I.12. La recherche sur le stock de carbone ligneux au
Sénégal
La question du carbone n'a été que
récemment un centre d'intérêt pour les pays
sahéliens, même si les efforts de reboisement et de reconstitution
des terres dégradées ont été un aspect central des
politiques nationales de conservation des sols et des ressources
forestières. Dans un premier temps, la pertinence du reboisement a
été mise en relation avec la production agricole et les
phénomènes d'érosion. En sus de ces aspects, le carbone
des écosystèmes est devenu une source d'enjeu économique,
écologique et social en relation avec les développements
récents relatifs aux changements climatiques (Woomer et al.,
2001; Elberling et al., 2002; Woomer, 2003; Liu et al., 2004;
Parton et al., 2004; Tschakert et al., 2004; Tschakert et
Tappan, 2004; Tschakert, 2004; Wood et al., 2004; Woomer et
al., 2004a; Woomer et al., 2004b; Mbow, 2005; Mbow et
al., 2008). La littérature montre que très peu
d'études ont été consacrées au stock de carbone
ligneux dans les écosystèmes de savane du Sénégal.
La plupart des études portent soit sur le carbone du sol (Elberling,
et al., 2002;
Tieszen et al., 2004; Tschakert et al.,
2004; Takimoto et al., 2008) soit sur une estimation de la biomasse
ligneuse basée sur des modèles écologiques (Manlay et
al., 2002; Manlay et al., 2004; Gray et al., 2005; Mbow,
2005; Lufafa et al., 2008). L'estimation du carbone ligneux requiert
une base d'information consistante à partir de données
d'inventaire qui sont peu nombreuses (Sambou, 2004). Le Sénégal
n'a pas encore réalisé l'inventaire national de ses formations
forestières même si le PROGEDE a fait un effort
considérable dans cette direction avec la mise en place d'un SIEF
(Système d'Information Ecologique et Forestier). Les inventaires
nationaux ont permis dans de nombreux pays de faire un inventaire du carbone de
la végétation ligneuse sans avoir recours à des processus
d'approximation issue des modèles. Au Sénégal, les travaux
de l'ISE dans les Forêts Classées et les Parcs Nationaux,
constituent une base utile pour estimer les stocks de carbone et leur
dynamique, (Sambou, 2004).
Pour combler le manque d'information, la plupart des analyses
des stocks de carbone a été basée sur des modèles
comme CENTURY. En utilisant le modèle CENTURY, Liu et al.
(2004) ont pu estimer une perte de 37 % du stock de carbone entre 1900 et 2000
au niveau du sol et de la végétation au Centre Sud du
Sénégal. Les résultats du modèle indiquent une
tendance à la diminution qui ne peut être corrigée qu'avec
des mesures d'aménagement et de gestion durable. Utilisant le même
modèle, Parton et al. (2004); Woomer et al. (2004a) et
Woomer et al. (2004b), ont essayé de suivre l'évolution
du carbone dans le temps en fonction des types d'utilisation des terres, et en
s'appuyant sur des données de terrain. Les résultats ont
montré une perte de 0,477 Gt de carbone de 1850 à 2000. Woomer
(2004) a essayé de relativiser ces pertes en fonction de 11 types
d'utilisation des terres et en fonction de différentes périodes.
Par contre selon ces mêmes auteurs, une amélioration des pratiques
de gestion pourrait permettre une augmentation de 0,116 Gt de C de 2000
à 2100. Dans la même lancée, Lufafa et al. (2008)
ont couplé CENTURY avec un Système d'Information
Géographique (SIG) pour générer des données de
distribution spatiale de carbone dans le vieux bassin arachidier. Ces derniers
travaillant dans les zones de jachères à Guiera
senegalensis dans la région de Thiès ont montré des
stocks de carbone variant entre 0,01 à 0,45 Mg C/ha. Ils ont conclu que
la séquestration de carbone de ces jachères dépend dans le
long terme d'un aménagement sans utilisation des feux sur les
résidus agricoles et sur la biomasse issue de la préparation des
champs ; elle dépend aussi des types de sols et des scénarios
d'aménagement. Les travaux de Lufafa et al. (2008) montrent que
si on arrive à maintenir un retour des défrichements tous les 50
ans, on pourrait augmenter les stocks de carbone de 200 à 350 % au
niveau de la végétation (sans fertilisation) et de 270 à
483 % au niveau des sols (avec un peu de fertilisation). Ainsi ces
résultats montrent qu'il existe un réel
potentiel de séquestration de carbone des terres
dégradées ; il suffit pour cela d'un aménagement
approprié.
Ces estimations sont certes utiles mais doivent être
mises en relation avec la réalité de terrain et la mise en ~uvre
de stratégies appropriées pour une amélioration du
stockage de carbone. C'est ce que Woomer et al. (2004b) ont
constaté en étudiant les stocks de carbone de la
végétation et du sol sur 5 sites le long d'un transect Nord-Sud
dans la zone sahélienne du Sénégal. Les données
collectées leur ont permis d'estimer le biovolume à partir du
taux de couverture et la hauteur moyenne du couvert. Des mesures de terrain ont
aussi permis à Touré, (2002) de procéder à des
analyses de sols, pour estimer les quantités de carbone du sol en
mettant l'accent sur les différences pédologiques et l'existence
ou non de pratiques agricoles. Cette étude a permis d'estimer les stocks
de carbone des sols dans l'ordre de 20 tG/ha pour les sols sableux et 40 tC/ha
pour les sols argileux des zones cultivées du bassin arachidier du
Saloum Oriental. Les stocks sont de 31tC/ha (sol sableux) et 64 tC/ha (sol
argileux) pour les sols non cultivés de la même zone. D'autres
études plus ouvertes sur le Sahel ont été menées
par Takimoto et al. (2008) dans des systèmes agroforestiers
(300-700 mm/an) ; ces études montrent que les stocks de carbone de la
biomasse au Sahel varient entre 0,7 et 54 Mg C/ha, alors que les stocks de
carbone du sol varient entre 28,7 et 87,3 Mg C/ha. Ces données
permettent de dire que les sols ont plus de carbone que la biomasse, mais il
faut remarquer que la dynamique de séquestration du carbone est une
chaine qui commence par la photosynthèse. Le carbone du sol
dépend largement de ce que la végétation est capable de
fixer. Le carbone du sol n'est pas éligible aux MDP, mais il est
important de bien le conserver pour améliorer les activités de
production agricole car il s'agit d'une composante essentielle de la
fertilité des terres de culture (Tieszen et al., 2004).
Pour compléter ces analyses purement physiques,
Tschakert et al. (2004); Tschakert et al., (2004) et Mbow
(2008) ont noté que malgré la dégradation des ressources
dans le Bassin Arachidier du Sénégal, les systèmes
agricoles locaux adoptent des stratégies d'adaptation avec une
diversité de méthodes de fertilisation des sols. Ces auteurs
proposent ainsi une approche d'amélioration de la séquestration
du carbone basée sur les techniques locales.
Ces études ont le mérite de dégrossir la
question du stock et de la dynamique du carbone au Sénégal.
Cependant, elles n'ont pu bénéficier de données de terrain
abondantes pour calibrer les estimations issues des modèles qu'ils ont
utilisé. Par ailleurs, la quantité de données
collectées sur le terrain reste également insuffisante pour une
meilleure estimation du stock de carbone dans les différents
écosystèmes. En effet les sites étudiés sont
presque tous
localisés dans le Nord du pays alors que l'essentiel du
potentiel végétal ligneux du Sénégal est
situé dans la moitié Sud du pays (voir carte de
végétation, figure 7).
Conclusion
Cette synthèse générale montre que le
réchauffement climatique est un fait réel dont la manifestation
directe est une augmentation des températures terrestres du fait de
l'augmentation graduelle des gaz à effet de serre (GES) de l'ordre de
1,4 ppm/an. Les impacts de ces changements climatiques sont nombreux et
affectent différents secteurs de la vie économique par la
modification des processus biophysiques qui jusque là ont connu un
certain équilibre relatif. Pour agir efficacement, la Convention Cadre
des Nations Unies sur les Changements Climatiques à travers de
nombreuses conférences des parties a pu amener la communauté
internationale à s'engager à mener des efforts de
réduction des GES émis (pays Annexe I) ou à participer aux
efforts de fixation de carbone atmosphérique à travers des
projets MDP financés par les pays pollueurs du Nord au profit des pays
en voie de développement du Sud (Pays non Annexe I). Les MDP peuvent
être de différentes formes, et on en trouve dans l'industrie, les
mines, le secteur énergétique, au niveau des déchets, etc.
Le secteur sur lequel l'Afrique a un grand intérêt est celui des
MDP foresterie qui permet de contribuer doublement aux objectifs de la
Convention, notamment sur l'atténuation et l'adaptation aux changements
climatiques.
Le secteur forestier est compté parmi les secteurs les
plus dynamiques et les plus prometteurs de l'atténuation des changements
climatiques. Il s'agit aussi d'un secteur qui mérite une attention
particulière du fait de sa forte vulnérabilité aux
modifications du climat. Les impacts des changements climatiques ont
déjà affecté plusieurs écosystèmes à
travers des modifications significatives des températures et des
précipitations. L'homme, par son lot de besoins en produits ligneux,
vient entamer les formations forestières et crée un
déséquilibre parfois irréversible dans les fonctions
naturelles du couvert végétal. Ainsi, en relation avec les
changements climatiques, les forêts sont considérées
à la fois comme facteur contribuant au problème
(dégagement de GES, feux de brousse), mais aussi et en même temps
comme un secteur à investir pour résoudre en partie le
problème des GES par la séquestration accrue des GES.
Il faut noter cependant qu'il existe une grande
variété dans les formations végétales, avec des
capacités de séquestration qui dépendent du contexte, des
impacts climatiques ou humains subis, des types d'espèces
rencontrées et des formes d'aménagement mises en ~uvre. Cette
synthèse de l'état de la question nous permet de voir clairement
que le futur de
la séquestration du carbone se situe sous les
tropiques, avec une marge de manuvre en termes d'espace disponible et des
possibilités énormes d'amélioration des modes
d'aménagement et de gestion. Aussi, pour des raisons liées au
principe du Protocole de Kyoto et à ses objectifs, les pays en voie de
développement sont-ils les réceptacles des projets MDP foresterie
pour amener les pays industrialisés à investir dans ces
projets.
Des avancées scientifiques sont notées dans le
sens d'une meilleure connaissance des stocks de carbone des savanes, mais il
reste beaucoup d'incertitudes sur les dynamiques végétales qu'on
ne peut tenter de combler qu'avec une collecte d'informations directes sur le
terrain. Ce mémoire conduit dans la moitié Sud du
Sénégal est une contribution dans ce sens. La description du
milieu biophysique de la zone d'étude permettra de mieux comprendre le
contexte géographique de l'étude.
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