VIRTUALITE DE CERTAINS ORGANES
40
CHAPITRE IV : LA REFORME DE L'UNION
AFRICAINE :
42
ENJEUX ET PERSPECTIVES
42
IV.1. LES ENJEUX DE LA REFORME DE L'UNION
AFRICAINE
42
IV.1.1. LE PLAN D'ADDIS-ABEBA
42
IV.1.2. LE REEQUILIBRAGE DES POUVOIRS ET LE MYTHE
DE LA SOUVERAINETE PARATGEE
43
A. LE RENFORCEMENT DE LA COMMISSION
43
a. Fondement du renforcement de la
commission
43
b. Conséquences du renforcement de la
commission
46
B. LA RATIONNALISATION DU PARLEMENT
PANAFRICAIN
48
B. LA RADICALISATION DES SANCTIONS A
L'ENCONTRE DES ETATS INSOLVABLES
50
IV.2. LES PERSPECTIVES DE LA RENOVATION DE LA
GOUVERNANCE REGIONALE
51
CONCLUSION GENERALE
52
BIBLIOGRAPHIE
56
_Toc237998771
* 1 Lire à ce
sujet : KABA Lansiné : Kwame Nkrumah et le rêve de
l'Unité Africaine, Chaka, Accra, 1991.
* 2 TSHIYEMBE, M ;
L'idée des Etats - Unis d'Afrique, mythe et
réalité, S.E, Kinshasa, 2007, p.3
* 3 Le camp Kadhafi - Wade en
faveur d'un gouvernement africain et le camp Museveni - Zenawi, plus
réticent au supra étatisme.
* 4 CORNU, G ; La
pensée juridique, Montchrestien, Paris 1990, p.83
* 5 THIYEMBE, M ; op
cit, p.4
* 6 COLAS, D ;
Dictionnaire de la pensée politique, Larousse, Paris, 1997,
p.97
* 7 NGUYEN, Q.D ; PELLET
A. et DAILLIER P ; Droit international public, L.G.D., Paris 2002,
p.62
* 8 Idem, p. 62.
* 9 RAMONET, I ;
Géopolitique du chaos, Galilée, paris 1997, p.99
* 10 TSHIYEMBE, M ; op
cit, p.5
* 11 LACAN ;
cité par COLAS, D ; op cit, p.97
* 12 LACAN, cité par
COLAS, D ; op cit p.97
* 13 TSHIYEMBE, M ;
L'Afrique face au défi de l'Etat multinational, (en
ligne) : http://mondediplomatique.fr/2000/09
* 14 TSHIYEMBE, M ; op
cit.p.9
* 15 TSHIYEMBE, M ;
Etat multinational et démocratique africaine. Sociologie de la
renaissance
politique, l'Harmattan, Budapest, Toronto, 2001,
p.14 (en ligne) : http://editionlharmattan.fr
* 16 TSHIYEMBE, M ; op.
cit; p.14
* 17 DUPUY, P. M ;
Droit international public, Dalloz, Paris 2006, p.62.
* 18 DUPUY, J-M, op. cit,
p.63
* 19 TSHIYEMBE, M ;op.
cit ;p.6 (en ligne) op. cit.
* 20 DUPUY, P-M ; op.
cit ; p.51
* 21 NGUYEN, Q.D ;
DAILLIER, P. et PELLET, A., op cit ; p.581.
* 22 Idem, p.58
* 23 Lire à ce sujet
DORMOY, D., L'Union Européenne et les organisations
internationales, Bruylant, Bruxelles, 1997.
* 24 JELINEK, cité
par NGUYEN, Q, D ; op cit ; p.99
|