5 .2. Matériel et méthodes
5.2.1. Méthodes d'acquisition des
données
Ce volet de la recherche a été conduit en
combinant plusieurs activités : une exploitation continue de
données bibliographiques, des recensements de cheptel et des
enquêtes prenant la forme d'entretiens directifs ou semi directifs ou de
questionnaire plus formels. Des résultats de travaux
préliminaires (Sawadogo, 2004) ont servi de base au présent
travail. Ce travail précédent portait sur les aspects
relationnels ou de conflictualité (entre agropasteurs résidents,
entre agropasteurs et transhumants, entre riverains et gestions des
réserves, entre éleveurs et administration, etc.).
5.2.1 .1. La revue des données
Pour faire le point sur la situation démographique
humaine et animale actuelle et en prendre la pleine mesure, diverses
données (recensement général de la population,
enquêtes agricoles, enquête nationale sur les effectifs du cheptel,
rapports d'étude, etc.) ont été exploitées puis
complétées par des enquêtes légères de
terrain, surtout ciblées sur le cheptel transhumant. Toutes ces
données ont permis d'avoir une idée relativement exacte de la
densité de la population du terroir, de celle des animaux
résidents et de ceux transhumants.
Pour la détermination des effectifs humains, nous nous
sommes appuyé sur les statistiques nationales (MEF, 2008 ; DREP-Est,
2008) auxquelles nous avons appliqué les taux officiels de
croît53. Par ailleurs, l'appréciation du niveau
d'occupation des sols a été faite en s'appuyant sur les
données de la base des données d'occupation des terres (BDOT) de
l'IGB, réalisée en 2002.
53 Taux de croît annuel : Botou : 3,8% ; Diapaga
: 4,1% ; Kantchari : 3,4% ; Logobou : 3,8% ; Namounou : 2,5% ; Partiaga : 4,4%
; Tambaga : 3,6% ; Tansarga : 4,6% ; Tapoa : 3,8% et Région-Est :
3,6%.
111
5 .2.2.2. Les enquêtes
Les enquêtes ont été conduites en trois
temps : une phase d'enquête exploratoire semi-directive en 2007, une
phase d'estimation des effectifs du cheptel en 2008 et 2009, et une phase
d'enquête par questionnaire en 2009.
5.2.2.2.1. Les entretiens
Ils ont été conduits de manière
semi-directive (avec guide d'entretien) et itérative tout au long de la
recherche de terrain auprès de personnes ressources d'expérience,
notamment les éleveurs possédant des troupeaux et les
Garso (Encadré V-2).
Encadré V-2. Le Garso ou guide de transhumance
La société pastorale dans la région du
parc W est organisée autour de personnages clés que sont les
Rugga et les Garso (Riegel, 2002) considérés
comme guides et porte-paroles (Benoit, 1999a)54. Le Rugga,
fait office de chef de clan. Il est chargé de la sécurité
des membres de sa communauté et de leurs animaux (Oumarou, 2004). Le
Garso est un éleveur reconnu par la communauté pour son
expérience et son savoir en matière de pâturages et de
conduite du troupeau ainsi que pour sa sociabilité et ses
qualités de médiateur (Riegel, 2002 ; Bodé, 2008). Il est
à la tête d'un groupe de transhumants (dont le nombre peut varier
de cinq à douze) qui l'élit et dont il est le porte-parole
auprès du Rugga. La réussite de la campagne de
transhumance est de sa responsabilité. C'est en général
lui qui détermine l'axe de transhumance à suivre et qui assure la
coordination et la gestion des relations avec les autres groupes
(administration et autochtones des villages de transit et d'accueil).
5.2.2.2.2. L'estimation des effectifs animaux dans le
terroir
Un inventaire du cheptel local a d'abord été
fait en 2008 par recensement exhaustif. Il a été
réactualisé en 2009 par application des taux de croît
observés en suivant cinq troupeaux de chacune des trois espèces
principales (bovins, ovins, caprins) pendant trois ans (2006- 2009). Les taux
de croît résultant de ces suivis valaient 2,2%; 2,9% et 3,3%
respectivement pour les bovins, les ovins et les caprins.
Chez les éleveurs transhumants ce type de
méthode n'était pas possible, la démarche a donc
été toute autre. Pour des troupeaux transhumants la
détermination des effectifs est toujours un exercice délicat.
Plusieurs méthodes ont été utilisées pour s'assurer
de recenser, sinon la totalité, du moins le maximum de troupeaux
transhumants. Quatre observateurs55 positionnés
quotidiennement de 6 h à 18 h aux entrées principales du terroir,
de début novembre 2007 à fin juillet 2008 puis de novembre 2008
à fin juillet 2009, se sont chargés de cette tâche. Les
données collectées ont ensuite été
agrégées pour les quatre périodes définies par
Paris (2002) par rapport au flux de transhumance à Kotchari :
début de la transhumance de décembre à mars, pleine
transhumance d'avril à mai, retour des transhumants de juin à
juillet,
54 Dans l'extrême- nord du Cameroun (sud du
bassin du lac Tchad), on rencontre plutôt le Kaydal, chef des
bergers de plusieurs villages allant en transhumance et l'Ardo, chef
de bergers au sein des campements en déplacement.
(Requier-Desjardins, 1999).
55 La surveillance étant continue, les
personnes sont choisies parmi celles qui habitent sur place.
période sans transhumants d'août à
novembre. En vue de compléter leurs informations, les mêmes
observateurs effectuaient par ailleurs des visites dans les campements de nuit
et de repos de ces éleveurs, ce qui est recommandé par Daget
& Godron (1995). Les effectifs animaux des troupeaux d'éleveurs
résidents qui partent en transhumance ont été notés
et soustraits de l'effectif total de chaque saison. Il a ainsi
été possible de se faire une idée assez précise des
effectifs animaux et des niveaux de charge ainsi que de leur évolution
au cours de l'année.
5.2.2.2.3. La typologie des systèmes
d'élevage dans le terroir
Une esquisse de typologie déjà
réalisée sur le même terrain (Sawadogo, 2004) a servi de
base pour le présent travail. Comme nous avions postulé que des
groupes différents d'éleveurs avaient des façons de faire
différentes, une typologie assez précise des éleveurs
s'imposait comme un préalable à l'étude des pratiques. Une
enquête par questionnaire a été conduite tout au long de
l'année 2009 auprès de 200 éleveurs, ce qui
représente un peu plus de 10% de la population totale estimée.
L'échantillon enquêté a été
construit de la manière suivante : dans un premier temps l'ethnie a
servi de base pour identifier deux groupes : 50 éleveurs
gourmantchés et 150 éleveurs peuls. Le nombre
d'enquêtés par quartier (ou village-satellite) a ensuite
été déterminé au prorata de leurs poids
démographiques. Enfin, le choix des chefs de ménages
enquêtés s'est fait au hasard des rencontres.
L'effort d'échantillonnage a été a priori
orienté surtout vers les Peuls, en raison de la plus grande implication
de ce groupe socioculturel dans les activités pastorales, alors qu'il
est démographiquement peu représenté. L'échantillon
ainsi constitué est un compromis entre une répartition a priori
et un tirage aléatoire, une méthode qui a montré son
caractère reproductible (Scherrer, 2007).
Pour construire le questionnaire, un certain nombre de
variables jugées pertinentes (variables d'intérêt
d'après Cibois, 2007) au vu des enquêtes exploratoires, ont
été retenues, leurs modalités ont été
définies et codées. Les thèmes abordés dans
l'enquête sur les systèmes d'élevage et des pratiques
pastorales portent sur l'ethnie et l'origine de l'éleveur, la taille la
composition et le mode de constitution du troupeau, son type de conduite, sa
mobilité, son alimentation et son agrégation (tableau V-1):
Tableau V-1. Variables et modalités constitutifs du
questionnaire
Variables Codes Modalités Intervalles ou contenu
des
classes correspondantes
|
Ethnie de l'éleveur Eth 1 Gourmantché
2 Peul
Lieu de résidence habituelle ou origine OrEl 1 Kotchari
de l'éleveur 2 Dans la Tapoa
3 Burkina Faso hors Tapoa
4 Non burkinabè
Effectif bovin du TaiTr 1 [0 45]
troupeau 2 [46 90]
113
|
|
Chapitre V. Les systèmes d'élevage
à Kotchari3 [91 135]
4 [136 180]
5 Plus de 180 têtes de bovins
|
Nombre et types d'espèces animales dans
|
NEsp
|
1
|
Bovins + Ovins + Caprins
|
le troupeau
|
|
2
|
Bovins + Ovins
|
|
|
3
|
Bovins + Caprins
|
|
|
4
|
Bovins
|
|
|
5
|
Pas de bovins
|
Nombre et types de races bovines du
|
NRaB
|
1
|
Barbadji
|
troupeau
|
|
2
|
Gurmaji
|
|
|
3
|
Jaliji
|
|
|
4
|
Barbadji + Gurmaji
|
|
|
5
|
Gurmaji + Jaliji
|
|
|
6
|
Autres (plus de 2 races bovines)
|
|
|
7
|
Aucun (Pas de bovins dans le troupeau)
|
Mode de constitution ou origine du
|
OrTr
|
1
|
Achat + emprunt
|
troupeau
|
|
2
|
Héritage + don
|
|
|
3
|
Achat + Héritage
|
|
|
4
|
Autres (plus de 3 formes d'acquisition)
|
Lieu de pâturage en saison sèche
|
LPat
|
1
|
Terroir Kotchari
|
|
|
2
|
Kotchari + terroirs voisins
|
|
|
3
|
Pays voisins: Bénin / Togo
|
|
|
4
|
Réserves voisines
|
Raisons de la pratique de la
|
RTra
|
1
|
Eau
|
transhumance
|
|
2
|
Fourrages
|
|
|
3
|
Eau+fourrage
|
|
|
4
|
Habitude
|
|
|
5
|
Ne transhume pas
|
Type de berger utilisé
|
NatBe
|
1
|
propriétaire ou parent
|
|
|
2
|
Salarié
|
|
|
3
|
Mixte (parent + salarié)
|
Nombre de bergers
|
NBe
|
1
|
Un berger
|
|
|
2
|
Deux bergers
|
|
|
3
|
Plus de deux bergers
|
Allotement du troupeau
|
NLot
|
1
|
Un lot
|
|
|
2
|
Deux lots
|
|
|
3
|
Plus de deux lots
|
Raisons dans l'allotement du troupeau
|
RLot
|
1
|
Former lots homogènes (séparer bien portants des
fatigués, malades, etc.)
|
|
|
2
|
Gérer les risques
|
|
|
3
|
Alléger les charges sur les parcours
|
|
|
4
|
Faciliter la tâche des bergers
|
|
|
5
|
Ne pratique pas
|
Pratiques d'alimentation du troupeau
|
PAlt
|
1
|
Pâturage naturel
|
|
|
2
|
Complément par fourrage naturel
|
|
|
3
|
Complément par fourrage cultivé
|
|
|
4
|
Complément par concentré acheté
|
|
|
5
|
Complément cultivé, collecté et
acheté
|
114
(fourrage et concentré)
Pour harmoniser et faciliter le traitement des données,
la variable «effectif de bovins dans le troupeau» a
été transformée en variable discrète. Nous avons
ainsi choisi de répartir les troupeaux dans cinq classes d'amplitude
égale (Beguin & Pumain, 1994), leur étendue (h) ayant ensuite
été définie en faisant le rapport entre l'amplitude de la
variation (écart entre l'effectif de troupeau le plus
élevé et le plus faible) et le nombre k des classes.
h max- min
=
k
L'étendue ainsi calculée était de 45
têtes. Dans notre série statistique, le plus petit effectif bovin
était de 0 alors que l'effectif le plus important était de 227
têtes.
5.2.2.2.4. Les pratiques et leur
évolution
L'étude des pratiques et de l'évolution permet
d'identifier les ajustements même minimes qu'opèrent les
éleveurs pour en déduire les stratégies qu'ils mettent en
oeuvre pour s'adapter aux changements climatiques et environnementaux. On
suivra en effet Landais & Deffontaines (1989) qui pensent que les
stratégies des éleveurs - leur nature, leurs logiques et la
manière dont elles sont mises en oeuvre peuvent être mises en
évidence au travers des pratiques que ceux-ci adoptent dans la conduite
de leurs activités pastorales.
Une période de référence (ou pas de
temps) de 20 ans a été retenue pour suivre cette évolution
dans les pratiques. Nous sommes conscient que pour juger des variations qui
s'expriment dans les pratiques, cette période est courte. Deux arguments
permettent cependant de justifier notre choix. Le premier est le souci de lier
le phénomène étudié aux grands bouleversements
fonciers qui ont accompagné la relance de la cotonculture dans la zone
d'étude. De ce point de vue, la décennie 90 (il y a vingt ans
environ) correspond à la période où la culture du coton
était à son niveau le plus bas dans le terroir, tandis que la fin
de cette décennie (il y a dix ans environ) coïncide avec le
début du boom cotonnier et du grand engouement des populations pour
cette culture qui a été suivi d'une importante occupation de
l'espace. Rappelons que cette culture très consommatrice d'espace
(Tamou, 2002 ; Doussa, 2004) a été encouragée par les
sociétés cotonnières (la SOFITEX56 puis la
SOCOMA57) qui ont facilité l'accès aux moyens de
travail et aux intrants (semences, engrais, pesticides et insecticides). Le
deuxième argument est que notre questionnaire d'enquête devait
permettre de recueillir des informations chiffrées aussi exactes que
possibles. De ce point de vue, il n'aurait pas été prudent de
chercher à remonter beaucoup plus loin dans le passé.
Dans l'étude des pratiques pastorales nous nous sommes
concentré surtout sur pratiques l'agrégation (constitution,
allotement), la conduite (gardiennage, mobilité, alimentation) et la
diversification du troupeau. Ces enquêtes structurées ont, par
ailleurs, été complétées par des entretiens
ciblés conduits auprès d'éleveurs choisis dans chacun des
groupes de notre typologie. Ces éleveurs ont été
visités régulièrement et la technique d'analyse du
discours
56 Société des Fibres Textiles
57 Société Cotonnière du
Gourma
(Mettrick, 1994) a été
privilégiée. Celle-ci, basée sur des entretiens non
directifs ou semi directifs, permet d'expliciter les ajustements que les
éleveurs opèrent dans leurs pratiques et de comprendre les
logiques qui les sous-tendent (Blanchet & Gotman, 2003). Elle permet,
in fine, à travers les questions que les acteurs
eux-mêmes se posent, de faire appel à leurs points de vue et de
donner à leurs expériences vécues, à leurs
logiques, à leur rationalité, une place de premier plan.
Dans ce chapitre, nous considérons les pratiques dans
leur globalité et leur évolution. Dans le chapitre suivant nous
reviendrons plus en détails sur les pratiques de conduite au
pâturage.
|