3.5. Le recouvrement des couronnes
La disposition aérienne de la végétation
est perçue par la représentation de la projection des couronnes
des arbres et arbustes au sol. Elle donne un aperçu du degré
d'ouverture ou de fermeture d'une parcelle et permet de visualiser
l'interpénétration des cimes des arbres et arbustes qui est
tantôt importante, tantôt lache. Sur certains points, la
canopée est trouée (figures 21 et 22). La restitution des
couronnes présentée par ces figures montre que le recouvrement
des couronnes est faible ou nul à la hauteur des clairières
naturelles (chablis) ou artificielles (points de prélèvement des
arbres ou lignes de dégagement des arbres coupés). C'est à
ce niveau que la lumière du soleil parvient au sol sans être
interceptée par les cimes des arbres. La différence
fondamentale entre les deux parcelles réside dans la fréquence et
les dimensions de ces trouées. Elles sont plus nombreuses et plus
étendues dans la forêt exploitée.
Autrement dit, la forêt exploitée est plus
fragmentée que la forêt mature. Les voies tracées pour
l'extraction du bois en forêt sont en partie responsables de l'ouverture
de cette parcelle. En effet, une piste a été tracée en
forêt pour tirer les arbres abattus. Les manoeuvres des engins durant les
opérations d'extraction sont à l'origine de la réduction
du recouvrement. Il faut aussi noter que l'exploitation forestière est
à l'origine de la mortalité des arbres et arbustes qui au
départ ne sont pas visés par l'activité. En Amazonie par
exemple, on a remarqué que l'exploitation forestière
entraîne la modification de la structure forestière avec en
moyenne 14 à 50 % de la canopée détruit et une
mortalité de 10 à 20 % des arbres de la strate supérieure
(Schulze et Zweede, 2006). Nombre d'arbres et d'arbustes partiellement
endommagés ne présentent pas immédiatement les
conséquences pendant les opérations d'exploitation. Lors de
l'abattage et du débardage, les dégâts les plus
fréquents que connaissent les arbres sont l'ébranchage et
l'écorçage. C'est quelques années après
l'exploitation que l'on enregistre parmi les individus bléssés un
taux de mortalité assez élevé. Ceci contribue à
ouvrir davantage la canopée et à fragmenter la forêt
exploitée, la rendant ainsi plus vulnérable aux vents violents
que la forêt non perturbée. On comprend pourquoi notre parcelle
exploitée est plus ouverte et plus fragmentée que la parcelle non
exploitée. L'exploitation forestière a dû provoquer la
mortalité de certains individus sur cette parcelle.
De plus, les pistes laissées par l'exploitation
forestière sont empreintées par les populations du village qui,
pour entretenir le passage, en défrichent les abords, contribuant ainsi
à limiter la pousse des jeunes plantes. Très souvent, c'est
à travers ces tracés facilement accessibles qu'ils se
déplacent pour atteindre les champs, pour chercher du bois de chauffage
ou des perches pour la construction des habitations et des hangars.
Figure 22 : Recouvrement des couronnes des arbres et
arbustes dans la forêt exploitée.
La fragmentation poussée de la forêt
exploitée se traduit sur le site par une forte densité des
ouvertures ou clairières. Ces discontinuités occasionnées
par des trouées d'abattage sont amplifiées par des reliques de
pistes et de parcs à bois qui découlent de l'exploitation. La
fragmentation des habitats est donc parmi les conséquences de
l'exploitation forestière. Dès que ces habitats sont en
deçà d'une taille critique, les relations interspécifiques
sont profondément modifiées et l'écosystème change
radicalement de nature (Laurance et al, 1997). Cela conduit à
une mise en danger de la faune et de la flore, et à un taux d'extinction
dramatique, de l'ordre de 40 000 espèces par an (Hughes et al,
1996).
La parcelle non exploitée quant à elle
connaît moins de trouées et apparaît ainsi plus
fermée et, même si des clairières sont également
visibles, elles ne traduisent pas forcément la fragmentation de la
forêt. Le recouvrement des couronnes ici est compris entre 80 et 150 %.
Par rapport à leur nombre et leur surface réduite, on comprend
que ce sont des ouvertures qui sont surtout dues au chablis et qui entrent dans
l'ordre naturel du fonctionnement d'une forêt. Les couronnes sont
très souvent jointives et s'interpénètrent
étroitement. Cette parcelle est relativement plus homogène par
rapport au site exploité qui connaît quant à lui un
recouvrement des couronnes qui varie entre 40 et 150 %. Autrement dit, le
recouvrement de la forêt exploitée est discontinu du fait de
l'abondance des clairières. Celles-ci sont présentes en nombre
plus important sur le secteur ayant directement subi les effets de l'extraction
du bois (Figure 22). Les secteurs de cette placette qui ont été
épargnés par l'exploitation présentent un recouvrement
relativement plus important. Ainsi, ces ouvertures correspondent aux
clairières et aux chablis créés par la chute des arbres
mais aussi aux points de passage des engins qui ont servi à l'extraction
du bois. Ces ouvertures sont alors généralement occupées
par des monocotylédones de la famille des Marantacées et des
Zingibéracées (photos 5). Ce sont des plantes herbacées
héliophiles qui profitent de la lumière qui arrive au sol pour se
développer. Elles participent selon certains auteurs à la
cicatrisation de la forêt dense après sa destruction et sont par
conséquent considérées comme des formations de transition
qui conduisent à terme à la forêt dense.
A
D
B
C
Photo Kemadjou, décembre 2009
Photo 5 : Clairière artificielle à
Marantaceae et Zingibéraceae dans la forêt
exploitée.
Notes : Cette clairière occupe l'emplacement d'une
coupe d'arbre opérée en 2002 et laisse filtrer très
abondamment la lumière jusqu'au sol. Aussi, l'abondance de la
lumière favorise la croissance et la germination des espèces
héliophiles à croissance rapide et à faible durée
de vie.
Après 7 ans, le stade de
régénération est caractérisé par des plantes
herbacées comme les Zingiberaceae (feuilles lancéolées au
premier plan) (A), et les Marantaceae (au milieu de la photo
une feuille de cette plante dont les femmes se servent pour emballer les batons
de manioc et autres « miondo ») (B). On note aussi
que le cortège floristique est composé de palmiers rotin
(feuilles palées) (C). Il faut également
remarquer un jeune plant de Musanga cecropioides au milieu de la photo
dont les feuilles de couleur vert clair traduisent sa jeunesse
(D).
Photo Kemadjou, décembre 2009
Photo 6 : Chablis dans la forêt mature de
Faekélé II
Notes : Même sans l'intervention de l'homme, la
forêt connaît natuellement des chutes d'arbres ou de branches
(violis). La chute des arbres est provoquée soit parce que l'arbre est
mort, soit par déracinement suite à un vent violent. Sur ces
points d'impact, les trouées ainsi faites permettent la
pénétration de la lumière dans le sous bois qui
d'ordinaire ne reçoit que moins de 5 % de la lumière du soleil.
Lorsque cette lumière parvient en abondance au sol, c'est l'occasion
pour les graines ou les plantules d'espèces héliophiles en
état de dormance de germer (cas des graines) et de se développer
(pour les plantules). D'après Alexandre (1989), ces chablis contribuent
au rajeunissement naturel de la forêt. De plus, d'après cet
auteur, sans ces trouées, la forêt ne pourrait pas renouveller ses
propres espèces.
D'autres auteurs comme Lejoly (1996)15 qui a
étudié la forêt à Marantaceae du parc national de
d'Odzala en République du Congo pensent que les Marantaceae peuvent
conduire à la régression ou même à la disparition de
la couverture forestière par absence de
régénération des arbres et arbustes. L'explication
réside dans le fait que l'ouverture de la canopée est
défavorable à la présence des animaux arboricoles, surtout
les petits primates et les oiseaux frugivores qui disséminent les
graines à travers la forêt, mais qui se perchent sur les branches
des arbres pour le faire. La banque des graines du sol (le potentiel
séminal édaphique) est ainsi appauvrie en semences d'arbres
zoochores. Les peuplements à Marantaceae, parce que très
couvrant, ont également une action inhibitrice sur la germination des
ligneux héliophiles qu'elles privent ainsi de lumière. A partir
d'un certain stade, ce processus peut conduire de façon
irréversible à la disparition de la forêt à cause de
l'absence de régénération des ligneux. D'après cet
auteur, les Marantacées participent donc à une dynamique qui peut
s'avérer dangereuse pour la reconstitution de la forêt
après perturbation. La présence de nombreuses clairières
à Marantaceae sur notre parcelle exploitée s'inscrit-elle
déjà dans cette logique là ?
Il convient toutefois de remarquer que ces travaux ne
précisent pas par quoi est remplacée la forêt. Le doute de
cette thèse subsiste d'autant plus que ces peuplements à
Marantaceae existent à l'état naturel dans la forêt non
perturbée. Il conviendrait, pour apporter plus de précisions, de
procéder à un suivi de ces parcelles sur un pas de temps plus
important, c'est-à-dire de l'ordre de 15 à 20 ans.
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