3.4.2. Les systèmes extensifs
3.4.2.1. L'élevage sédentaire
L'élevage sédentaire est pratiqué par les
groupes socioculturels autochtones (les Gourmantchés) ou anciennement
installés (les peuls sédentaires). Ce type d'élevage est
présent dans la zone depuis bien longtemps. Benoit (1998) et Santoir
(1998 & 1999) signalent sa présence dès le début du
siècle dernier. Les caractéristiques de cet élevage,
qualifié aussi d'agropastoral, sont différentes d'un groupe
socioculturel à l'autre.
Chez les autochtones gourmantchés, agriculteurs
traditionnels, les troupeaux étaient initialement de petite taille et
constitués essentiellement de petits ruminants dont la garde se faisait
surtout en saison pluvieuse et au piquet. L'intégration des bovins dans
les exploitations s'est opérée lentement avec le temps et s'est
accélérée avec les sécheresses qui ont
suscité des échanges entre éleveurs peuls et agriculteurs
gourmantchés sous-forme de troc (bétail contre
céréales) et l'adoption de la mécanisation agricole (il
fallait des boeufs de trait) plus récemment grâce à la
généralisation de la cotonculture. En 1989, 25% de bovins et 10%
de petits ruminants étaient détenus par les autochtones (Santoir,
1999). Ces taux ont dû évoluer de nos jours avec le coton. Cette
culture, en procurant des revenus importants aux agriculteurs à partir
de la fin des années 90, leur a permis d'accroitre leur cheptel
composé essentiellement à l'origine de
Berbaji33 et de Gurmaji (zébu introduit par
les peuls sédentaires) ou des produits de leur métissage
(Gurmaji x Berbaji).
Les Peuls sédentaires ou semi-sédentaires, les
Gurmaabe selon l'appellation de Santoir (1998), se sont
installés dans la zone à la suite d'un long processus migratoire
soutenu par les crises climatiques successives qu'ont connu les régions
sahéliennes. Ces éleveurs
33 La plupart des termes locaux ici utilisés
pour désigner les ethnies et les races animales sont de Santoir (1999).
Dans la suite du présent manuscrit notamment dans les chapitres V &
VI, beaucoup de termes de ce genre reviennent. Dans ce cas, leur transcription
suit les normes proposées par Olivier de Sardan (2003).
migrants se sont adonnés à l'agriculture,
certains pour la première fois (Santoir, 1998), à laquelle ils
restent de nos jours fortement attachés. On sait en effet qu'à la
suite de sécheresses et famines, les groupes pastoraux qui ont perdu une
grande partie de leur bétail se fixent ainsi à proximité
d'espaces cultivés (Bonfiglioli, 1990). Dans le terroir de Kotchari, les
Peuls sédentaires continuent d'être fortement engagés dans
l'élevage qui constitue d'ailleurs leur principale activité. La
taille des troupeaux est variable, elle est liée au rythme de
reconstitution d'un cheptel qui avait été
presqu'entièrement décimé. Ce cheptel est en
général plus nombreux que celui des troupeaux
gourmantchés, mais il est courant que, dans ces élevages,
certains animaux soient confiés en gardiennage par des agriculteurs
(constat fait également par Lhoste et al. (1993)), des
fonctionnaires ou des commerçants locaux. Les troupeaux sont à
l'origine composés majoritairement de Gurmaji mais on rencontre
aussi des Kiwali34, des Jaliji (race originaire de Torodi
et du Nigéria), des Gudali (venant de Sokoto au
Nigéria) et des Boboroji. Par ailleurs, c'est au sein de ce
groupe de Peuls que les grands éleveurs gourmantchés recrutent
leurs bergers salariés. En effet, Santoir (1999) fait observer que
« le bétail est confié par les Gurmance à leurs
Peuls et le confiage demande que Peuls et Gurmance se connaissent et aient
cohabité pendant un certain temps ».
Encadré III-1. La sédentarité des pasteurs :
entre reconstitution des forces et voyage sans retour
La question de la sédentarisation des éleveurs
pasteurs est un sujet qui fait débat de nos jours, après avoir
été expérimentée sans succès au début
des indépendances (Boutrais, 1994). En effet, les tenants de cette
solution arguent du fait qu'il y a bien des éleveurs pasteurs
aujourd'hui sédentarisés ou que de toute façon l'espace
étant en manque cette alternative s'imposerait d'elle-même. On
peut toutefois se demander si la sédentarisation évoquée
en est réellement une et, si c'est le cas, si elle est
définitive. La question sous-jacente est de savoir à partir de
quelle durée d'installation on peut commencer à parler de
sédentarité ? Plusieurs exemples montrent que la
sédentarité des pasteurs est vécue comme un mal être
par les principaux concernés. Bonfiglioli (1990) et Santoir (1999)
abordent la question en mettant l'accent sur la complexité du sujet pour
lequel toute réponse doit être nuancée. Le premier auteur,
s'intéressant aux mouvements des communautés pastorales de
l'Afrique sahélienne après les crises alimentaires de 1973 et de
1984 (Woodabe du Niger, Touareg du Mali et du Niger, arabes
Missiriye du Tchad, Maures de Mauritanie) ou à une
crise de peste bovine survenue dans un lointain passé (Woodabe
du Nigéria), qualifie les phases de sédentarisation
observées au sein de ces peuples « d'agropastoralisme d'attente
». Pour lui en effet, cette sédentarité provisoire ou de
transition des pasteurs survient après des pertes importantes du
cheptel, et elle vise juste à permettre, par la fixation des habitats,
la réduction des mouvements et la pratique de l'agriculture, d'assurer
la survie du groupe et de reconstituer le cheptel ainsi perdu avant de
reprendre, en temps opportun, la liberté. La sédentarité
apparait alors comme une stratégie de survie. A ce propos, Baroin (2003)
et Dongmo (2009) évoquent
34 Cette race bovine a été introduite
dans la zone par les peul Siwalbe (ou Kiwabe) (un lignage
relevant du grand groupe d'éleveurs Woodabe aussi
appelés Mbororo originaires du Nigeria qui se sont
installés après les indépendances dans les terroirs de
Kotchari et de Mardaga.
des stratégies d'adaptation au contexte
écolimatique et socioéconomique. Ces observations sont
corroborées par les constats faits par Santoir (1999) qui s'est
intéressé au processus d'occupation de l'espace Gurmance
par les Peuls Gurmaabe dans l'Est du Burkina. L'auteur note un recul
de la sédentarité peule dans la Tapoa dès après
1985, puisque beaucoup de Peuls qui s'y étaient installés
à la suite des différentes sécheresses sont repartis vers
leurs régions d'origine mais surtout vers l'étranger. Il avait,
en effet, observé que, parmi les familles recensées dans la zone
entre 1983 et 1986, seulement 39 % d'entre elles étaient restées
sur place ou à proximité. Finalement cette sédentarisation
reste relative et entrecoupée de déplacements plus ou moins
longs. Ceci amène Boutrais (1984) à considérer que chez
lez peuls, on rencontre rarement une immobilisation complète, ce que
confirment Lhoste et al. (1993) qui constatent que « les
pasteurs forcés de changer de mode de vie après la disparition de
leur troupeau tentent de reprendre leur vie nomade, après avoir
reconstitué leur cheptel ».
Il existe cependant un noyau plus ou moins important de Peuls
initialement pasteurs qui ont « réussi » leur
sédentarisation en devenant agropasteurs notamment dans le sud-ouest du
Niger (Bolé et Gosso par exemples ; Riegel, 2002) et dans la partie sud
de la Tapoa (communes de Tansarga et Logobou), en particulier à
Kotchari. Raimond (1999) a noté une tendance à la
sédentarisation d'éleveurs dans certains terroirs du bassin du
lac Tchad dans un contexte de surcharge animale des parcours. Ces
éleveurs qui s'adonnent à l'agriculture, intensifient leurs
élevages grâce à l'embouche bovine et ovine. Ce type de
sédentarisation a été qualifié «
d'agropastoralisme de sécurité » ou de « voyage sans
retour » par Bonfiglioli (1990), il est l'aboutissement d'une crise
chronique et s'opère généralement par un changement
radical (changement dans les races comme l'a observé Boutrais (1984) au
Nord Cameroun et au Nord Côte d'Ivoire), qui n'est pas toujours
positivement assumé puisqu'il ne résulte pas toujours d'un projet
réfléchi mais relève plutôt d'une logique de
survie.
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