3.5 Discussion
L'étude de l'estimation de l'âge des individus
indique que tous les stades d'éruptions sont présents dans la
série dentaire de Pié Lombard. Pour chaque stade une fourchette
d'âge a été déterminée (Couturier, 1962)
à partir des mois de naissance de juin - juillet (fig.34). On remarque
ainsi que toutes les saisons sont représentées dans l'assemblage.
Cela indique que plusieurs épisodes de dépôts ont eu lieu,
mais ne nous renseigne pas sur l'origine ni la durée de l'accumulation.
L'étude de la saisonnalité de l'ensemble moustérien qui
rassemble plusieurs niveaux de dépôts ne nous éclaire pas
sur l'origine de l'accumulation osseuse car elle ne permet pas la mise en
évidence d'un comportement d'acquisition saisonnier.
Classe d'âge
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0 - 4 mois
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4 - 12 mois
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15 - 24 mois
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28 - 30 mois
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Mois
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Juin - octobre
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Octobre - juin
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Septembre - juin
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octobre - décembre
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Saison
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Eté -automne
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Automne - hiver - printemps
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Automne - hiver- printemps
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Automne - hiver
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NMIc
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2
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4
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4
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7
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Figure 34: NMIc des juvéniles et des subadultes en
relation avec les mois et saisons (d'après Couturier, 1962)
Nous avons vu que la sous-représentation des classes
d'individus jeunes et âgés peut être liée à
des problèmes méthodologiques et taphonomiques. Néanmoins
si les vieux individus sont si peu représentés c'est peut
être aussi parce qu'ils ne fréquentent plus les hardes familiales
et de célibataires, choisissant une vie solitaire. En supposant que
l'accumulation soit d'ordre biologique humain ou carnivore, l'acquisition
aurait donc été axée plutôt sur les hardes que sur
des individus faibles et isolés. On peut même aller plus loin si
on prend en compte la nombre important d'individus subadultes qui n'ont pas
encore atteint leurs maturités sexuelles qui composent les hardes
familiales de femelles suitées, et qui pourrait alors suggérer
une chasse préférentielle de ces groupes. Cependant au vu des
nombreuses contraintes liées à la nature de l'accumulation, ces
interprétations ne peuvent rester que dans le domaine du
théorique.
L'origine de l'accumulation reste donc incertaine. Elle peut
être naturelle, les animaux peuvent avoir été pris au
piège à cet endroit puis exploités dans un second temps
par les carnivores et les humains. Nous avons l'exemple à la grotte de
l'Hortus (Hérault) datée de l'OIS 3 qui présente un
assemblage faunique très riche en bouquetin avec un NR (nombre de reste)
de 1766 qui représentent 103 individus (Pillard, 1970). Certaines
couches présentent un assemblage de squelettes de bouquetins complets et
en places qui indique que ces animaux sont morts naturellement dans un
piège. Cependant ces squelettes ne présentent aucune trace d'une
exploitation postérieure par les hommes ou par les carnivores. En
Ardèche, la grotte des Pêcheurs (paléolithique moyen et
supérieure) présente aussi un assemblage très riche en
bouquetin (Capra ibex) avec 1536 restes identifiés et un NMI de
39 individus et en carnivores (320 restes) principalement composé de
loup et d'hyène (Moncel et al, 2008). Les traces d'une exploitation par
les hommes (présence d'une zone de combustion et d'une industrie
lithique) et par les carnivores (traces de crocs, absence de petits os comme
les carpes et tarses) posent la question de l'origine de l'accumulation.
L'étude de la topographie de la grotte et de ces alentours
complétée par l'analyse archéozoologique des restes
d'herbivores permet d'avancer l'hypothèse d'un piégeage naturelle
comme à la grotte de l'Hortus. Les restes de bouquetin ont
été retrouvés dans ce qui semblait être une sorte
d'aven (secteur 4 : paléolithique moyen) avec toutes les parties du
squelette représentés. Nous avons vu que parfois les hardes se
réfugient durant les intempéries dans des abris rocheux, à
la grotte des Pêcheurs les bouquetins du secteur 4 ont pu vouloir se
réfugier dans cette cavité et s'aventurer trop
profondément dans la grotte au point de se retrouver
piégés. Les hommes et les carnivores auraient donc eu
accès secondairement à ces carcasses. Les restes de carnivores
appartiennent majoritairement à de vieux individus qui se sont
probablement isolés pour mourir en paix. La grotte ne semble pas avoir
servie de tanière. La présence humaine est attestée par la
présence d'une zone de combustion et de rares vestiges lithiques,
ceux-ci ont pu aussi trouver refuge dans la grotte. Ces deux gisements
présentent quelques similitudes avec l'abri Pié Lombard. Ils sont
situés à environ 200 mètres d'altitude dans un
environnement très escarpé composé de plateaux et de
falaises, idéal pour les bouquetins qui domine dans l'assemblage osseux
; les vestiges lithiques sont peu nombreux et surtout composés d'outils.
Cependant à Pié Lombard l'exploitation des ossements d'herbivores
par les hommes et les carnivores semblent plus intense et la présence du
cerf dans l'assemblage (35,4%) peut sous entendre une acquisition biologique du
gibier. En effet si on considère la position géographique de la
grotte et sa difficulté d'accès, il est peu probable que ce lieu
ait été visité par les cerfs, leurs présences
serait donc du à une acquisition biologique ? Cela ne prouve pas
de manière évidente que les agents biologiques
sont seuls responsables de l'accumulation osseuse, mais semblent jouer un
rôle plus important que dans la grotte de l'Hortus et des
Pêcheurs.
Une étude de la représentation anatomique du
squelette du bouquetin et du cerf pourrait apporter des informations
complémentaires sur ce sujet, elle pourrait mettre en évidence
d'éventuelles stratégies de transports ou l'exploitation
différentielle des carcasses. Ce qui constituerait un témoin de
la contribution humaine dans l'accumulation osseuse. Les restes dentaires de
capriné n'apportent pas de réelles informations quant au
rôle et à l'impact humain sur l'assemblage. L'étude
archéozoologique du postcrânien : représentation
squelettique, étude de la fragmentation des os longs et des fractures,
des traces de découpes, des traces de crocs etc. pourrait nous
éclaircir sur la contribution humaine et carnivore concernant l'origine
de l'assemblage et la fréquence de l'exploitation.
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