CONCLUSION GENERALE
Le grand bloc forestier sud-camerounais recèle une
importante biodiversité qui justifie autant les intérêts
économiques que l'attention de la communauté scientifique
internationale. Si l'exploitation industrielle de la forêt permet une
rentrée considérable de devises au plan national, en même
temps, elle favorise une recomposition de la biodiversité floristique.
Le prélèvement des essences forestières et les
aménagements de pistes et autres parcs à bois contribuent
à un éclaircissement parfois poussé du couvert. A priori,
une contradiction apparaît entre les objectifs économiques et la
nécessité de préserver l'environnement. Comment exploiter
la forêt sans la détruire ou la dégrader de façon
irréversible? C'est en ces termes que se posent les problèmes
liés à l'exploitation industrielle des forêts dans les pays
pauvres en ces temps où la protection de la forêt loin
d'être un luxe est devenue un enjeu économique. La recherche d'une
réponse à cette question nous a emmené à envisager
l'étude de l'évolution de la forêt au lendemain de
l'exploitation au Sud Cameroun conscient que la connaissance de cette
évolution peut permettre de mieux orienter et planifier son
exploitation. Ainsi nous avons mené l'étude de la dynamique
forestière post-exploitation industrielle avec pour ambition non
seulement d'évaluer l'impact de l'exploitation forestière sur la
végétation mais aussi d'étudier l'évolution de la
structure et de la dynamique des peuplements forestiers après
exploitation, pour en déduire des règles de gestion durable de
ces écosystèmes forestiers. Il a fallu choisir une parcelle
exploitée il y a 7 ans et une parcelle restée « intacte
» qui a servi de placette témoin ou de site de
référence pour les comparaisons.
Tout au long de cette étude, nous avons essayé
de répondre à la question de savoir quels sont les effets du
prélèvement des ressources ligneuses sur l'évolution de la
forêt? Quelles sont les caractéristiques aux plans floristique et
physionomique au lendemain de l'exploitation forestière? Ce
questionnement nous a conduit à formuler les hypothèses suivantes
:
· l'exploitation industrielle de l'écosystème
forestier entraîne un éclaircissement et une réduction de
la surface terrière et du volume en bois.
· les prélèvements d'arbres conduisent
à une recomposition de la biodiversité floristique et à la
raréfaction des individus de gros diamètre.
Au plan méthodologique, l'analyse synchrone
basée sur des relevés floristiques d'une parcelle "vierge" d'un
hectare et d'une autre de même dimension exploitée en 2002 a
été privilégiée. Sur le terrain, la collecte des
données s'est appuyée sur la mesure des paramètres de la
structure spatiale (densité, Dbh, surface terrière) et des
données de la biodiversité (richesse et diversité
spécifiques, abondance, IVI...). Sur l'ensemble des
deux placettes, 2123 arbres de dbh supérieur à 5 cm ont
été recensés dont 990 sur la parcelle exploitée et
1133 sur la parcelle non exploitée. Les observations croisées de
ces différents paramètres ont permis d'établir les
constats suivants :
· Les impacts structurels post-exploitation
industrielle : l'étude révèle que l'exploitation
forestière sélective ne modifie que très
légèrement la structure de la parcelle exploitée. Les
valeurs obtenues à partir de la mesure des paramètres de la
structure spatiale sont dans l'ensemble à l'avantage de la forêt
non exploitée, même si la différence avec la parcelle
exploitée est parfois peu sensible. Ainsi, avec 1133 individus contre
990, la plus forte densité caractérise la forêt
mâture. De plus, la surface terrière est de 28,33 m2
dans la forêt exploitée contre 36,38 m2 pour la
parcelle non exploitée. Le recouvrement des couronnes est presque
discontinu en forêt exploitée, alors qu'il est très peu
perforé par les chablis dans la forêt mature. Le taux de
recouvrement des couronnes des individus varie entre 80 et 150 % dans la
placette non exploitée alors qu'il ne varie plus qu'entre 40 et 150 %
dans la parcelle exploitée. Autrement dit, en plus des chablis, la
parcelle exploitée est affectée par des trouées
artificielles occasionnées par les coupes d'arbres qui ont réduit
relativement le recouvrement des couronnes. Ceci conduit à une relative
fragmentation de cette parcelle du fait de l'exploitation du bois. Ces constats
faits sur la base des mesures de terrain nous permettent de valider notre
hypothèse de départ selon laquelle l'exploitation industrielle de
l'écosystème forestier entraîne un éclaircissement
et une réduction de la surface terrière.
· Les impacts floristiques post-exploitation
industrielle contredisent une opinion couramment répandue qui
considère que l'exploitation forestière est à l'origine de
la perte de la biodiversité. Après vérification de cette
hypothèse on constate que d'un site à l'autre, il n'existe pas de
grande différence en ce qui concerne la composition spécifique. A
quelques rares exceptions, les différentes familles se retrouvent sur
l'une et l'autre parcelle, certes en proportion variable. Il en est de
même des genres et des espèces. On compte 121 genres sur la
parcelle exploitée contre 122 sur la parcelle non exploitée. Au
plan spécifique, l'équilibre persiste car la parcelle
exploitée compte 165 espèces contre 161 pour la parcelle qui est
restée relativement intacte et que nous avons considéré
comme site de référence. A ce niveau on peut conclure que
l'exploitation forestière sélective ne modifie pas
fondamentalement la composition floristique d'un peuplement forestier. Il
existe une base floristique commune à l'ensemble des deux parcelles.
· Les impacts sur l'abondance et la dominance
des individus et des espèces : dans l'ensemble, les indices de
similitude attestent d'une grande ressemblance entre les deux parcelles.
Lorsqu'on combine les critères abondance (nombre d'individus) et
dominance (taille des individus), ce sont des espèces appartenant aux
familles des Ulmaceae (Celtis spp) et des Sterculiaceae (Sterculia
spp, Cola spp) qui sont les plus importantes. Il en est de même des
familles secondaires qui sont les mêmes dans les deux parcelles
(Apocynaceae, Euphorbiaceae, Sapindaceae). Toutefois, les Violaceae
(Rinorea spp) et les Ebenaceae (Diospyros spp) sont plus
représentées en forêt mature qu'en forêt
exploitée. Par contre, la forêt exploitée a la
particularité d'une forte présence des Cecropiacea ou Moraceae
(Musanga cecropioides, Myrianthus arboreus) moins
représentées en forêt mature. On note aussi des
différences liées par exemple à la densité des
catégories d'individus. La forêt exploitée comporte 51,1 %
d'individus de diamètre compris entre 5 et 10 cm pour 47,4 % dans la
forêt mature. A l'opposé, on dénombre 28 grands individus
(Dbh = 50 cm) dans la forêt exploitée contre 32 dans la
forêt non exploitée. De plus, l'exploitation forestière
semble stimuler le développement de certaines monocotylédones
comme les Marantaceae et les Zingiberaceae et aussi de certaines espèces
commerciales.
Notre deuxième hypothèse n'est que partiellement
vérifiée car l'étude établit que l'exploitation
industrielle sélective ne modifie pas très sensiblement la
composition de la forêt, à moyen terme, d'une part, mais conduit
tout de même à la raréfaction des individus de gros
diamètre d'autre part. Pour le cas particulier des espèces
à bois précieux, les deux parcelles partagent les mêmes
caractéristiques en terme de biodiversité mais pas en taille. De
plus, la parcelle exploitée a mis en évidence des espèces
ayant un rôle important dans les successions forestières. Les
connaissances sur le fonctionnement naturel des forêts et de leur
reconstitution après dégradations sont essentielles car elles
constituent les bases scientifiques permettant de proposer des méthodes
sylvicoles de réhabilitation de zones dégradées. Elles
permettent également aux acteurs impliqués dans l'exploitation de
la forêt d'agir en connaissance de cause pour planifier le rythme des
rotations d'exploitation et éviter une dégradation
irréversible de la forêt.
Au bilan, la dynamique forestière 7 ans
après exploitation se traduit par le développement des
herbacées appartenant à la famille des Zingiberaceae et des
Marantaceae, le développement des jeunes arbres et arbustes de la classe
de 5-10 cm qui assurent la régénération forestière
et la multiplication de certaines espèces héliophiles tels que
Musanga cecropioides, Macaranga sp.
Cette étude aurait pu être encore plus
intéressante si elle avait associé la méthode diachronique
à la méthode synchronique en prenant par exemple appui sur des
photographies aériennes prises sur la période d'étude
considérée, mais aussi si elle s'était faite sur une
chronoséquence plus longue, en prenant par exemple d'autres parcelles de
forêt post-exploitation de 15, 25 et 40 ans. L'épaisseur de temps
ainsi considérée nous aurait permis de mieux apprécier
l'évolution de la réaction de la forêt à
l'exploitation sélective. Mais, compte tenu du temps relativement court
imparti à notre étude et de la modicité des moyens
à consacrer à des relevés de grande ampleur, nous nous
sommes limités à l'étude d'une seule parcelle 7 ans
après son exploitation. Les éléments de la dynamique
constatée dans ce cas ne seront pas forcément les mêmes que
ceux qu'on pourra observer sur une parcelle 40 ans après son
exploitation. La dynamique de la forêt sera déjà rendue
à une autre phase de son évolution. Il serait donc souhaitable de
compléter ce travail par une étude couvrant des parcelles
exploitées plus âgées.
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