1.4 Image corporelle
La présence du moignon d'amputation entrave directement
l'image corporelle de la personne puisqu'elle amene à une perte d'une
partie de son corps (membre amputé : la jambe), la perte de la
motricité normale, et la création d'un nouveau moyen de
locomotion (prothése). La personne voit alors son apparence et sa
fonction motrice complètement bouleversées, ceci constitue un
réel traumatisme et amène au risque élevé de
perturbation du concept de soi, á l'altération de l'image
corporelle, ainsi qu'à la perturbation de l'estime de soi.
Dans cette partie, Nous allons expliquer ce qu'est l'image
corporelle, l'image corporelle altérée puis faire des liens avec
la personne amputée.
CHILTON, cité par SALTER M. (1996 :5) affirme en 1984 que
« L'image du corps joue
un rôle important dans la compréhension de soi.
La nature de la perception que nous avons de
nous-mêmes est indissociable de celle que nous avons
de notre propre corps. Le corps, partie
visible et matérielle de nous-mtimes, est au
centre de ce qu'une personne perçoit. L'image corporelle est
l'expression de la façon dont un individu, conscient ou inconscient,
appréhende son corps, sa taille, sa fonction, son apparence comme un
potentiel. Une personne ayant une grande estime d'elle-même aura tendance
à mieux se comprendre. »
Nous pouvons donc dire que chaque individu a toujours une
image de lui-même, une représentation personnelle de ce qu'il est,
qu'elle soit altérée ou renforcée. De même, on a
l'habitude d'utiliser l'expression d'être « bien ou mal dans sa peau
» ou encore « bien dans son corps, bien dans sa tête ».
Cela nous montre que notre propre représentation personnelle, l'estime
que nous avons de notre corps physiquement est en lien direct avec l'estime que
nous avons de nous en général, avec notre moral : quelqu'un qui
ne s'aime pas physiquement aura plus de mal à s'assumer dans la vie de
tous les jours que quelqu'un en accord avec lui-même
En résumé, l'image corporelle a :
· Une composante physique : ce que nous sommes, notre
apparence, la représentation concrète commune (Tout le monde voit
la même chose : « Elle est amputé d'un membre
inférieur. » par exemple)
· Une composante psychique : comment nous percevons
notre corps mentalement = la représentation abstraite personnelle (Ce
qui permet d'apporter un jugement individuel : « Je me sens mutilé
avec cette cicatrice, j'ai l'impression qu'on ne voit que ça ! »,
ou « Sa cicatrice ne se voit pas du tout, j'avais à peine
remarqué. » par exemple)
En4ni s CP4DNKIIIIIMP DTHER4S141lle
Nous commenterons ici la situation où la modification
de l'image corporelle est liée à une intervention chirurgicale,
puisqu'il s'agit du cadre de la chirurgie aboutissant à l'amputation
d'un membre inférieur. Avant de passer en détail,
L'altération de l'image corporelle se définit selon CAPERNITO L.J
(1995 :97) comme « une situation oft la façon dont une personne
perçoit son corps est perturbée ou risque de l'rtre
».
Sa caractéristique essentielle est « la
réaction verbale ou non verbale négative à un changement
réel ou non, touchant l'intégrité physique et/ou
fonctionnelle ». Les manifestations secondaires peuvent être de
refuser de regarder et/ou de toucher la partie atteinte, la dissimulation ou
l'exhibition de la partie atteinte, un changement dans l'attitude sociale, des
sentiments négatifs à l'égard du corps (désespoir,
impuissance, vulnérabilité), une inquiétude face au
changement ou à la perte, un refus de vérifier s'il y a
changement, une dépersonnalisation de la partie atteinte ou de la perte,
des comportements autodestructeurs (automutilation, tentative de suicide, ...)
. BERNARD M, dans son ouvrage (1995:140) ; « Nous appellerons image du
corps; la configuration globale que forme l'ensemble des
représentations, perceptions, sentiments, attitudes, que l'individu a
élaboré vis-à-vis de son corps au cours de son existence
et ceci à travers diverses expériences ce corps perçu est
fréquemment référé à des normes (de
beauté, de rôle) et l'image du corps est le plus souvent une
représentation évaluative».
Une nouvelle image corporelle ne convient pas à la
personne parce que selon ses valeurs, elle ne rentre pas dans le cadre de ce
qui peut être accepté. La personne qui se considérait comme
« normale » avant, est à présent amputé d'un
membre « mutilée » : elle a
perdu une partie d'elle-même et doit en faire le difficile
deuil, elle a aussi subi la création d'un nouvel élément
corporel : cicatrice, moignon, déformation corporelle...
1.4.2 Effets de l'amputation d'un membre inferieur sur
l'image corporelle.
L'amputation d'un membre inférieur, comme nous l'avons
vu précédemment lors de la partie sur ses conséquences
physiques et psychologiques, constitue un chamboulement dans la conception du
schéma corporel et dans l'estime de soi.
Ceci explique pourquoi la personne amputée, qui n'a
plus son organe initial et qui ne maîtrise pas ses mouvements ressent un
grand malaise : la représentation et la pression sociale autour de son
incapacité constituent un réel sentiment d'être
différent, une crainte de ne plus être accepté par la
société. La personne régresse au stade où elle
était bébé et il a besoin quelqu'un pouvant l'aider dans
certains actes, ce qui est très frustrant.
Le moignon de l'amputation lui-même est un
élément nouveau du corps qu'il faut intégrer. Il y a, au
début, un grand sentiment d'être différent, d'être
« anormal », voire d'être « mal constitué ».
Le moignon d'amputation ne constitue pas une partie « naturelle » et
« initiale » du corps, c'est un rajout qui rappelle sans cesse la
maladie vécue auparavant ou encore présente.
a) Modification corporelle vue par la personne
:
La modification ou la perte corporelle peut être
réelle ou considérée comme telle par la personne, dans
tout les cas il faut prendre en compte ce que dit la personne car c'est son
ressenti qui compte.
Chacun a son propre vécu face à une même
expérience, certains le vivront bien, d'autres moins. WASNER, en 1982,
cité par SALTER M. (1996 :18) écrit que « les
réactions des adultes face à des opérations mutilantes
sont liés au degré de développement de leur image
corporelle, mais certains facteurs provoquent des réactions
différentes : âge, sexe, personnalité, cause du changement,
valeurs, attentes, origine socioculturelle, niveau de préparation au
changement, relation avec l'équipe soignante~ »
Gela rejoint la théorie selon laquelle chacun a ses
propres représentations personnelles, pour un même fait ou un
même évènement. Ghacun vivra la situation
différemment.
Les modifications corporelles liées à
l'amputation d'un membre inférieur sont souvent source
d'anxiété et de stress, car les personnes ne savent comment
appréhender la nouvelle situation, comment réagir, comment
s'adapter, etc. Ce qui était acquis auparavant ne l'est plus, il faut
reprendre de nouveaux repères, ce qui est très difficile à
cause du choc opératoire. Bien que les conséquences et le
déroulement post opératoires aient pu être expliqués
auparavant, « Quand on y est, ce n'est pas pareil. ». Les personnes
se retrouvent toujours face à un nouveau corps inconnu où il faut
faire face, réapprendre à se connaître, retrouver une
harmonie, etc. Le travail de deuil de l'ancienne image corporelle se met
également en place pour en laisser reconstruire une nouvelle.
b) Modification corporelle vue par les autres
:
SMITH, en 1984, cité par SALTER M. (1996:1) affirme que
« Nous avons tous une image de notre corps (~). Notre image est
renforcée par les comportements sociaux et notre environnement. Nous
aspirons tous à la perfection qui se révèle impossible
à atteindre. » Gela mène à dire que le regard
des autres est important dans notre propre façon de nous concevoir : il
y a un besoin de se sentir accepté, intégré par la
société pour se sentir bien, pour contribuer à sa propre
estime.
Pour autrui, la modification corporelle chez une autre
personne peut entraîner un sentiment de curiosité mais aussi de
répulsion, surtout si elle ne sait pas de quoi il s'agit exactement. Les
personnes peuvent donc ressentir un sentiment de malaise, de rejet,
d'être « différent des autres » et de ne pas «
rentrer dans le moule ». C'est d'autant plus difficile pour elles, car en
plus de leur problème d'acceptation personnelle, elles doivent affronter
celle des autres. Souvent, on dit qu'il faut qu'une personne se sente bien avec
elle-même avant d'être bien avec les autres, ce qui est vrai. La
personne qui sera plus confiante, mieux dans sa peau aura plus de
facilités à s'intégrer, prendra plus d'initiatives, etc. A
l'inverse, ne pas aimer l'image de son corps affecte le comportement personnel
et celui des autres : isolement, repli sur soi, etc.
1.4 Adaptation
= II T SUFTAAuA G'EGESIEIOn et deuil
Le processus d'adaptation se fait lorsqu'il y a un deuil, une
perte. Quand on parle de douleur psychique, la première idée qui
vient est la douleur du deuil. FREUD S. cité par MILLET P.
(2006)4 dit que : «Le deuil est régulièrement
la réaction à la perte d'une personne aimée ou d'une
abstraction mise à sa place, la patrie, la liberté, un
idéal etc. ... L'action des mêmes événements
provoque chez de nombreuses personnes, pour lesquelles nous soupçonnons
de ce fait une prédisposition morbide, une mélancolie au lieu du
deuil. Il est aussi très remarquable qu'il ne nous vienne jamais
à l'idée de considérer le deuil comme un état
pathologique et d'en confier le traitement à un médecin, bien
qu'il s'écarte sérieusement du comportement normal. Nous comptons
bien qu'il sera surmonté après un certain laps de temps, et nous
considérons qu'il serait inopportun et même nuisible de le
perturber.
Selon la psychanalyse, le deuil se définit comme la
perte de tout objet fortement investi (être humain, animal, chose,
idée,...). Il représente un cheminement psychologique que
connaîtra tout individu confronté à une perte. C'est un
véritable parcours émotionnel, un travail intérieur qui
mobilise une grande partie de l'énergie psychique du sujet et le rend
indisponible pour tout autre chose.
Comme nous l'avons vu précédemment, le patient
amputé d'un membre inférieur doit faire face à trois
deuils : celui d'une partie de ses organes: lié à la
résection de son membre, celui de son image corporelle : lié
à la perte d'une partie de son corps qui fait qu'il doit vivre au
quotidien avec son nouveau corps et celui de certaines incapacités de
son corps ; perd certaines potentialités, cela constitue pour lui une
réelle régression infantile qui est très frustrante.
Alors, la présence d'une amputation peut amener
à un sentiment de perte d'intégrité psychosociale et une
atteinte à l'estime de soi, d'où la notion de perte, donc de
deuil. Nous pouvons alors exprimer les différentes conséquences
psychologiques qui peuvent s'ensuivre : risque élevé de
perturbation du concept de soi, lié aux effets de l'amputation sur
l'image corporelle et le mode de vie. L'altération de l'image corporelle
liée aux différentes modifications de l'apparence de la personne
suite à la chirurgie qui aboutit à l'amputation d'un
4 http://www.classiques.uqac.ca/
consulté le 13/11/2007
membre inférieur. Le chagrin (deuil) lié aux
conséquences du diagnostic (cancer par exemple) et aux pertes physiques
(perte d'une partie ou totalité de son membre). Ceci nécessite un
travail sur soi qui se met en route systématiquement : le processus
d'adaptation.
Les différentes étapes du processus
d'adaptation.
Les étapes du travail de deuil ou processus d'adaptation
sont décrites par Elisabeth KÜBLER ROSS cité par MIGNOT H.
(2002 :23) et sont au nombre de six :
1) Le choc :
On l'appelle aussi le stade de la sidération. La
personne peut être comme « foudroyée » à
la premiere vue du moignon d'amputation. Ce dernier, qui a pu lors des
consultations pré opératoires être imaginée devient
alors réel. La personne ne peut pas bien comprendre ce qu'il se passe.
En cas d'indication chirurgicale urgente d'une amputation, le patient qui n'a
pas pu anticiper et s'apprêter psychologiquement aura un choc beaucoup
plus important.
2) Le déni :
C'est la phase où le patient résiste à
croire en la perte, à admettre que ce ne sera plus « comme avant
». Elle se caractérise par la négation, le refus de
l'existence même de l'amputation ou de son caractère chronique. La
personne a des dires tels « Ce n'est pas possible», « Ils se
sont trompés. », « Je ne peux pas y croire, c'est un mauvais
rêve. », etc. Cela s'accompagne souvent d'une grande
anxiété, qui se manifeste par une angoisse flottante, des
difficultés à s'hydrater, à s'alimenter ou à
trouver le sommeil, etc.
3) La col re ou l'opposition et l'expression des
sentiments :
C'est la prise de conscience du caractère réel
et chronique de l'amputation. Cela suscite une anxiété
élevée et des attitudes d'opposition (voire de révolte),
un refus de l'aide d'autrui, ainsi qu'un pessimisme face à la
possibilité de parvenir à une bonne adaptation à la
nouvelle situation et à ses exigences. La colère de la personne
peut se retourner contre ellemême entraînant un sentiment de
culpabilité : « Si j'avais fait attention... ». L'amputation
est souvent perçue comme un ennemi, un handicap majeur. Les
précautions apparaissent très contraignantes et amènent
souvent beaucoup de frustrations. Cette perception négative peut
être
associée à un sentiment d'impuissance où
la personne croit (injustement) qu'elle ne sera jamais capable de s'adapter
à son amputation. Sous cette colère, il y a souvent de la
tristesse, de la peur, et l'impression d'être seul.
4) Le marchandage :
Il constitue une phase intermédiaire
caractérisée par une acceptation partielle de faire ses soins,
ainsi que par des négociations à l'égard des composantes
de la prise en charge qui ne sont pas encore intégrées. La
personne intègre progressivement l'idée de la perte et essaie de
négocier avec les soignants par rapport à la douleur. Par exemple
: « Si j'écoute le personnel médical et si je suis moins
fermé sur moi-même, il m'aidera. ». Cette phase dure
jusqu'à ce que la résistance de la personne s'épuise.
5) La dépression :
C'est une phase essentielle du deuil, où la personne se
rend compte de sa tristesse, se sent comme aspirée dans une spirale
faite de douleur morale dont elle a le sentiment qu'elle n'en sortira pas. La
personne n'a plus le gout de rien, elle s'alimente peu, dort mal, pleure,
communique à minima et assume mal les tâches quotidiennes.
LII 1IceE,1,io4 ou la résolution du deuil
:
C'est la phase qui achève le deuil. La personne a alors
intégré l'énergie libidinale qu'elle avait
transférée sur l'objet de la perte. Il y a une nouvelle vision de
l'environnement. Les moments de rechutes deviennent de moins en moins
fréquents, lentement la personne apprend à modifier ses
habitudes, « à vivre avec », et ajuste sa vie en
conséquence. La durée de chacune des étapes peut
dépendre de beaucoup de facteurs propres à l'individu et à
l'environnement. Ainsi, il est possible que certains individus
complètent le travail d'acceptation au cours de l'année suivant
le diagnostic, alors que d'autres peuvent nier ou s'opposer pendant des
années à leur situation.
Ce travail d'acceptation n'est jamais complètement
terminé, de nouvelles contraintes peuvent survenir, amener des
réactions appartenant aux stades antérieurs et ainsi
réactiver le processus. Toutes les étapes ne sont pas
figées, elles peuvent prendre plus ou moins de temps selon la
disponibilité, la faculté d'adaptation et la sensibilité
des personnes. Certains deuils
peuvent être anticipés dans le cas d'une
intervention chirurgicale programmée et dont l'on sait qu'elle aboutira
à une amputation d'un membre de son corps. Malgré cela, une
réactivation sera tout de même observée en post
opératoire mais l'essentiel du travail de deuil aurait
déjà été accompli. A l'inverse, dans le cas de la
chirurgie pratiquée en urgence, la personne qui n'aurait pas pu se
préparer aura plus de difficultés à s'adapter.
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