La volonté de protection de la nature, dont la
manifestation visible est la mise en place d'aires protégées, est
récente. Elle se matérialise pour la première fois par la
création du parc
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national de Yellowstone (1872) aux États-Unis
(Barbault, 2002). Mais c'est véritablement dans la première
moitié du 20ème siècle que l'idée de la protection
de la nature par la « mise sous cloche » de certaines étendues
de forêts, s'impose. Ainsi, apparurent des parcs nationaux pour la
première fois en Suède (1909), en Suisse (1915), en Grande
Bretagne (1949) et en France (1928 mais surtout 1963).
La volonté émergente d'érection des
aires protégées va être traduite au plan international par
la mise en place en 1948 de l'Union Internationale de Protection de la Nature.
Cette union se transforme huit ans plus tard en Union Internationale pour la
Conservation de la Nature et des Ressources Naturelles (IUCN) avec une
évolution dans la pensée conservatrice. La vision
réductrice de la nature (milieux naturels équilibrés
à préserver) est de plus en plus abandonnée au profit
d'une perspective plus large d'utilisation sage de celle-ci et de ses fruits au
bénéfice des humains. Mais cette révolution dans la
philosophie de conservation se fait véritablement jour à partir
de 1982 (Stockholm) mais surtout de 1992 à Rio au sommet mondial pour
l'environnement et le développement durable (Weber, 2002). Un lien fort
est désormais fait entre conservation et développement à
travers la recherche de la satisfaction des besoins socio-économiques
des populations locales. Une stratégie mondiale de la conservation est
mise en place et il y est souligné la nécessité de
sauvegarder le fonctionnement des processus écologiques dans la marche
vers le développement. L'homme est ainsi mis au centre de la
réflexion à travers la reconnaissance de son droit d'accès
légitime aux ressources naturelles qu'il a souvent contribué
à gérer (Aubertin, 2005).
Cette approche rejoint celle de l'UNESCO qui, en
197223, à travers son programme MAB (Man And
Biosphère) met l'homme et ses activités au coeur des
écosystèmes à conserver (Benoit, 1997; Barbault, 2002;
Weber, 2002; Fournier, 2004) et les aires de conservation prennent
désormais le statut de réserves de biosphère. A travers ce
concept, cette structure des nations unies se préoccupait
déjà de la conciliation entre conservation des ressources
biologiques et leur utilisation durable. Le concept des réserves de
biosphère, répondant pleinement à l'approche
préconisée par la Convention de Rio, trouve alors un nouvel essor
et est réactualisé en 1995 lors de la conférence de
Séville. « Le lien entre la conservation de la biodiversité
et les besoins en développement des communautés locales y est
reconnu comme un facteur clé dans la plupart des parcs nationaux,
réserves naturelles et autres zones protégées »
(UNESCO, 1996).
C'est de cette vision qu'est née le concept de
développement durable («sustainable development») vu comme une
utilisation des ressources naturelles qui permette aux
générations présentes de satisfaire leurs besoins tout en
garantissant la possibilité pour les générations futures
d'assurer les leurs (Weber, 2002).
La mise en application de ces principes ne semble cependant
pas encore évidente dans de nombreux espaces protégés dans
lesquels l'exploitation des ressources par les populations est plutôt
considérée comme un obstacle à la conservation. Il y a une
contradiction entre « le pacte » préconisé entre les
gestionnaires et les communautés locales (UNESCO, 1995) et les
23 Pour des raisons liées notamment au niveau
des connaissances du moment sur les processus écologiques, cette
approche de la conservation (dite éco développement) n'a pas
été adoptée tout de suite.
interdits d'accès et d'usages qu'on leur
impose24. Beaucoup d'espaces protégés sont, par
ailleurs, classés sous divers statuts, qui semblent parfois en
contradiction : il paraît, en effet, difficile de gérer de
façon cohérente un site classé à la fois Patrimoine
Mondial25 de l'Humanité - donc soumis à des
règles et des normes traduisant une appropriation étatique ou
internationale (Luxereau, in Cormier-Salem et al. 2002) - et
également Réserve de Biosphère - donc impliquant
l'adhésion et la participation des communautés locales au
processus de conservation.
L'autre saut majeur dans l'évolution
épistémologique de la pensée conservatrice est le
changement d'échelle. Il ne s'agit plus de protéger des
espèces sauvages symboliques dans des îlots de réserves
naturelles mais plutôt de sauvegarder les grands
écosystèmes (Barbault, 2002; Génot & Barbault, 2004;
Aubertin, 2005). Un courant de pensée considère en effet que,
face aux changements climatiques, le monde de la conservation devrait
être conçu comme un système de zones complémentaires
reliées entre elles par des corridors et permettant à la faune
d'exploiter toute la diversité des milieux et donc de s'adapter
(Fournier, 2004).
24 Kaboré(2010) parle d'ailleurs, à
ce propos de résurgence à l'orée du
21ème siècle d'un courant conservationniste dont les
tenants seraient Oates (1999), Terborgh (1999) et Chapin (2004) et qui, arguant
des échecs des approches participatives de gestion, prône un
retour à la protection stricte.
25 Dans l'approche éthique de la
conservation, la biodiversité est considérée comme un
patrimoine naturel. Un patrimoine est un bien chargé d'une forte valeur
à caractère utilitaire et symbolique et qui doit être
transmis aux générations futures (Boutrais, 2002). Il a une
valeur identitaire pour le groupe en assurant le lien
intergénérationnel.