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Potentiel et dynamique des stocks de carbone des savanes soudaniennes et soudano- guinéennes du Sénégal

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par Cheikh Mbow
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Doctorat d'état en sciences 2009
  

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Article XVII. CONCLUSION GENERALE

Conclusion générale

Les changements climatiques constituent un des plus grands défis du 21ième siècle qui a fini de mobiliser la communauté internationale à travers une dynamique institutionnelle et décisionnelle pour des solutions collectives appropriées. Les causes des changements climatiques sont d'origine humaine. C'est donc au niveau des activités humaines que l'essentiel des solutions sont à rechercher. A travers les nombreux rapports scientifiques, les dégagements de CO2 sont considérés comme principal gaz à effet de serre ciblé par la CCNUCC à travers les engagements de Kyoto. Pour les pays développés, les principales initiatives ciblent les secteurs de l'énergie, l'industrie, le transport, le bâtiment, et les changements de comportement individuel et collectif. Un nouveau courant environnementaliste prend forme et s'affirme de plus en plus à partir de l'indice de consommation de carbone (carbon footprint) pour chaque activité et pour chaque individu. En plus de ces aspects, l'Afrique est sollicitée pour une contribution volontaire aux efforts de réduction, à travers notamment le secteur forestier qui est une source de 17% sur les dégagements de GES.

Le secteur forestier est un domaine d'intervention relativement ouvert qui prend en compte plusieurs possibilités contribuant toutes à la reconstitution des écosystèmes dégradées. Le Protocole de Kyoto a sélectionné un certain nombre d'activités éligibles au titre des MDP qui sont le boisement et le reboisement. L'ouverture des activités éligibles sur d'autres secteurs comme la mise en défens, le carbone du sol, l'agroforesterie, etc., est mise en perspective dans les négociations de la Convention et devraient être approuvés avec la COP de Copenhague de Décembre 2009. Pour l'instant (Juillet 2009) toutes les autres interventions qui ne consistent pas à planter directement des arbres à travers des projets de protection forestière, de foresterie communautaire, de régénération assistée, de garnissage, etc., ne sont pas comptées parmi les activités de MDP foresterie pendant la première période d'engagement 2008-2012. Cette limitation réduit les possibilités offertes par les techniques forestières pour donner une pleine mesure à la mise en ~uvre de la convention en Afrique.

Au Sénégal, la réponse à cet appel aux MDP butte sur un déficit informationnel sur les écosystèmes forestiers. Les données nécessaires pour caractériser l'état actuel des stocks de carbone des types de végétation ne sont connues que de façon partielle et par des estimations indirectes (modèles). Les estimations faites à ce jour utilisent pour la plupart des outils et approches développés pour d'autres types de milieux. Un grand nombre d'études sur la biomasse s'est focalisé sur les tarifs de cubage, qui sont des matrices de conversion de mesures sur les arbres en bois fort commercial. Cette approche ne vise pas la totalité de la

biomasse des arbres et reste donc peu utile pour les besoins d'évaluation de la biomasse totale des arbres dans les écosystèmes de savanes. Aussi, il était important d'asseoir une base de travail appropriée par l'élaboration de modèles allométriques fondés sur des mesures in situ. Pour cela, 6 Forêts Classées situées dans les zones soudaniennes et soudano-guinéennes, ont servi de support ; il s'agit de Bala, Kantora, Mampaye, Ouli, Patako et Wélor. Nous proposons 3 modèles allométriques mettant en relation le DBH et la biomasse sèche des arbres. Le DBH est un paramètre collecté pour tout inventaire de la végétation. Ainsi, pour que les modèles suggérés soient applicables à une bonne partie des savanes d'Afrique de l'Ouest, nous avons utilisé ce paramètre DBH pour les régressions allométriques. La méthode retenue, évite de développer des outils trop complexes du genre transformations logarithmiques ou exponentielles sur les données brutes avant élaboration des modèles. Nous avons donc voulu, dans ce choix méthodologique, éliminer toute source d'erreur supplémentaire sur les données. Ainsi, les modèles obtenus (régression quadratique, cubique et polynomiale d'ordre 3) ont permis d'estimer les stocks de biomasse avec un r2 > 0,9 et les tests ANOVA (analyse de la variance) ont montré une faible différence entre la moyenne de la série expérimentale et celles issues des modèles.

Les approches d'estimation de biomasse proposées par la FAO, comparées aux données expérimentales ont montré de grandes différences de résultats. A cet égard, les résidus sont très grands et entraînent une surestimation ou une estimation de la biomasse selon les cas.

Les 3 modèles retenus après une série de tests ont été utilisés pour estimer les stocks de carbone des Forêts Classées. Les résultats obtenus montrent des stocks de carbone très faibles pour les formations dégradées de la Forêt Classée de Wélor (entre 3 et 7 tC/ha) alors que les Forêts Classées de Mampaye (20-50 tC/ha) et Kantora (40-47 tC/ha) ont les stocks les plus importants. Des cas intermédiaires ont été notés au niveau de Ouli (12-20 tC/ha), Bala (18-28 tC/ha), et Patako (13-33 tC/ha). L'essentiel de la biomasse se situe au niveau des individus de gros diamètre (> 20 cm). Cependant, la dynamique de séquestration du carbone est portée par les petits individus en croissance. Ces résultats montrent que pour réduire les émissions de carbone issue des savanes, il faut atténuer la dégradation des gros sujets, mais pour promouvoir une contribution des savanes à la séquestration du carbone, il faut des logiques de préservation qui protègent les petits sujets. Ainsi, le rôle des savanes dans le cadre de l'atténuation des émissions de CO2 s'articule à des efforts d'aménagement et de gestion qui permettent de maintenir un équilibre de la structure de la végétation dans le sens d'une bonne représentation des différentes classes de diamètre. Les stocks de carbone du sol, y compris la biomasse racinaire, ceux de la litière ou de la biomasse herbacée et des plantules

ne sont pas pris en compte. Ces résultats concernent donc uniquement la biomasse ligneuse sur pied des individus de taille supérieure ou égale à 5 cm de diamètre.

La caractérisation des stocks de carbone est une chose importante et utile pour définir les lignes de base ou situation de référence. Il est tout aussi essentiel de déterminer la dynamique des formations ligneuses en termes d'accumulation de biomasse. La caractérisation de la dynamique est basée sur l'analyse de données de parcelles de suivi de la végétation ligneuse (3 parcelles de 1 ha chacune) suivies depuis 1993 dans la zone d'étude. Cette analyse a permis de caractériser la production globale de chaque parcelle mais aussi d'obtenir des informations sur la croissance des espèces prises individuellement. Elle a également conduit à saisir la dynamique de stockage du carbone qui, en l'absence de coupe, est largement expliquée par la variation pluviométrique. De cette dynamique, nous comprenons par ailleurs que l'essentiel des stocks de carbone des parcelles de suivi est le fait de quelques espèces, surtout celles à croissance rapide et qui peuvent atteindre de gros diamètres. Les espèces les plus abondantes des 3 parcelles de suivi sont Combretum glutinosum, Terminalia macroptera, Cassia sieberiana, Pterocarpus erinaceus et Hexalobus monopetalus ; mais les espèces qui contribuent le plus à la biomasse sont Pterocarpus erinaceus ; Bombax costatum et Terminalia macroptera. Ainsi, la contribution aux stocks de carbone n'est pas simplement une question d'effectifs, elle est aussi liée aux possibilités de l'espèce à croître vite et accumuler ainsi beaucoup de biomasse au fil du temps. D'ailleurs, les espèces qui croient vite dans ces écosystèmes sont Detarium senegalense et Bombax costatum (espèces d'affinité guinéenne) ; elles sont suivies de près par Anogeissus leiocarpus, Lannea microcarpa, Pterocarpus erinaceus, et Terminalia macroptera. Les modifications de la biodiversité n'ont pas été très grandes pendant la période de suivi, mais les quantités de biomasse ont connu une première phase de régression entre 1997 et 2003 du fait probablement des faibles quantités de pluies puis on observe une dynamique positive à partir de 2003 du fait certainement de la bonne pluviométrie.

Pour mieux caractériser le rythme de croissance, des analyses dendrochronologiques ont été faites. Pendant longtemps cette méthode a été jugée très probante pour analyser le développement des plantes mais aussi la relation entre la vitesse de croissance des arbres et des facteurs environnementaux comme les précipitations, la température, les phases de crue et décrue des fleuves pour les espèces de galerie. De nombreuses difficultés subsistent cependant pour les espèces tropicales qui contrairement aux espèces des milieux tempérées présentent des cernes pas toujours faciles à discriminer. Le potentiel pour la datation des individus et la mise en relation avec des paramètres comme la pluviométrie existe mais demande beaucoup d'efforts pour que les résultats soient exploitables. Les résultats obtenus

confirment la faible vitesse de croissance des espèces de savane. On a noté pour la plupart des cas une réponse irrégulière par rapport au signal pluviométrique ; l'effet des facteurs de stress comme les feux, l'aridité, la compétition dans la croissance. Ces facteurs font que la courbe de croissance des espèces de savane étudiées est `atypique' par rapport à ce que nous enseignent les théories écologiques. A cause des nombreux facteurs de stress, les jeunes plants de savane ne croît pas forcément plus vite que les plantes affranchies.

L'analyse de ces données montrent que les stocks de carbone peuvent être assez importants quand la végétation est bien conservée (Forêt Classée de Kantora et Mampaye), lorsque notamment il existe dans de telles formations des espèces qui ont la capacité de stocker de façon relativement rapide de la biomasse. Mais si on projette la croissance des espèces les plus performantes, on se rend compte qu'au bout de 30 ans la valeur marchande du carbone stocké ne représente pas des montants importants (< 20 USD) devant les avantages qu'on peut en tirer avec l'utilisation des arbres pour du bois énergie ou de service, activités plus rentables en terme de revenus. Nous avons ainsi discuté de la question de la `compétitivité' des MDP face aux autres alternatives d'utilisation du bois en termes d'avantages comparatifs. Si par conséquent le prix du carbone n'évolue pas dans le sens de l'incitation aux MDP, les populations peuvent toujours préserver les ressources forestières jusqu'à une certaine période pour les exploiter et en tirer un revenu optimal. Ce risque pose le problème du principe de permanence qui est un des piliers des MDP foresterie.

Dans la même lancée, des modèles de croissance forestière ont été testés pour donner un aperçu sur le futur en se basant sur un certain nombre de scénarios réalistes. Ces scénarios prennent leur logique sur les pratiques et facteurs de dynamique en cours comme les feux de brousse, la jachère, le reboisement, l'exploitation forestière, le pastoralisme et les défrichements agricoles. Il apparaît selon les résultats de la simulation que les facteurs les plus sévères de dégradation de la biomasse sont l'exploitation forestière et les défrichements. Par contre, la végétation naturelle se reconstitue assez rapidement en l'absence de prélèvement. Le pâturage et les feux de savane réduisent les stocks de carbone mais avec une ampleur plutôt moindre. Les simulations ont aussi confirmé que les stocks de carbone du sol sont plus importants mais leur dynamique est dictée par des processus qui se déroulent au niveau de la végétation sur pied. On constate néanmoins que dans les phases de reconstitution de la végétation (reboisement, jachère de longue durée), les stocks de carbone de la biomasse peuvent avant la phase d'équilibre dépasser ceux du sol. Le carbone du sol se dégrade et se reconstitue donc plus lentement que celui de la biomasse végétale sur pied.

La perspective spatiale basée sur les changements d'occupation des sols montre que les plus importantes dynamiques se déroulent en milieu de terroir. D'une façon générale les formations végétales connaissent une certaine régression. Cette régression est parfois moins perceptible au niveau des Forêts Classées, où par endroits la végétation s'est reconstituée au moment où d'autres faciès (notamment les formations denses de vallée ou les savanes boisées) ont connu des reculs significatifs. Par contre, dans les zones de terroir comme la zone Kaffrine-Koungheul, les observations montrent une avancée soutenue des terres de culture au détriment de la végétation naturelle. Des pertes engendrées peuvent aller jusqu'à 4tC/ha/an.

La Haute Résolution (LANDSAT-TM et ETM) utilisée pour cette analyse ne permet pas de voir les dynamiques plus régionales. Ainsi, les données NDVI de MODIS à une résolution de 250 m sur l'ensemble du Sénégal ont permis de suivre les modifications dans la productivité végétale de 2000 à 2007 (8 ans). Les résultats montrent des endroits avec une dynamique positive (quelques parties de Bala) et d'autres avec une forte régression (Wélor, Ouli). A ce niveau, les facteurs climatiques interagissent avec les facteurs humains dans les processus en question. Le principal enseignement qu'on en tire est que la dynamique de la végétation n'est pas linéaire, et présente une grande variabilité spatiale ; elle procède par des allers-retours selon la force des facteurs en jeu (climat et actions anthropiques).

Dans les zones de terroir, la dégradation notée est un élément important à considérer dans l'analyse de la vulnérabilité des populations locales face aux changements environnementaux. En reprenant le cas du Saloum Oriental (Kaffrine-Koungheul), l'analyse de la vulnérabilité et de l'adaptation des populations locales est basée sur la recherche des facteurs structurants majeurs qui semblent aller au-delà des impacts de la variabilité climatique et inclut les facteurs politiques et économiques à différentes échelles spatiales et temporelles.

La variabilité climatique, les politiques agricoles et forestières peu favorables aux populations rurales, des conditions de marché fortement dominées par l'esprit capitaliste n'ont pas favorisé une économie rurale stable. La pauvreté qui en résulte a suscité de nombreuses réponses adaptives qui consistent en gros à améliorer le système agricole (avec des succès et échecs) mais aussi à trouver d'autres sources de revenus comme le commerce, l'immigration, les changements organisationnels, etc. L'étude de la vulnérabilité nécessite des schémas analytiques complexes, de même que la caractérisation des réponses apportées. On a montré que certaines réponses étaient des sources de vulnérabilité et qu'il pouvait y avoir antinomie entre les réponses immédiates pour absorber des problèmes ponctuels et les

exigences d'un développement durable inscrites dans le long terme. L'exemple de l'exploitation forestière vers Koupentoum en constitue une illustration claire. Ainsi, en voulant trouver des revenus immédiats lors de la sécheresse de 1970 et 1980, plusieurs paysans se sont reconvertis en exploitants forestiers. Au bout du compte le fondement de leur survie a été dilapidé parce que les activités n'ont pas été planifiées. Compte tenu de la profonde pauvreté du milieu rural nous avons questionné l'opportunité des MDP en tant que mesure d'atténuation, face à l'adaptation qui pose un problème de survie immédiat et futur pour les populations locales pauvres. Nous soutenons qu'il faut mettre l'accent sur l'adaptation qui prend en compte d'ailleurs la bonne conservation et la gestion durable des ressources forestières, non pas seulement pour son carbone, mais surtout pour les services que les ressources forestières peuvent apporter à l'équilibre socio-économique des populations rurales. La priorité des pays sous-développés comme le Sénégal étant l'atténuation de la pauvreté rurale qui est une nécessité et non une option que constituent les MDP.

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"Le don sans la technique n'est qu'une maladie"