Les contraintes de l'action humanitaire dans les situations de conflits armés: cas de la Côte d'Ivoire( Télécharger le fichier original )par Trazié Gabriel LOROUX BI Université de Cocody- Abidjan - Diplôme d'études supérieures spécialisées en droits de l'homme 2006 |
Chapitre deuxième : les contraintes politiques et l'influence négative desmédias sur la crise humanitaire
L'analyse de la pratique humanitaire révèle le glissement de l'action humanitaire sur le terrain des obligations à imposer aux Etats contre leur gré créant ainsi des situations juridiques nouvelles (section 1) auxquelles il faut associer l'influence incendiaire des médias sur la crise (section 2).
Section 1 : L'humanitaire comme facteur de perméabilité juridique etpolitique nouvelleL'action humanitaire, telle quelle est pratiquée dans son évolution, se trouve être en contradiction avec l'un des principes essentiels du droit international public : le principe de non immixtion dans les affaires intérieures des Etats. Cette contradiction prend d'une part la forme d'un droit ou devoir d'ingérence politique et humanitaire (paragraphe 1) et d'autre part la forme d'une opération de maintien de la paix (paragraphe 2) Paragraphe 1 : Le droit et le devoir d'ingérence face à lasouveraineté de l'Etat
L'intervention humanitaire, viole la souveraineté de l'Etat dès l'instant qu'elle est appréciée sous l'angle de l'ingérence politique (A) ou humanitaire (B). A : L'ingérence politique comme violation de lasouverainetéLes Etats sont entre eux dans une relation d'égalité souveraine174(*).C'est pour les protéger contre toute forme d'ingérence que le système de la sécurité collective a été construit dans le cadre des Nations unies. Le paragraphe 4 de l'article 2 de la Charte des Nations unies exige que « les membres de l'organisation s'abstiennent, dans leur relation internationale, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force soit contre l'intégrité du territoire ou l'indépendance politique de tout Etat, soit de tout autre manière incompatible avec les buts des Nations unies ». Cependant ce qui fait la force de l'humanitaire est aussi ce qui en fixe la limite : le refus du sacrifice. La préservation de la vie humaine est son unique horizon, sa seule légitimité. Cela implique parfois d'entrer en tension, voire en conflit, avec le pouvoir politique. L'action humanitaire est intrinsèquement politique par sa nature même, puisque qu'elle est la prise en charge des conséquences humaines de toutes les formes de violences, sociales et politiques. Par cela même l'humanitaire est toujours confronté à la politique aussi nationale qu'internationale. Mais tout de même selon Javier Solana175(*) « l'action humanitaire et les efforts politiques se renforcent mutuellement ». Aussi bien par son histoire que par sa géographie, l'action humanitaire est depuis ses origines, confrontée à la politique. Sa géographie est celle des crises politiques majeures des Etats indépendants et souverains. La politique «se manifeste par ses insuffisances ou par ses excès176(*) », qu'il s'agisse de désastres économiques ou de violences collectives. Dans un tel cas, le politique international décide de s'ingérer pour sauver les Hommes restés sans défense dans des conditions ou l'Etat lui-même n'arrive plus à assumer les prérogatives liées à sa souveraineté. L'ingérence est en effet clairement contradictoire avec les principes fondamentaux du droit international public, au premier rang des quels la souveraineté exclusive de l'Etat sur son territoire dont l'apanage revient exclusivement au gouvernement. Cependant, la survenue d'événements marquants et la consécration des « droits universels de l'Homme » par les Nations Unies sont venus affaiblir la toute puissance de la souveraineté étatique. Les droits de l'Homme sont en effet exclus de la compétence exclusive des Etats. Dans la conception d'une communauté internationale et des droits et libertés fondamentales de l'Homme, supérieurs à toute autre norme, les frontières nationales ne sauraient constituer une limite à la protection des individus. Sur ce point, la question fortement controversée par la doctrine divise, les partisans et opposants de la primauté de la protection des droits de l'Homme sur le respect du principe de non ingérence et naturellement de la souveraineté. Les deux thèses se réfèrent à la fois au droit conventionnel et au droit coutumier. Des théoriciens et praticiens comme Mario Bettati, Zourek optent en faveur de le prévalence du respect des droits de l'Homme sur celui de la non ingérence, tandis que des auteurs comme Binschedler, se prononcent dans le sens inverse. Mais le rapport de la pratique est à la tendance naturelle au développement de l'ingérence, qui accompagne le développement des relations internationales et la constitution d'une « communauté internationale177(*) ». Les droits de l'Homme selon Boutros Boutros Ghali, par leur « nature, abolissent la distinction traditionnelle entre l'ordre interne et l'ordre international. Ils sont créateurs d'une perméabilité juridique nouvelle. Il s'agit donc de ne pas les considérer ni sous l'angle de la souveraineté absolu ni sous l'angle de l'ingérence politique 178(*)». Mais au contraire il faut comprendre que les droits de l'Homme impliquent la collaboration et la coordination des Etats et des organisations internationales. L' exemple de la Côte d'Ivoire nous oblige à pousser loin l'analyse. En effet, il est à remarquer qu'un accord militaire lie toujours la Côte d'Ivoire à la France. Ce accord prévoit que la France intervienne aux cotés de la Côte d'Ivoire en cas d'attaque étrangère dirigée contre elle. Et c'est en vertu de cet accord que le Président de la République a sollicité l'aide de l'armée française pour l'aider à juguler cette crise. Cependant au regard des attitudes des soldats français179(*) sur le terrain, même si cela entrave gravement l'action humanitaire, sommes nous en droit de parler d'ingérence ? Le professeur Monique Chemillier-Gendreau dans son analyse, trouve que les « contrats » ou « accords » entre Etats qui résultent de leur volonté, leur confère un droit « de regard ». Et l'application de ce droit de regard ne peut-être qualifiée totalement de non respect de la souveraineté encore moins d'ingérence parce qu'elle n'est que la suite logique du contrat. Ainsi «se dessine un chemin étroit entre le respect de souveraineté de l'Etat en soi et le respect des engagements pris par l'Etat dans l'exercice de leur propre souveraineté et qu'il serait enclin à vite oublier par la suite180(*) ». Cependant au nom de la souveraineté, les autres Etats ne sauraient baisser les bras et se réfugier derrière ce principe. Ce serait fuir leurs responsabilités et laisser à leurs tristes sorts, des populations entières menacées de massacres et de terreurs par un Etat dont de graves barbaries échappent à sa souveraineté. Cela autorise t-il cependant une ingérence humanitaire? * 174 Le professeur Monique Chemillier-Gendreau pense que ce principe qui est censé marqué un équilibre entre les Etats, est largement fictif dans la mesure où il ne vaut que pour les Etats faibles. Commentaire in Afrique Contemporaine n°180, 1996 p 229-241 * 175 Dr Francisco Javier Solana Madariaga est le Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et le secrétaire général à la fois du Conseil de l'Union européenne (UE) et de l' Union de l'Europe occidentale (UEO). Après une carrière de physicien, il a été Secrétaire Général de l' OTAN ( 1995- 99). * 176 Op. Cit. Monique Chemillier-G * 177 Voire l'analyse du professeur Dégni-Ségui sur ce point, Les Droits de l'Homme en Afrique Noire Francophone, théorie et réalité p 18 - 24 * 178 Extrait du Discours du Secrétaire général des Nations unies, M. Boutros Boutros-Ghali, prononcé à l'ouverture de la conférence mondiale sur les droits de l'Homme, Vienne, 14 juin 1993 * 179 Si un bilan doit être fait des activités des forces françaises en Côte d'Ivoire, on serait tenté de porter un jugement positif cependant à travers plusieurs actes cette armée s'est disqualifiée en s'inscrivant dans le non respect des rôles qui sont les siennes. * 180 Monique Chemillier-G, Op. Cit. |
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