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Le vécu psychologique des patients récemment opérés. Cas des amputés d'un membre inférieur à  l'hôpital Kibungo au Rwanda

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par Bonaventure CISHAHAYO
Université d'agriculture,technologie et d'éducation de Kibungo - Mémoire présenté en vue de l'obtention du grade de licencié en psychologie clinique 2008
  

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1.4 Image corporelle

La présence du moignon d'amputation entrave directement l'image corporelle de la personne puisqu'elle amene à une perte d'une partie de son corps (membre amputé : la jambe), la perte de la motricité normale, et la création d'un nouveau moyen de locomotion (prothése). La personne voit alors son apparence et sa fonction motrice complètement bouleversées, ceci constitue un réel traumatisme et amène au risque élevé de perturbation du concept de soi, á l'altération de l'image corporelle, ainsi qu'à la perturbation de l'estime de soi.

Dans cette partie, Nous allons expliquer ce qu'est l'image corporelle, l'image corporelle altérée puis faire des liens avec la personne amputée.

CHILTON, cité par SALTER M. (1996 :5) affirme en 1984 que « L'image du corps joue

un rôle important dans la compréhension de soi. La nature de la perception que nous avons de

nous-mêmes est indissociable de celle que nous avons de notre propre corps. Le corps, partie

visible et matérielle de nous-mtimes, est au centre de ce qu'une personne perçoit. L'image corporelle est l'expression de la façon dont un individu, conscient ou inconscient, appréhende son corps, sa taille, sa fonction, son apparence comme un potentiel. Une personne ayant une grande estime d'elle-même aura tendance à mieux se comprendre. »

Nous pouvons donc dire que chaque individu a toujours une image de lui-même, une représentation personnelle de ce qu'il est, qu'elle soit altérée ou renforcée. De même, on a l'habitude d'utiliser l'expression d'être « bien ou mal dans sa peau » ou encore « bien dans son corps, bien dans sa tête ». Cela nous montre que notre propre représentation personnelle, l'estime que nous avons de notre corps physiquement est en lien direct avec l'estime que nous avons de nous en général, avec notre moral : quelqu'un qui ne s'aime pas physiquement aura plus de mal à s'assumer dans la vie de tous les jours que quelqu'un en accord avec lui-même

En résumé, l'image corporelle a :

· Une composante physique : ce que nous sommes, notre apparence, la représentation concrète commune (Tout le monde voit la même chose : « Elle est amputé d'un membre inférieur. » par exemple)

· Une composante psychique : comment nous percevons notre corps mentalement = la représentation abstraite personnelle (Ce qui permet d'apporter un jugement individuel : « Je me sens mutilé avec cette cicatrice, j'ai l'impression qu'on ne voit que ça ! », ou « Sa cicatrice ne se voit pas du tout, j'avais à peine remarqué. » par exemple)

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Nous commenterons ici la situation où la modification de l'image corporelle est liée à une intervention chirurgicale, puisqu'il s'agit du cadre de la chirurgie aboutissant à l'amputation d'un membre inférieur. Avant de passer en détail, L'altération de l'image corporelle se définit selon CAPERNITO L.J (1995 :97) comme « une situation oft la façon dont une personne perçoit son corps est perturbée ou risque de l'rtre ».

Sa caractéristique essentielle est « la réaction verbale ou non verbale négative à un changement réel ou non, touchant l'intégrité physique et/ou fonctionnelle ». Les manifestations secondaires peuvent être de refuser de regarder et/ou de toucher la partie atteinte, la dissimulation ou l'exhibition de la partie atteinte, un changement dans l'attitude sociale, des sentiments négatifs à l'égard du corps (désespoir, impuissance, vulnérabilité), une inquiétude face au changement ou à la perte, un refus de vérifier s'il y a changement, une dépersonnalisation de la partie atteinte ou de la perte, des comportements autodestructeurs (automutilation, tentative de suicide, ...) . BERNARD M, dans son ouvrage (1995:140) ; « Nous appellerons image du corps; la configuration globale que forme l'ensemble des représentations, perceptions, sentiments, attitudes, que l'individu a élaboré vis-à-vis de son corps au cours de son existence et ceci à travers diverses expériences ce corps perçu est fréquemment référé à des normes (de beauté, de rôle) et l'image du corps est le plus souvent une représentation évaluative».

Une nouvelle image corporelle ne convient pas à la personne parce que selon ses valeurs, elle ne rentre pas dans le cadre de ce qui peut être accepté. La personne qui se considérait comme « normale » avant, est à présent amputé d'un membre « mutilée » : elle a

perdu une partie d'elle-même et doit en faire le difficile deuil, elle a aussi subi la création d'un nouvel élément corporel : cicatrice, moignon, déformation corporelle...

1.4.2 Effets de l'amputation d'un membre inferieur sur l'image corporelle.

L'amputation d'un membre inférieur, comme nous l'avons vu précédemment lors de la partie sur ses conséquences physiques et psychologiques, constitue un chamboulement dans la conception du schéma corporel et dans l'estime de soi.

Ceci explique pourquoi la personne amputée, qui n'a plus son organe initial et qui ne maîtrise pas ses mouvements ressent un grand malaise : la représentation et la pression sociale autour de son incapacité constituent un réel sentiment d'être différent, une crainte de ne plus être accepté par la société. La personne régresse au stade où elle était bébé et il a besoin quelqu'un pouvant l'aider dans certains actes, ce qui est très frustrant.

Le moignon de l'amputation lui-même est un élément nouveau du corps qu'il faut intégrer. Il y a, au début, un grand sentiment d'être différent, d'être « anormal », voire d'être « mal constitué ». Le moignon d'amputation ne constitue pas une partie « naturelle » et « initiale » du corps, c'est un rajout qui rappelle sans cesse la maladie vécue auparavant ou encore présente.

a) Modification corporelle vue par la personne :

La modification ou la perte corporelle peut être réelle ou considérée comme telle par la personne, dans tout les cas il faut prendre en compte ce que dit la personne car c'est son ressenti qui compte.

Chacun a son propre vécu face à une même expérience, certains le vivront bien, d'autres moins. WASNER, en 1982, cité par SALTER M. (1996 :18) écrit que « les réactions des adultes face à des opérations mutilantes sont liés au degré de développement de leur image corporelle, mais certains facteurs provoquent des réactions différentes : âge, sexe, personnalité, cause du changement, valeurs, attentes, origine socioculturelle, niveau de préparation au changement, relation avec l'équipe soignante~ »

Gela rejoint la théorie selon laquelle chacun a ses propres représentations personnelles, pour un même fait ou un même évènement. Ghacun vivra la situation différemment.

Les modifications corporelles liées à l'amputation d'un membre inférieur sont souvent source d'anxiété et de stress, car les personnes ne savent comment appréhender la nouvelle situation, comment réagir, comment s'adapter, etc. Ce qui était acquis auparavant ne l'est plus, il faut reprendre de nouveaux repères, ce qui est très difficile à cause du choc opératoire. Bien que les conséquences et le déroulement post opératoires aient pu être expliqués auparavant, « Quand on y est, ce n'est pas pareil. ». Les personnes se retrouvent toujours face à un nouveau corps inconnu où il faut faire face, réapprendre à se connaître, retrouver une harmonie, etc. Le travail de deuil de l'ancienne image corporelle se met également en place pour en laisser reconstruire une nouvelle.

b) Modification corporelle vue par les autres :

SMITH, en 1984, cité par SALTER M. (1996:1) affirme que « Nous avons tous une image de notre corps (~). Notre image est renforcée par les comportements sociaux et notre environnement. Nous aspirons tous à la perfection qui se révèle impossible à atteindre. » Gela mène à dire que le regard des autres est important dans notre propre façon de nous concevoir : il y a un besoin de se sentir accepté, intégré par la société pour se sentir bien, pour contribuer à sa propre estime.

Pour autrui, la modification corporelle chez une autre personne peut entraîner un sentiment de curiosité mais aussi de répulsion, surtout si elle ne sait pas de quoi il s'agit exactement. Les personnes peuvent donc ressentir un sentiment de malaise, de rejet, d'être « différent des autres » et de ne pas « rentrer dans le moule ». C'est d'autant plus difficile pour elles, car en plus de leur problème d'acceptation personnelle, elles doivent affronter celle des autres. Souvent, on dit qu'il faut qu'une personne se sente bien avec elle-même avant d'être bien avec les autres, ce qui est vrai. La personne qui sera plus confiante, mieux dans sa peau aura plus de facilités à s'intégrer, prendra plus d'initiatives, etc. A l'inverse, ne pas aimer l'image de son corps affecte le comportement personnel et celui des autres : isolement, repli sur soi, etc.

1.4 Adaptation

= II T SUFTAAuA G'EGESIEIOn et deuil

Le processus d'adaptation se fait lorsqu'il y a un deuil, une perte. Quand on parle de douleur psychique, la première idée qui vient est la douleur du deuil. FREUD S. cité par MILLET P. (2006)4 dit que : «Le deuil est régulièrement la réaction à la perte d'une personne aimée ou d'une abstraction mise à sa place, la patrie, la liberté, un idéal etc. ... L'action des mêmes événements provoque chez de nombreuses personnes, pour lesquelles nous soupçonnons de ce fait une prédisposition morbide, une mélancolie au lieu du deuil. Il est aussi très remarquable qu'il ne nous vienne jamais à l'idée de considérer le deuil comme un état pathologique et d'en confier le traitement à un médecin, bien qu'il s'écarte sérieusement du comportement normal. Nous comptons bien qu'il sera surmonté après un certain laps de temps, et nous considérons qu'il serait inopportun et même nuisible de le perturber.

Selon la psychanalyse, le deuil se définit comme la perte de tout objet fortement investi (être humain, animal, chose, idée,...). Il représente un cheminement psychologique que connaîtra tout individu confronté à une perte. C'est un véritable parcours émotionnel, un travail intérieur qui mobilise une grande partie de l'énergie psychique du sujet et le rend indisponible pour tout autre chose.

Comme nous l'avons vu précédemment, le patient amputé d'un membre inférieur doit faire face à trois deuils : celui d'une partie de ses organes: lié à la résection de son membre, celui de son image corporelle : lié à la perte d'une partie de son corps qui fait qu'il doit vivre au quotidien avec son nouveau corps et celui de certaines incapacités de son corps ; perd certaines potentialités, cela constitue pour lui une réelle régression infantile qui est très frustrante.

Alors, la présence d'une amputation peut amener à un sentiment de perte d'intégrité psychosociale et une atteinte à l'estime de soi, d'où la notion de perte, donc de deuil. Nous pouvons alors exprimer les différentes conséquences psychologiques qui peuvent s'ensuivre : risque élevé de perturbation du concept de soi, lié aux effets de l'amputation sur l'image corporelle et le mode de vie. L'altération de l'image corporelle liée aux différentes modifications de l'apparence de la personne suite à la chirurgie qui aboutit à l'amputation d'un

4 http://www.classiques.uqac.ca/ consulté le 13/11/2007

membre inférieur. Le chagrin (deuil) lié aux conséquences du diagnostic (cancer par exemple) et aux pertes physiques (perte d'une partie ou totalité de son membre). Ceci nécessite un travail sur soi qui se met en route systématiquement : le processus d'adaptation.

Les différentes étapes du processus d'adaptation.

Les étapes du travail de deuil ou processus d'adaptation sont décrites par Elisabeth KÜBLER ROSS cité par MIGNOT H. (2002 :23) et sont au nombre de six :

1) Le choc :

On l'appelle aussi le stade de la sidération. La personne peut être comme « foudroyée » à la premiere vue du moignon d'amputation. Ce dernier, qui a pu lors des consultations pré opératoires être imaginée devient alors réel. La personne ne peut pas bien comprendre ce qu'il se passe. En cas d'indication chirurgicale urgente d'une amputation, le patient qui n'a pas pu anticiper et s'apprêter psychologiquement aura un choc beaucoup plus important.

2) Le déni :

C'est la phase où le patient résiste à croire en la perte, à admettre que ce ne sera plus « comme avant ». Elle se caractérise par la négation, le refus de l'existence même de l'amputation ou de son caractère chronique. La personne a des dires tels « Ce n'est pas possible», « Ils se sont trompés. », « Je ne peux pas y croire, c'est un mauvais rêve. », etc. Cela s'accompagne souvent d'une grande anxiété, qui se manifeste par une angoisse flottante, des difficultés à s'hydrater, à s'alimenter ou à trouver le sommeil, etc.

3) La col re ou l'opposition et l'expression des sentiments :

C'est la prise de conscience du caractère réel et chronique de l'amputation. Cela suscite une anxiété élevée et des attitudes d'opposition (voire de révolte), un refus de l'aide d'autrui, ainsi qu'un pessimisme face à la possibilité de parvenir à une bonne adaptation à la nouvelle situation et à ses exigences. La colère de la personne peut se retourner contre ellemême entraînant un sentiment de culpabilité : « Si j'avais fait attention... ». L'amputation est souvent perçue comme un ennemi, un handicap majeur. Les précautions apparaissent très contraignantes et amènent souvent beaucoup de frustrations. Cette perception négative peut être

associée à un sentiment d'impuissance où la personne croit (injustement) qu'elle ne sera jamais capable de s'adapter à son amputation. Sous cette colère, il y a souvent de la tristesse, de la peur, et l'impression d'être seul.

4) Le marchandage :

Il constitue une phase intermédiaire caractérisée par une acceptation partielle de faire ses soins, ainsi que par des négociations à l'égard des composantes de la prise en charge qui ne sont pas encore intégrées. La personne intègre progressivement l'idée de la perte et essaie de négocier avec les soignants par rapport à la douleur. Par exemple : « Si j'écoute le personnel médical et si je suis moins fermé sur moi-même, il m'aidera. ». Cette phase dure jusqu'à ce que la résistance de la personne s'épuise.

5) La dépression :

C'est une phase essentielle du deuil, où la personne se rend compte de sa tristesse, se sent comme aspirée dans une spirale faite de douleur morale dont elle a le sentiment qu'elle n'en sortira pas. La personne n'a plus le gout de rien, elle s'alimente peu, dort mal, pleure, communique à minima et assume mal les tâches quotidiennes.

LII 1IceE,1,io4 ou la résolution du deuil :

C'est la phase qui achève le deuil. La personne a alors intégré l'énergie libidinale qu'elle avait transférée sur l'objet de la perte. Il y a une nouvelle vision de l'environnement. Les moments de rechutes deviennent de moins en moins fréquents, lentement la personne apprend à modifier ses habitudes, « à vivre avec », et ajuste sa vie en conséquence. La durée de chacune des étapes peut dépendre de beaucoup de facteurs propres à l'individu et à l'environnement. Ainsi, il est possible que certains individus complètent le travail d'acceptation au cours de l'année suivant le diagnostic, alors que d'autres peuvent nier ou s'opposer pendant des années à leur situation.

Ce travail d'acceptation n'est jamais complètement terminé, de nouvelles contraintes peuvent survenir, amener des réactions appartenant aux stades antérieurs et ainsi réactiver le processus. Toutes les étapes ne sont pas figées, elles peuvent prendre plus ou moins de temps selon la disponibilité, la faculté d'adaptation et la sensibilité des personnes. Certains deuils

peuvent être anticipés dans le cas d'une intervention chirurgicale programmée et dont l'on sait qu'elle aboutira à une amputation d'un membre de son corps. Malgré cela, une réactivation sera tout de même observée en post opératoire mais l'essentiel du travail de deuil aurait déjà été accompli. A l'inverse, dans le cas de la chirurgie pratiquée en urgence, la personne qui n'aurait pas pu se préparer aura plus de difficultés à s'adapter.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry